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Hughes Dedit h-dedit@worldnet.fr

L'HISTOIRE DES TROIS COURGETTES

De Hughes Dedit, (h-dedit@worldnet.fr)
d'après un conte populaire ancien

Personnages

Le meneur
Le père
La mère
La soeur 1
La soeur 2
La cadette
Le cuisinier
Le tisserand
Le roi
Le vieux
La vieille
Grand soleil
Petit soleil
Belle étoile
L'oiseau de vérité

PROLOGUE

(Tous les acteurs entrent sur scène précipitamment)

LE MENEUR :
Nous, groupe de défense des élèves, avons voté l'annulation de la représentation de notre spectacle "L'oiseau de vérité".

UN ENFANT :
Nous voulons plusieurs choses.

UN ENFANT :
Nous souhaitons un théâtre de qualité.

UN ENFANT :
Nous désirons un théâtre sans effets inutiles.

UN ENFANT :
Nous revendiquons un théâtre populaire.

UN ENFANT :
Egalement nous refusons de jouer dans les costumes qui ont été prévu pour ce spectacle !

UN ENFANT :
Nous ne sommes pas des animaux de cirque venus faire les singes sur scène !

UN ENFANT :
Nous refusons de jouer dans cette mise en scène qui nous ridiculise !

UN ENFANT :
Nous refusons de jouer ce texte d'une rare bêtise !

UN ENFANT :
C'est une histoire sans aucun intérêt.

UN ENFANT :
Nous ne souhaitons pas lasser les spectateurs.

UN ENFANT :
Nous refusons de jouer cette pièce aussi idiote que l'auteur !

UN ENFANT :
L'auteur écrit pour son propre plaisir, jamais pour les spectateurs !

UN ENFANT :
Nous désirons devenir des créateurs et non des robots !

UN ENFANT :
Nous refusons de jouer ce spectacle tel qu'il a été conçu !

UN ENFANT :
Les spectateurs sont des parents. Ils voient leurs gamins sur scène et cela suffit pour leur ravissement. Ainsi pense l'auteur de cette misérable pièce.

UN ENFANT :
Les responsables flattent votre affection par des effets faciles !

UN ENFANT :
Nous ne jouerons pas dans ces conditions !

LE MENEUR :
Aussi nous avons voté l'annulation de tous les effets inutiles !

UN ENFANT :
Nous jouerons sans costumes !

UN ENFANT :
Sans décor !

UN ENFANT :
Avec très peu d'accessoires !

UN ENFANT :
Sans musique de scène !

UN ENFANT :
Sans aucun effet d'éclairage !

UN ENFANT :
Pour cela, nous avons kidnappé l'auteur pour avoir la garantie que les responsables nous laissent agir en liberté.

UN ENFANT :
Si l'on cherche à perturber notre spectacle, nous ne le rendrons pas vivant !

LE MENEUR :
Attention nous allons commencer ! Que chacun prenne sa place. Que l'on ouvre le rideau ! Que l'on dégage le plateau ! Que l'on commence !

(Les acteurs sortent. Le plateau est vide.)

LE MENEUR :
Nous, syndicat autonome de défense des élèves, avons voté à l'unanimité‚ l'annulation de la représentation de notre spectacle "l'oiseau de vérité".

SCENE 1

(Le meneur entre sur scène, installe deux chaises et s'adresse au public. Pendant ce temps le père et la mère entrent s'asseoir.)

LE MENEUR (au public) :
Pour la scène que vous allez voir, l'auteur et le metteur en scène avaient prévu une énorme toile de fond qui représente la campagne. (Avec un ton de conteur) Il y a très longtemps, dans un royaume très puissant, vivaient un homme et une femme parents de trois filles.

LE PÈRE :
Ah ma bonne épouse, comme nous sommes bien à la campagne. (Au public) Par cette réplique, je précise que cette femme est ma femme, mon épouse, et que nous sommes à la campagne.

