Mai 2003 (2eme quinzaine)
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La réalité du virtuel



Vendredi 16 mai


Me voila à nouveau dans des interférences entre ma vie et ce journal. Ça coince un peu.

D'une part parce que je ne dispose plus d'assez de temps pour écrire comme je le souhaiterais. Quelques heures n'y suffiraient pas, c'est au quotidien plusieurs heures qui seraient nécessaires si je voulais consigner tout ce qui me traverse la tête (et le trafic est dense, je vous assure). Toutes ces découvertes étonnantes (euh... sans grande portée pour quiconque autre que moi) que je fais sur moi-même, mes attentes, mes désirs, mes idéaux. Et surtout sur l'origine de tout ça, qui s'ancre bien loin dans mon passé: adolescence ou même antérieurement.
Hier j'ai repris mon vieux journal papier et je suis remonté dans le temps à la recherche d'explications sur la voie délicate que je suis depuis quelques mois. J'en ai trouvé. Elles m'ont montré que ma quête était ancienne. Il ne s'agit pas d'une lubie de quarantenaire qui a envie d'un peu de changement dans un quotidien englué dans les habitudes. C'est bien plus profond que ça.

D'autre part l'interaction avec le lectorat, que pourtant j'apprécie et recherche, a pris en quelques jours une importance trop grande. Plusieurs messages que j'ai reçu me déstabilisent, par effet d'accumulation. Il semble que je ne m'exprime pas avec suffisamment de clarté. Et surtout que je paraisse déconnecté de la réalité. C'est ce qui revient le plus souvent. Il m'est dificile de répondre sans recourir à la justification, or je ne pense pas que ce soit opportun.

Je vais donc donner ma vision des choses, clarifier un peu, sans chercher à convaincre.


Que ce soit dans le monde sensoriel ou dans le monde virtuel, établir une relation c'est avant tout échanger. Echange d'idées les plus diverses, de pensées plus ou moins intimes, de rires ou de tristesse. Bref, un échange impalpable, invisible. Et pourtant bien réel. Il s'y adjoint aussi une dimension physique dans le monde sensoriel, dont est privé le monde virtuel. Est-ce que ça rend ce dernier moins "vrai"? Qu'est ce qui est le plus "vrai" dans une relation? Les contacts, les sens, ou les pensées? On me rétrorquera que c'est l'ensemble. Cependant, personne n'irait qualifier de "non-réel" les contacts sensoriels, pourtant privés d'échange de pensée, que des millions de gens ont au quotidien dans la rue, les commerces, le métro. Même amputés de la part essentielle, la pensée, personne ne dira que ces contacts ne sont pas réels. Et pourtant, dans le cas contraire, l'échange de pensées seules est fréquemment perçu comme "non-réel". Le virtuel étant synonyme d'illusion, de rêve, voire de mensonge permanent. C'est une opinion très répandue, non seulement chez les non adeptes, mais aussi chez les pratiquants de ces relations virtuelles.

Ce que je vis avec ma complice est un échange de pensées et de sentiments. Tout ce qu'il y a de plus abstrait. Que ce soit en face à face ou à des centaines de kilomètres de distance, qu'est-ce que ça change? Est-ce moins vrai? Faudrait-il se voir pour que les mots aient plus de portée? Certes, nous ne pouvons pas nous toucher et sommes donc privés de toute une dimension de la relation affective. C'est un manque, mais il ne nous est pas essentiel. Il serait dommage de refuser de s'investir affectivement parce que le contact tactile est impossible.

La crainte suivante sera inévitablement «c'est propice à l'idéalisation». Effectivement, c'est un risque à connaître. Il est réel. Idéalisation double, à la fois sur la personnalité et sur le physique. Nous, internautes, sommes souvent des êtres sans corps et sans visage, hors du quotidien. L'avantage étant que cela donne précisément toute la place à la pensée. On peut ensuite choisir de se montrer à visage découvert ou pas. Rien de plus facile pour qui dispose d'un scanner, d'un appareil numérique ou d'une webcam. Un pas de plus vers le "réel".

Reste le dernier point: la personnalité au quotidien. Là, rien à faire, à moins d'aller vivre chez chaque internaute avec qui on sympathise, on sera toujours dans une relation faussée. Mais pas plus que ce qui se passe avec beaucoup de relations bien "réelles" dans le monde sensoriel. Alors pourquoi cette différenciation?

Donc, effectivement, je ne connais pas la personnalité au quotidien de ma complice, pas plus qu'elle ne connaît la mienne. Notre relation est donc faussée... mais par rapport à quoi? Il n'est nullement question que nous partagions un jour notre quotidien. C'est une relation qui s'est batie dans un cadre bien précis et qui est destinée à rester dans ce cadre. Nos échanges ont été, sont, et seront toujours à distance. C'est notre realité commune. Le mode de communication "virtuel" est notre réalité. On le sait. Les sentiments que l'on partage sont aussi impalpables que ceux que d'autres partagent dans le monde sensoriel. Ils passent par des mots le plus souvent. Que ces mots soient écrits ou prononcés n'en diminue pas la portée. La complicité passe aussi par des regards, certes moins directs quand ils passent à travers des pixels, mais tout aussi éloquents et "vrais".

Un jour... nous chercherons à nous rencontrer. Nous passerons la barrière. Faudrait-il attendre ce jour là pour considérer que ce que nous ressentons est bien réel? En une fraction de seconde cette relation deviendrait réelle même si depuis des mois, des années, nous avons échangé durant des centaines d'heures?

