Juillet 2007

Dernière mise à jour:samedi 11 août 2007 - Accueil - Message






De la dilution à la cohésion




Dimanche 1er juillet


Mon ordinateur est tombé en panne pendant quelques jours. Ne disposant pas de logiciel de mise en page sur l'ordinateur de remplacement cela m'a empêché d'écrire comme je l'avais prévu. C'est sans grande importance puisque ce que je désirais déposer ici, se voulant être un bilan de fin de septennat, n'était pas inscrit dans une actualité. J'ai disposé de davantage de temps pour laisser décanter... D'autant plus que lorsque l'ordinateur a été réparé, je partais pour quelques jours de vacances avec deux de mes enfants. Et ça, c'était prioritaire...


En cherchant à faire correspondre mes écrits à ce que je deviens, je voudrais atteindre une forme de maturité dans mon écriture sous les regards extérieurs. Au terme de sept années d'écriture en ligne, j'aimerais marquer une inflexion en me dissociant d'un passé qui s'éloigne. C'est une des raisons de la prise de recul en cours autour de ma pratique, outil de conscientisation qui me mène bien plus loin que je n'aurais imaginé.

Je vous préviens, ça va être sérieusement introspectif ! Mais pour atteindre la légereté ne faut-il pas savoir se délester ?



Je l'ai souvent écrit au fil des années : né d'une rencontre révélatrice, le développement de ce journal y a été très longtemps indissociablement imbriqué; bouleversement de mon existence qui a permis l'émergence d'une nouvelle conscience en mouvement. Mais ce qui s'était d'abord conjugué pour l'apparition du meilleur s'est ensuite dégradé dans une confusion qui menait vers le pire. Journal et relation se sont entremêlés et ont fini par se nuire gravement.

Durant plusieurs mois je me suis tenu à l'écart de ce qui nécessitait impérativement une dissociation. Ce temps m'a permis de m'extraire de la confusion et de me retrouver.

Maintenant je sens comme important, pour moi, de revenir ouvertement sur ce que j'ai découvert. Bien des éléments de réponse à ce qui s'était accumulé comme incompréhensions handicapantes, parfois depuis mon adolescence, ont trouvé leur sens. Il y a eu, en quelque sorte, un "rassemblement" de pensées éparses, dont les liens ne m'étaient parfois jamais apparus. Et dans ce rassemblement, c'est mon identité individuelle qui s'unifie. Car à l'évidence, avant de pouvoir accueillir la diversité de l'altérité, il est nécessaire d'avoir une cohésion globale suffisante. Être "entier" et le rester, faute de quoi il y a risque d'éparpillement de parts de soi, de dislocation. Dilution dans cette différence de l'autre qui peut m'enrichir, mais aussi me perdre.

C'est bien évidemment ce qui s'est passé dans mon ouverture tardive à l'alterité. Et c'est en comprenant ce qui s'était produit au coeur d'une relation qui m'était essentielle que j'ai réalisé que je manquais de consistance dans mon rapport aux autres. Je ne me faisais pas suffisamment confiance. Étape nécéssaire pour comprendre que cela découlait finalement d'une incapacité à capter, identifier, mes désirs. Comment aurais-je pu, sans savoir ce que je voulais, l'affirmer devant autrui ? Comment aurais-je pu me sentir exister comme différent ?

C'est, je crois, ce que j'avais à découvrir...



Je tiens à dire que ce recentrage n'a été possible que parce que j'ai accepté l'exploration de mon inconscient, y compris (et surtout !) la descente dans les profondeurs de mes zones sombres. En acceptant de suivre toutes les pistes qui se présentaient j'ai pu extirper et remonter en surface les éléments les plus divers. Tous avaient bien une racine de "vérité", mais c'est ensuite dans la relativisation que peut opérer la prise de conscience : tout n'est pas d'égale valeur, ni d'égale importance, ni forcément stable dans le temps. Quand on fait remonter à la surface ce qui était enfoui il en ressort un magma informe. Une partie va se solidifier, une autre se désagréger. Ce n'est qu'après sédimentation que l'eau trouble laisse apparaître de quoi elle est constituée.

Ma plus grande erreur aura été de faire ce travail sous le regard d'une personne concernée par ce qui en résultait. Je n'avais pas à déballer tout ce qui en moi, issu de cette recherche, pouvait-être désagréable. J'ai confondu sincérité et déballage. Transparence et désir d'être accepté en entier. J'ai voulu ne rien cacher... alors qu'il est des choses qui n'ont pas à être montrées avant préparation.

Que des inconnus me lisent n'avait aucune importance : ils pouvaient aller ailleurs si ça ne leur convenait pas. Qu'un lectorat qui me suit et m'identifie soit au courant de mes turpitudes existentielles ne pouvait, il me semble, être dérangeant que pour moi. Mais qu'une personne avec qui j'étais en relation ait libre accès à que je ruminais à ce sujet... c'était une erreur monumentale.

Erreur que j'avais bien conscience de commettre, des mois durant, mais sans trouver d'autre façon de me sortir de ce que je vivais alors douloureusement.

D'où la conclusion qui s'est imposée : il n'y avait pas d'autre solution !

Pour m'émanciper, je ne pouvais que passer par là. Je n'avais pas les capacités de faire les choses autrement. Je n'avais pas la maturité suffisante.

C'est parce que je suis passé par là que j'ai pû atteindre la maturité. C'était un passage obligé.

Je ne me culpabilise pas d'avoir agi de la sorte, ni ne le regrette. En revanche je regrette les effets de mes actes, qui ont pu porter préjudice... tout en me disant que rien n'arrive par hasard. Ce qui s'est passé est le résultat de la rencontre de deux histoires et deux personnalités.

Je me souviens aussi que : « chance ou malchance, qui peut le dire ? ». Rien n'est écrit d'avance...

Il s'est fait ce qui pouvait se faire à ce moment là, avec les personnes qui étaient là. Chacun a donné un sens aux choses, chacun a influé pour que cela soit.



Les conséquences des choix ont engendré des adaptations, modifié les comportements, et un nouvel équilibre en a résulté.

Le silence s'est instauré, bilatéralement, comme mesure de protection et de distance. Plus aucun contact, aucune nouvelle d'aucune sorte durant des mois. Je me suis retrouvé vraiment face à moi-même, en solitaire, et cela m'a permis de poursuivre le travail d'émancipation.

