LE LIVRE D'OR DES COMBATTANTS DE LA GRANDE GUERRE

NÉCROLOGIE

 

Nous commençons aujourd'hui un long mais glorieux travail : la Notice biographique des Jeunes Gens de Rolampont, tombés au champ d'honneur ou morts des suites de guerre pendant la guerre franco-allemande de 1914 à 1918. A leur mémoire, des Parents et Amis reconnaissants ont déjà fait élever dans l'église du village un modeste mausolée, où, en lettres d'or leur nom et la date de leur mort ont été gravés sur le marbre. Bientôt aussi, sur la place publique, une magnifique pyramide rappellera au souvenir de tous le nom de ceux «qui pieusement sont morts pour la Patrie». Mais il nous semble que notre dette de reconnaissance serait plus complètement acquittée, si nous pouvions fixer pour l'histoire, dans un court abrégé, le curriculum vitae de chacun de nos héros.

Le bulletin paroissial de Rolampont avec votre aimable concours, chers Lecteurs, se fera un honneur de remplir cette tâche. Dans ce travail, nous suivrons strictement l'ordre chronologique ; et en retraçant brièvement les circonstances de la mort ou de la disparition de chacun de vos enfants, nous pourrons suivre ainsi, étape par étape, les phases douloureuses de cette horrible guerre, que pour l'honneur du genre humain nous espérons bien ne plus jamais revoir.

E.G.

Extrait du bulletin paroissial de Rolampont et Chanoy, décembre 1919.

 

 

Albert Buré, adjudant au 109e d'infanterie, tué le 19 août 1914, à Wisches (Alsace).

Ce fut la première victime de la guerre à Rolampont. Son nom n'est pas encore inscrit sur le monument de l'église, mais il l'y sera prochainement. Rolampontois par sa mère, qui est Receveuse des Postes au pays depuis bientôt 7 ans, sa vie et sa mort nous intéressent.

Né à Chaumont, le 11 octobre 1882, de Louis Buré, employé de commerce, et de Ariste Deniziaut, alors sans profession, Albert Buré fit des études primaires sérieuses à l'École Voltaire de Chaumont. Dès l'âge de 18 ans il s'engage au 109e d'infanterie, décidé à suivre la carrière militaire. Bon soldat et ami d'une discipline plutôt sévère, il obtient bien vite les grades de caporal, sergent, sergent-fourrier et sergent-major. Le 1er juillet 1914, il est nommé adjudant et affecté à la 7e compagnie. C'est la joie pour lui, pour son épouse, pour sa famille. Joie de courte durée, hélas ! car bientôt une sinistre rumeur court par toute la France : la guerre ! nous allons avoir la guerre !

En effet le 3 août, à la suite d'évènements que tout le monde connaît, la mobilisation générale est décrétée ; le 5 août la guerre est déclarée entre l'Allemagne et la France. Dès le 3 août au matin nos régiments de l'Est partent pour la frontière ; le 21e et le 109e viennent camper au nord de Saint-Dié, à Jean-Mesnil (30 kilomètres de la frontière). Ils resteront là à pied d'oeuvre pendant plus de 48 heures, attendant l'ordre de commencer les hostilités. Enfin l'ordre tant désiré arrive ! Le général Joffre télégraphie le 5 août au général Dubail, commandant la 1re armée (14e, 21e, 13e et 8e corps) : «vous êtes autorisé à occuper les passages des Vosges du col du Bonhomme à la trouée de Saales inclus.»

L'offensive va donc commencer. Le général Legrand, commandant le 21e corps prend de suite ses dispositions pour occuper le col de Saales avec objectif la vallée de la Bruche et Strasbourg. Le 11 août l'artillerie prépare le terrain d'attaque. Le 12, dès le petit jour, le 3e chasseurs, appuyé par le 1er et le 10e chasseurs se porte franchement sur Saales, tandis que le 21e d'infanterie quitte Belval pour occuper le col du Hanz, qui mène de Senones à Saulxures. Nos chasseurs, après avoir bousculé un fort parti allemand, pénètrent dans Saales le 12 à 10 heures du matin. Le 13, nous prenons pied sur le plateau de Bracques, ce qui nous permet de dominer par notre feu la trouée où l'ennemi s'est engouffré. L'occupation complète du passage n'est plus l'affaire que de quelques heures. Le 14, notre artillerie continue son oeuvre destructive ; elle jette un tel désarroi dans les rangs du 99e d'infanterie allemand, que celui-ci recule en toute hâte, nous abandonnant le Donon, point, point stratégique remarquable, dominant la vallée de la Saare et la vallée de la Bruche.

Jusqu'ici le 109e est resté en réserve, mais il va bientôt entrer en action. Le 14 août au matin en effet, le général Dubail prescrit à tout le 21e corps la marche en avant sur Strasbourg par la vallée de la Bruche. La 26e brigade (21e et 109e) suivra la rive gauche de la rivière et enlèvera Plaine sur son passage, tandis que la 86e brigade (1er, 3e, 10e et 31e chasseurs) se portera sur Saint-Blaise (rive droite). Deux groupes du 59e d'artillerie appuieront ce mouvement.

Mais l'ennemi, renseigné par une nuée d'espions, qui revêtent tous les costumes, même celui de prêtre, qui possèdent des téléphones secrets jusque dans leurs caves, admirablement outillé en aviation, artillerie et mitrailleuses, va opposer sur ces deux points une très vive résistance. Des hauteurs de Belmont son artillerie ouvre un feu violent sur le 109e qui se porte à l'attaque de Plaine. Aux abords du village, des mitrailleuses allemandes, logées sous les toits et jusque dans le clocher de l'église, se démasquent soudain et immobilisent pendant plusieurs heures le 109e jusqu'à ce que l'artillerie française parvienne à démolir ces repaires meurtriers, notamment le clocher de Plaine. C'est dans cet intervalle, vers 11 heures du matin, que l'adjudant Auvigne, allié d'une honorable famille Rolampontoise, reçoit sa 1re blessure (une balle lui enlève le bouton de droite de son képi et passe à quelques millimètres de la tempe ; une 2e lui érafle l'épaule droite et lui fait une plaie en séton assez sérieuse pour nécessiter son évacuation). Il est évacué sur Senones, qu'il devra bientôt quitter pour Chaumont. Vers 17 heures, l'ennemi bat en retraite sur toute la ligne et nous abandonne Plaine et Saint-Blaise.