Je crois qu'il y a encore beaucoup à faire avant que les relations dites "virtuelles" soient considérées comme tout aussi réelles que celles du monde sensoriel. Ce qui n'empêchera jamais des gens de tricher... comme dans le monde réel. Ou bien à d'autres d'idéaliser.... comme dans le monde réel. Que je sache, ces mots ne sont pas nés avec l'avènement d'internet.


Une dernière précision enfin: si je parle surtout de ce que JE ressens, donnant peut-être l'impression d'une relation contemplative, ou idéalisée, fantasmatique... c'est parce que je ne peux, ni ne veux, parler au nom de ma complice. Je donne ma vision des choses, de façon unilatérale. Il me semble difficile de concevoir des échanges soutenus, empreints de sentiments, si c'était à sens unique. De plus j'ai toujours dit que ma complice lisait ce journal et on peut supposer qu'elle s'offusquerait quelque peu de ce que j'écris si elle ne partageait pas des sentiments similaires à mon égard.





Entre bleu et bleu



Dimanche 18 mai


Deux jours d'évasion avec ma petite famille. Prendre l'air, changer d'environnement, se vider la tête. Deux jours en couleurs, entre terre et pierre, ciel et eau.

Terres d'ocre dans les montagnes du Luberon ou toutes les nuances qu'on peut imaginer d'un sol se trouvent concentrées sans des reliefs surprenants. Canyons creusés dans l'ocre plus rouge que de la brique, où se cotoient toutes les teintes de feu jusqu'au jaune. Village rouge construit de la terre sur laquelle il est bati.

Je regardais ces nuances et songeais combien il est parfois difficile de saisir ce qui les distingue. Combien une infime variation fait que le jaune n'est plus jaune, mais déjà orangé, sans qu'aucune limite nette ne les sépare jamais. Je pensais à ce qui fait que parfois, dans ma vie, une infime variation fait que quelque chose évolue, sans que je ne sache préciser la nature du changement de teinte.


Autre décor le lendemain, sous une bonne brise qui rafraîchit l'éclat du soleil. Air frais qui traverse mon esprit et l'aide à s'échapper, à chasser le brouillard qui l'avait envahi depuis quelques temps. Entre roc et ciel, entre ciel et eau. Les Calanques de Cassis, en Méditerranée, où les falaises blanches découpent la côte en promontoires et échancrures. Marcher sur les crêtes ventées ou quelques pins d'Alep s'accrochent dans des enfractuosités, parcourir la garrigue parmi les cistes en fleur, les romarins, les petits chênes rabougris et les chèvrefeuilles roses. Monter et descendre en se pliant aux exigences du relief, tantôt au ras de la mer, tantôt la dominant de très haut.

Alors j'observais ces nuances bleues.
Celles d'un ciel infini. Illusion d'une luminosité bleue alors que le ciel n'est qu'un vide noir. On ne touchera jamais le vide.
Celles de la mer, plus intensément bleue encore. Turquoise ou outremer, scintillant sous le soleil, de teinte changeante selon l'angle abordé par le regard. Une mer vivante, qu'on peut toucher, dans laquelle on peut s'immerger, dont on peu sentir la fraîcheur ou la douceur sur soi.

Je me voyais là, comme ces pierres, entre lumière bleue et eau bleue. Entre ciel intouchable et eau qui enveloppe.
Rester en haut, proche du ciel, avoir l'impression de mieux appréhender l'immensité tout en étant loin de l'eau. Descendre vers l'eau, la trouver peut-être plus fraîche qu'à mon goût, mais pouvoir y nager et la laisser imprégner ma peau.

Hésitant entre ces deux nuances bleues, je pensais à mes rêves idéalistes. Comme chacune de ces pierres, ils peuvent rester un certain temps près du ciel. Mais aucune pierre n'ira jamais vers ce bleu-là. S'il y a mouvement, ce sera toujours, toujours, vers l'eau bleue, qui attend chaque pierre pour changer de nuances. C'est le mouvement naturel. Mes rêves sont condamnés à tomber un jour, tôt ou tard. Il faudra bien que j'en accepte l'idée...






Haut le coeur


Lundi 19 mai


Mal, très mal en ce moment. Ventre noué, hauts-le coeur et maux de coeur. Dents serrées. Trop compliqué de raconter et puis... inutile. Tout est en rapport avec mes réflexions des dernières semaines. Je suis allé trop loin et ne suis pas assez costaud pour encaisser autant de bouleversements. Personne n'est en cause (je précise, par rapport à des mails que j'ai reçu sans avoir eu le temps d'y répondre). Non, tout est en moi. Je me suis perdu en moi. A force de soulever tous les couvercles en même temps je ne retrouve plus de repères. Je ne sais plus ce que je pense, ce que je suis, ce que j'attend.

Une découverte majeure et puis... quelque chose qui vient au même moment toucher ce point sensible...

Rien à en dire dans ce journal. Je m'y exprime beaucoup trop, sans assez de retenue. J'ai l'impression d'être obscène.

Et pourtant... je suppose que personne ne l'a pensé. Alors c'est face à moi que je suis obscène... Le miroir me fait gerber.





Il faut changer quelque chose...


Vendredi 23 mai


Et si, avant de prétendre aimer deux personnes à la fois je m'interrogeais un peu sur ma capacité à aimer? Sur ce que signifie et implique "aimer", pour moi.

Il aura fallu que je prenne conscience que je reproduisais, quasiment à l'identique bien qu'un quart de siècle se soit écoulé, une forme d'amour mortifère pour admettre que quelque chose n'allait pas dans ma façon d'aimer. C'est maintenant certain: je ne sais pas bien aimer.