Tenter de décrire ce qui s'est passé comme changement intérieur dans la perception de ce que je suis me serait difficile. Je ne l'ai pas fait lorsque cela opérait et je ne dispose pas encore d'assez de recul pour en élaborer une synthèse. De plus, je pense qu'il était nécéssaire que cela se fasse de façon totalement individuelle : je n'en ai parlé à personne, ni ne l'ai écrit nulle part. Je l'ai seulement ressenti et me suis laissé imprégner.

Ce qui en découle est une prise de conscience de mes limites internes et externes. Sentir l'espace-tampon entre moi et l'autre, entre l'intime et ce qui est affiché, assumé. Travail intérieur qui émerge en partie sur mon Carnet, en partie au cours de conversations fragmentaires. Je crois pouvoir dire que je ne désire plus m'ouvrir à une personne unique qui aurait accès à ce que je deviens. Plus personne n'a le rôle exorbitant de confident préférentiel.

Je ne cherche plus à être entendu et accepté : je suis.

Oh, ça n'est pas entièrement opérationnel et bien des anciens réflexes demeurent. Mais de plus en plus j'affirme ce que je sais, ce que je sens, et ne cherche pas à ce que ce soit absolument accepté. Je ne cherche plus à me suradapter à l'autre.

Je me vois même devenir relativement exigeant en matière d'indépendance, sans concessions, presque "dur" avec des personnes que pourtant j'apprécie. En même temps je crois rester attentif à autrui.... quoique d'abord à moi-même. Et si suivre l'autre doit m'emmener à m'éloigner de ce que je suis... alors je ne suis pas.



(à suivre)





À la recherche du désir perdu




Lundi 2 juillet


Je parle de faire un bilan de mes sept années d'écriture en ligne... mais finalement je m'en fous un peu [et vous encore plus...] Ça ne me servirait pas à grand chose de regarder d'où je suis parti pour observer où je suis -provisoirement- arrivé. Il y a eu évolution continue et c'est heureux. Ce qui compte c'est que je me sente vivre plus en accord avec ce que je me sens être, n'est-ce pas ?

Le changement le plus marquant, depuis sept ans, c'est que je vivais en couple alors que je suis désormais un "père célibataire". Ce qui n'est pas exactement la même chose que "célibataire". Il y a bien une vie de famille, avec des liens forts et des temps passés en commun. Pas de solitude. Et si je n'ai pas toute latitude d'organisation de mon emploi du temps, je me sens quand même assez libre. Outre le fait que j'apprécie la présence de mes enfants, leur fantaisie, leur état d'esprit, le déroulement de leur parcours, je crois que le rythme des week-end et les vacances contribue à me faire garder un emploi du temps relativement structuré. Je me demande si je ne me laisserais pas aller à vivre n'importe comment si j'étais vraiment seul.

Autre changement, d'importance : je n'ai plus vraiment de métier. J'ai désinvesti celui que j'exerçais lorsque j'ai commencé à écrire [est-ce lié ?] sans avoir vraiment trouvé dans quoi me lancer de nouveau. Toujours un peu entre deux eaux, en recherche. Je papillonne, essayant de humer ce qui pourrait susciter le réveil du désir d'entreprendre. Pour le moment rien de bien flagrant, ni durable. Aucune direction ne se dégage vers laquelle je me jetterais avec entrain.

La "panne de désirs" qui s'est installée il y a quelques années n'est pas vraiment remise en état de marche...


Pourtant le désir de vivre pleinement est fort. C'est lui qui m'a permis de reprendre le chemin. Après...



[Là, ce que vous ne voyez pas, c'est que mon écriture se bloque. J'hésite... Comment parler de mon existence sans faire référence à ce qui s'est passé depuis presque trois ans ?]



Mouais... en fait, ce bilan est en fait destiné à ma libérer d'un carcan. J'aimerais assez retrouver la liberté d'écrire. Je voudrais trouver une fluidité qui me permette de laisser couler les mots. Je voudrais ne plus me soucier du regard de quiconque.

Un bilan utile et efficace, en fait, c'est celui me permettrait de solder les comptes pour redémarrer sur quelque chose de neuf. Remettre les compteurs à zéro et "oublier" des épisodes fort désagréables de grande incompréhension. Non pas oublier comme si ça n'avait jamais existé, mais "passer l'éponge". En sortir assaini, sans rien renier, et faire avec ce qui a été.

C'est par inexpérience de la vie et des relations que j'ai vécu péniblement certains épisodes, me retrouvant face à mes propres limites. J'ai parfois eu bien des difficultés à faire le tri entre ce que je désirais vivre et ce dont j'étais capable. Je devais me surpasser et n'y parvenais pas toujours.

Naïvement j'écrivais mes difficultés relationnelles ici, espérant que, tout en m'en libérant, je pourrais être accompagné et "protégé" de ce qui pouvait me brusquer. C'est ainsi que je me suis laissé aller à de très mauvaises habitudes : parler ici de mes difficultés plutôt que de le faire directement. Or il fallait que j'affronte mes peurs tout seul, que je me confronte à mes propres limites. C'était la condition pour dépasser ce qui me bridait...

Ne tournons pas autour du pot : j'évoque clairement ce que j'ai vécu avec mon amie.

Ce mauvais manège à duré très longtemps et, bien que j'ai eu assez tôt conscience de ses effets délétères, je n'ai pas su m'en sortir autrement. Et puis je ne comprenais pas ce qui était en jeu. J'étais dépassé.

Mais... je ne veux pas porter indéfiniment le poids de mes erreurs passées ! Certes, elles ont été commises et j'en assume les conséquences. Finalement elles m'ont été utiles. Je m'en suis servi pour apprendre. Je n'agis plus ainsi.

J'ai envie de me pardonner ces erreurs. C'était un apprentissage de la vie et des relations. De ce qui se dit et ne se dit pas. Du respect dû à l'autre et à la relation.

J'ai appris à me taire à bon escient.

J'ai même appris du silence et de son utilité, quelquefois.

Bref : j'ai changé.



Trouvant un nouvel équilibre dans une vie en solo, je me suis autonomisé. Je ne vis plus les relations de la même façon. En la matière j'ai appris à discerner le besoin et le désir.