L'adjudant Buré a pris une part très active à ce combat qui a duré près de 12 heures. Il en est sorti sain et sauf. Dès le lendemain il est heureux d'écrire ses impressions à sa famille (ce sera une des dernières lettres reçues de lui). Il laisse clairement entendre, et c'est l'avis de tous ses camarades, que la guerre sera dure, car l'ennemi est admirablement organisé. Il ajoute : «Je suis entré le premier dans une tranchée où il y avait 300 cadavres allemands. C'est terrible et horrible la guerre !.. Ceux qui en reviendront seront régénérés.»

Le 15, la 26e brigade continue sa marche en avant. Elle atteint Wankenbach en passant par Salm.

Le 16, sous une pluie battante, elle arrive devant Schirmeck, organisé et défendu par la garnison de Strasbourg. De nouveau il faut lutter dur : le village est pris, puis perdu, puis repris. C'est dans une de ces fougueuses attaques que tombe M. Pinson du Sel, capitaine de l'adjudant Buré et de M. Édouard Brosser, notre compatriote, alors caporal à la 7e Compagnie. Ici encore, malgré des pertes douloureuses, nos armes sont victorieuses, et l'ennemi nous cède le terrain.

Le 17 et 18 la progression s'accentue.

Le 19, on dépasse Wisches, mais c'est pour se buter un peu plus loin à une formidable ligne de défense ennemie. il est 6 heures du matin. Comme il l'a fait à Plaine et à Schirmeck, le 109e se porte bravement à l'attaque des tranchées allemandes, escaladant comme il se peut les réseaux de fils de fer. Mais cette fois il éprouve des pertes très graves. Le colonel Aubry et un grand nombre d'officiers sont tués. La retraite s'impose.

La retraite s'impose, l'ordre en effet en est donné. Les intrépides soldats du régiment de Chaumont s'y résignent, mais ils veulent la faire payer cher à l'ennemi. Malgré une pression extrêmement violente et un feu des plus meurtriers, ils ne cèderont le terrain que pas à pas. Mais une retraite est toujours pénible à cause des morts et des blessés que l'on doit abandonner ; le 109e va en faire la dure expérience.

Vers 10 heures du matin, le caporal Dupaquier (Jeune homme bien connu des habitants de Rolampont et allié à une des familles les plus anciennes et les plus importantes du pays) est blessé assez grièvement à la main gauche par un éclat d'obus ; il est évacué aussitôt sur Senones. Pierre Batoux, un Rolampontois est blessé lui-même peu après et fait prisonnier.

L'adjudant Buré, ne voulant pas se laisser déborder par les Boches, multiplie ses contre-attaques et ses volte-face et à la tête de sa section charge plusieurs fois l'ennemi à la baïonnette. C'est au cours d'une de ces charges qu'il va trouver la mort.

Comme nous n'avons pas le récit de l'intéressé, nous laisserons parler les témoins. Voici ce qu'écrit à sa mère un de ses camarades : «Obligé de reculer sur un ordre, il ne céda le terrain que pas à pas et nous entraîna (sa section) à trois reprises différentes à la charge à la baïonnette contre nos envahisseurs. C'est alors que la 3e fois, il reçut une balle dans le corps, qui l'immobilisa complètement. Il eut quand même la force de tirer encore avec son revolver sur les Boches qui avançaient toujours... Nous dûmes l'abandonner. Il fut fait prisonnier ; il n'était pas mort ; mais sa blessure était mortelle.»
M. Édmond Brosser, alors présent au combat, rectifia plus tard cette déclaration. Dans une lettre à sa mère, Mme Brosser, il affirme que l'adjudant Buré fut bien réellement blessé et très grièvement, mais il ajoute qu'il eut cependant encore la force de se traîner contre un arbre et de s'y adosser. «M'ayant vu, ajoute-il, il fit un signe comme s'il avait voulu que j'aille vers lui et fouilla dans sa poche sans doute pour chercher ses papiers ; mais comme il était entouré de Prussiens, je lui fis un geste d'impuissance et me repliai pour rejoindre mes camarades partis depuis longtemps.»

Le voilà donc abandonné à son triste sort, laissé aux mains de l'ennemi. Qu'advint-il de lui ? Une légende a couru sur son compte : l'adjudant Buré a été ramassé par les Boches, chargé dans un train de blessés et emmené dans un hôpital de l'intérieur de l'Allemagne, où il est mort ! - Elle est fausse. Ce brave est mort de ses blessures et sur le champ de bataille ! M. le Curé de Wisches, interrogé par la famille, déclare que parmi les grands blessés qu'il visita le soir de la bataille, il ne vit point de soldat français répondant au signalement de l'adjudant Buré. D'autre part, l'autorité allemande, sollicitée par l'intermédiaire de la Croix rouge de Genève, fit répondre que l'adjudant Buré a bien été enterré à Wisches tombe 20, et comme preuve renvoya sa plaque d'identité, prise sur le corps même de la victime avant sa sépulture.

Nous savons également par M. le Curé de Wisches que les malheureuses victimes du combat du 19 août 1914 ne furent relevées que trois jours après et enterrées sur le lieu même de la bataille.

M. l'Instituteur d'Hersbach avec quelques habitants de son pays furent réquisitionnés pour cette lugubre besogne. Les cadavres, déjà en pleine décomposition, furent entassés pêle-mêle dans des fosses communes où sont mélangés, Français et allemands, indistinctement. Ces tombes qui se trouvent sur le chemin forestier qui conduit de Wisches au Donon, ont été jusqu'ici très respectées et pieusement entretenues par les habitants du pays.