LA MÈRE :
Ah mon bon mari, je suis bien heureuse de prendre le frais dans ce lieu si calme. (Au public) Par cette réplique je précise que cet homme est mon homme, mon époux, et que nous sommes à la campagne.

LE PÈRE :
Mais où sont nos trois filles ?

LA MÈRE :
Nos deux aînées se promènent dans la campagne.

LE PÈRE :
Et notre idiote de cadette, que fait-elle ?

LA MÈRE :
Elle lave, repasse, fait le ménage de notre maison et prépare le dîner. (Au public) Par ce petit dialogue, vous savez que nous préférons les deux aînées et que nous détestons la cadette.

(Les trois soeurs entrent.)

LA SOEUR 1 :
Comme la campagne est belle en cette saison.

LA SOEUR 2 :
Les fleurs fleurissent de toute part !

LA CADETTE :
L'été caresse la nature. (Au public) Jusqu'à présent, vous ignorez encore qui de nous trois est la cadette.

LE PÈRE (désignant du doigt la cadette) :
Tais-toi ! Vipère !

LA CADETTE (au public) :
Maintenant vous savez que c'est moi !

LA MÈRE :
Il faut toujours que tu t'adresses à n'importe qui ! Ce n'est pas de cette façon que tu trouveras un mari !

LA SOEUR 1 :
Elle, trouver un mari ? C'est une plaisanterie !

LA SOEUR 2 :
Elle est bien trop laide !

LE PÈRE :
Elle est bien trop sotte !

LA SOEUR 1 :
Elle est bien trop maladroite.

LA SOEUR 2 :
Elle est bien trop conne ! (Au public) L'auteur de cette pièce est pauvre en vocabulaire et il utilise parfois des grossièretés.

LA SOEUR 1 :
Moi, j'épouserai le premier cuisinier du roi. Je sais si bien cuisiner que son altesse royale ne pourra plus se passer de moi.

LA SOEUR 2 :
Moi, j'épouserai le premier tisserand du roi. Je sais si bien tisser les draps, que je fabriquerai pour sa majesté une literie moelleuse. Le roi ne pourra plus se passer de moi.

LA CADETTE :
Moi, si j'épousais le roi... (Au public) Vous remarquerez que dans les contes, les personnages les plus simples ont souvent des rêves fous et d'une rare bêtise. C'est flagrant dans la suite de ma réplique... (rêveuse) Moi, si j'épousais le roi, je lui donnerai deux garçons et une fille portant soleil et étoile sur le front.

(Les autres personnages éclatent de rire.)

LA SOEUR 1 :
C'est incroyable, les personnages les plus simples ont souvent des rêves fous.

LA SOEUR 2 :
Et d'une rare bêtise !

LE MENEUR (avec le ton d'un conteur) :
Le roi, qui souhaitait voir ses terres, passait par là. Il aperçut les trois soeurs et les écouta. (Au public) Mesdemoiselles, formulez un voeux de mariage dans la campagne et vous aurez une chance sur trois milliards qu'un roi passe par là au même moment !

LE ROI (entrant triomphalement) :
Vous aviez une chance sur trois milliards que je passe ici, maintenant. Qui suis-je ?

LA SOEUR 1, 2 et LA CADETTE (ensemble) :
Le roi !

LE ROI (déçu) :
Zut ! (Au public) Si les apartés au public n'existaient pas, elles n'auraient jamais trouvé ! (Aux soeurs) Je passais par mes terres lorsque je vous ai aperçu et écouté. J'ai le plaisir de vous annoncer que vos souhaits seront exaucés.

(Tous les acteurs sortent de scène sauf le meneur.)

SCENE 2


LE MENEUR :
Chers spectateurs, le groupe de défense des élèves a décidé de réduire la scène suivante à sa plus simple expression. Cette réduction nous permettra l'économie des frais de noces. (Avec un ton de conteur) La première soeur épousa le cuisinier du roi.

LE CUISINIER (au public) :
Mon rôle dans cette histoire n'a aucune importance. Bon appétit !

