LE CHANTIER EUROPEEN

DE LA

TELEVISION HAUTE DEFINITION

REMARQUES SUR L'AVENIR DE LA TVHD

EN EUROPE
(Rédaction Juillet-Septembre 1993, Rappel NDL'A)

 

5.1 Préalables à une TVHD opérationnelle:

 

Un certain nombre de facteurs peuvent être considérés comme essentiels à l'apparition d'un service de télévision haute définition opérationnel. Cela concerne la diffusion, la technologie des écrans, la teneur des programmes et les organes de contrôle de l'audiovisuel.

Pas de choix à priori des procédés de distribution: Cela permettra à tous les secteurs du marché de la diffusion de participer au développement de la TVHD. Les diffuseurs terrestres sont particulièrement concernés.

Les écrans plats à haute définition qui peuvent se substituer aux écrans à tubes, en ce qui concerne ceux de grandes dimensions (plus de 60cm), et qui peuvent être regardés dans des conditions normales d'éclairement, sont des éléments indispensables au développement d'une TVHD opérationnelle. Cette question a quelquefois été négligée dans la course à la haute définition. Des budgets considérables de recherche et développement sont maintenant engagés pour produire en série de tels écrans. Cependant, on ne sait pas encore quelle technologie (cristaux liquides, écrans au plasma ou autres) sera la plus adaptée, mais il semble qu'il ne s'agisse que d'une question de temps.

 

La stabilité dans les standards est indispensable pour que les diffuseurs aient suffisamment confiance dans l'avenir de la TVHD et envisagent de tout réaliser et de tout émettre en haute définition.

La bienveillance des diffuseurs à l'égard de la TVHD dépend de quelle partie du monde de la diffusion ils sont issus. Les raisonnement économiques et financiers amènent à considérer la TVHD comme un support très adapté à la télévision par abonnement ou au pay-per-view. Les acteurs de la diffusion sont aussi plus enclin à démarrer une exploitation haute définition s'ils voient les autres commencer avant eux et enregistrer un succès.

 

La programmation est le facteur qui induira la vitesse de pénétration des équipement TVHD dans les foyers. Concernant le contenu des programmes, on se reportera ici à la partie sur la production qui peut se faire dès à présent avec du matériel cinéma de qualité et au stock américain "prêt à l'emploi". Cependant, cette possibilité ne concerne que les films et les documentaires; pour le reste, il faut non seulement envisager des investissements pour la production HD vidéo, mais aussi s'interroger sur la pertinence à produire certaines émissions en haute définition (voir la partie sur l'offre télévisée).

 

Quant à la forme de la programmation, on fera un parallèle avec le monde des transports de marchandises où il est reconnu qu'un produit cher supporte un mode de transport cher (on peut transporter des pièces d'avion par la voie aérienne, pas des bijoux fantaisie fabriqués en Extrême-Orient). Du côté télévision, on peut dire qu'un programme cher autorise un support de diffusion cher. Cela pour expliquer que l'émergence de la TVHD va de pair avec le développement des chaînes par abonnement, pay-per-view et near-video-on-demand.

 

Les chaînes commerciales financées par la publicité s'adressent de plus en plus clairement aux téléspectateurs âgés de 15 à 40 ans, tranche d'age la plus intéressante pour les annonceurs. Avec la TVHD, la sélectivité de l'audience sera encore plus franche. Il ne s'agit certainement pas de la télévision faite pour le plus grand nombre.

 

 

Si la norme de diffusion de télévision haute définition est numérique, comme c'est probable, cela autorise une diffusion HD terrestre étendue à tout le territoire simultanément aux services existant dans les normes classiques. Les diffuseurs classiques pourraient se diriger vers la haute définition après une période de simulcast d'une vingtaine d'années. Cette période de coexistence n'aurait pas été possible avec une transmission analogique terrestre des signaux HD car des interférences auraient perturbé l'équilibre de l'ensemble. C'est cette qualité du numérique qui sauve les diffuseurs terrestres qui ne sont pas capables de faire immédiatement de la haute définition.

 

 

5.2 Le téléspectateur:

 On doit considérer le fait que l'on ne désire que ce que l'on connaît. Aussi, force est de constater que bien qu'abondamment abreuvé d'informations sur les développements, et les errements, de la TVHD européenne, le téléspectateur n'a guère eu d'exemple a se mettre "sous les yeux".

 

Ainsi, en admettant que l'équipement des foyers en matériel de réception TVHD soit aisé, le premier opérateur qui osera "franchir le pas" et offrir sérieusement (c'est à dire régulièrement et en proposant des programmes de qualités utilisant les nouveaux atouts de cette télédiffusion) des émissions en haute définition suscitera certainement un courant de curiosité, puis un engouement. C'est vers la norme qu'il aura utilisée qu'auront tendance à se tourner les autres opérateurs, puisque c'est celle qui aura déjà une diffusion et une audience.