C'est donc là, à la tombe 20, un peu au Nord-Ouest de Wisches, que repose avec 300 de ses camarades du 109e, son colonel en tête, le brave adjudant Buré, jeune homme plein d'avenir, fauché à la fleur de l'âge (il avait à peine 32 ans). Il laisse une veuve et un enfant qui habitent Grenoble.

Une citation très élogieuse à l'Ordre de l'Armée, transmise à la famille par le G.Q.G. au commencement de 1915, vint couronner cette noble carrière. La voici : «Adjudant Buré Albert-Louis, 109e R.I., est tombé glorieusement pour la France en conduisant bravement sa section dans une charge à la baïonnette.»

A notre tour nous nous inclinons respectueusement devant les restes de ce héros dont la mémoire honore grandement notre pays, sa famille et ceux qui furent ses amis !!

E.G.

Extrait des bulletins paroissiaux de Rolampont et Chanoy, décembre 1919, janvier 1920, février 1920 et mars 1920.

 

 

Paul-Lucien Belime. - Au moment où paraîtront ces lignes son corps se posera au cimetière de Rolampont. Comme il est le premier enfant du pays que l'État ramène parmi les siens, nous pensons que personne ne nous critiquera de reprendre notre notice biographique par où normalement elle aurait dû finir.

Paul-Lucien Belime, dit Marcel, était né à Rolampont le 5 juillet 1893 de Louis Belime, cultivateur et de Marie-Françoise Péchiné.

Fils unique, ses parents fondaient sur lui toutes leurs espérances ; et de bonne heure l'initièrent aux travaux de la campagne. Ses études primaires terminées, il s'adonna tout entier à sa nouvelle profession pour laquelle il éprouvait une véritable passion.

Mais l'époque de la conscription approchait, et bientôt il fallut quitter charrue et chevaux. Le 25 novembre 1913 il partait pour Raon-l'Étape au 21e B.C.P., et le lendemain il était incorporé à ce bataillon d'élite que les habitants de Rolampont connaissent bien. La loi de 3 ans venait d'être votée et c'étaient 36 longs mois qu'il fallait passer loin des siens. C'était dur pour Marcel Belime, qui n'était pas habitué à de si longues absences ; mais comme ses camarades, disait-il, «il s'y faisait.»

L'hiver de 1913, le printemps de 1914 n'ont rien de remarquable ; ils se passent dans le calme. Tout au plus remarque-t-on le soin méticuleux apporté par l'autorité militaire à perfectionner et à hâter l'instruction des jeunes recrues. Mais voilà qu'en mai et juin d'étranges rumeurs circulent : «la guerre, nous pourrions bien avoir la guerre !» Juillet notamment est le mois des angoisses. Dès le 20 de ce mois, les permissionnaires sont rappelés d'urgence à leur corps. Le 3 août, date mémorable, c'est le cri d'alarme ! C'est la mobilisation ! Les troupes de couverture courent à la frontière et Belime en est. Dès les premiers jours de combat il lutte avec acharnement contre l'envahisseur. Nous le voyons successivement dans les Vosges au col de Saales, dans la vallée de la Bruche en alsace, au Donon, à la Chipotte, à Somme sous (sic.) et à Suippes dans la Marne.

En toutes ces rencontres meurtrières il a le bonheur d'échapper aux balles et aux obus ennemis. Mais la maladie le guette. Bientôt il est évacué pour courbature fébrile, puis pour fièvre typhoïde. Grâce aux soins dévoués des médecins et des infirmiers, il échappa aux étreintes de cette terrible maladie qui fit tant de ravages dans les rangs de nos malheureux combattants en cet hiver 1914-1915. il entre en convalescence, obtient un congé d'un mois et revient ensuite au dépôt de Rolampont même, où depuis mars le 21e B.C.P. tient garnison. Paul Belime est au milieu des siens, il ne peut rêver mieux. mais combien de temps restera-t-il ? Telle est la question qu'il dût se poser bien des fois.

Le 18 novembre 1915 il est classé service auxiliaire par la commission spéciale de Langres pour faiblesse générale, suite de fièvre typhoïde et atrophie du membre inférieur gauche consécutive à une hématose. Le 7 mai 1917, il est maintenu service auxiliaire mais reconnu apte à faire campagne. Le 30 septembre 1917 il part en renfort au 138e territorial, qui se trouve en Belgique ; un mois après il est dirigé sur le 286e territorial et redescend aux environs d'Arras. Le 6 janvier 1918 il est passé au 3e tirailleurs algériens, qui cantonne à cette époque à Creil et assure la police de la gare.

Sur la fin de janvier 1919, il vient en permission de 20 jours dans sa famille, travaille avec son père et sa permission achevée s'en retourne à son poste plein de joie dans le coeur, avec l'espoir de la libération, qui ne saurait désormais tarder bien longtemps. Hélas ! il ne devait jamais revoir son pays !

Brusquement le 17 février une dépêche laconique parvient au maire de Rolampont, alors M. Joseph Leclerc : «Belime Paul, décédé, prévenez famille.» Ce fut une stupéfaction générale. Mais ce jeune homme était encore plein de vie il y a six jours ! comment peut-il se faire qu'il soit mort ? La nouvelle était malheureusement vraie. Ses parents le constatèrent bien tristement, quand accourant à Creil au premier avertissement qui leur fut donné, ils apprirent que leur enfant avait été dirigé l'avant-veille sur l'hôpital de Nogent-sur-Oise, pour forte bronchite, et y était décédé le lendemain d'une façon presque foudroyante, de grippe infectieuse, dit-on. Ses obsèques eurent lieu à Nogent-sur-Oise en présence de son père et sa mère éplorés.

Ainsi vont les destinées humaines ! Cet enfant, que la guerre avait épargné, tombe en l'espace de quelques heures, victime d'une maladie banale et au moment où ses camarades rentrent les uns après les autres dans leur foyers. Mais comme cette maladie fut contractée en service commandé, elle lui valu la mention portée sur son acte de décès ; «Mort pour la France !»