(Il sort)

LE MENEUR :
La seconde soeur se maria avec le tisserand du palais.

LE TISSERAND (au public) :
Personne ne m'a demandé mon avis !

(Le roi et la cadette entrent.)

LE MENEUR :
Et la cadette épousa le roi. (Au public) Les dialogues qui vont suivre seront accélérés. Soyez attentif.

LE ROI :
Demain, dame cadette, vous deviendrez mon épouse.

LA CADETTE :
Demain, je serai reine.

LE ROI :
Ca y est, cadette, vous êtes mon épouse.

LA CADETTE :
Ca y est, je suis reine.

(La soeur 1 et le cuisinier entrent)

LA SOEUR 1 :
Oh comme je suis jalouse du bonheur de ma soeur cadette.

LE CUISINIER :
Ma femme en oublie son bonheur.

(La soeur 2 et le tisserand entrent)

LA SOEUR 2 :
Moi aussi je suis jalouse, mais je prépare une vengeance.

LE TISSERAND :
Et moi, on ne me demande pas mon avis ?

LE ROI :
Oh ! Une grande nouvelle arrive !

LA CADETTE :
J'attends un enfant pour bientôt !

LE ROI :
Oh ! J'en suis tout réjoui.

LA SOEUR 1 :
Oh ! Comme je suis jalouse !

LA SOEUR 2 :
Oh ! Comme je suis dépitée !

LE TISSERAND et LE CUISINIER :
Et nous, on ne dit rien !

LA CADETTE :
Mes soeurs m'ont proposé de m'aider pour mon accouchement.

LE ROI :
Merveilleux !

LA CADETTE :
Ca y est, j'ai accouché.

LA SOEUR 1 :
Horreur, je mets le garçon dont le front est orné d'un soleil dans un panier et je le jette dans la rivière.

LA SOEUR 2 :
A la place, je mets un chien dans le berceau.

LE CUISINIER :
Horreur ! La reine a accouché d'un chien !

LE TISSERAND :
Misère ! La reine a accouché d'un chien !

LE ROI :
Chut ! J'étouffe l'incident car j'aime trop la reine pour qu'on en dise du mal.

LA CADETTE :
Neuf mois plus tard, j'attends un nouvel enfant pour bientôt!

LE ROI :
Oh ! J'en suis tout réjoui.

LA SOEUR 1 :
Oh ! Je complote avec ma soeur !

LA SOEUR 2 :
Oh ! Nous employons la même ruse !

LE TISSERAND et LE CUISINIER :
Et nous, on ne dit toujours rien !

LA CADETTE :
Mes soeurs m'ont proposé de m'aider pour mon accouchement.

LE ROI :
Merveilleux !

LA CADETTE :
Ca y est, j'ai accouché.

LA SOEUR 1 :
Horreur, je mets le deuxième garçon dont le front est orné d'un soleil dans un panier et je le jette dans la rivière.

LA SOEUR 2 :
A la place, je mets un chat dans le berceau.

LE CUISINIER :
Horreur ! La reine a accouché d'un chat !

LE TISSERAND :
Misère ! La reine a accouché d'un chat !

LE ROI :
Silence ! J'étouffe l'incident encore une fois, car j'aime trop la reine pour qu'on en dise du mal.

LA CADETTE :
Neuf mois plus tard, j'attends encore un enfant pour bientôt !

LE ROI :
Merveilleux !

LA CADETTE :
Ca y est, j'ai accouché.

LA SOEUR 1 :
Horreur, je mets la fille dont le front est orné d'une étoile dans un panier et je le jette dans la rivière.

LA SOEUR 2 :
A la place, je mets un morceau de bois dans le berceau.

LE CUISINIER :
Horreur !

LE TISSERAND :
Misère !