 

La manière dont la TVHD sera présentée au public jouera aussi un rôle important dans le succès qu'elle remportera. Il semble qu'il y ait deux possibilités: La première est de présenter la haute définition essentiellement comme un nouveau produit télévisé, un perfectionnement de ce qui existe déjà dans la plupart des foyers à l'heure actuelle. Une telle manière d'aborder la situation serait une claire invitation à la comparaison avec les autres systèmes disponibles et consisterait essentiellement en vente de matériels.

 

La seconde manière serait de se concentrer sur l'intérêt prédominant du téléspectateur pour le contenu et le choix des programmes comme facteur déterminant de l'acquisition d'un téléviseur. On se baserait sur le caractère distinctif de l'expérience télévisuelle offerte par la haute définition sur écran géant. Cette deuxième manière d'aborder le problème exige une collaboration étroite entre les industriels et les professionnels de la télévision.

 

 

5.3 Aspects de la production et de la programmation:

 

 

 

5.3.1 La production:

Sans tenir compte du débat autour de la norme de diffusion et de la part d'inconnu entourant cette question, les directions de chaînes font face à la nécessité constante d'investir dans du matériel de pointe. A cet égard, il est essentiel qu'elles s'orientent tout d'abord vers la production sous forme de techniques à composantes.

 

Ces techniques sont de plus en plus utilisées, même si la production doit être émise dans une norme composite (NTSC, PAL ou SECAM). Elles sont impératives pour la télévision haute définition.

 

La majorité des installations possède actuellement des îlots en composantes. Certaines chaînes, telles TF1 et ZDF, se sont fixées un objectif explicite, à plus ou moins long terme, qui consiste à convertir la production dans sa totalité en composantes. Les frais initiaux pour ces installations sont environ 10% plus élevés que ceux du matériel composite.

 

A l'heure actuelle, la difficulté pour les directions de chaînes est de prévoir la part d'investissement qu'elles désireront consacrer à la TVHD. Dans ce contexte, elles ont le choix entre trois options stratégiques:

 

1- S'en tenir à une production traditionnelle en reportant indéfiniment le moment d'investir en haute définition .

Certaines chaînes pensent que les ressources disponibles devraient pour l'instant être investies dans la modernisation et l'amélioration des installations actuelles. Cette stratégie inclue cependant la transformation des studios composites en studios à composantes.

 

 

2- Investir dès que possible dans des installations TVHD.

Ils s'agit des chaînes qui sont disposées à investir dans des installations TVHD avant qu'elles ne deviennent nécessaires. Il vaut mieux, dès à présent, s'équiper pour une production à 1.250 lignes plutôt que d'installer du matériel qui serait périmé avant l'échéance de la prochaine période de remplacement.

Cette stratégie semble aujourd'hui difficile à adopter à cause du coût élevé du matériel de production TVHD et des problèmes persistants dans la production HD vidéo européenne.

 

3- Adopter une "politique d'attente"

Il serait préférable que la chaîne évite d'investir dans des installations de télévision traditionnelle, en attendant que la nécessité d'aménager des studios TVHD se précise. Le matériel devant être remplacé le serait, mais une restructuration importante, telle que la conversion des studios en normes composites en technologie à composantes., serait mise en attente.

Ces remarques peuvent aussi s'appliquer aux producteurs indépendants.

***

5.3.2 La programmation:

Ce qui suscite l'intérêt des téléspectateurs pour une chaîne, en dehors d'un ton propre et d'une image de marque, est bien entendu le contenu des programmes proposés.

 


Une chaîne de films:

 La meilleure façon de lancer une chaîne haute définition est d'en créer une pour les films, disponible par abonnement ou à la séance. Les opérateurs qui offrent déjà ce type de services en définition standard sont les mieux placés pour le faire:

 

° Un grand nombre de films adaptés à la haute définition est disponible ainsi que les matériels de télécinéma adaptés à la HD.

 

° Les films sont des productions qui suscitent l'intérêt d'un très grand public.

 

° Le concept de la télévision à péage pour les chaînes de films est progressivement accepté dans toute l'Europe.

 

 

Les revenus de l'opérateur seraient assurés par la perception d'abonnements mais on peut aussi envisager de développer des services connexes. Ainsi, on pourrait combiner la programmation avec la location de téléviseurs haute définition; cela permettrait aux téléspectateurs tentés par la haute résolution mais ne désirant pas "s'engager sans connaître" de faire un essai du service.