Je n'ai plus besoin de me sentir lié à quelqu'un... mais je peux le désirer (ou pas).

Désir... un mot qui n'avait guère de sens pour moi.

Un sens qui s'est révélé avec elle, libérant mes audaces.

Imaginez ce que c'est que de ne pas ressentir le désir ! Non parce qu'il me manquerait un organe sensoriel adéquat, mais parce que, enfant, j'ai eu la tête tellement farcie de principes, d'exigences de réflexion et d'anticipation, que mon désir de vivre, mon élan vital, étaient inhibés.

Encore aujourd'hui, lorsqu'on me demande quels sont mes désirs, si je n'y ai pas réfléchi je réponds fréquemment que « je ne sais pas ». Je suis souvent incapable de savoir ce que je préfère ! Je n'ai pas de spontanéité. Ou plutôt : je la refoule. Et il ne me suffit pas de savoir que j'agis ainsi (inconsciemment) pour que ça se libère d'un claquement de doigts.

C'est une lente conquête...

Celle de mon âme d'enfant.

Il me faut apprendre, ailleurs que dans le rêve, à laisser place à des désirs accessibles. Rendre possibles mes rêves, en adaptant sans cesse ce que je désire à la réalité du moment.

Mettre en phase désirs et réalité.
L'idéal et la réalité...



"Idéal et réalité", c'était le premier titre de mon journal. Sept ans après, j'y reviens. Si je devais renommer ce journal, maintenant, je l'appellerai "À la recherche du désir perdu", ou quelque chose comme ça.

Je ne sais pas trop comment ça se passe dans ma tête. Par quel mécanisme mes désirs sont inhibés, noyés dans des flots de pensées contradictoires. Ce qui est certain c'est que parfois mes désirs sont très nets, et me donnent alors des ailes et une énergie considérable.

En moi je connais mes désirs, en général. Je sais ce que j'ai envie de faire... tant que je ne pense pas trop à ce que je devrais faire [par rapport à quelles injonctions ?].

Tant que je ne pense pas aux autres et à leurs réactions je me sens libre de mes désirs.

C'est donc face à l'autre, réel ou imaginé, que s'enclenche un mécanisme qui peut brouiller mes désirs. En fait, c'est parce que je voudrais plaire tout en suivant mes désirs. Mais tant que le désir de plaire à l'autre est supérieur à mon désir de me faire plaisir (de me plaire...), je suis tiraillé entre des directions possiblement contraires.

Sauf lorsque le désir de l'autre rencontre mon désir...

Aaaaah, là...

La combinaison des désirs peut alors donner libre cours à quelque chose de fort, où je me sens enfin libre d'être vraiment moi-même. Libre de désirer et de l'exprimer. Et libre d'entrer en relation, en communication avec cet autre.

C'est évidemment ce qui s'est passe dans une rencontre: convergence de désirs correspondants ou complémentaires.

Jusqu'à ce que, pour diverses raisons, s'éveille la peur (inconsciente) de l'un de voir les désirs de l'autre s'atténuer... ce qui peut éveiller chez cet autre une peur d'être envahi par un excès de désir auquel il ne pourra répondre.

Or peur et désir sont antinomiques...

Quand le désir prend le dessus, la peur s'éloigne.
Si la peur prend le dessus, le désir s'efface. 

Voila pourquoi il ne faut pas avoir peur d'exprimer ses désirs !
Et pourquoi il est parfois préférable de taire à l'autre ses peurs...

Ma peur de voir le désir s'effacer a inexorablement sapé une conjonction des désirs.

Depuis que j'ai compris cela j'apprends lentement à capter mes désirs, et à les exprimer. J'apprends aussi, c'est indissociable, à entendre mes non-désirs et les formuler. Savoir dire non. Laisser l'autre se positionner en fonction de ce que je sais de moi. Cesser de chercher à me suradapter pour ne pas déplaire (c'est ma singularité qui peut plaire, pas le mimétisme).

Oser être moi-même. Ne plus avoir la crainte de n'être pas aimé, d'être rejeté, parce que je pense différemment de cet autre à qui j'aimerais plaire.

Accepter l'idée de me plaire d'abord à moi-même, sans crainte de perdre l'autre.
Sans renoncer à l'idée [angoissante ?] de plaire malgré tout...
N'avoir plus besoin de personne au point de sacrifier mon individualité.

Et pourtant rester capable d'aimer...

Rester désirant, exprimer mes désirs, mais sans craindre de les voir non partagés.


Et... hum... me rabacher en boucle tout ce baratin archi-connu, tout en le soumettant sans cesse à l'expérience réelle. Jusqu'à ce que je l'aie pleinement adopté...






Arpenter de nouveaux espaces




Mercredi 4 juillet


Mon amie S. me demandait récemmment, au téléphone, pourquoi je passais sous silence certains éléments de mon existence actuelle qui auraient tout-à-fait leur place ici. Bah oui... ce journal à beau avoir une tonalité intimiste, ça n'implique évidemment pas que je raconte tout ce que je vis, hein !

J'me garde mes petits secrets...

Hum... je crois que j'ai eu besoin de me recréér une intimité en ne racontant pas mon parcours dans le détail. Besoin d'agir "seul", sans l'annoncer à l'avance ici. Ni même au jour le jour. Seulement quelques bribes de confidences murmurées de-ci, de-là. Presque rien, pour que ça reste un truc rien qu'à moi !

[Tsss... gamin, va !]

Souvent j'avais déclaré ici mes intentions, sorte d'auto-encouragement mâtiné de méthode Coué, sans pouvoir m'y tenir vraiment. Ou alors en mettant beaaaauucoup de temps pour y parvenir. D'où l'impression de donner une image de lenteur, presque d'immobilisme, qui m'était désagréable. C'est pas parce que je suis lent que je dois encore m'apesantir là-dessus ! Je sais aussi agir par impulsion, suivre mon feeling, saisir les occasions qui se présentent. C'est ce que j'ai mis en pratique ces derniers temps. D'où quelques rencontres...

Mais chuuuuut...
Tout cela fait partie d'une réappropriation de mon identité/intimité.



Mon amie S., qui me connaît bien et sait jouer d'une amicale provocation, n'est pas toujours d'accord avec mes choix et orientations. En particulier lorsque nous parlons de relations amoureuses et de couple [un de mes sujets favoris, vous l'aurez compris...]. Nos discussions me permettent d'aller chercher un peu plus profondément les raisons de mes agissements. J'aime bien ça...

