BLIDA

3 novembre 1963
A peine le temps de s’habituer à Baraki, direction Blida encore plus au sud d’Alger, pour y suivre le stage d'élève brigadier au camp Michel Legrand au GTIT (Groupe Technique d'instruction du Train).

. Blida et environs


La camp situé à la sortie ouest de la ville sur la route des gorges de la Chiffa, au pied de l'Atlas, est un vaste ensemble regroupant plusieurs unités. Environ 1100 hommes comprenant des légionnaires parachutistes (béret vert et képi blanc), des parachutistes (béret rouge), ces deux armes en stage de pliage de parachute, des tringlots d'un régiment de transport le GT 516 (béret noir), qui nous fournit les chauffeurs et camions nécessaires à notre instruction, des spécialistes de réparations de véhicules (407ème CRD). Ces unités se partagent un large périmètre entouré de clôtures et de barbelés. A côté du camp, une vaste zone de largage constitue un immense espace où nous pourrons manœuvrer à l'aise. L'ensemble comprend : un foyer, un cinéma, des réfectoires, des cuisines, un stade, un parcours du combattant, un poste de garde.

J'apprendrais bien plus tard, que le Camp Michel Legrand avait été en 1956, le point de rassemblement des unités parachutistes qui avaient sauté sur le canal de Suez.

Les casernements seraient agréables, s'il n'y avait les punaises. Nous sommes logés par chambres de 20, sans lits superposés. Mais pas de laissez-aller comme à Baraki.

Une parfaite entente règne entre toutes ces unités qui montent les gardes, assurent les piquets d'alerte et d’incendie ensemble, partagent le foyer et le cinéma.

Je n'ai pas le souvenir de friction entre ces unités de professionnels et de conscrits. Les Légionnaires nous ont plutôt en sympathie et n'hésitent pas à nous payer des bières à l'occasion. Lors des conversations que nous pouvons avoir avec eux, ils nous considèrent comme les jeunes frères qu'ils ont laissés au pays. La majeure partie d'entre eux sont Allemands et bien que représentant l'élite de l'Armée Française, ne jouent pas les gros bras. Ils tiendront un rôle très important dans une révolte qui se déroulera dans quelques semaines au sujet de la nourriture.

Parallèlement à notre stage, fonctionne un stage de formation d'élèves sous-officier, pour des camarades plus anciens. Dans le stage où je suis incorporé, nous retrouvons avec plaisir des camarades de Laon que nous avions quitté quelques temps auparavant, des gens de la région bordelaise, de Vendée, de Paris, du Nord et bien entendu de Normandie.


Exercice de combat

Il faut nous habituer à un horaire nettement différent de celui de nos habitudes civiles et même de celui de Laon :

- lever : 5H30
- Jus : 6H
- Rapport du matin : 6H30
- Instruction
- Repas du midi : 12H
- Rapport : 14H
- Instruction jusqu’à 17H30
- Repas : 18H
- Appel dans les chambres : 21H
- Extinction des feux : 21H30.
Le dimanche : lever et jus décalés d’1/2 heure.

Nous recommençons les classes subies à Laon, ordre serré, exercices de combat (cette fois nous commandons le groupe à tour de rôle), exercices de tir, conduite en tous terrains, sport, parcours du combattant, cours de transmission sur divers postes de radio, cours théoriques sur l'armement, sur les véhicules. Nous choisissons une chanson de marche qui va donner lieu à polémiques, une chanson de Sacha Distel (Et nous aussi mon frère) que nous arrangeons à notre façon.

Revue

Tous les samedis matin, exercice de défilé et prise d'armes. A cette occasion, le chef d'escadron, commandant l'école, apparaît dans des tenues variées : en tenue de cavalier avec bottes de cuir, en tenue léopard. La revue est accompagnée par des marches napoléoniennes diffusées par un électrophone.

Une de nos attractions favorites est de regarder les sauts en parachutes, les largages de Jeep et de camions, les sauts en haute altitude des chuteurs que nous voyons à peine sortir des Nordatlas.

Le tout est agrémenté de gardes de nuit. Notre poste est au bord de la zone de saut, et nous subissons de plein fouet les vents du sud chargés de sable. Cette garde est désormais assurée arme chargée, balle dans le canon. Quelques semaines plus tard, nous serons 2 par poste. Toute la nuit, au cours de ces gardes, le téléphone fonctionne entre les postes et les gars se racontent des histoires, les paras et les légionnaires ne sont pas les derniers.

Nous sortons très peu à pied du camp et il nous est interdit de sortir isolé, les habitants nous paraissent cependant plus accueillants, même si quelques jets de pierre agrémentent nos sorties en camion. Ces sorties en camions sont fréquentes puisque les exercices de tir se déroulent au bord d'un oued dans les gorges de la Chiffa, à quelques kilomètres. Les exercices de convoi ont également lieu à l'extérieur. Le paysage est magnifique, nous traversons sans cesse les orangeraies, richesse de la région.