Une chaîne sportive:

 

La programmation des émissions sportives est un domaine attrayant pour la production et la transmission HD. Ce segment de la programmation suscite l'intérêt d'un très vaste public. Par ailleurs, les manifestations sportives en direct, produites en haute définition, offrent une perspective télévisuelle améliorée.

 

Si l'audience est suffisante, un financement total ou partiel par la publicité peut être envisagé. Cependant, on peut aussi vouloir créer une chaîne totalement par abonnement à l'attention de téléspectateurs prêts à payer une certaine somme pour regarder des sports particuliers.

 

 

Les programmes culturels: La technologie de la TVHD va considérablement accroître le plaisir que procurent les programmes culturels (théâtre, opéras, concerts et autres productions artistiques). Les producteurs de ces programmes expriment un enthousiasme croissant face aux futurs atouts de l'image et du son. Cependant, les programmes culturels n'intéressent qu'une minorité de téléspectateurs et la production de ces programmes revient très cher.

 

En conséquence, il faut se demander si l'audience potentielle d'une telle chaîne peut séduire les annonceurs ou si le nombre d'abonnements serait suffisant pour assurer la rentabilité des investissements. On peut penser à un soutien financier de la part des pouvoirs publics.

 

 

La "chaîne des meilleurs programmes de...": Une manière pour les chaînes de répondre au nombre croissant de foyers équipés en haute définition est d'offrir une sélection de leurs productions récentes et provenant des archives. Cela laisse entendre, bien entendu, qu'ils ont constitué une bibliothèque de programmes réalisés dans une format adapté à une diffusion en haute définition.

 

L'expérience de Superchannel au Royaume-Uni et de Eins Plus en Allemagne laisse supposer que l'attrait du public pour les chaînes qui dépendent trop des archives pour leurs programmes est limité. Pour créer un impact fort dans le domaine de la haute définition, leurs programmes actuels doivent occuper une place importante.

***

5.4 Conclusions et recommandations:

 

Concernant le choix d'une norme de diffusion haute définition, on peut envisager que le marché adopte de lui même une norme efficace, certainement numérique, sans qu'il soit besoin de recourir à des décisions coercitives contre tel ou tel système. Pour mémoire, on se rappellera que c'est de cette manière que le VHS s'est imposé comme format leader de vidéo grand public bien qu'un choix ait été offert : Bétamax de Sony et V-2000 de Philips. Le marché a tranché, lui.

 

Toutefois, ce raisonnement se heurte au cadre réglementaire de la télédiffusion. En effet, les changements concernant les téléviseurs ou les appareils assimilés (magnétoscopes...) dépendent des constructeurs. Il appartient à chacun d'entre eux de faire évoluer leurs produits en assumant les frais de recherche et les risques de commercialisation. Lorsque, au contraire, le changement concerne les normes, les Etats se trouve impliqués car un tel choix relève de leurs compétences.

 

Ce qui touche les produits est affaire commerciale et ce qui concerne le système de télévision est affaire politique.

***

 

 

Nous avons examiné les points que les chaînes devront considérer avec soin en choisissant la télévision haute définition; dans le cadre de la diffusion, en particulier, cette nouvelle technologie constitue une activité économique présente dans un milieu commercial plus étendu. Il ne faut pas oublier que le milieu politique dans lequel évolue la télévision européenne peut aussi influencer les initiatives dans ce domaine. Il faut cependant avoir les faits suivants à l'esprit:

 

° Tout d'abord, suite aux décisions qui ont été prises au cours des dix dernières années, la réglementation de la télédiffusion est moins contrôlée politiquement que par le passé et bien plus gouvernée par les facteurs économiques et commerciaux.

 

° En second lieu, certaines influences politiques rendent les effets de toute action interventionniste bien moins prévisible qu'auparavant; du moins pour les responables politiques eux mêmes dont les actions passées peuvent porter un préjudice certains à leura actions futures. 

Ainsi, lorsque les travaux , essentiellement américains à l'heure actuelle, concernant la diffusion numérique hertzienne seront arrivés à "un certain stade de maturité", les acteurs de l'économie de la télévision concevront l'exploitation courante de ce mode de diffusion. Il est très vraisemblable que ces intervenants ne laisseront pas aux responsables politiques la marge de manoeuvre dont ces derniers ont bénéficié dans d'autres domaines mélant technique, économie et politique dont la TVHD est un exemple. Plus le délai de mise au point d'une diffusion hertzienne numérique fiable sera important, plus les interlocuteurs futurs des instances politiques auront une vision claire des développements qu'ils envisageront et des buts à atteindre. En d'autres termes, moins ces interlocuteurs et acteurs économiques seront "influençables" ou "manipulables". Et d'ici là d'autres évolutions de la société et du monde en général ne manqueront certainement pas d'intervenir.