Bientôt sa dépouille mortelle reposera à l'ombre du clocher qui l'a vu naître. Nul doute que la population Rolampontoise, ne lui fasse des obsèques dignes des braves soldats de la Grande guerre. D'autres camarades infortunés comme lui, bientôt aussi viendront prendre place à côté de lui. A tous iront les mêmes hommages, les mêmes honneurs, les mêmes prières, parce que tous, en donnant leur vie pour la défense du pays, ont mérité notre éternelle reconnaissance !

Note en bas de page : contrairement à nos prévisions, la translation de ses restes n'a pas encore été effectuée. Peut-être sera-t-elle un fait accompli au moment où paraîtront ces lignes !

E.G.

Extrait des bulletins paroissiaux de Rolampont et Chanoy, mars & avril 1921.

 

 

Aimé Petit (1887-1914). - Il fut une des premières victimes de la guerre ! L'histoire de ses campagnes sera donc courte. Mais, comme il est tombé au champ d'honneur, sa mort n'en est pas moins glorieuse et mérite d'être racontée.

Né à Is-sur-tille en 1887, Aimé Petit fit toutes ses études primaires et secondaires à Langres, où son père, M. Joseph Petit (aujourd'hui en retraite à Lannes, où il il exerce les fonctions de secrétaire de mairie), venait d'être nommé sous-chef de gare. Se destinant à l'enseignement primaire, il entra, en 1903, à l'École normale de Chaumont, et en sortit en 1906 avec le titre d'instituteur stagiaire. Il occupa successivement les postes de Bourbonne-les-Bains et de Chamouilley. Il dut quitter ce dernier en 1907 pour accomplir à Langres son année de service militaire au 21e R.I. Ayant suivi le cours des élèves-officiers, il sortit du régiment avec le grade de sous-officier.

Rendu à la vie civile, il est nommé instituteur-adjoint à Rolampont, poste qu'il occupera jusqu'à la mobilisation ; poste sinon de choix, tout au moins de convenance, car il le rapproche de sa famille, qui habite Lannes, où sa soeur exerce depuis quelque temps les fonctions d'institutrice. Pendant plus de deux ans, nous l'avons vu faire tous les jours à bicyclette ou à pied le trajet de Rolampont à Lannes et vice versa. En 1911, il épouse Mlle Girardot, alors institutrice à Chanoy, qui consent à venir habiter à Rolampont et à y remplir les fonctions d'institutrice-adjointe. Le ménage est parfaitement uni, et on n'est pas peu surpris de voir M. Petit, qui jusqu'alors affectait des airs de complète indépendance, devenir le plus docile et le plus doux des maris. L'un et l'autre sont jeunes, actifs, pleins d'espérance dans l'avenir, et rêvent d'un poste où d'ici quelques années ils seront complètement leurs maîtres. Mais l'homme propose et Dieu dispose !

Voilà que le 3 août 1914, le tocsin appelle sous les armes tous les hommes mobilisables ! La Patrie est en danger. Aimé Petit ne perd rien de son calme et s'il est ému, il affecte de ne pas le faire voir. Il part le deuxième jour de la mobilisation et rejoint le dépôt du 21e d'infanterie à Langres. Le jour même de son arrivée, il est habillé, affecté au 221e R.I. et embarqué le soir même pour une destination inconnue.

Le lendemain matin, le régiment est embarqué à Épinal, lieu de concentration pour un grand nombre de troupes, et d'où il partira par étapes, de concert avec le 309e, sur Saint-Dié et les cols des Vosges.

Dans toute cette partie de l'Est de nombreuses forces sont en présence et une grande bataille se prépare.

Deux armées allemandes, la 6e et la 7e, renforcées par toute la garnison de Metz, ont en face d'elles la 1re armée française (général Dubail) et la 2e (général de Castelnau). Le 14 août, l'ordre d'attaque est donné aux troupes françaises : c'est la grande bataille, dite de Morhange, qui commence. Nous en savons le résultat, il était fatal. Les troupes allemandes étaient concentrées sur un terrain soigneusement préparé à l'avance et appuyées par une artillerie lourde dont personne n'avait encore soupçonné la puissance et la longue portée.

Le 221e et le 309e avec le 14e corps, auquel ils sont rattachés (général Pouradier-Dutheil) occupent les positions d'extrême droite de la 1re armée. Le 19 août ils sont au col de Sainte-Marie-aux-Mines et viennent prendre position à Sainte-Croix, à quelques kilomètres en avant de Sainte-Marie. Malgré quelques petits revers ici et là on tient bon à la 1re armée contre le choc des Allemands ; la ligne est maintenue solidement et l'armée, à cheval sur la Sarre, est prête à reprendre l'offensive. Mais à l'aile gauche, c'est-à-dire à la 2e armée, les nouvelles sont mauvaises et, en raison du repli de cette armée, le Commandant en chef prescrit la retraite générale et immédiate. En guerre reculer est souvent plus pénible qu'avancer et les pertes sont généralement plus lourdes. Le 309e, dans son secteur, soutient le premier choc (soirée du 20 août) mais il est relevé dès le lendemain matin par le 221e. C'est entre Sainte-Croix et Sainte-Marie-aux-Mines que tombent successivement Déchanet et Aimé Petit, de Rolampont.

Des camarades dévoués les transportent, au péril de leur vie, jusqu'à l'hôpital de Sainte-Marie, où ils espèrent les voir en sûreté. Mais le soir même du 21, l'ordre de continuer la retraite est donné et nos pauvres blessés sont abandonnés aux soins des Allemands qui serrent de près les Français.