J'aime toujours ce qui me permet d'aller "plus loin".

C'est avec les autres que je vais au plus loin, pas vraiment dans le vase clos de ce journal, surveillé par une autocensure implacable... Ici je décortique souvent ce qui m'est apparu en d'autres circonstances, bien que l'écrit me réserve aussi quelques surprises jaillies du clavier, échappant à ladite censure.

D'une façon générale je me suis rendu compte que lorsque je parle en direct de ce que je vis, il y a un décalage avec ce que je raconte ici. Par écrit je suis généralement assez posé, à distance de l'affectif et des émotions, même lorsque je les évoque. Ça manque un peu de vie... Au contraire, dans le direct des conversations, au détour d'une phrase, je me surprends à ressentir des émois qui me conduisent à exprimer une autre vérité. Plus réelle, plus instinctuelle, en fait.

Alors je précise : je n'ai pas en permanence la sérénité que j'affiche ici [euh.. est-elle au moins perceptible ?]. Je sens parfois se poser sur mes sourires un voile lorsque j'évoque certains sujets encore sensibles. Par exemple mon acceptation de la distance prise par celles avec qui j'étais si proche, intime, il y a quelques années [ah ben oui, faut du temps pour que tout s'apaise...]. Pour retrouver la paix j'ai accepté leurs choix, de plus en plus entièrement. J'ai cessé de m'accrocher inutilement, à m'écorcher bêtement le coeur contre les murs qu'elles ont érigé pour leur propre paix. J'ai retrouvé une joie de vivre... mais il me reste néanmoins cette peine de les avoir vu se détourner de "nous". Je trouve vraiment dommage que ces complicités n'aient plus cours. Je trouve ça... triste. Bête.

[Oui, je sais que j'ai ma part là-dedans, bien sûr, et j'en assume les conséquences]

Bon, je relativise tout de suite : à la longue j'ai appris à le vivre plutôt bien en ayant mis mes affects en sourdine. Un pseudo-oubli fait son effet. Je me suis calfeutré le coeur, j'ai opté pour la distance affective afin de me protéger, et me suis ouvert à d'autres relations. J'ai aussi retrouvé une assurance en me préservant de divers coups de griffes qui, à la longue, me saignaient.

La méthode s'est révélée être assez efficace ! Il aura suffit que je ne cherche pas à dépasser le périmètre de sécurité qui s'est instauré, ni à m'approcher de ce qui pouvait réveiller ma sensibilité ou me blesser. Elles sont plus ou moins "loin" et je les ai laissées prendre cette distance qui leur convient. C'était le prix de la paix réciproque. Après de multiples douches froides je me suis bien gardé de tenter de nouvelles approches. Et puis finalement c'est une école d'humilité. Ça relativise l'importance du regard de l'autre sur moi, et ça m'apprend à me faire confiance, à croire en moi malgré tout. Le "rejet" (ressenti comme tel...) est particulièrement destructeur sur ce plan-là, mais, une fois admis qu'il ne s'agissait pas de ça, la reconstruction n'en est que plus solide. Encore une expérience positive ! Décidément, ça n'arrête pas... Quel chanceux je suis !



La mise à distance des émotions me permet de disserter aisément sur les relations amoureuses, et de continuer à y réfléchir [avant expérimentation], parce que je ne suis plus directement concerné. Je regarde ça comme un pays connu que je ne parcours plus [avec quelques pointes de nostalgie tout de même...]. Voyageur qui en est revenu et ne sachant pas s'il y retournera, ni quand, mais certain que ce sera d'une façon différente. Plus libre.

Je met à profit mon retour dans le calme de mes terres pour labourer consciencieusement mes convictions et arpenter de nouveaux espaces. Je défriche de nouvelles terres tandis que d'autres ont été mises en jachère. Je me découvre. Travaillant sur moi avec ce que j'ai rapporté comme expérience de vie, il en ressort chaque jour quelque chose de bon.

Finalement ce temps de latence m'est bénéfique.






Effraction intime




Lundi 9 juillet


Journées de l'autobiographie avec l'APA, à Ambérieu. Deux jours et demi passés avec des amateurs d'écrits personnels. Je ne chercherai pas faire un compte-rendu exhaustif de ces journées, me bornant à en restituer mes impressions. Il y a déjà bien assez à écrire...

Tout comme l'an dernier, à Lyon, j'en reviens avec une imprégnation forte, quoique le thème de cette année ("Nourritures") ait été à mes yeux moins propice que celui de l'an dernier ("Autoportraits"). Pour moi ce sera, par transversalité, le mot "intimité" qui aura été le fil conducteur de mes réflexions.



L'intimité a tout de suite été interpellée par le spectacle "Tentative intime", de Sabine Revillet. Il s'agissait d'une interprétation théatrale expérimentale d'après ses propres journaux intimes. Dès le début de la pièce le ton sera donné. Seule sur scène devant une bonne centaine de personne, tandis qu'une voix off lit des extraits de textes, l'actrice-narratrice glisse ses doigts dans la ceinture de sa jupe. Geste discret, qui pourrait être anodin, mais qui pourtant attire l'attention puisque sa peau blanche apparait entre les tissus noirs. Avec le même naturel elle remonte légèrement son chemisier, laissant apparaître un incongru nombril. Je n'entends plus vraiment le texte, absorbé par cette main non dénuée de sensualité qui s'attarde un peu sur la bande claire de cette peau située au dessus de la ceinture. De ses mains actives elle capte mon attention. Elle finit par prendre le devant du vêtement, induisant l'idée de ce qu'elle va finalement faire : d'un geste vif elle soulève son haut en dévoilant un soutien-gorge rouge aussitôt caché par le vétement déjà rabaissé. Elle regarde la salle bien en face, droit dans les yeux. Et puis elle recommence.

Effraction intime.

Cette femme a brusquement exposé son intimité en public. Geste exhibitionniste, montrant par surprise ce qui était caché. Elle impose son intimité et nous rend voyeurs malgré nous.

Je ressens un vague malaise. Je sens l'assistance troublée. Je ne serais pas surpris si quelqu'un se levait et quittait la salle...

