26 Octobre 1963
A l'arrivée au camp, l'accueil est très chaleureux
de la part des rares présents. Le camp paraît bien
vide, nous apprenons que la plupart des hommes sont en mission
de transport à l'extérieur. Nous les verrons revenir
en cours d'après midi dans de drôles de camions que
nous n'avions jamais vu, des U55 Citroën.
Après les habituelles formalités d'incorporation où je récite une nouvelle fois mon état-civil, je suis affecté provisoirement à la 1ère compagnie sous le commandement du Capitaine Morel. Un bref entretien avec lui m'apprend que je suis détaché à Blida pour suivre le peloton d'élève brigadier.
Le capitaine Morel est la forte personnalité du camp, éclipsant celle du chef d'escadron que nous verrons finalement très peu. De grande taille, tête rasée sous le képi, toujours impeccablement soigné, il dégage un charisme certain. Son arrivée, chaque matin et son départ le soir et parfois en cours de nuit se remarquent. Il habite à Alger avec son épouse. Nous apercevrons quelques fois cette dernière. Il ne nous fera jamais aucun grief sur les tenues disparates que nous arborons, mais sera exigeant sur la qualité du travail.
Nous recevons un complément de paquetage, encore plus conséquent que celui de Laon, les rangers remplacent les chaussures à clous. Nous sommes surpris par la distribution de shorts et de chaussettes montantes, style armée anglaise.
Nous continuons à aller d'étonnements en étonnements :
- Personne ne semble porter la même tenue. Chacun est vêtu à sa convenance, pourvu que ce soit militaire ( et encore !). On nous explique que la discipline n'est pas une priorité et que le travail est si important que nous avons mieux à faire que de soigner la tenue.
- Nous sommes avant tout une unité d'appelés, en effet si les sous-officiers à partir de margi-chef et les officiers sont des professionnels, tous les autres sont des appelés. Il n'y a aucun brigadier, et très peu de brigadier-chef et margis engagés.
- La nourriture est abondante, même si le réfectoire est rustique. Les cuisiniers travaillent comme des professionnels. Un ventre vide ne peut pas travailler correctement, c'est nouveau, il faudrait le signaler à Laon. Pas d'assiette, ni de verre sur les tables, il faut se servir de son quart, de sa gamelle, de ses couverts et de son couteau personnel (à vous d'avoir le votre, l'armée ne délivre pas de couteau, ni dans le paquetage, ni sur les tables).
- Nous sommes logés dans un immense hangar de type aviation, une chambrée de 200 cela surprend au premier abord. Les armoires et des couvertures tendues en travers permettent de s'isoler par groupes plus petits. Le tout dans une joyeuse pagaille. Je n'ai jamais vu de revue de chambres.
- Il fait froid la nuit. Ou plutôt, la différence entre le jour et la nuit est telle, que nous avons froid.
Nous prenons connaissance de notre nouveau lieu de vie, du camp, des locaux, de l'effectif, de nos missions.
L'organisation :
Le GCT 535 est un groupe de transport comprenant
: 2 compagnies de 4 pelotons chacune.
Lensemble est coiffé par un petit état major
d'une dizaine de personnes et commandé par un chef d'escadron.
Il y a en plus une petite unité du service de santé
commandé par un médecin aspirant (appelé)
avec 3 infirmiers.
Le tout représente environ 260 hommes avec environ 200 véhicules.
Je saurai plus tard que les rapports entre
les commandants d'unité (dépendant du train) et
les médecins (dépendant du service de santé
des armées) sont de tous temps conflictuels. Le commandant
d'unité n'a aucun pouvoir hiérarchique sur le médecin
mais il doit lui assurer la logistique, le gîte et le couvert
et la protection. Cela ne va pas sans poser problèmes lorsque
le médecin accorde trop facilement des exemptions de service.
La première compagnie, commandée par le capitaine
Morel, comprend :
- 3 pelotons de transport commandés par des adjudants ou
adjudants-chefs,
- un peloton de commandement et de services, sous la direction
de MdL-chefs faisant fonction d'adjudants. Le garage, le foyer,
les cuisines, la radio, dépendent de la première
compagnie, pour l'ensemble du camp.
La deuxième compagnie, commandée
par le lieutenant De Noyelles, comprend :
- 3 pelotons de transport, dont un peloton de semi-remorques,
- un peloton de commandement et de services.