Aimer dans la dépendance, douter de l'affection de l'autre, attendre une attention constante... voila le piètre constat que je fais en me regardant dans un miroir. C'est triste. Et c'est faire reposer sur l'autre un poids qui, à la longue, peut devenir insupportable.

Parce que j'avais acquis au sein de mon couple une certaine assurance, que ces éléments n'étaient plus en jeu à force d'habitude, j'ai cru que je les avais surmontés. Je pensais que tout cela faisait partie de mon passé, de ma jeunesse exigeante et impatiente. Il n'en n'est rien. Tout ou presque est intact, hélas. Ma chance actuelle réside sans le fait que, depuis, j'ai entamé une réflexion sur moi. Je pense donc être capable de venir à bout de cet aimance antropophage. Mais ça ne se fera pas sans peine et sans une solide remise en question. Et pour cela, il faut que je remonte en arrière pour comprendre comment ces mécanismes se sont mis en place. C'est ce que je vais tenter de faire avec ce journal dans les jours à venir. Réfléxions très personnelles donc. Les allergiques à l'introspection auront avantage à aller lire ailleurs...

Il me devenait insupportable d'écrire dans ce journal parce que ce que j'avais à y mettre me faisait honte. Je n'avais pas envie d'étaler en public des difficutés dont je ne connaissais pas l'origine. Je ne maîtrisais plus rien. La semaine dernière aura été particulièrement éprouvante puisque je remettais tout en question: mon couple, mes attentes, mes idéaux. Je replongeais dans le passé qui interférait avec le présent et m'inquiétait pour l'avenir. Des signaux d'alarmes clignotaient de toute part: ma femme, des lectrices, et surtout moi-même puisque j'étais totalement perdu. Il aura fallu qu'une crise de déclenche avec ma complice, avec une souffrance croissante menant à un profond mal-être pour qu'un déclic se fasse enfin: je ne veux plus souffrir d'aimer.

Il aura surtout fallu que je me rende compte que j'entrainais dans ma souffrance ma complice, la poussant à avoir des réactions que justement je redoutais, pour admettre que j'étais le seul responsable de ma douleur. En voulant l'éviter, je la générais. Je vais donc tenter, pendant quelques temps d'analyser les raisons de ce comportement.

Il n'y aura pas forcément de suite logique, chaque élément interagissant avec d'autres. La seule continuité pourra être celle de la chronologie de ma vie, avec renforcement ou affaiblissement de ces comportements. Je ne prétends pas avoir une analyse générale. Tout cela reste directement ancré dans mon vécu personnel et n'est sans doute pas transposable. Mais peut-être que certaines constantes de comportement aideront ceux qui me lisent à se comprendre eux-même, comme il m'est régulièrement signalé. J'en serai ravi...





1 - La confiance

La confiance. Le point fondamental. Le socle, la base sur laquelle tout se construit chez moi. Pas d'amour sans confiance. Je pense même qu'il n'y a aucune séparation entre les deux, pour moi. Amour = confiance, et réciproquement.

J'ai toujours été extrêmement sensible à cet aspect des relations. J'aurais tendance à faire facilement confiance. Mais il y a cependant une méfiance, devenue comme instinctive, qui l'accompagne.

Avant cela, j'ai longtemps eu beaucoup de difficultés à entrer en relation avec les gens. Je ne sais pas parler de la pluie et du beau temps (ça m'ennuie) et ne peux entrer directement dans des sujets approfondis. Résultat: je me tais.

On n'a donc accès à moi que lentement et... en le cherchant. Ce n'est pas moi qui irai facilement vers les autres, même s'ils m'intéressent (surtout si elles m'intéressent...). J'attends (ne sachant comment faire autrement) qu'on vienne à moi. Le médium internet, en me permettant de sauter l'étape "pluie et beau temps", et me débarrassant de la timidité, m'a permis d'être un peu plus entreprenant, notamment vis à vis des femmes. Car c'est surtout avec celles-ci que j'ai envie d'entrer en relation... Avec, je crois, toujours au bout un désir de séduction qui pourrait m'amener vers ce sentiment tant désiré: l'amour-confiance. Evidemment, ce dénouement est fort rare puisqu'il demande une réciprocité de sentiments, d'affinités particulières, et... un peu de magie. Généralement nous en restons à l'amitié-confiance. L'attirance à sens unique peut parfois exister aussi mais reste à un niveau plus proche du rêve agréable, d'une certaine idéalisation.

Si j'ai, sur internet, noué à plusieurs reprises des relations fortes ("amitiés amoureuses"), je n'avais jamais vraiment ressenti ce qu'on appelle "aimer" (amour). Peut-être parce qu'alors je n'étais pas prêt à envisager cette forme de relation en parallèle de mon amour de couple? Mais surtout, je crois, parce que je n'avais pas trouvé une complicité suffisante pour passer à ce stade. Je n'ai donc, de ma vie, partagé un amour réciproque que deux fois: avec ma femme, depuis plus de vingt ans, et avec ma complice. Entre les deux rien. Avant rien non plus. Je suis donc à la fois expérimenté en amour (longue durée) et novice (deux relations). Si les années m'ont apporté un certain recul quant à l'évolution de la passion amoureuse vers l'amour installé, j'ai en revanche un piètre bagage pour me permettre d'éviter de faire trop d'erreurs. Je le constate avec naïveté.

