Pour une écologie
de l'esprit

La force qui m'a poussé un jour jusqu'à la porte du dojo n'était certes pas liée à ma raison. Enfant, j'ai marché sur cette voie de l'aikido sans savoir ce qui me motivait et ma conscience, loin de suivre pas à pas mon mouvement sur la voie, ne m'y a rattrapé que beaucoup plus tard. Plus de trente années de travail personnel et de recherche avec le corps m'ont convaincu que celui-ci véhicule une personnalité innée s'opposant à la personnalité acquise et que l'expérience de la relation le modèle, parfois en le respectant, c'est à dire en préservant ce qu'il exprime en propre, mais souvent en le déformant et engendrant des souffrances physiques et morales qui n'ont d'égales que les souffrances de l'âme qu'il véhicule. Je me suis donc mis à la recherche de l'équilibre entre ces deux personnalités, celle qui est et celle qui existe pour elle, espérant trouver un moyen de faire que l'existence soit l'expression heureuse de l'essence personnelle initiale. J'ai conçu que la conscience, creuset de toutes les alchimies humaines, était l'expression d'une liberté fondamentale de l'essence. Parler de la liberté, c'est toujours poser la question de ses limites. Alors j'ai essayé de traquer tout ce qui restreignait cette liberté et j'ai découvert que ce n'était certainement pas les lois extérieures qui pouvaient suffire à entraver ces chercheurs d'or, ces transgresseurs, jouisseurs et anarchistes que nous sommes par naissance, par nos appartenances aux consciences naturelles, à la vibration, à la sensibilité, à la pulsion. Je compris vite que les lois de la société ne pouvaient nullement s'opposer à de telles forces qui, à défaut d'être canalisées, conduisaient à la délinquance. J'ai vite intégré que celle-ci était précisément le mode d'expression de l'être non libre. L'être libre élabore lui-même les lois qui lui permettent de vivre en respectant l'autre, la nature, les idées dans l'intimité de sa conscience profonde et de trouver l'accord avec le monde social, sans faire taire en soi "l'incommensurable désir". Libres, nous pouvons l'être tous en nous débarrassant de tout ce qui n'est pas précisément nous-même en nous. Alors, il m'est venu l'idée d'écrire Pour une Ecologie de l'Esprit, m'appuyant sur l'expérience de l'aikido et de l'aikitaiso pour avancer de manière besogneuse des idées, pour définir une terminologie, pour entrainer à ma suite le lecteur dans une aventure de la pensée du corps qui ne pouvait que se terminer par la visite du corps universel. "Le Corps Conscient" parle de l'intimité de l'âme, "Le Corps Philosophe" de son envol.
(...)
J'ai donc voulu mettre par écrit un savoir, une connaissance, l'histoire d'une expérience, des souvenirs, des impressions, les mots des autres, des désirs et une sensation aussi profonde que la conscience peut l'être, de telle manière que d'autres puissent, s'ils le désirent "trouver une voie pour le dire". Devant l'immensité de la tâche, j'ai commencé par la diviser. Ainsi, je ne traiterai pas l'aikiken et l'aikijo qui feront l'objet de l'autre ouvrage. Par contre, je tenterai de communiquer au lecteur ma passion de l'aikitaiso et du taijutsu d'aikido, non sans avoir pris quelques précautions à propos de la tradition féodale et de " l'intégrisme initiatique " qui peut en découler.
Le lecteur impatient pourra faire quelques enjambées par dessus les longueurs anatomiques pour arriver plus vite au sujet essentiel : la connaissance de soi. Il nous faudra encore de longues pérégrinations pour aboutir à la conscience de soi mais je puis d'ores et déjà vous assurer qu'elle est bien l'alchimie de l'esprit du vide et de la parole. Si ma conclusion prend la forme d'une émotion spirituelle, que le lecteur ne voit là aucun prosélytisme mais simplement l'expression du naturel hédonisme de l'âme.

André Cognard

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