LE ROI (En colère) :
Ah ! Je crois devenir fou ! J'enferme la reine en prison pour lui faire expier son crime ! (Au public, calmement) L'auteur avait prévu que je mette la reine dans un couvent mais mon personnage est tellement en colère que j'ai opté pour la prison. (En colère, à ses sujets) Ah ! Ne faites pas les poireaux sur le plateau ! Dehors ! Que tout le monde sorte ! Et que le narrateur se dépêche de raconter ce que sont devenus les paniers jetés à la rivière ! Parce que si vous croyez que l'on va gober cette histoire de reine qui accouche d'un chien, d'un chat et d'un morceau de bois, vous vous mettez le doigt dans l'oeil ! Il n'y a que les imbéciles pour croire à une histoire pareille ! Ah ! Ma femme est une sorcière, j'aurais du la tuer dès qu'elle a mis au monde ce chien de malheur ! (Il sort)

SCENE 3


LE MENEUR (Il entre en scène) :
Le syndicat autonome de défense des élèves a décidé à l'unanimité absolue de supprimer le décor de cette scène : une rivière. En effet, il était prévu en avant scène de remplir d'eau un bassin. Ce bassin était équipé d'un générateur de vagues pour donner à cette rivière artificielle un aspect réaliste. Encore une fois, nous pouvons par le texte suggérer le lieu de l'action : démonstration :

(Pendant ce temps, le vieux et la vieille se sont installés sur une chaise en avant scène)

LE VIEUX :
Oh, regarde mamie, la jolie poule d'eau qui remonte la rivière !

LE MENEUR (Au public) :
... Et immédiatement, tout le public imagine la rivière.

LA VIEILLE :
Tiens papi, prends cette canne à pêche pour mieux suggérer la rivière.

LE VIEUX :
Merci mamie, surtout que dans quelques minutes, je dis dans mon texte que j'ai attrapé deux gardons et une carpe, si je n'ai pas de canne, je vais avoir l'air malin !

LA VIEILLE :
C'est exact. Ah qu'est-ce qu'on est bien ici, tous les deux. On ne peut pas rêver d'une meilleure retraite après plusieurs années de travail. (Au public) Je dis ça pour que vous sachiez ce que nous faisons dans la vie.

LE VIEUX :
Tu as raison, mamie, on a bien mérité ses jours tranquilles. (Au public) Ce qu'elle va dire maintenant est important.

LA VIEILLE :
Ce qui est triste, c'est que nous n'ayons pas eu d'enfants tous les deux.

LE VIEUX :
Oh oui, c'est vrai qu'on aurait été bien heureux avec des enfants. (Au public) Ce que mamie ignore c'est qu'on va trouver sur la rivière un panier avec un enfant.

LA VIEILLE :
Tu as bien raison, si nous avions eu des enfants, notre vie serait différente aujourd'hui. (Au public) Ce que papi ignore, c'est que nous allons bientôt trouver sur la rivière un panier avec un enfant dedans.

LE VIEUX :
Ah, ça ne mord plus ! Je crois qu'on va plier et rentrer. Et puis ces histoires d'enfants qu'on n'a pas eus, ça me donne faim.

LA VIEILLE :
Restons encore un peu. On est bien ici. (Au public) L'imbécile, si on part, on va rater le panier.

LE VIEUX :
Tu es sûr que tu veux rester ? (Au public) Je demande ça afin qu'elle insiste pour qu'on reste, sinon on va rater le panier.

LA VIEILLE :
De toute manière, tu n'as pas pris assez de poisson. (Au public) Il va être atteint dans son honneur et restera pour en prendre plus.

LE VIEUX :
J'ai attrapé deux gardons et une carpe. C'est largement suffisant ! (Au public) Il pourrait arriver le panier !

LA VIEILLE :
Juste assez pour nourrir le chat et nous. (Au public) Encore deux répliques et le panier arrive.

LE VIEUX :
N'exagère pas ! On pourrait même nourrir trois invités. (Au public) Qu'est-ce qu'il fait ce panier ?

LA VIEILLE :
Des invités à l'appétit d'oiseau alors ! (Au public) C'est maintenant qu'il arrive.