Déchanet, blessé à la jambe, eut le bonheur de survivre à sa blessure, mais le sergent Petit, ayant l'épaule droite fracassée et le poumon perforé, meurt le lendemain victime du devoir patriotique et prisonnier des Boches. Son corps, enterré tout d'abord au cimetière civil de Sainte-Marie, fut exhumé en 1917 et transféré à quelques kilomètres de là au cimetière militaire de Fortelbach, où il repose encore à l'heure actuelle. Le sergent Aimé Petit repose au cimetière militaire de Sainte-Croix-aux-Mines (Ndr).

Longtemps sa famille fut sans nouvelles et pleine d'inquiétudes sur son sort. Ce n'est qu'à la fin de 1917 qu'une dépêche envoyée à la mairie de Lannes par le Ministre de la guerre, fit connaître sa fin glorieuse et le lieu de sa sépulture. Sa digne mère, Mme Petit, morte quelque temps avant l'armistice, a pu entrevoir la fin glorieuse de cette guerre pour nos armes et, par conséquent, la possibilité pour son fils de reposer un jour en terre française. Ce fut une consolation pour la fin de sa vie si éprouvée !

Aimé Petit est mort à la fleur de l'âge ; il avait 27 ans. Mais sa mémoire ne mourra pas. L'Inspecteur d'académie a fait donner son nom à la salle d'école où il exerça, pendant 5 ans, les fonctions d'instituteur-adjoint. Une petite-fille, Aimé Petit (sic.), venue au monde six mois après la mort de son Papa, transmettra à la postérité le souvenir de ce brave instituteur qui fut une des premières victimes de la guerre.

E.G.

Extrait des bulletins paroissiaux de Rolampont et Chanoy, juin & juillet 1921.

Ndr 1.

 

Henri & Charles Vidart

Jeudi 17 novembre, dans la matinée un bien lugubre défilé parcourait les rues du village. La population rolampontoise conduisait au champ du repos deux soldats morts à la guerre, ramenés des cimetières du Front, deux frères tombés face à l'ennemi. L'un Henri Vidart, jeune soldat de la classe 1916 était tombé à Soyécourt, dans les plaines de la Somme, le 6 septembre 1916 ; l'autre Charles Vidart, de la classe 1912, était tombé à Bayonne-Recouvrance (Ardennes) le 19 octobre 1918, presque à la veille de l'armistice.

L'assistance aux obsèques de ces deux braves était celle des grands jours : musique, écoles, vétérans, anciens combattants, clergé, pompiers, conseil municipal, parents, amis..., le cortège était vraiment imposant et grandiose. Ce fut aussi un spectacle très impressionnant que celui de voir la foule défiler à l'église devant ces deux cercueils alignés côte à côte sur un catafalque, orné de l'emblème aux trois couleurs. Au cimetière, après les prières liturgiques, de bons et patriotiques discours furent prononcés par MM. Renard, adjoint, remplaçant M. le Maire, Brosser, président de la Section rolampontoise de l'U.N.C.A. et Martin, conseiller général. - Nous offrons à nouveau à la famille Vidart, si éprouvée par la guerre, nos religieuses et sympathiques condoléances.

E.G.

Extrait du bulletin paroissial de Rolampont, Lannes & Chanoy, décembre 1921.

Ndr 1. & Ndr 2.

 

Georges Michel & Henri Boulanger

La population de Rolampont, dont le patriotisme ne s'est jamais démenti, continue à faire fête aux restes glorieux de ses Enfants ramenés des Cimetières du Front.

Hier, le 18 novembre dernier, c'étaient les frères Vidart. Aujourd'hui, 18 mars, c'est le tour de deux braves tombés eux aussi au coeur de la Bataille. L'un, Georges Michel, artilleur, au 4e régiment d'artillerie, est frappé, le 20 septembre 1915, à Camblain-l'Abbé par l'éclatement de son canon et expire deux jours après à l'ambulance N°1 des suites de ses blessures. L'autre, Henri Boulanger, soldat au 360e régiment d'infanterie est blessé le 28 janvier 1916 à l'attaque de la côte 140 près de Souchez et meurt lui aussi trois jours après des suites de ses blessures à l'ambulance 2/70. On l'enterre à quelques mètres seulement de son camarade Michel au cimetière de Camblain-l'Abbé (Pas-de-Calais).

Tous deux sont mariés et pères de famille ; et ont laissé femme et enfant pour voler au secours de la Patrie attaquée. Leur sacrifice n'en est que plus beau et plus digne d'admiration.

C'est au milieu des fleurs, des couronnes et des faisceaux de drapeaux, que les restes de ces braves furent accueillis dans leurs foyers. tout le monde a admiré les décors simples mais de bon goût, dus à des mains aussi discrètes qu'habiles, faits en l'honneur de nos héros au sein de leur famille. Leurs obsèques furent grandioses comme toutes les précédentes : Musiques, Pompiers, Écoles, Associations de Vétérans et d'Anciens combattants, Conseil municipal, foule nombreuse de Parents et d'Amis, rien ne manquait à l'éclat extérieur de cette Cérémonie funèbre. L'office religieux fut suivi par une foule nombreuse et recueillie ; à deux reprises la musique de la Fanfare mêla ses accords à ceux de l'orgue, symbole touchant de cette merveilleuse union patriotique, qui fut si chèrement achetée par nos grands Morts et qui nous gagna les victoires que l'on sait.

Au cimetière, après le salut et l'adieu traditionnels du Conseil municipal, délicatement exprimés par M. Bernard, adjoint, la carrière militaire de nos deux Braves, fut rapidement retracée par le président de l'U.N.C., M. Brosser, qui donna ensuite lecture des deux magnifiques citations dont ils furent l'objet. Puis le Dr Martin clôtura la série des discours en exprimant par des paroles pleines de bienveillance et de douloureuse sympathie à l'égard des deux familles si éprouvées, les sentiments qui se trouvaient dans le coeur de chacun des assistants. La foule se retira profondément émue, se promettant de répéter le même geste de sympathie à l'arrivée du prochain convoi, qui ne saurait tarder.

E.G., Curé

Extrait du bulletin paroissial de Rolampont, Lannes & Chanoy, mai 1922.

Ndr1. & Ndr 2.