Je m'inquiète aussi, dans un trouble ambigu, de l'éventuelle poursuite de ce dévoilement...

Mon malaise m'intéresse : qu'est-ce qui en en moi est touché ? En quoi l'intimité exposée de l'actrice, son impudeur, me dérange ? Très vite je fais le lien avec ma pratique de diariste en ligne, sans cesse confrontée à cette intimité étalée en public. Et déjà je comprends que la notion d'intimité ne dépend pas uniquement de soi, mais aussi du regard de l'autre. Ce n'est pas tant son intimité qu'elle montre, que mon intimité qu'elle atteint (ma représentation de ce qu'est l'intime). Son ventre, son soutien-gorge, touchent quelque chose en moi de l'ordre du sexuel. Les limites de l'intimité ne dépendent pas d'elle, qui assume son dévoilement, mais de la façon dont je le ressens.
Ces limites dépendent aussi de l'effet de surprise, du moment où l'intime est dévoilé, et de la façon dont s'opère le passage du privé au public. Car l'actrice va renouveller ce geste en allongeant la durée d'exposition aux regards, éteignant rapidement l'effet de surprise. Plus tard elle enlèvera carrément son chemisier noir, restant en soutien gorge rouge et cette intimité exposée perdra peu à peu son pouvoir "choquant". Le rouge sur la peau blanche deviendra presque aussi naturel que s'il s'agissait d'un haut de maillot de bain. Il y aura eu habituation à l'intimité... qui du coup n'en est plus vraiment une. Un peu comme dans le cas où la pièce, commençant dans cette tenue, aurait provoqué une surprise bien moindre.

Si je disserte longuement sur ce soutien-gorge rouge, c'est parce qu'il m'a semblé tout-à-fait éclairant sur ce qui se passe dans la pratique de l'écriture intime en ligne. L'impudeur n'est pas du côté de l'écrivant, mais de celui qui la ressent ainsi en lisant. La pudeur touchée est celle du lecteur. C'est à ce titre que l'intimité exposée peut choquer le lecteur qui découvre cela pour la première fois : il n'est pas accoutumé. Il peut ressentir une certaine violence à être mis au contact de l'intimité dévoilée par un inconnu. Le trouble généré est en quelque sorte subi... même s'il suffit généralement de tourner le regard. Car comme l'actrice qui, d'une certaine façon, annonçait son geste, le lecteur sait bien qu'il risque d'être confronté à l'intime de l'écrivant de soi. Et pourtant il continue à lire...

Tout cela me rappelle un essai de jean-Claude Kauffman, qui avait fait sensation dans les années 90 : "Corps de femmes, regards d'hommes", où il tentait d'analyser en quoi le regard et l'attitude changeaient selon ce qui était considéré comme "normal" ou pas dans l'exposition de l'intimité des corps, notamment avec la généralisation des seins nus sur les plages. J'aurais été intéressé de savoir si ce dévoilement avait suscité une gêne pour tous les spectateurs, si elle était d'intensité comparable, et si elle était de même nature selon qu'on soit homme ou femme...

Durant le spectacle, un autre moment fort à marqué, semble t-il, beaucoup de participants. L'actrice était montée dans le fond de la salle, dans le noir, et on n'entendait que sa voix lire des passages de son journal intime. Nous étions tous face à une scène vide, écoutant dans notre dos cette voix qui finit par se briser en pleurs à l'évocation d'un décès. Étrange sensation que de nous voir tous, immobiles, écoutant cette vérité intime qu'est la souffrance, dite par une actrice jouant son propre rôle en lisant ses textes authentiques. Où se situaient les limites entre théatre et résurgence des souvenirs ? Revivait-elle vraiment cette douleur ou en jouait-elle dans un registre émotionnel ? Était-ce une douleur intime exposée au public, ou la reproduction de cette douleur ? Là encore nous étions en quelque sorte "voyeurs" d'une intimité non-contenue.

J'ai beaucoup aimé cette interrogation à laquelle nous, spectateurs, avons été conviés sur ce qu'est l'intime, et en quoi cela nous touche. J'aurais aimé dire à l'actrice que je trouvais son spectacle agréablement dérangeant [j'aime être dérangé...], mais le nombre de spectateurs n'offrait pas une ambiance suffisamment... intime pour que j'ose m'exprimer publiquement. J'ai du reste été un peu frustré par le peu d'échange sur le sujet entre la salle et l'actrice.



(à suivre...)





Je ne me cache plus



Mardi 10 juillet


Durant les journées de l'autobiographie (voir texte d'hier), j'ai vécu un autre moment fort au sujet de l'intimité. Il me sera difficile de le restituer car il a consisté en une longue conversation centrée sur ce sujet, mais aussi ses corollaires : le dévoilement, la pudeur, le respect. La discussion aura été tout à fait éclairante par les assemblages d'idées qu'elle a permis et dont il pourrait bien y avoir des échos sur ces pages dans les jours à venir. Échange particulier à plus d'un titre puisque ayant lieu avec une des participantes des journées de l'an dernier, témoin du moment où mon anonymat était tombé au cours d'une présentation sur les écrits en ligne. Cette femme avait vu mon trouble et en avait gardé un vif souvenir. Elle me lit régulièrement et à pu constater le chemin parcouru : depuis ce dévoilement intempestif, j'ai choisi de participer "à visage découvert" à une table ronde afin de témoigner de ma pratique. Mais j'ai aussi mis ma photo sur mon blog, insuffisamment floue pour qu'on ne me reconnaisse pas. A l'évidence je me dirige vers un dévoilement de plus en plus poussé [non, je n'irai pas jusqu'à me mettre en photo tout nu !].

Troisième moment-clé de ces journées, dans la suite logique du dévoilement de l'intime et de la perte de l'anonymat : une "carte blanche" dont l'animation était laissée à ma convenance. J'avais choisi d'évoquer ce que m'avait apporté cette écriture en ligne, pratiquée depuis sept ans comme le savent mes fidèles lecteurs. Par hasard, dimanche était la date anniversaire du "vrai début" de ce journal, et à ce titre marqué d'un effet symbolique sur lequel je reviendrai dans les prochains jours.