La mission essentielle du GCT 535 est le transport. Ses camions roulent tous les jours (sauf le dimanche) et rapatrient, sur le port d'Alger, tout le matériel et les hommes au fur et à mesure du démantèlement des garnisons installées en l'Algérie. La mission a commencé dès mars 1962 au Sahara et se poursuit en remontant vers le nord. Les oasis sahariennes ont déjà été vidées, je n'irai donc jamais.
En interprétant ce que l'on nous apprend, étant les plus près d'Alger, nous devrions être dans les derniers à quitter l'Algérie. Il s'avérera que des troupes continueront à s'installer à Colomb-Béchar (pour le pétrole), à Mers el Kébir (la base navale), à Bou-Sfer (base aérienne), à Hammaguir (pour le site de lancement de missiles), à Reganne (pour le site d'essai de la bombe atomique), dans le respect des accords d'Evian.
LE CAMP
Le camp est un périmètre d'environ
500 mètres sur 500 mètres protégé
par deux barrières de grillage, avec entre les deux, un
chemin de ronde. Les barrières sont elles-mêmes protégées
par un réseau de fils barbelés. Aux coins du périmètre,
4 miradors d'une vingtaine de mètres de haut, équipés
d'un puissant projecteur. Il faudra shabituer à grimper
l'échelle. A l'entrée, une grille ferme l'entrée
la nuit, de jour une barrière relevable, un poste de garde,
aucune guérite à l'extérieur.
Le parc à camions se situe dans l'un des angles du périmètre,
à l'écart des locaux d'habitations.
Le camp produit, la nuit, sa propre électricité à l'aide d'un groupe électrogène. Il dispose d'un puits pour l'eau, d'une citerne et d'une pompe à essence et d'une soute à munitions. Un parc où sont élevés des cochons, un autre pour des moutons permettent de recycler les déchets de cuisine.Il existe une aumônerie, une infirmerie, un foyer, un réfectoire, un cinéma, un mess pour officiers et sous-officiers.
Si les logements des hommes de troupe sont situés dans les hangars déjà cités, les bureaux, magasins, habitations des officiers et sous-officiers, cuisines et réfectoire, mess, poste de garde sont installés dans de petits bâtiments de plein pied, le seul bâtiment à étage étant l'infirmerie avec au dessus laumônerie. Le tout est parfaitement entretenu, le long dallées avec des arbres ou arbustes. Il y a même quelques fleurs. Par contre à l'intérieur des logements de la troupe, quelle pagaille ! Une exception à ces constructions en dur, la prison qui est un cube de tôle ondulée à proximité du poste de garde.
Ce camp de Baraki, jaurai l'occasion de découvrir, bien plus tard que l'un des cousins de mon épouse, Serge Dumont, y a stationné en 1960. A l'époque, c'est l'Armée de l'Air qui l'occupait. Avec ce cousin , nous avons pu évoquer nos souvenirs et nous remémorer les lieux. Vers 1996, avec un fournisseur, lors d'un repas, j'aurai de nouveau l'occasion d'évoquer ce camp où lui aussi avait stationné.
Quelques jours plus tard, une corvée me conduit à Blida dans un entrepôt de l'intendance, pour une livraison. Je constate que les anciens escamotent une caisse entière de pataugas. Ces chaussures feront le bonheur des copains. A cette occasion, les anciens me conseillent de toujours se débrouiller ainsi. Tout est bon à récupérer, notamment sur le dos des autres unités. Pour ceux que ce procédé peut choquer, il faut savoir que toutes les unités procèdent de la même façon pour se procurer des matériels, vêtements dont les autres semblent mieux dotés.
Je monte ma première garde en Algérie,
en haut d'un mirador, arme non chargée, mais avec des cartouches
dans la poche. Le jour, la vue est magnifique sur le paysage environnant.
La nuit, nous allumons le projecteur pour aveugler les arabes
qui passent à proximité. Quelle joie de les voir
zigzaguer sur la route lorsque le pinceau du projecteur accroche
un véhicule.
Contrairement à Laon, aucune peur. Tous les miradors sont
reliés entre eux et au poste de garde par le téléphone.
Pendant les 2 heures de chaque tour de garde, des appels réguliers
résonnent, qui nous évitent de nous endormir. Souvent
le chef de poste branche tous les postes ensemble et allume son
transistor.