Ordonnance de référé rendue
le 15 avril 1999 par Monsieur le Président du Tribunal de commerce
de Pontoise
Par acte d'assignation délivré le 2 mars 1999 par Maître
Rignault, huissier de justice à Argenteuil, la société
PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES a fait assigner Monsieur ALAINB.
La demande tend à voir :
* ordonner la cessation, sous astreinte de 2 000 francs par jour de retard, de toute commercialisation au moyen du site Internet "paraformeplus.com" des gammes de produits Klorane, A-Derma, Ducray et Avène, contrevenant à l'existence du réseau de distribution sélective et constitutive d'un acte de concurrence déloyale et parasitaire,
* ordonner, sous astreinte de 2 000 francs par jour de retard, la publication sur le serveur de la décision à intervenir, pendant un délai de six mois à compter du prononcé,
* faire interdiction à Monsieur ALAIN B., sous astreinte de 2 000 francs par infraction constatée, d'implanter les gammes de produits considérés sur un site ou un serveur tiers, en faisant injonction à Monsieur ALAIN B. de supprimer toutes références et tous liens avec tous autres sites renvoyant à son serveur sous la même astreinte,
- nommer tel huissier au constat et au contrôle des mesures ordonnées,
- condamner Monsieur ALAIN B.à payer à la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES la somme de 30 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi que les dépens.
La société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES a développé les motifs contenus dans son acte d'assignation, exposant notamment qu'elle a constitué un réseau de distribution sélective de produits DERMO-COSMETIQUES de luxe sous les marques Klorane, A-Derma, Ducray, Avène, Galénic et Elancyl.
Elle explique que Monsieur ALAIN B. propose, au mépris de ce réseau de distribution sélective, la vente, sur le site Internet qu'il a créé, de ces produits et en particulier Klorane et A-Derma, en dépit d'une mise en demeure du 24 novembre 1998.
Elle soutient que la commercialisation, dans de telles conditions, des produits en cause et dont la matérialité n'est pas contestée, constitue un trouble manifestement illicite qu'il importe de faire cesser.
Monsieur ALAIN B. répond qu'il est pharmacien, qu'il a signé avec la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES trois contrats types rédigés de façon identique régissant leurs relations commerciales, l'un le 3 avril 1998 concernant le département Avène, les deux autres les 14 octobre 1988 et 2 juin 1989 avec le département Klorane, l'autorisant à distribuer les produits Avène, Klorane ainsi que Ducray et A-Derma.
Il explique qu'aux termes des contrats, il s'engageait à "tout faire pour développer les ventes" et que c'est dans ces conditions qu'il a constitué un catalogue électronique, qu'il a mis en ligne sur un serveur Internet en janvier 1998.
Monsieur ALAIN B. conclut à l'absence de trouble manifestement illicite ; que rien dans le contrat ne lui interdit de mettre les produits en ligne sur un site Internet; que les conditions générales de ventes versées aux débats par la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES ne sont ni datées, ni signées et ne font pas partie des contrats, ni de leurs annexes, ni même d'un avenant; que, de plus, elles sont différentes de celles annexées au bon de commande.
Monsieur ALAIN B. expose que les demandes de la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES constituent un comportement déloyal à l'égard d'un confrère cocontractant et qu'elles auraient dû être, préalablement soumises à l'Ordre des pharmaciens. Il rappelle qu'est illicite tout contrat de distribution sélective ayant pour objet ou pour effet d'exclure a priori une forme quelconque de distribution ; que la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES ne saurait dès lors exiger que la distribution de ses produits reste confinée à la seule distribution en officine.
Monsieur ALAIN B. demande, en conséquence, que la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES soit déboutée de toutes ses demandes et condamnée à lui payer la somme de 40 000 francs au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Attendu qu'il est constant et non contesté que la société
PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES distribue certaines de ses fabrications
DERMO-COSMETIQUES, sous différentes marques commerciales, dans le
cadre d'un réseau de distribution sélective dont
l'appréciation du caractère licite, contesté par Monsieur
ALAIN B., excède manifestement les pouvoirs du juge des
référés.