Pour être honnête je n'avais préparé qu'un plan succinct de mon intervention, sachant que je serais "meilleur" [hum...] en me fiant à mon expérience et ma connaissance de la pratique que si je m'étais accroché à un suivi rigoureux. J'y suis allé sans appréhension particulière, ayant demandé quand même à ce qu'il y ait un maximum d'une quinzaine de participants.

Ma toute petite expérience de l'importance du cadre d'ambiance m'a fait opter pour une mise en place favorisant l'intimité : chaises mises en un cercle fermé, créant une sorte de "bulle". J'étais content d'avoir osé choisir cette formule...

Nous étions treize et ça me convenait parfaitement.

Je me suis lancé en commençant par la génèse de mon écriture, à l'adolescence, expliquant pourquoi je m'étais mis à écrire, à l'âge de 15 ans, et comment en j'en suis venu à écrire en ligne alors que ma plus grande crainte était auparavant qu'on lise mon journal papier.

J'ai parlé de mes réticences devant cette impression d'exhibitionnisme ressenti lors de la première découverte d'un journal en ligne (il s'agissait du récit d'ébats sexuels, forme d'intimité certes, mais pas dans le genre de ce qui m'intéressait alors...). J'ai évoqué mon renoncement à lire ce genre de choses, avant d'y revenir quelques mois plus tard en cherchant des journaux en ligne d'une autre teneur. Puis de ma découverte de véritables journaux intimes, ouverts sur l'intériorité et les questionnements des autres, absolument enrichissants et modifiant radicalement mon regard sur l'expression de soi en ligne. Enfin l'évidence me poussant à "rendre" ce que j'avais reçu comme un cadeau : mettre mes écrits en ligne pour d'autres qui pourraient ainsi trouver, comme moi, des réponses à leurs propres interrogations existentielles. D'ailleurs dès le début mon questionnement s'est orienté vers l'aspect relationnel des "relations virtuelles", tout en se développant vers les limites de l'intimité mise en public.

Bref... j'ai abordé en accéléré [une heure c'est trop court !]tout ce qui découle de mes sept ans d'écriture. Auto-analyse en continu qui a mené aux changements que j'ai décrits ici.



Cette carte blanche est la meilleure preuve de l'aisance que j'ai acquise dans la "vraie vie" grâce à l'expression de mon intimité par écrit. Du journal secret sur papier (soigneusement fermé dans un coffre avec avertissements de confidentialité) à cette exposition de mon parcours auto-analytique devant un public, il y a une sacrée marche. Je ne me cache plus. Je ne m'en rendais pas vraiment compte, et une fois de plus c'est le regard des autres qui me l'a permis.

Regard de l'autre : tout se situe évidemment là.

Je prends peu à peu conscience que ma démarche va vers l'émancipation de ce regard dans ce qu'il peut avoir d'enfermant. Plutôt que de le subir en lui donnant un sens menaçant, j'apprends à m'en servir dans un sens favorable. Le journal ne m'enferme pas, il m'ouvre.

A terme, le but ultime, c'est de me dire que je me fous du regard des autres...
Oser être moi, libre... des entraves que je me mets.

D'ailleurs, je sens bien que je suis tenté par une écriture bien plus instinctive, brute, libératrice, jaillie spontanément [oui, ce n'est évidemment pas le cas du ton pondéré que j'emploie à l'instant présent... contradictions, bien évidemment...]. Peut-être en un autre lieu, à ouvrir quelque part sur la toile ?

Regard des autres... intimité... pudeur... liberté... Les liaisons se dessinent.



En parallèle j'ai remarqué quelque chose durant ma présentation. Au départ nous étions donc treize. J'hésitais à fermer la porte de la salle, avec une envie de coller un papier marqué "Complet" pour que nous ne soyons pas dérangés, mais je ne l'ai pas fait. Quelques minutes après que j'aie commencé à raconter ma démarche, deux personnes sont entrées très discrètement. Mais j'ai senti qu'immédiatement j'étais perturbé par cette immixtion intempestive. J'en ai d'ailleurs fait part au cercle, exprimant en direct ce trouble intime. Plus tard d'autres personnes se sont jointes, renouvellant ce trouble à chaque fois. Il y avait irruption soudaine dans la "bulle d'intimité " qui avait été crée. Il m'était important que cette bulle se soit constituée progressivement. Or en venant en cours de discussions, parfois fort tardivement, il y avait cette fameuse "effraction intime" dont je parlais hier, mais dans le sens inverse : on entrait brutalement dans mon intimité, mais aussi dans celle du groupe (qui a finalement atteint la vingtaine de participants...). Toutefois, emporté dans mon élan, j'ai continué mon intervention sans trop de tracas.

Tout cela peut paraître évident, mais de le vivre m'en a fait prendre conscience de façon plus nette. Je sens mieux maintenant ce qui peut créer un trouble dans l'intimité et donc, par déduction, ce qui en favorise l'épanouissement. Je comprends mieux pourquoi je ressens ce trouble à chaque fois qu'un nouveau lectorat entre sans préparation dans le cercle de mes lecteurs habituels. Il en est ainsi lorsque je rencontre "pour de vrai" des gens dont je sais qu'ils iront me lire, ou lorsque je m'adresse à différentes sphères de lecteurs. Ceci dit, je gère avec de plus en plus d'aisance ce genre d'ouvertures. J'y gagne à chaque fois un détachement de ce "regard des autres", sur lequel je ne peux plus exercer de contrôle (l'idée de contrôle d'image est évidemment fortement corellée au souci de préservation de l'intimité).

Vous aurez cependant remarqué que je relate ces journées ici, et pas sur le blog... D'une part parce que c'est surtout ici que j'évoque l'intime, mais aussi parce que la "blogobulle" ne faisait pas partie (à quelques exceptions près) des auditeurs. Dans le cas de la table ronde à Paris leur présence plus massive m'avait poussé à en parler sur le blog.


Autre parallèle : En évoquant ma vie privée (mes désirs de communication, les effets sur mon couple, ma séparation, mes doutes existentiels), je ne me suis pas senti particulièrement exposé : je parlais de choses bien assumées (sans crainte du regard des autres, donc...). Mais j'espère n'avoir pas été trop intrusif pour l'auditoire. D'une certaine façon je faisais un peu comme l'actrice de la veille, rendant mon public "voyeur" de mes états d'âme passés (le passé, lorsqu'il est bien assumé, constitue une mise à distance...). A contrario l'intervention publique de certaines personnes m'a fait réaliser fugitivement qu'elles me lisaient depuis longtemps et en savaient beaucoup sur moi. Je n'ai pas laissé ces pensées prendre de place, chassant de ma tête cette réduction inopinée de la "distance" qui me permet d'aller aussi loin dans l'expression de mon intériorité. Et à l'instant où j'écris ces lignes, bien que revoyant certains visages, c'est sans effet sur ma sérénité...