Chez moi, avec aimer = confiance, s'ajoute aussi une autre dimension, qui donne un poids considérable à l'ensemble: le bonheur.
Aimer = confiance = bonheur.
La encore les égalités sont interchangeables. Et il ne peut exister durablement l'un sans les autres. Si une certaine confiance s'installe, alors j'ai tendance à "aimer" (amitié ou amour), et la relation m'apporte une grande satisfaction. Mais qu'un seul des éléments décroisse, et les autres suivent inéluctablement. C'est là que ça se complique. Parce qu'un infâme poison existe et se diffuse en certaines circonstances: le doute. Le doute atteint la confiance, qui fait perdre le bonheur, et entre en conflit avec l'amour.

Le doute, c'est ce sur quoi je dois travailler. C'est lui qui a nui à ma relation avec Charlotte lorsque j'étais jeune. C'est lui qui, régulièrement, nuit à ma relation actuelle avec ma complice.


2- Le doute

Le doute agit sur la confiance. La confiance en l'autre, en l'amitié/amour que l'on me porte, et dans le lien qui nous unit. Or cette confiance est encore plus indispensable entre ma complice et moi, parce que nous ne sommes pas en contact direct. Mais c'est aussi cette absence de contact direct qui fait que le doute s'insinue facilement chez moi.

Le doute, il vient d'abord de moi. Il fait partie de moi. J'ai longtemps cru que j'étais insignifiant pour autrui, au sens large. Si à la suite d'un long travail de reconquète personnelle je parviens à me sentir exister, en revanche il m'est encore un peu difficile de me savoir apprécié. Je le sais, lorsque c'est le cas, et je parviens à y croire. Mais souvent grâce à un suivi régulier, comme si j'étais sous perfusion. J'ai besoin de savoir, ne serait-ce que par des détails, que je le temps n'efface pas l'appréciation à mon égard. Que je vienne a en être sevré trop longtemps... et je me mets à douter. Je me dis que "je n'intéresse plus". Cependant, j'ai appris (et continue à apprendre...) à en être de moins en moins affecté. C'est moins désolant...

Auparavant, plus l'attachement était fort, plus je devenais sensible aux signes. Alors que la confiance s'installant aurait dû au contraire me prémunir de cette attente. En amitié ça fonctionne bien maintenant, mais pas encore en amour.

Pourquoi donc douter alors que rien ne marque un changement?
Pourquoi imaginer qu'un silence signifie forcément un éloignement?
Pourquoi la non manifestation de l'attachement est-elle perçue automatiquement de façon négative?

Parce que je n'ai pas totalement confiance.
Terrible et douloureux constat que j'ai dû accepter lorsque ma complice m'a dit le ressentir. Même si toute ma conscience vit cette confiance et la désire, il y a une part de moi qui est prête à douter à la moindre alerte. Alertes données lorsque se reproduisent des analogies à des situations mémorisées dans mon passé.

Parce que cette confiance, tellement importante à mes yeux mais que j'ai rarement pu partager, à déjà été trahie plusieurs fois par des personnes qui comptaient beaucoup pour moi. Reste à savoir pourquoi je n'ai pas pu surmonter ces pertes de confiance... et comment me défaire de ce qui empoisonne les relations auxquelles je tiens le plus.






«Je me suis revu, moi aussi adolescent un peu trop raisonnable, un peu trop sage et j'ai revu les difficultés de ma sortie d'adolescence, les lézardes qui sont apparues peu à peu dans les apparences trop bien construite, les douleurs qui en ont résulté et qui, pour certaines, ont traversé les années, m'ont accompagné jusque dans mon âge adulte, qui peut-être, sous d'autres formes, m'accompagnent toujours..»

Les échos de Valclair (21/05/2003)





Aimer différemment


Lundi 26 mai


Mon texte précédent a été mis en ligne dans une certaine urgence. Rédigé depuis quelques jours, un peu modifié, je voulais le voir remplacer celui qui le précédait, parce que je n'aime pas laisser des textes enigmatiques et pas vraiment enthousiasmants au delà du temps de leur validité. Je n'étais plus dans cet état et je voulais le signifier. Je savais que je courais un risque en mettant en ligne des mots encore trop frais. Parce qu'il m'est parfois difficile, une fois mis en ligne, d'avoir donné autant de mon intimité en public. Mais je partais trois jours et je n'ai pas eu trop le temps de tergiverser...

Résultat: une grosse honte a posteriori, avec impossibilité de modifier ou atténuer quoi que ce soit. Ma honte c'est parce que depuis quelques temps j'aborde des sujets... dont il serait trop facile de rigoler. Parce que mièvres, un peu ridicules, bêtasses. En un mot: cucul. J'ai l'impression de faire l'ado sur le retour. Du diarisme digne de la collection Harlequin... Regardez-moi ça: "Amour = confiance = bonheur". Pfff, affligeant! On croirait la recette du bonheur d'un magazine féminin à grand tirage. C'est cette phrase, que j'ai eu le culot de mettre en gras, qui m'a fait honte depuis trois jours. Mais s'il n'y avait que ça...

Rien que le terme de "bonheur", déjà, c'est suspicieux. Le bonheur on en parle pas. La recherche du bonheur, passe encore, mais en parler quand il est là, non, vraiment, c'est d'un ridicule achevé. Quand à voir un mec de mon âge s'extasier sur des pages devant le sentiment amoureux...

Je ne sais pas pourquoi je me suis autant épanché sur le sujet. Oui, bien sûr, parce que ça me préoccupait beaucoup. Et puis on le sait bien que ça rend un peu bête d'être amoureux. Mais je crois que j'ai eu besoin de me voir écrire certaines idées, certains mots, que je n'aurais jamais cru pouvoir énoncer un jour. D'une part parce que je ne croyais plus pouvoir ressentir ce genre de situation transcendante, même si j'y aspirais. D'autre part parce que vivre un amour alors qu'on aime déjà une autre... ce n'était pas un concept très évident pour moi. Alors j'ai eu besoin de verbaliser, répeter à l'envi. Intégrer tout ça en moi. Et comment ne pas le faire alors que j'avais cet espace d'expression à portée de clavier?