LE VIEUX :
Ah par pitié mamie, ne fais pas de mauvais esprit pour que... pour que...

LA VIEILLE (Au public) :
Crotte ! Il a un trou de mémoire ! Sans la suite du texte le panier ne peut pas venir !

LE VIEUX :
... pour que... pour que...

LA VIEILLE (lui soufflant à l'oreille) :
...pour que nous restions.

LE VIEUX :
Ne fais pas de mauvais esprit pour que nous restions !... Oh regarde un panier qui flotte !

LA VIEILLE (Au public) :
Ouf !

LE VIEUX (Au public) :
Depuis le temps qu'on l'attendait !

LA VIEILLE (Au public) :
Devinez ce qu'on trouve dans le panier ?... Un enfant.

LE VIEUX (Au public) :
On est émerveillé de découvrir ce petit garçon et on décide de l'emmener et de la garder.

LA VIEILLE (Au public) :
On décide de l'appeler "Grand soleil" à cause du truc, là, qu'il a sur le front.

LE VIEUX (Au public) :
Neuf mois plus tard, on découvre dans un autre panier, un deuxième petit garçon...

LA VIEILLE (Au public) :
qu'on appelle "Petit soleil" à cause du truc qu'il a là, sur le front.

LE VIEUX (Au public) :
Et puis neuf mois plus tard, on trouve encore un autre panier avec une petite fille...

LA VIEILLE (Au public) :
qu'on appelle "Belle étoile" à cause du machin là, sur le front.

LE VIEUX :
Oh ! Comme je suis fier d'avoir trois si beaux enfants !

LA VIEILLE :
Moi aussi je suis heureuse, papi.

LE VIEUX (Au public) :
Nous ne sommes plus jamais retournés à la rivière de peur de trouver un quatrième panier.

LA VIEILLE (Au public) :
C'est qu'on n'est plus tout jeune !

LE VIEUX (Au public) :
Et puis à l'époque où se déroule cette histoire, les allocations familiales n'existent pas encore.

(La scène se vide et entre le meneur)

SCENE 4


LE MENEUR (Avec un ton de conteur) :
Très loin, tout au bout des jardins du roi, les deux retraités vivaient très heureux en compagnie de leurs enfants adoptifs, alors que chez le roi régnaient colères, cris et rancoeur. Le temps passait avec douceur et quelques années plus tard... (Au public) A ce sujet, vous remarquerez comment au théâtre, les personnages peuvent vieillir rapidement, alors que les spectateurs, eux, ne prennent pas une ride.

(Pendant ce temps, entrent les vieux et les 3 enfants)

GRAND SOLEIL :
J'ai un an.

PETIT SOLEIL :
J'ai deux ans.

BELLE ÉTOILE :
J'ai trois ans.

LA VIEILLE :
Direction la maternelle.

LE VIEUX :
En rang par deux !

GRAND SOLEIL :
J'ai quatre ans.

PETIT SOLEIL :
J'ai cinq ans.

BELLE ÉTOILE :
J'ai six ans.

LA VIEILLE :
Direction le cours préparatoire !

LE VIEUX :
Nous, on a l'âge de ne plus dire notre âge !

GRAND SOLEIL :
J'ai sept ans.

PETIT SOLEIL :
J'ai huit ans.

BELLE ÉTOILE :
J'ai neuf ans.

LA VIEILLE :
Instruction par les meilleurs maîtres !

LE VIEUX :
Comme les enfants des rois !

GRAND SOLEIL :
J'ai dix ans.

PETIT SOLEIL :
J'ai onze ans.

BELLE ÉTOILE :
J'ai douze ans.

LA VIEILLE :
Il est trop tard pour avouer à nos enfants...

LE VIEUX :
... que nous ne sommes pas leurs vrais parents.

GRAND SOLEIL :
J'ai treize ans.

PETIT SOLEIL :
J'ai quatorze ans.

BELLE ÉTOILE :
J'ai quinze ans.

LA VIEILLE :
Il est temps de se taire.