Un des participants, avec qui j'avais longuement parlé la veille des possibilités du journal en ligne, semblait ne pas être d'accord avec mon souci de mesurer ma façon d'offrir mon intimité plutôt que de tendre vers une libération totale. Au stade où j'en suis, je crois que le dévoilement de soi n'est pas forcément une ouverture, ni un cadeau fait à l'autre. Dévoiler son intimité c'est aussi courir le risque de violer celle de l'autre. Tout le monde ne désire pas, ou n'est pas prêt à regarder "à l'intérieur" du psychisme ou des émotions de qui est en face. Il y a une question de respect de l'autre et de sa capacité à entendre, lire, ou voir ce que je montre de moi. Certes je peux me dire que c'est à chacun de gérer ses troubles, mais c'est aussi à moi de tenir compte de l'autre et de ne pas me décharger inconsidérément. Question de respect mutuel pour maintenir une harmonie relationnelle.

Autrefois je cherchais une "transparence" dans ma relation de couple. Ce besoin d'expression était envahissant pour Charlotte, mon épouse. Excessif. Elle ne pouvait répondre à ma demande ni en parole, ni en écoute. Plus tard ma recherche personnelle abondamment dévoilée, mes souffrances, mes espoirs, ont certainement été une forme de violence vis à vis de mon amie. En particulier avec ce journal. Je l'ai rendue "voyeuse" de ce que j'exhibais publiquement. C'était une erreur de ma part que je tente de corriger avec le temps... 

L'intimité n'a pas à être imposée. Je la vois plutôt comme un partage. J'allais dire un cadeau... mais un "cadeau" n'en est pas toujours un...






Ceci n'est pas un journal intime




Samedi 14 juillet


Ce que je vais écrire va paraître évident, mais les évidences sont parfois ce qu'on voit le moins.
Alors voila, contrairement à ce que j'ai toujours cru, ceci n'est pas un journal intime.

C'est un journal d'évolution. Ou de découverte de moi-même. Un journal de bord, un récit d'exploration. Certes, en explorant ce qui me constitue je parcours aussi des territoire intimes, mais ce n'est pas ce qui ferait à proprement parler de mes écrits un "journal intime". Il ne l'est pas par nature, seulement par conséquence.

« Itinéraire d'une ouverture à soi et vers autrui, aventure relationnelle vers la maturité », ai-je inscrit sur la page d'ouverture de ce site. J'aime bien cette idée de mouvement vers la découverte, de déplacement dans un paysage sans cesse renouvellé.

Sur mon Carnet [ne vous étonnez pas du chassé-croisé actuel entre journal et carnet, cela correspond à une redéfinition de leurs limites...], un commentaire au sujet de l'intimité m'a fait répondre ceci: « dans mon esprit il y a probablement confusion entre "intime" et "être soi". Probablement parce que je n'osais pas l'être, donc le cachais, le rendant ainsi "intime". Je vois le journal intime en ligne (quand il sert de révélateur de soi) comme un passage transitoire, qui dure le temps d'une évolution. Mais de toutes façon j'ai toujours gardé une part intime non dévoilée. Une trop grande transparence serait dangereuse, avec un moi ouvert aux quatre vents, sans cohésion. »

C'est pour cela que ce journal n'est pas intime : je ne dévoile que ce que je veux bien. Il n'est que partiellement intime, mais je garde le contrôle de ce que j'expose de moi. Toujours. Même si une part de mes écrits "m'échappe", en dernier ressort je choisis toujours de mettre, ou non, en ligne. L'autocensure veille. La mise en danger reste maîtrisée : recherchée parce que féconde en ressentis et fulgurances inopinées, mais sans aller jusqu'à la perte de cohésion du moi qui deviendrait déstructurante.

Tout au long de ce journal j'ai écrit une expression qui tient lieu de leitmotiv : « Je prends conscience de... ». Elle est significative du travail évolutif qui découle de l'analyse constante de mes pensées et ressentis. Je ne cesse de prendre conscience de ce que je suis, pense, ressens. Ce que j'étais, ce que je suis, et ce que je voudrais être. Devenir agissant plutôt que subir. C'était bien le but de ce journal ouvert sous le regard d'autrui, vous, révélateur de moi-même.

Avec les années j'ai appris à affirmer de façon plus nette ce que je pense. Je me suis débarassé de certaines gênes. Je me souviens de mes hésitations au début, lorsque j'abordais des sujets que j'osais à peine explorer. J'avais une prudence qui cédait maladroitement, par à-coups. Je me souviens en particulier de ce qui concernait les rapports de séduction. Oh la la, c'était hésitant, intimidé... Il m'en a fallu du temps pour accepter de parler de désirs !



Maintenant je... *prends conscience*... que ce dévoilement progressif de pensées que je considérais comme "intimes" n'était que cette part de moi que je n'osais pas affirmer et assumer. En fait ça n'avait rien d'intime, sauf pour moi... Le Désir, grande découverte de ces dernières années, en faisait partie. Et notamment mes désirs d'homme, c'est à dire mon désir de femmes. Ce tabou profondément intégré m'empêchait de laisser ce type de désirs monter au delà d'une sous-conscience plutôt chaste. C'était bien là... mais maintenu sous un couvercle tellement lourd que je le refoulais sans effort. La puissance de ce désir n'avait pas de voix.

Je mesure à quel point cela m'a coupé de ce qu'est la vie. Pendant des années. Finalement c'est probablement la chose la plus importante que j'aurais découverte avec ce journal et ses divers développements.

Ce que j'aimerais, maintenant, c'est apprendre à entendre d'autres désirs. Laisser jaillir une spontanéité qui reste encore bien trop sous contrôle.

Mais la peur de perdre le contrôle en étant spontané et la crainte du regard des autres, n'est-ce pas un peu la même chose ?

Hmmm ?