Mais le risque était de perdre un peu la mesure, ou d'aller au delà de ce qui m'était admissible. En étant trop descriptif je me suis dévoilé plus que je ne pouvais supporter. J'ai trop souvent été sur la limite de l'indécence. Le dévoilement de l'intime ne doit pas devenir impudique, ne doit pas générer de gêne a posteriori. On en devient vulnérable. A plusieurs reprises je me suis senti comme nu au milieu des gens.

Voila une des limites de ma sincérité, et de celle de ce journal.

En y réfléchissant un peu, je crois aussi que je me suis senti une envie de témoigner. J'avais envie de dire: oui, on peut aimer deux personnes à la fois. J'avais envie de décrire ce qu'un mec comme moi, traditionnellement ancré dans une relation conjugale classique, pouvait vivre en ayant une relation parallèle non dissimulée. Sortir de cette image un peu sordide de la relation cachée, de la tromperie.

Mais je n'ai pas toujours su garder la distance souhaitée. Je me suis enthousiasmé pour cette relation qui, par bien des points, touchait à trop de domaines concomittants. "Amour, confiance, bonheur" d'un coté, "fidélité, séduction, polyamour" de l'autre. Et je ne parle même pas du coté plus fantasmé, hormonal, sexuel, qui a aussi pu être sollicité. La tête, la morale, le physique. Tous les ingrédients de ce que peut englober le terme "amoureux" au sens large.

Pour diverses raisons, tout cela se calme et je retrouve mes esprits. Je suis marié, ma complice et moi avons chacun une vie différente, et notre relation est condamnée à rester essentiellement à distance. Après avoir oser employer le mot "aimer", voila que je reviens vers ce [pas de mot existant] qui, à défaut d'être explicite, a l'avantage de situer ce que je ressens comme étant "différent". Ma complice est mon amie et j'ose maintenant dire que je l'aime parce que les sentiments que je ressens ont un nom. Cette amie que j'aime, pour qui je ressens une attirance, un désir, ne sera pourtant pas un amour au sens traditionnel du terme (idée de partager sa vie avec autrui). C'est aussi à me sortir de ce genre de concepts étroits que j'apprends au fil du temps. Avec elle.





«Et quelle est la place de ce qu'on appelle amour dans la vie ? dans ma vie... À quoi sert une relation amoureuse dans le fil de cette vie ? Est-ce un accompagnement ? Une sécurité ? Un garde-fou ? Un but ? Pourquoi à 20 ans dit-on Un jour je serai avec Lui, à 30 ans Voici celui avec qui je marche, mange, dort et paye le loyer et à 40 ans J'aimerais trouver celui qui me complète, ma moitié d'orange à moi... ? Et à 50 ans, que dit-on?»

Insomnies chroniques (24/05/2003)





Parce que je ne le vaux pas...



Mercredi 28 mai


Je suis en train de me rendre compte que ma capacité à douter est plus forte que je n'imaginais. Je la voyais comme une sorte de dérèglement qui se manifestait régulièrement et venait parasiter ma façon de réfléchir. Un poison qui, de temps en temps, se répandait lorsque une situation présentait des analogies avec mon passé. Quelque chose d'assez sommaire en fait.

Je me demande si ça n'est pas un peu plus compliqué... et un peu plus profond.

Et si le doute était inscrit en moi de manière indélébile? Et si j'étais vraiment persuadé, à un niveau quasi inaccessible à la conscience, que je ne mérite pas l'attention? Que je ne mérite pas d'être apprécié... aimé. Longtemps je me suis dit que les doutes étaient une altération passagère mais qu'au fond de moi je savais bien que je valais quelque chose. Il suffisait donc (plus facile à dire qu'à faire...) que je travaille sur ces doutes, que j'apprenne à les maîtriser pour retrouver pleinement mon potentiel. Mais je me demande si ce n'est pas un phénomène à tiroirs. Sous cette impression de valoir quelque chose n'y aurait-il pas un trou noir qui aspirerait sans cesse tout ce qui pourrait agir sur cette confiance en moi? Comme si je ne travaillais pas au bon niveau.

Et ce fond de doute sur moi même serait tellement puissant qu'il agirait pour anihiler toute tentative de reprise de confiance. Même lorsque je parviens à lever des doutes superficiels, d'autres apparaissent ailleurs, sapant sans cesse le travail effectué. Dès que je colmate une brêche c'est en un autre point que se crée, un peu plus tard, une fissure. C'est un trop systématique pour que se soit involontaire (au niveau de l'inconscient, évidemment).

Est-ce que, lorsque quelque chose va bien... "je" ne me débrouillerais pas pour me retrouver en position inconfortable, propice à relancer d'autres doutes que ceux précédemment vaincus? Comme s'il était évident que je ne pouvais pas réussir. Pas plaire. Et même... si j'étais convaincu de plaire, alors je m'arrangerais (mon inconscient) pour déplaire en agissant comme je sais que je ne dois pas agir. Et s'il ne se passait rien... je me demande si ce n'est pas moi qui... (hum... difficile à écrire ça...) euh... qui n'aurais pas tendance à m'éloigner... perdre l'attachement que je ressens. Parce que quelqu'un qui m'apprécie se tromperait forcément sur mon compte. Donc... ne mériterait pas mon affection en appréciant quelqu'un comme moi...