LE MENEUR (Avec un ton de conteur) :
Quinze ans plus tard, les parents adoptifs étaient vieux. Ils allaient bientôt mourir. Les trois enfants étaient très tristes. Pour donner encore quelques beaux jours à leurs parents, il fallait qu'ils trouvent l'oiseau qui dit la vérité, l'arbre qui chante, et l'eau qui danse.

GRAND SOLEIL :
Quoi ?

PETIT SOLEIL :
Qu'est-ce c'est que cette histoire ?

BELLE ÉTOILE :
Du calme ! Du calme ! On nous a parlé de l'oiseau de vérité, pas de l'arbre ni de l'eau !

LE MENEUR :
Excuse-moi, mais l'histoire parle bien de l'oiseau qui dit la vérité, de l'arbre qui chante et de l'eau qui danse.

GRAND SOLEIL :
Moi, je ne suis pas d'accord !

PETIT SOLEIL :
Moi non plus. On va déjà suffisamment s'embêter à trouver l'oiseau de vérité, si en plus il faut qu'on se complique l'existence avec cet arbre et l'eau, on ne sortira jamais de cette histoire.

BELLE ÉTOILE :
Moi, on vient me chercher à minuit moins le quart, alors il faut que je sois prête, sinon je vais me faire disputer par mes parents !

LE VIEUX :
Dites franchement que vous souhaitez notre mort !

LA VIEILLE :
Après tout ce qu'on a fait pour vous !

GRAND SOLEIL :
Tu as dit tout à l'heure qu'il était temps de se taire, alors tais-toi.

LE VIEUX :
N'as-tu pas honte de parler de la sorte à ta mère ?

GRAND SOLEIL :
C'est ma mère dans l'histoire, pas dans la vie !

LA VIEILLE (pleurant) :
Tu pourrais avoir un peu de pitié !

LE VIEUX :
Tu fais pleurer ta pauvre mère ! Ah tu peux être content !

PETIT SOLEIL :
De toute façon, on meurt tous un jour ou l'autre.

LE VIEUX (A ses enfants) :
Vous êtes tous les trois des ingrats !

GRAND SOLEIL :
Ingrats ! Tu crois peut-être que c'est plaisant d'être abandonné dès l'âge du berceau ?

PETIT SOLEIL :
Tu penses que c'est facile d'être orphelins ?

BELLE ÉTOILE :
On a lu histoire jusqu'au bout. On sait très bien qu'on est les enfants du roi.

LA VIEILLE :
Mais nous aussi on le sait bien. On a lu l'histoire.

LE VIEUX :
Mais cela n'empêche pas qu'on a été obligé de vous recueillir tous les trois. Au départ, on nous avait parlé d'un panier et d'un seul enfant. En réalité, on nous en a envoyé trois, et personne ne nous a demandé si on était d'accord.

LA VIEILLE :
D'autant plus qu'on n'avait pas les moyens d'élever trois enfants.

LE VIEUX :
Ta mère adoptive a été obligée de faire des ménages pour vous nourrir.

LA VIEILLE :
A mon âge ! Vous vous rendez compte !

GRAND SOLEIL :
Et nous, vous croyez qu'on était d'accord pour nous balancer à la flotte ?

PETIT SOLEIL :
Il fallait supporter l'humidité dans les paniers pour survivre!

BELLE ÉTOILE :
Et ma pneumonie, personne n'en a parlé !

LE TISSERAND (Entrant) :
Et moi, vous croyez qu'on a demandé si j'avais réellement envie de me marier.

LA SOEUR 2 (Entrant) :
Goujat !

LE CUISINIER (Entrant) :
Et moi ! Je ne pensais pas me marier avec une espèce de folle qui substitue les enfants.

LA SOEUR 1 (Entrant) :
Animal. Je t'avais demandé de garder le secret sur cette histoire ! Maintenant tout le monde sait !

LE ROI (Entrant) :
Ne nous prenez pas pour des imbéciles ! On est au théâtre et tout le monde le sait.