 

Les obsèques de Camille Parmain et de Émile Belime

Le vendredi 30 mars dernier, pour la troisième fois, deux cercueils nous revenaient en même temps des cimetières du Front. Le premier contenait les restes de Camille Parmain, un jeune homme en pleine force de l'âge, tombé glorieusement à Maisons-de-Champagne, le 13 mars 1917, après avoir fait tous les débuts de la guerre sans aucune blessure et dans des conditions parfois bien pénibles. Coïncidence pénible, sa mère, rongée par le chagrin et les angoisses que lui causait la situation périlleuse de son fils, l'avait précédé de quelques heures dans la tombe. Le deuxième renfermait les restes de Émile Belime, un enfant, âgé de 20 ans, parti à l'appel de sa classe au 21e B.C.P. et tombé lui aussi glorieusement au Chemin des Dames. Sa mort a frappé durement son Père, un brave cultivateur, mais n'a ébranlé ni son courage, ni son patriotisme.

Les obsèques de ces deux braves furent célébrées, comme à l'ordinaire, au milieu d'une très nombreuse et très sympathique assistance. A l'offerte, le défilé de la foule devant les deux cercueils, alignés côte à côte, sous le même catafalque, fut long et imposant. A deux reprises, la musique de la Fanfare prêta ses accords à ceux du grand-orgue. Au cimetière, après le salut et l'adieu traditionnels de M. Renard, adjoint, au nom de la municipalité, M. Brosser, président de la section régionale des U.C.A. donna lecture des magnifiques états de service de Camille Parmain et de ceux trop courts, hélas ! de Émile Belime, ainsi que de leurs élogieuses citations. Le Dr Martin clôtura la cérémonie en exprimant aux familles si éprouvées de ces chers Enfants, les sentiments d'admiration et de sympathie qui se trouvaient dans tous les coeurs.

E.G., Curé.

Extrait du Bulletin paroissial de Rolampont, Lannes & Chanoy, juillet 1922.

Ndr 1. & Ndr 2.

 

Désiré Desgrès (1880-1915). - Le 22 avril dernier la population de Rolampont était de nouveau rassemblée autour du cercueil d'un de ses enfants, tombé lui aussi au champ d'honneur et ramené parmi les siens. Il contenait les restes glorieux de Désiré Desgrès.

L'histoire de tous nos «poilus», victimes de la guerre est en général à peu près la même. Après avoir bravé bien des fois la mort, après avoir affronté bien des dangers, soutenu bien des combats, un beau jour ils tombent frappés d'une balle ou d'un éclat d'obus, qui ne leur pardonnent pas. Et transportés péniblement au poste de secours le plus voisin ou à l'ambulance du corps, ils meurent quelques heures ou quelques jours après, héros obscurs peut-être, mais tout de même bien méritants ! Cette fois à la mort de Désiré Desgrès s'ajoute l'horreur d'une longue agonie. Surpris au cours d'une patrouille devant Lorette par un violent bombardement le 25 septembre 1915, il tombe blessé entre les tranchées et ne peut être relevé que trois jours après, mais en quel état, la jambe fracturée et gangrenée. Il meurt au milieu d'atroces souffrances le 30 septembre 1915 assisté d'un brave aumônier, qui l'a préparé à bien mourir, et est enterré au cimetière de Noeux-les-Mines.

La cérémonie funèbre du 22 avril dernier à Rolampont se déroula selon le programme habituel. Nos orateurs habituels, MM. Renard, adjoint, Brosser, président des A.C. et Dr Martin, conseiller général, dans leurs discours ont excellement fait ressortir la sublime éloquence de ce patriotique martyr. L'émotion a gagné le coeur de bien des assistants qui sont rentrés chez eux profondément impressionnés. Le Bon Dieu aura certainement pitié d'une âme qui a tant souffert ! R.I.P.

E.G., Curé

Extrait du bulletin paroissial de Rolampont, Lannes & Chanoy, août 1922.

Ndr 1.

 

Constant Aubert & Joseph Michel

Le samedi 12 août, pour le dernière fois sans doute, la population de Rolampont accompagnait à leur dernière demeure les dépouilles mortelles de deux de ses enfants, Constant Aubert et Joseph Michel, modestes, mais sublimes victimes de la guerre, ramenés des cimetières du Front, l'un par les convois de l'État, l'autre aux frais de sa famille.

Dans un langage ému et très correct, nos orateurs traditionnels, MM. Renard, adjoint, Brosser, président des A.C., et Dr Martin, conseiller général, ont retracé parfaitement la noble mais bien courte carrière de ces deux braves, morts tous deux au champ d'honneur, et tout deux frappés de ce projectile meurtrier, balle ou obus, qui ne pardonne guère, l'un le 3 juin 1915 à l'Altman-Kopff (Alsace), l'autre le 31 juillet 1916 dans les Vosges, près de Saint-Dié, où il fut transporté mourant quelques heures après. Aubert, qui était célibataire, laisse deux vieux parents et une soeur, mariée à un grand blessé de guerre, Déchanet. Joseph Michel, qui avait été marié en mai 1914 à une demoiselle Jaugey, de Charmes, décédée dans la deuxième année de la guerre, laisse une pauvre mère, inconsolable de la disparition de son cher enfant, mais néanmoins réconfortée de le sentir maintenant auprès d'elle dans la terre du cimetière natal.

La population Rolampontoise voulant montrer sa réelle sympathie à ces nobles victimes du devoir patriotique, assistait très nombreuse aux obsèques célébrées en leur honneur. Un vieux camarade, ancien soldat au 51e Territorial, au nom de tous ses frères d'armes, voulut leur dire un dernier adieu ; il le fit avec chaleur et conviction.