En fait, puisqu'il est inconcevable qu'on m'apprécie (m'aime) durablement, j'attendrais le moment où l'illusion s'efface et qu'on me laisse tomber, parce que je ne mérite pas d'attention. Ça ressemble à quelque chose de programmé, inéluctable. Et si rien ne se passe... alors mon inconscient ferait en sorte de saboter ce qui, de toutes façons, finira un jour. En instillant ce poison des doutes qui "testeront" l'autre jusqu'à ce qu'il ne m'abandonne... confirmant ainsi ce que je redoutais.

Système de pensée pervers et délirant, si c'est effectivement ça. Je n'en suis qu'aux suppositions en observant ma façon de réagir en certaines situations, d'une manière que je ne comprends pas. Ce serait une possibilité d'explication.

A moins que... ces mêmes doutes profonds génèrent une soif immense d'attention, aspirant tout ce qui peut m'être donné... puis se détachent une fois rassasiés à la recherche d'une nouvelle "proie" à vampiriser.

Ce serait atroce d'être comme ça. Je serais un superbe salaud qui s'ignore... même si c'est inconsciemment que ça se passe. En doutant à ce point de moi (ce qui me pourrit vraiment la vie), j'entraînerais dans ma souffrance ceux qui comptent le plus pour moi. Ceux qui justement pourraient me "sauver" de cet auto-dénigrement inscrit en moi.

Je dois dire que je suis incapable d'avoir vraiment accès à ce niveau de fonctionnement. Ce sont juste des pistes qui se dessinent, des suppositions.


Il y a quelques années, mon amie Inès, avec qui j'avais eu une relation assez poussée, m'avait dit un jour, alors que je me détachais d'elle: «ça ne m'étonne pas que tu n'aies pas d'amis». Phrase cruelle qui m'a marqué... mais qui est toujours restée comme une interrogation. Et si elle avait eu raison?

Pourtant j'ai quand même eu des relations de proximité, voire d'amitié, qui ont duré parfois assez longtemps. Et si elles se sont éteintes je ne pense pas en avoir été le responsable plus que mes partenaires. Ce furent surtout les effets du temps qui passe et de la distance qui ont conduit à un lent éloignement. Mais peut-être n'ai-je pas assez relancé les choses en supposant que c'était inutile? Cependant, bien souvent j'ai été le dernier à avoir repris contact...

Le fait est que je n'ai jamais connu de véritables amitiés (au sens exigeant auquel je l'entends) durables au delà de quelques années.

Alors je ne sais pas. J'ignore si ce besoin de confiance, tellement important à mes yeux, fait que je renonce si je ne la sens pas suffisamment partageable. Je ne sais pas d'avantage si mes doutes permanents sont capables de détruire ce qui compte autant, mais dont je ne me sens pas digne de bénéficier.

Peut-on détruire ce à quoi on tient? Le cerveau peut-il ainsi se dédoubler et agir de façon contradictoire selon le niveau de conscience?

Beaucoup de questions et suppositions, mais pas vraiment de réponses.



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Un peu marre de ces messages que je reçois "pour mon bien" de la part de gens qui m'expliquent avec plus ou moins de finesse que ce que je vis est, au choix: dangereux/illusion/pas réel. Et que, de toutes façons, ça finira mal. Vous êtes biens gentils, les gens, de vous occuper de moi, mais je crains que vous ne puissiez vous fier à mes seuls écrits pour vraiment comprendre ce que je vis.

Je pense ne pas être né de la dernière pluie et je sais ce qu'est l'idéalisation du net, merci. Je devine aussi que pas mal s'y sont laissés prendre et il est possible que ce soit aussi mon cas. Et alors? Vous pensez peut-être que, parce que vous me prévenez des dangers potentiels (comme si je les ignorais...), je vais tout arrêter? Parce que, peut-être, éventuellement, il serait possible que ce que je vis avec ma complice pourrait un jour se terminer par une désillusion d'un coté ou de l'autre il vaudrait mieux cesser tout de suite? Mais vous croyez donc que ça n'arrive pas dans la "vraie vie" ce genre de choses? Va-t-on éviter toute situation un tant soit peu complexe sous prétexte de désillusion potentielle?

Moi je raconte ma vie sur ce journal parce que ça m'aide à avancer. Mais si c'est pour régulièrement recevoir ce genre de mail de la part de plus ou moins inconnus je cesserai de parler de tout ça. J'ai la prétention de croire que mes réflexions peuvent aider d'autres personnes dans leur propre cheminement, comme celles des autres m'aident dans le mien. Si on peut s'entraider de cette façon, je trouve que c'est bien. C'est pour cette raison que j'apprécie tout commentaire constructif qui aide à la réflexion (et fort heureusement j'en reçois aussi). Mais les «fais gaffe» de ceux qui croient savoir et projettent sur moi leurs propres limites, ça m'emmerde. Je le dis franchement.

Le dernier mail reçu, de la part de quelqu'un pour qui j'avais un a priori positif, me prédit carrément mon avenir: ma femme va prendre, ou a déjà, un amant (p'tain, faut que je la surveille ma Charlotte!), je vais rencontrer ma complice parce que «la braguette à ses exigences» (sic), elle finira par m'abandonner et je me retrouverait donc «tout seul comme un con». Franchement, merde, c'est n'importe quoi! Ça me gonfle vraiment.

Et récemment c'est de ma complice qu'on me recommandait de me méfier, car elle pourrait bien être une manipulatrice. Ouaiiis, merci, sympa... je pourrais peut-être me mettre à la suspecter, histoire de pimenter un peu ce que je vis avec elle, non? Je ne sais pas qui , entre ma complice et moi, serait le plus stupide, naïf, cruche, tordu, mais manifestement on me (nous) prend pour des abrutis.