LA CADETTE (Entrant) :
Alors, si tout le monde le sait, a quoi sert cette histoire ?

LE ROI (A la cadette) :
Toi, tu es en prison. Retournes-y !

(La cadette sort)

LA VIEILLE :
Mais elle a raison. Si tous les spectateurs connaissent l'histoire et savent ce qui s'est passé, pourquoi jouer cette scène ?

LE MENEUR :
Parce que c'est écrit !

GRAND SOLEIL :
Ecrit ?

PETIT SOLEIL :
Ecrit où ça ?

LE MENEUR :
Parce que c'est écrit sur le texte !

BELLE ÉTOILE :
Le texte ?

LA VIEILLE :
Quel texte ?

LE MENEUR :
Le texte que nous sommes en train de dire !

LE TISSERAND :
Alors s'il n'y avait pas de texte, on ne dirait rien ?

LE CUISINIER :
Et si on ne disait rien, le texte n'existerait pas !

LE ROI :
C'est exact ! Et si le texte n'existait pas, on ne parlerait pas. Donc on serait muet !

GRAND SOLEIL :
Personne n'est muet ici.

PETIT SOLEIL :
Qu'est-ce qui nous pousse à parler ?

LE MENEUR :
Le texte ! Le texte je vous répète ! Regardez, tout votre texte est écrit la-dessus.

(Il montre le texte de la pièce. Tous les acteurs regardent le texte qui passe de main en main. Ils restent tous interdit)

BELLE ÉTOILE :
Le monstre !

LA VIEILLE :
L'auteur nous fait dire ce qu'il veut !

LE VIEUX :
Il se moque de nous !

GRAND SOLEIL :
C'est lui qui nous prend pour des idiots !

PETIT SOLEIL :
C'est lui le maître de notre discours.

LE ROI :
Il peut nous faire dire ce qu'il veut !

LE TISSERAND :
C'est lui qui m'a obligé au mariage.

LE CUISINIER :
Il dirige notre vie.

LA SOEUR 1 :
C'est monstrueux !

LA SOEUR 2 :
Quel ignoble personnage !

LE MENEUR :
Amis adhérents au Syndicat autonome de Défense des Elèves, je propose une vengeance. Pour manifester notre mécontentement, je propose de boycotter la scène où les trois enfants cherchent et trouvent l'oiseau de vérité.

TOUS :
OUI !

BELLE ÉTOILE :
Passons directement à la dernière scène.

GRAND SOLEIL :
Et abandonnons l'arbre qui chante et l'eau qui danse.

LA VIEILLE :
Tant pis si mon personnage meurt plus tôt. Ca lui servira de leçon !

LE VIEUX :
Tu as raison mamie !

LE ROI :
Sujets de mon royaume imaginaire, spectateurs victimes, je vous fais le serment qu'après la représentation, mon armée de mots me ramènera l'auteur et je le jetterai dans mes oubliettes de papier. J'engage mon honneur dans cette noble cause et par ma foi...

LE MENEUR :
Majesté‚ notre vengeance ne peut plus attendre ! Vous terminerez votre discours dans les coulisses. Allez ! En place pour la dernière scène ! Que l'on dégage le plateau ! (Avec un ton de conteur) Le lendemain les enfants invitèrent le roi à dîner dans leur maison. (Au public) Cette scène est alternativement ralentie et hyperaccélérée. Je voudrai bien voir la tête de l'auteur !

(Pendant ce temps sont entrés le roi, les trois enfants et l'oiseau de vérité)

BELLE ÉTOILE :
Bel oiseau de vérité dont on ne saura jamais comment tu es arrivé là (Au public) L'auteur doit faire une drôle de tête... (A l'oiseau), dis-moi ce qu'il faut préparer à dîner pour le roi ?

L'OISEAU DE VÉRITÉ :
Servez au roi de grosses courgettes que vous farcirez de bijoux, mais sans que cela se voie et sans rien dire.