Le soleil brille la plupart du temps et aux cérémonies du 11 novembre, nous transpirons dans nos treillis.

La nourriture donne lieu à une manifestation rare dans l'armée. Une pétition est signée par l'ensemble des hommes du camp, paras et légionnaires compris, sous la bienveillance de nos chefs directs. Une légère amélioration sera observée, mais ne durera pas, une nouvelle manifestation interviendra plus tard.

Nous passons notre rare temps libre à écouter la radio, évitant Radio Alger. La radio de la République Algérienne démocratique et populaire , bien que diffusant en français, ne représente pas tout à fait nos goûts. C'est le plus souvent Europe 1 qui est écouté et notamment “Salut les copains”. La chaîne a, hélas, supprimé les séances de dédicaces à l’intention des familles de soldats.

Quelques mots sur le poste de radio à transistors. Pour les soldats c'est l'une des plus belles inventions du siècle. Il y a toujours au moins un appareil en fonctionnement dans les ateliers, les magasins, le poste de garde, les chambrées. C'est le lien permanent avec la vie extérieure. En 1961, cet appareil a sauvé la république d'une aventure militaire. En un seul discours dont il avait le secret, le Général de Gaulle a donné l'ordre au contingent de ne pas obéir aux généraux putschistes. Ce que nos anciens ont fait, et le coup d’état a échoué, les généraux arrêtés.

Un moment de détente

24 novembre 1963
Première sortie en ville. Quel dépaysement, les rues étroites de la Médina, les costumes bigarrés. Nous avons été assailli par une foule de marchands de tapis, de cacahuètes, de chewing-gum. Notre solde ne nous permet pas d’excès, et nous n’effectuons aucun achat. Nous passons par le quartier réservé, ces dames attendent le client à la porte de petites maisons basses. On n’imaginait pas un tel marché aux femmes. Promis et juré, nous ne nous sommes pas laissé tenter, malgré tous les efforts de ces dames et de leurs souteneurs. Par prudence, nous circulions par groupe d’une dizaine.

Une visite chez le dentiste me permet une exemption de service de 2 jours occupés à écouter la radio et à discuter avec le coiffeur (agriculteur dans le civil) dont le salon est installé dans notre bâtiment.

Les drapeaux du camp sont en berne suite à l’assassinat du Président Kennedy que nous venons d’apprendre à la radio.

J’ai toujours autant de soucis avec le parcours du combattant, malgré les encouragements des camarades et le soutien actif de l’instructeur. Je n’arrive toujours pas à le boucler entièrement et je me console en me disant que je ne suis pas le seul. Heureusement mes notes au tir compensent mes lacunes en sport.

Au foyer à l’occasion des divers stages de conduite que les unités du voisinage effectuent au camp, j’ai l’occasion de rencontrer un gars du Pollet dont le père est ferrailleur, et un autre gars de Dieppe, parachutiste, dont j’ai oublié le nom. Comme le monde est petit, retrouver si loin de sa ville des gens connus.

1er décembre 1963
Les sorties en ville sont supprimées, une épidémie de scarlatine sévit à Blida. Il paraît que les enfants tombent comme des mouches. Nous avalons des sulfamides pour nous éviter des ennuis. Les missions en camion doivent éviter la ville. L’épidémie continuant, le service de santé nous interdit les efforts violents, c’est toujours ça de gagné.

5 décembre 1963
Epreuve entre plusieurs équipes pour réviser, sur le terrain, ce que nous avons appris. Notre équipe se classe brillamment avant-dernière. Nous nous sommes égarés et ne sommes pas passés par l’itinéraire prévu. Cette mauvaise performance ne nous traumatise pas outre mesure. Nous venons d’apprendre que l’examen est arrangé, l’armée ayant besoin de gradés-appelés. Pratiquement tout le monde est assuré d’être reçu. Dans le stage de sous-officier, qui vient de se terminer, 84 gars ont été reçus sur 90.

15 décembre 1963
Nouvelle mission à l’occasion de la visite de hauts personnages à l’aéroport militaire de Blida, au nord de la ville : agent de circulation routière. Je n’ai vu passer qu’un cortège de voitures.

circulation routière

17 décembre 1963
L’examen s’est bien passé, je suis reçu 13ème sur 31 (7 sont quand même recalés).

Nous retournons à Baraki demain ou après demain, après avoir fait de nouveau les bagages. Ne croyez pas que se soit si simple, nous avons un tel fourniment qu’il faut bien plier le tout dans le sac à paquetage, le sac à dos, la musette, la valise personnelle ; de façon à porter tout en une seule fois.