Je sais: «y'a qu'a pas raconter sa vie sur le net si on ne veux pas de commentaires». C'est sans doute ce qui arrivera si ça continue, et je parlerai d'autre chose.




La vie des autres



Jeudi 29 mai


J'ai beau m'être détaché d'une part du "monde du diarisme" et de ce que j'appelais il n'y a pas si longtemps "communauté", je continue à suivre avec attention certaines personnes à qui je me suis attaché pour diverses raisons. Généralement parce qu'elles ont une façon de fonctionner que je reconnais, toute en sensibilité et en émotions, même si parfois un voile pudique les recouvre.

Je ne saurai dire ce que je ressens en suivant ces vies, depuis parfois des années, que j'ai l'impression de connaître dans une dimension secrète, sans doute inaccessible à leurs proches. Il y a un coté confidentiel, confiance, qui me touche. Et lorsque dans ces parcours s'inscrivent de la douleur, des difficultés à surmonter un problème, une incompréhension ou une incapacité à se sortir du passé, je ressens de la tristesse.

J'aime ces personnalités qui me sont devenues proches, peut-être parfois sans qu'elle ne le sachent. Ces gens dont je sais ce qui leur tient à coeur, les émeut, sans bien connaître tout ce qui fait leur quotidien. Il y a là une forme d'amitié souvent silencieuse, qui parfois se traduit par une estime mutuelle davantage devinée que clairement formulée. D'ailleurs, je ne cherche pas forcément de réciprocité: j'aime sans attendre de retour. Mais lorsque ce retour existe, que me sais apprécié (oui, je finis par y croire), c'est encore plus fort. Je vois là un véritable lien, qui ne dure que par sa spontanéité. Il est si facile de "disparaître" sur internet, comme je l'ai souvent vu, non sans quelques petits pincements.

Voila, c'était juste pour dire, vous les gens que j'aime, que lorsque vous souffrez je souffre avec vous. Et lorsque vous êtes heureux, je le suis aussi. Même si je n'en dis souvent rien...

Et dire qu'il y a des gens qui ne voient que de l'illusion dans ce monde virtuel.





La séduction oubliée



Samedi 31 mai


Charlotte me montrait hier des vêtements qu'elle venait d'acheter, pour avoir mon avis (oui, nous sommes à nouveau très proches). Moue hésitante de ma part «Hmoui... ça va», sous-entendant dans un langage qui s'est peu à peu imposé entre nous «Oui, ça peut aller, je ne trouve pas que ça ne convient pas». En fait mon regard se contente de rapidement jauger si le résultat n'est pas trop moche selon mes critères. Pas vraiment encourageant pour elle. Et pas ce qu'elle attend de moi, assurément.

Sur le moment j'en suis resté à ça et je suis retourné à mon travail. Puis j'ai réfléchi. Récemment ma complice m'avait demandé mon avis sur des vêtements, et j'avais été beaucoup plus intéressé. Et d'ailleurs, lorsque je la vois, je ne suis pas insensible à sa tenue vestimentaire. J'y suis même particulièrement attentif quand je la trouve séduisante... pour le peu que j'en vois sur la petite fenêtre de la webcam.

Problème: pourquoi n'ai-je pas le même regard sur Charlotte? Schkrink, blang, blonk... le mécanisme s'est mis en marche et a brusquement passé un déclic qui se préparaît depuis longtemps: il n'existe pas de séduction entre Charlotte et moi. Charlotte est une complice, une amie, une amante à l'occasion... mais exclue de l'aspect séduction (ou presque). Il est rare que je sois troublé par ses charmes, son regard, sa tenue vestimentaire. Et lorsque nous sommes très intimement proches, tout se passe essentiellement par l'intermédiaire d'une communion de pensée. L'aspect attirance se manifeste alors, mais consécutivement à une proximité des esprits.

Il aura fallu qu'un peu plus tôt je sente le regard appréciateur de ma complice sur moi, sur ce corps que je n'ai jamais perçu comme pouvant être attirant (à l'aube, sa nuit à elle, j'étais encore en pyjama d'été et donc moins... habillé que d'habitude) pour que se déclenche, quelques heures plus tard, toute cette réflexion sur la séduction.

Je suis donc retourné voir Charlotte pour lui dire que j'appréciais les efforts vestimentaires qu'elle fait pour me plaire. Et lui ai parlé de ce regard hors-séduction que je portais sur elle depuis bien longtemps.
Parce que ça n'a pas toujours été le cas. Autrefois, il y a bien longtemps, je me souviens d'échanges de regards de braise. Je me souviens de ce si joli visage à tomber par terre (je frôlais l'arrêt cardiaque..). De ce corps que j'ai tant désiré effleurer alors que nous apprenions à nous connaître. L'effet séduction était intense.

Il a rapidement cessé. Parce que nous étions gênés par ce coté de l'amour moins fondé sur les sentiments. Parce que je ne me sentais pas attirant, parce que nous n'osions pas exprimer ce que nous ressentions. Parce que le coté sexualité, en gros, c'était quand même un peu "pas bien". Et puis aussi parce que j'avais dû apprendre à aimer moins intensément. Moins passionnément. Alors une part de l'amour s'est mise en veilleuse, celle qui est faite de désir, de pulsions.

Peut-être (sans doute...) est-ce la part que j'ai espéré longtemps sans bien en avoir conscience, et qui m'a amené à faire ces rencontres féminines parallèles. Il y a à la fois ce besoin de confiance que j'évoque souvent, mais aussi cette part de recherche du désir. Les deux étant plus ou moins liés puisque le désir né de la confiance est, pour moi, le seul que je puisse envisager de... vivre.