Chers Camarades, qui reposez maintenant au cimetière de Rolampont, et vous, qui gardez notre frontière depuis les plaines de l'Alsace jusqu'aux collines de l'Artois, votre Pasteur, qui a connu et affectionné beaucoup d'entre vous, qui a partagé la plupart de vos souffrances, avant de clore cette série d'articles nécrologiques, vous fait la promesse de ne pas vous oublier. Il priera et fera prier pour vous, surtout aux douloureux anniversaires de votre mort glorieuse. Et si aujourd'hui il joint ses adieux à ceux de vos concitoyens, ce n'est pas un adieu éternel qu'il vous dit, c'est un au revoir, peut-être proche, dans un monde meilleur !

E.G., Curé

Extrait du bulletin paroissial de Rolampont, Lannes & Chanoy, septembre 1922.

Ndr 1. & Ndr2.

 

Victor Leclerc (1893-1914) - Au début de la guerre 1914-1918 nos populations vécurent de longs jours d'angoisse. On avait tellement accrédité la légende que la guerre durerait à peine quelques semaines, que très peu de personnes se faisaient à l'idée que cette guerre ferait des victimes. La désillusion devait être profonde : et la population rolampontaise devait la ressentir comme les autres.

Avant la bataille de la Marne, après les premiers combats des frontières, on commença à murmurer quelques noms. C'est Albert Thomassin, Émile Buré, Aimé Petit, Marcel Thivet... qu'on dit tués ou prisonniers. Vient ensuite la grande offensive de la Marne. Un grand nombre de nos jeunes gens y prennent part, notamment dans ce 21e corps, qui vint renforcer le 8 septembre la 9
e armée, commandée par le général Foch. Comme par un hasard miraculeux, aucun n'est tué ou blessé gravement.

Petit à petit la guerre se localise : ici en Alsace, là dans les Vosges, là en Argonne, là en Champagne, principalement près de Reims, là dans l'Aisne, notamment aux alentours de Soissons, là dans la Somme, dans l'Artois à Notre-Dame de Lorette, qu'on a appelé à si juste titre le tombeau des Haut-marnais, là dans le Nord, à Lille, Dunkerque, Nieuport, Ypres et sur les bords de l'Yser. En parcourant chacun de ces fronts, nous trouvons dans les hécatombes dont ils ont été le théâtre, un ou deux, quelquefois plus de nos jeunes compatriotes tombés au Champ d'honneur. En faisant brièvement leur histoire, c'est toute l'histoire de la guerre que nous vous raconterons.

Sur le front de l'Aisne, à Bucy-le-Long, à deux pas de Soissons, nous trouverons l'un d'eux. il s'appelle Victor
LECLERC. Et dans un bref chapitre nous allons raconter sa courte, mais cependant bien glorieuse histoire.

Victor
LECLERC est né à Rolampont le 25 juillet 1893, de Joseph Leclerc, cultivateur et de Joséphine Marolide, originaire de Hûmes. C'était un Haut-marnais de pure race. Il en avait l'accent, l'esprit et le coeur. Il aimait son pays et il en était fier.

Il vécut toute sa jeunesse aux côtés d'une soeur, Marie plus âgée que lui de 18 mois, qu'une union conjugale avec Jean-Marie Dupaquier, entrepreneur, a malheureusement ravie à son pays natal.

Il eut comme instituteur, M. Thivet, mort à la tâche en 1909, homme énergique, clairvoyant, qui sut distinguer tout de suite dans le jeune Victor un bon et studieux élève. Dès que son âge le lui permet, il est présenté au Certificat d'Études et reçu parmi les premiers de ses camarades.

L'instruction religieuse allait de pair avec l'instruction civique. Elle lui fut donnée par M. le chanoine Rallet, alors curé de Rolampont. Il célébra sa Première Communion le 30 avril 1905 en compagnie de : Gabriel Parisel, Marcel Belime (+), Pierre Dentrelle (+), Maurice Knerr, Gaston Frêche, Pierre Trinquesse (+), René Royer (+), Eugène Tournier, Henri Raclot, Marcel Cureau, dont plusieurs sont morts comme lui au Champ d'honneur. La confirmation eut lieu à Lannes le 5 juin 1905, et fut reçue des mains de Mgr Herscher, alors évêque de Langres.

Le cycle d'études primaires et religieuses étant terminé, les parents de Victor songèrent à les lui compléter par un petit stage à l'École d'Agriculture de Langres.

Le professeur d'alors, M. Rivière, est venu, au moment de la sépulture de Victor, nous dire quel bon souvenir il avait gardé de son élève. L'élève lui-même était resté très attaché à ses maîtres et leur avait toujours gardé reconnaissance de leurs bons enseignements. De retour dans ses foyers, il n'a plus qu'un idéal, bien aider son papa et plus tard devenir lui-même un bon chef de culture. Son père le voit grandir dans ces dispositions et en est justement fier. Mais hélas ! L'homme propose et Dieu dispose. Encore quelques années, et là où il y aura eu tant de vie, tant de mouvement, tant d'espérances, il n'y aura plus que la solitude et l'abandon. Ainsi va la vie humaine !

L'époque de la (cir)conscription
(sic.) arrive. Reconnu bon pour le service, V. Leclerc part à Gérardmer au 152e d'Infanterie. Le service sans être dur est cependant assez pénible. Les montagnes des Vosges sont belles d'aspect, mais difficiles d'accès. Tous nos soldats s'en plaignent beaucoup. Et puis une autre angoisse surgit : l'horizon politique s'assombrit.

Depuis le Honeck ou le Ballon d'Alsace, on a montré bien des fois à nos petits soldats les plaines d'Alsace, et on leur a dit :
« En cas de guerre, c'est là que nous descendrons ; c'est là que nous nous battrons.» - Le soldat s'est dit : «Voilà bien des fois qu'on nous dit cela, mais ce jour là ne vient jamais.» - Et pourtant dans la nuit du 2 août 1914, grand branle-bas dans les casernes, c'est la mobilisation enfin réalisée. Nos petits soldats bouclent leur sac et partent dans les plaines d'Alsace.