Attendu que dans le cadre de ce réseau, la société PIERRE
FABRE DERMO-COSMETIQUES et Monsieur ALAIN B. ont conclu trois contrats dits
de "coopération commerciale" définissant de manière
semblable les obligations du distributeur, mais relatifs à des marques
distinctes, respectivement : "Klorane gammes bébé et soins
corporels" le 14 octobre 1988, "Klorane gammes capillaires et soins hommes"
le 2 juin 1989, Avène le 3 avril 1998.
Attendu que la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES se fonde
sur une clause commune et ainsi libellée "Il est expressément
précisé que les obligations stipulées au présent
contrat ainsi qu'aux conditions générales de distribution et
de vente Klorane (Avène), constituent des clauses essentielles dudit
contrat de coopération commerciale sans lesquelles Klorane (Avène)
et le distributeur n'auraient pas contracté" pour considérer
que la vente des produits concernés sur le réseau Internet
est contraire aux dispositions contractuelles et génère, par
conséquent, un trouble manifestement illicite.
Attendu que le principe supra national, constitutionnel et légal de
libre concurrence et de liberté de circulation des marchandises constitue
la distribution sélective en exception dont les conditions et les
effets doivent s'apprécier strictement.
Attendu, de plus, que chacun des trois contrats stipule, en son article 2
: "le distributeur s'engage
2.2 à tout faire pour développer
les ventes des produits
".
Attendu qu'il appartient dès lors à la société
PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES d'apporter la démonstration que la
commercialisation au moyen d'un site Internet contrevient expressément
aux obligations souscrites par Monsieur ALAIN B.
Attendu que l'élément unique sur lequel s'appuie la
société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES pour effectuer cette
démonstration est un document établi par "Laboratoires Klorane"
et intitulé "conditions générales de distribution et
de vente" qui ne saurait, comme tente de le faire croire Monsieur ALAIN B.,
être confondu avec les conditions générales de vente
figurant sur les bons de commande des marchandises achetées par Monsieur
ALAIN B. dans le cadre du contrat de distribution.
Mais attendu que ces "conditions générales de distribution
et de vente", dont il n'est pas démontré qu'elles concernent
également les produits Avène, sont exposées sur un document
pré-imprimé, ni daté, ni signé, dont le
caractère contractuel n'est, en conséquence, pas
établi.
Attendu, de plus, que ce document ne fait aucune référence
aux modalités, probablement trop récentes, de commercialisation
par un serveur en ligne des produits concernés ; qu'en l'espèce
ce moyen Internet immatériel s'ajoute aux modalités traditionnelles
mises en place par Monsieur ALAIN B. dans son officine et conformes aux exigences
de la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES relatives à
la matérialité du lieu de vente.
Attendu en conséquence que la société PIERRE FABRE
DERMO-COSMETIQUES ne pourra qu'être déboutée de toutes
ses demandes devant Nous, juge des référés, juge de
l'évidence, et renvoyée à mieux se pourvoir.
Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :
Attendu que Monsieur ALAIN B. a été dans l'obligation,
pour assurer sa défense, d'exposer des frais, non compris dans les
dépens, qu'il serait inéquitable de laisser à sa
charge.
Qu'il convient de condamner la société PIERRE FABRE
DERMO-COSMETIQUES à payer à Monsieur ALAIN B. la somme de 4
000 francs, par application des dispositions de l'article 700 du nouveau
code de procédure civile.
Attendu, en revanche, que la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES
qui échoue doit supporter la charge des frais irrépétibles
par elle exposés, et doit, en conséquence, être
déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du
nouveau code de procédure civile.
Sur les dépens :
Attendu qu'il convient de laisser à la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES qui échoue la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS,
La renvoyons à mieux se pourvoir ;
Condamnons la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES à
payer à Monsieur ALAIN B. la somme de 4 000 francs, par application
des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure
civile;
Déboutons la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES
de sa demande en paiement sur le fondement des dispositions de l'article
700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamnons la société PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUES aux
dépens.
SELARL MORVILLIERS SENTENAC GIVRY WALLAERT / MAITRE HAAS