J'aime profondément Charlotte, mais je crois qu'une part m'était devenue inaccessible, ayant pour effet de créer une profonde frustration. Aimer sans désirer n'est pas satisfaisant. Certes Charlotte n'a plus le même visage qu'à vingt ans... son corps s'est quelque peu déformé par rapport à celui que j'avais connu... mais ça n'empêche pas que je puisse réinvestir cette dimension "séduction" trop longtemps mise en sommeil. Il m'a fallu du temps pour accepter l'idée qu'elle ne serait plus jamais comme avant. Elle a grossi et ne perdra plus ce surpoids. C'est comme ça. Mais ses rondeurs ne manquent pas forcément de charme... du moment que je ne les compare plus à l'idéal inaccessible. Elle est restée (ou devenue un peu plus?) féminine, soigne son apparence, essaie de me plaire et de plaire aux autres. Elle ne fait pas partie de ces femmes qui ont renoncé à séduire. Mais je sais qu'elle est mal à l'aise avec le regard neutre, facilement critique et rarement enthousiaste, que je porte sur son apparence. Je le savais, mais ne parvenais pas à l'intégrer en profondeur. Il me restait une part de frustration et... d'attente d'autre chose.

En fait... je crois qu'au fond de moi je lui faisais payer le prix de ma déception: puisque je ne pouvais pas être séduit, alors il n'y aurait plus ce rapport là entre nous. Tout cela à l'insu de ma conscience, bien entendu.

Je raconte tout ça de façon très sommaire. C'est beaucoup trop complexe pour être décrit en quelques lignes.
Parce que si je ne pouvais pas être séduit, il y a aussi, forcément, une part qui venait de moi. Refus moral d'écouter mes pulsions, de les exprimer clairement. Incapacité à agir, attendant presque toujours que toute initiative séductrice vienne de sa part. Culpabilité de mon statut masculin, considéré a priori comme précisément incapable de retenir ses pulsions, ou bien "qui pense avec sa queue". J'ai toujours refusé d'écouter en moi ce coté là. Oui, je sais très bien que le désir et l'attirance sont très présents, mais je ne leur ai jamais laissé la chance d'exister. Tout restait dans le non dit. Et ce journal garde les traces de mes timides tentatives de dire des mots "audacieux" dans ce sens (bien timides audaces, je sais bien...). Oser y parler de mes désirs était quelque chose de très difficile au début. Et même maintenant, je me souviens d'avoir évoqué récemment le regard troublant que je portais sur «les femmes, leurs fesses, leurs seins, leur sexe"... et... gloups... j'y repense parfois avec effroi. Il y a eu de ma part, et pendant très longtemps, un tabou absolu là dessus. Il ne se lève que lentement.

Je sais qu'une part de moi refuse la masculinité. J'ai l'impression de porter le poids de tous ces hommes qui avilissent les femmes. J'en ai honte. J'ai honte de ce sexe dominateur. C'est idiot, je sais bien, mais c'est comme ça dans ma tête. Je hais la domination, sous quelque forme qu'elle se manifeste. Et c'est en pensant à ce cliché de l'homme qui baise sa femme en ne pensant qu'à son propre plaisir que j'ai toujours eu beaucoup de mal à manifester mon désir. Et à ne jamais insister... quitte à en être très frustré. C'est pour éviter ces frustrations que j'en suis parvenu à occulter le désir, la séduction.

Je pense même que j'ai longtemps été un piètre amant, trop concentré sur le plaisir de mon unique partenaire et faisant toujours passer le mien ensuite... non sans une certaine frustration. Et puis un mec pas très entreprenant, ni très expressif... c'était pas tellement excitant pour elle. Heureusement que les choses ont changé. Notamment grâce à une des femmes rencontrées sur le net avec qui j'avais partagé une grande proximité (virtuelle) durant quelques mois. Très ouverte et gourmande en ce qui concernait le sexe, elle avait entrepris de réveiller un peu cet homme qui la fascinait par la fidélité qu'il avait envers son épouse. La baiseuse et le fidèle s'étaient mutuellement enrichis de quelque chose d'opposé qu'ils n'avaient jamais su faire mais les attirait.

Et Charlotte sait que si elle se réjouit de ma (relative) libération sexuelle, elle le doit à celle qui fût un temps objet d'une certaine jalousie. Elle sent aussi très bien que chacune de mes rencontres féminine un peu soutenue a eu des effets bénéfiques sur moi, et sur notre couple. Donc indirectement sur elle aussi.

C'est sans doute ce qui fait qu'elle accepte sans trop de réticences la présence de cette si proche complice.

Charlotte sait sans doute moins que ce sont les paroles de ces autres femmes qui m'ont appris à croire à la séduction qui pouvait émaner de moi... Ce qu'elle même a mis longtemps à me dire avec retenue, d'autres me l'ont dit beaucoup plus franchement. Et... de savoir que je plais... ma foi... c'est un sacré stimulant pour reprendre confiance en moi.




Amusant de lire les constats de Valclair, aujourd'hui... pas tellement éloignés de ceux que je fais.


«Parfois il m'arrive d'insister. Parfois il lui arrive de répondre. Parfois c'est bien. Alors en nous quittant nous nous disons : " c'était bien, c'était agréable, cela nous fait du bien, vraiment il faudrait que nous fassions l'amour plus souvent" Et nous le faisons de plus en plus rarement !»

Les échos de Valclair (30/05/2003)