 

 

Voici donc le climat socio-économique dans lequel se situe la télédiffusion en Europe dans les années 90 et auquel la stratégie industrielle de la TVHD doit se familiariser. Les aspects concurrentiels et commerciaux de ce milieu sont précisément les tendances susceptibles de provoquer l'attraction et même la demande pour la nouvelle technologie auprès des chaînes. Il en est ainsi pour tous les marchés compétitifs sur le point d'atteindre leur phase de saturation et de maturité: la contrainte des participants à asseoir leur position, ou à l'améliorer, en effectuant une meilleure focalisation du marché, c'est-à-dire en ajoutant de la valeur à leurs programmes et en les différenciant des autres.

 

 

L'importance du rapprochement entre le public et la programmation a été soulignée tout au long de cette étude. Dans le contexte de la TVHD notamment, si les chaînes savent que les programmes satisfont les téléspectateurs et que ces derniers perçoivent l'éventualité de programmes attrayants, les conditions seront appropriées à l'évolution des matériels haute définition sur le marché. Les frais d'investissement, côté public et côté production-diffusion, doivent être considérés dans cette perspective.

 

Les coûts supplémentaires engendrés au niveau de la production en haute définition peuvent effrayer les chaînes mais il convient d'étudier précisément les méthodes de simul-production exposées par NHK. Les résultats décrits par les Japonais semblent séduisants et il faut en vérifier le bien-fondé.

 

 

Les producteurs et diffuseurs encourent un risque par rapport à la croissance du nombre de foyers équipés; deux facteurs sont déterminants:

 

° La capacité de l'industrie électronique à fournir du matériel de réception ménager, à des prix, en des quantités et dans des temps acceptables pour les téléspectateurs et les chaînes.

 

° Le consommateur estimera-t-il que le matériel haute définition et les programmes correspondants ont des valeurs égales à leurs coûts ?

 

 

 

Pour une réelle expansion du marché de la TVHD, l'essentiel est d'assurer la disponibilité, à des prix abordables, d'écrans plats grand format, qui auront non seulement un attrait sur le marché mais qui seront un moyen d'apprécier la télévision à haute résolution.

 

Quelques-uns des avantages de la télévision haute définition sont la conversion assez facile des films à ce standard, le volume de films disponibles et l'appréciation des téléspectateurs pour les longs métrages. La manière de lancer des programmes en haute définition est d'introduire une chaîne de films à péage ou une chaîne de divertissement dans le cadre d'un service plus étendu. Mais à elles seules, il est peu probable qu'elles suffisent à maintenir un niveau d'intérêt constant et à faire évoluer le support. Il serait donc nécessaire d'étendre la programmation à d'autres domaines.

 

Toutefois, dès que les chaînes se tournent vers un autre domaine que les films, les problèmes de la programmation deviennent considérablement plus complexes. Il faut non seulement investir dans des studios HD et du matériel pour les reportages extérieurs, mais aussi résoudre le problème des programmes provenant de prestataires extérieurs qui n'ont pas créés dans un format prêt à être converti en HD. Les chaînes ne sont peut-être pas en mesure d'exiger que le programme leur soit immédiatement livré dans la résolution adéquate.

 

 

Le satellite et le câble possèdent l'avantage de permettre la diffusion d'un grand nombre de chaînes. En outre, une chaîne sur satellite peut s'adresser à un continent tout entier. On comprend alors que ces supports aient été largement soutenus. Toutefois, il ne faut pas oublier que le niveau d'équipement européen en la matière est très inégal et que la diffusion terrestre joue un rôle indiscutable. En conséquence, la TVHD ne réalisera pas une bonne pénétration dans les foyers et sera mal accueillie si ce mode de réception est négligé.

***

Après les bons débuts de la TéléVision Haute Définition européenne, faisant suite à la saine réaction de Dubrovnik, le dossier s'est égaré à cause d'un choix purement technique qui devenait de plus en plus injustifiable mais qui était de plus en plus imposé.

 

Grâce à la réorientation qui vient d'intervenir, la télévision haute définition européenne ne sera pas mort-née à cause d'une absence de veille technologique à son sujet; si son développement doit être remis en cause, cela sera pour une question d'ordre mercatique (pourquoi les compacts-discs laser sont si bien acceptés alors que les cassettes audio numériques ou les vidéodisques n'ont pas un marché aussi vaste et défini ?) ou d'intérêt de la part du public pour les programmes proposés.

 

Les études sur ces derniers points restent à réaliser.
Paris, Luxembourg - Septembre 1993

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