Nous savons le résultat. Ils ont pénétré dans Mulhouse ; se sont dirigés sur Colmar, Strasbourg et Metz. Mais ils avaient affaire à forte partie ; et après Morhange et Charleroi, ils ont dû revenir à leur point de départ et même reculer davantage encore.

Victor ne vit point les débuts de la mobilisation, retenu chez lui en convalescence par une dure bronchite. Il aurait voulu rejoindre immédiatement son corps, mais le médecin-major ne le reconnut pas apte à faire campagne, et ce n'est que sur la fin d'août 1914 qu'il rejoindra son dépôt, ramené par la guerre au village de Hûmes.

Quelques jours d'entraînement à Hûmes et à Rolampont, et bientôt il est question du départ sur le Front.

Après la bataille de la Marne, le Front s'est stabilisé. Les positions ennemies sont face à face et la guerre n'est bientôt plus qu'une guerre de tranchées ou de siège. Chaque compagnie, chaque régiment, chaque division occupent un secteur déterminé qu'ils gardent plus ou moins longtemps, selon l'importance de leurs pertes ou de leurs gains. Dans certains coins, c'est le calme ; dans d'autres, c'est la lutte incessante. Sur la fin de 1914, quelques-uns sont bien connus des Poilus, et à juste titre, très redoutés : c'est la forêt d'Argonne, près de Verdun ; c'est le Linge, le Vieil-Armand, dans les Vosges ; c'est Soissons, dans l'Aisne ; N.-D. de Lorette, dans l'Artois ; l'Yser, dans le Nord. D'autres se réveilleront plus tard et seront aussi meurtriers. Après des bombardements prolongés, des attaques, des contre-attaques, les pertes en hommes deviennent sévères ; les effectifs diminuent ; et alors on fait appel aux réserves constituées dans les dépôts, qui envoient les renforts demandés au fur et à mesure des besoins.

Les dépôts sont constitués par la masse des hommes mobilisés et mobilisables : c'est-à-dire hommes appelés par la mobilisation et groupés dans les casernes ou cantonnements de fortune jusqu'à leur départ pour la ligne de bataille ; hommes évacués du Front et ensuite réentraînés pour repartir au Front ; hommes récupérés par d'implacables et incessants Conseils de réforme, qui fonctionnent à jet continu au milieu de nos populations et drainent quelquefois jusqu'aux impotents, les hommes capables de rendre un service à la Patrie. Sur la fin de la guerre, on en arrivera à faire appel aux concours féminins pour pouvoir disposer d'un plus grand nombre d'hommes.

Dans les premiers jours de septembre, une note du 352
e d'Infanterie parvient à Hûmes, demandant un renfort d'au moins 500 hommes. La campagne de Hûmes et de Rolampont s'achève. Victor le sent ; il en avertit ses parents et le 31 août, il vient leur faire ses adieux. L'embarquement aura lieu le lendemain à 3 heures à Rolampont, puis à Langres et alors en route pour l'inconnu !

Dans les premiers jours de septembre, une note du 352
e parvient à Hûmes, demandant un renfort d'au moins 500 hommes. La campagne de Hûmes s'achève. Victor le sent. Il vient un soir dire un suprême adieu à ses parents. L'embarquement se fera à Rolampont et à Langres. Comme personne, pas même les chefs, ne sait où est le 352e, on partira à la bonne aventure. L'itinéraire est assez compliqué.

Le train prend la direction de Paris ; arrêt de 6 heures à Corbeil ; débarquement à la gare de Lyon, puis départ pour la gare St-Lazare. Séjour de quelques heures, puis embarquement pour le Front. Vendredi 11 septembre, arrivée à Nanteuil-le-Haudoin. Débarquement. La ville porte encore les traces de la récente bataille ; la gare est détruite : on cherche des logements pour la troupe ; finalement on se réfugie dans des fermes, où on se case tant bien que mal. Samedi 12 septembre, nouveau départ ; on traverse des contrées où viennent se livrer de terribles combats. Des armes, des équipements, des képis, des casques, des manteaux jonchent le sol. Des odeurs de décomposition passent par bouffées. Elles sortent surtout de chevaux morts, pas encore enfouis, qui pourrissent le ventre gonflé, les pattes raides. A la nuit, arrêt à Levignen. Solitude complète. Un seul homme, le garde champêtre, qui conduit la troupe à l'église. Moitié du détachement y prend place, le reste erre à l'aventure dans le village, et se réfugie enfin dans une ferme, où il trouve abri et ravitaillement. Dimanche 13 septembre, passage à Villers-cotterêts, avec cantonnement à la gare des marchandises. La ville intacte et animée, paraît comme la capitale du monde. Au loin des grondements sourds, comme des coups de gong, c'est le canon. Lundi 14, en route pour le quartier général du Corps d'armée. On aborde Amblemy-sur-l'Aisne. Là, un capitaine d'état-major arrête le détachement. Impossible de passer le pont en ce moment, car il est repéré par l'artillerie ; et comme il est inutile de faire tuer des hommes, on va cantonner dans une scierie, non loin de là. Mardi 15 septembre, départ pour Vic-sur-Fontenoy. Il faut le rejoindre. On longe l'Aisne en file indienne. Derrière les collines, un bruit étrange, comme des tapis qu'on tape ou des planches qu'on cloue. Arrivés au but, on s'installe ; ce n'est pas long. On construit des cahutes avec des bottes de paille, arrachées d'une meule voisine. La meule fond, puis disparaît ; mais un petit village nègre s'élève à la place. Les feux des cuisines jettent de grandes lueurs. Bientôt une grêle de balles s'abat sur le champ.
«Éteignez les feux ! Couchez-vous !» crient les officiers. Quand le feu cesse, on fait l'appel. Un seul homme a été blessé ; une gamelle sur un sac a été trouée. Ce n'était heureusement qu'un apprentissage.

(à suivre)


E.G.

Extrait des bulletins paroissiaux de Rolampont, Lannes et Chanoy, novembre 1925, janvier 1926 & mars 1926.

Ndr.

 

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© 16.02.2000 - MAJ : 31/05/2017