GRAND SOLEIL :
Je prépare trois grosses courgettes remplies de bijoux dont je ne révélerai pas l'origine.

PETIT SOLEIL :
Oh le roi arrive !

(Les personnages s'agitent avec le roi en disant : Bla bla bla...)

BELLE ÉTOILE :
A table.

GRAND SOLEIL :
Je sers au roi la première courgette.

LE ROI :
Je veux la manger. Horreur, elle est remplie de perles.

PETIT SOLEIL :
Je sers au roi la deuxième courgette.

LE ROI :
Je veux la manger. Malheur, elle est remplie de rubis !

BELLE ÉTOILE :
Je sers au roi la troisième courgette.

LE ROI :
Je veux la manger. Stupeur, elle est remplie de diamants.

L'OISEAU DE VÉRITÉ (Au public) :
Le roi dit quelque chose qui n'a aucune importance et dont tout le monde se moque; donc il ne le dira pas.

LE ROI (déçu) :
Ah bon !

L'OISEAU DE VÉRITÉ :
Oui ! Passons à la réplique suivante !

LE ROI :
Pourquoi a-t-on mis ces bijoux dans mes courgettes ?

GRAND SOLEIL :
Elles poussent comme ça, naturellement, dans le potager.

LE ROI (Au public) :
L'auteur a écrit exactement ceci : "Diantre ! N'abusez pas de ma patience. Je suis incrédule par nature." Mais par provocation, je vais faire un écart de vocabulaire. (En colère, aux enfants), Quoi ? Vous me prenez pour un crétin ?

L'OISEAU DE VÉRITÉ :
Majesté, vous ne voulez pas croire que ces trois courgettes peuvent contenir ce trésor ? Pourtant en d'autres temps, vous avez cru que votre épouse accouche d'un chien, d'un chat et d'un morceau de bois. L'un et l'autre prodiges sont impossibles. Si on vient de vous mentir pour ces trois courgettes, c'est pour vous montrer qu'on vous a menti à propos de vos enfants. (Au public) Puis je raconte tout ce qui est arrivé depuis le mariage jusqu'aux courgettes.

LE ROI (Au public) :
Je vois bien que les paroles de l'oiseau sont pures vérités alors je dis à l'oiseau : (A l'oiseau) Je vois bien que tes paroles sont pures vérités.

L'OISEAU DE VÉRITÉ (Au public) :
Ces trois enfants sont les siens. (Au roi) Ces trois enfants sont les votre.

LE ROI (Au public) :
Ces trois enfants sont les miens. (Aux enfants) Vous êtes mes enfants.

L'OISEAU DE VÉRITÉ (Au public) :
Et les enfants comprirent aussi qu'ils étaient les enfants du roi.

GRAND SOLEIL (Au public) :
Et voila !

PETIT SOLEIL (Au public) :
Et c'est tout !

BELLE ÉTOILE (Au public) :
Le reste, on s'en moque !

LA CADETTE (Entrant au public) :
Et on ne dira pas ce que je deviens!

LA SOEUR 1 (Entrant au public) :
Et vous ne saurez pas non plus si le roi me puni !

LE CUISINIER (Entrant au public) :
Et je ne vous donnerai pas la recette des courgettes aux pierres précieuses !

LA SOEUR 2 (Entrant au public) :
OH !

LE TISSERAND (Entrant au public) :
On laissera dans l'ombre ma demande de divorce !

LE VIEUX (Entrant au public) :
Et moi, je retourne à la pêche !

LA VIEILLE (Entrant au public) :
Et moi, je retourne à rien du tout !

LE ROI (Au public) :
Et c'est la fin.

L'OISEAU DE VÉRITÉ (Au public) :
C'est la fin de l'auteur aussi !

GRAND SOLEIL (Au public) :
Mais comme la fin n'en fini pas, on va être obligé de déchirer le texte.

(Le meneur entre en scène et déchire le texte. Instantanément, tous les personnages en scène tombent, sauf le meneur. Et voilà tout. Noir.)