Inverser les rôles




Dimanche 15 juillet


Bon, allez, y'en a marre des questionnements sur les limites de l'intime, le rôle du journal, etc. Cessons ce verbiage et revenons dans le récit de l'itinéraire d'ouverture. Chapitre "Découvertes des différences"...




La meilleure façon de comprendre une attitude d'autrui, c'est d'inverser les rôles. En étant à la place de l'autre, son comportement devient beaucoup plus évident. Mieux : en voyant les choses dans l'autre sens... c'est comme si je pouvais m'observer moi-même face à cet autre en d'autres circonstances.

Par exemple en devenant prof, j'ai compris à la fois l'énergie que cela demande, et combien l'inertie mutique de certains élèves est pesante. Du coup j'ai eu une indulgence rétrospective pour mes anciens profs face à l'élève discret que j'étais...

Pareillement, en devenant père, j'ai pu mesurer combien le rôle parental présentait de risques de faire des erreurs...

Or il se trouve que, depuis quelques semaines, je me trouve dans une situation relationnelle qui me permet de comprendre bien des choses, tant sur mes comportements passés que sur ceux qui m'étaient incompréhensible chez autrui.

Comment ? Je ne vous en ai pas parlé ? Ah mais c'est que je ne vous raconte pas tout ! Je ne suis pas du genre à raconter ma vie intime devant tout le monde, moi !

Euh... enfin... pas tout le temps...

Figurez-vous donc que... hum... je suis allé à la pêche. Oh, c'était "juste pour voir". En fait c'est pas très compliqué : il est des lieux virtuels mythiques où tout un vivier de jeunes sardines, frêles anguilles, vieilles tanches et autres thons ne demandent qu'à être pêchées (ou plutôt repêchées...) par quelque mâle. Comme sur l'étal d'un poissonnier, elles s'affichent à leur avantage au regard concupiscent de ceux qui s'imaginent étalons... et font de même de leur côté. Il suffit donc de jeter ses lignes, se mettre bien en vue... et on se doute bien que ça va mordre tout seul si l'appât est adéquat...

J'ai juste appaté un peu avec des mots choisis, l'air de ne pas y toucher, mais je ne pensais pas que ça mordrait aussi vite sans autre geste de ma part. Ni que l'hameçon serait bouffé avec l'appât, ni que le fil serait dévoré aussi rapidement [syndrôme de l'homme aux mots sensibles... faut que je fasse gaffe]. C'est à se demander lequel des deux à pêché l'autre ! Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que Caroline s'est... éprise de moi [tadaaaam, le scoop !].



C'est un peu gênant parce que de mon côté les choses sont très claires : si ce qui se passe du côté du désir m'intéresse [l'expérience de l'abstinence n'a pas besoin d'être prolongée outre mesure...], en revanche il n'est pas question de revivre une relation amoureuse ! Niet ! Nada ! 

Du moins pas à l'heure actuelle [ne préjugeons pas de l'avenir...].

Échanges d'idées, rencontre de différences et découverte d'affinités, ouverture à divers partages, entraide dans les cheminement respectifs, ça d'accord, ça me convient parfaitement. Mais pas une once de sentiment amoureux de ma part. Naon ! J'en veux pas ! Refus catégorique ! J'ai d'autres choses à vivre et expérimenter auparavant et je veux me sentir libre.

Dès le départ j'ai signifié à Caroline mon refus d'investir les sentiments, et elle a accepté cela. Je lui ai aussi dit que j'aimais beaucoup échanger avec les femmes et que je ne m'interdisais aucun partage, si cela devait advenir, dans quelque dimension que ce soit [laissons libre cours aux fantasmes du mâle fraîchement ouvert au sens du désir...]. Elle a un peu tiqué... mais finalement accepté aussi [ouverture d'esprit appréciable !]. J'ai enfin marqué mes hautes exigences en matière de liberté, expliquant que je ne voulais me forcer à rien, et surtout ne pas me sentir engagé en quoi que ce soit. Plus je me sentirai libre de partir et plus j'aurai celle de rester. Elle a accepté.

Waow, mais elle acceptait tout ! Du coup, mes limites étant posées, je me suis senti suffisamment libre pour laisser s'installer [prudemment] le rapprochement désiré.

Je pouvais de nouveau explorer l'altérité dans un rapport de proximité, et apprendre. De fait, j'ai beaucoup appris...

Caroline m'a "donné" beaucoup d'elle même, dans des dimensions très sensibles et intimes. Sa confiance en moi a été touchante... mais presque inquiétante [ne se dévoile t-elle pas trop ? vais-je pouvoir répondre à sa demande implicite ? qu'attend-elle de moi ?]. C'était enrichissant, mais presque trop d'un coup. Je me suis contenté de recevoir ce déversement qui lui faisait du bien, mais sans "rendre" l'équivalent. C'est fou comme elle s'est dévoilée alors que je me contentais de l'écouter ! De mon côté je me suis très peu confié... parce que je n'avais plus besoin de parler de moi. Ou pas envie [garder une distance ?].

Je suis à la recherche de mon principe masculin [groumpf !], au contact de la part féminine dont elle est porteuse. Sans précipitation et avec beaucoup d'espace de liberté. Cette liberté m'est essentielle, et j'y veille. Je veux me contenter de vivre les choses simplement et, si besoin, les analyser au fur et à mesure. Mais sans stress.

Signe incontestable d'avancement personnel je remarque que je n'ai pas les craintes de Caroline, qui s'est déjà inquiétée de l'avenir de cette ébauche relationnelle. J'ai nettement senti chez elle une anticipation, un souhait de voir au plus loin... alors que mon attitude est inverse : je prends au jour le jour. Je ne m'engage à rien, ne promets rien, et revendique ma liberté autant que j'en use. Cela demande, pour elle, une bonne connaissance de soi face à cette incertitude.

Hum... voilà un intéressant contrepoint...

Certes tout cela peut aussi éveiller en moi des craintes diverses, mais elles ne me paralysent pas. Lorsque j'en prends conscience je les assume, les exprime éventuellement, et essaie de ne pas les laisser me dominer. Si j'ai peur, j'essaie de comprendre d'où ça vient... et je continue. Je crois qu'il est
bon de laisser place à l'expression des désirs, mais pas forcément de dire ses peurs. Le désir de l'un engendre le désir de l'autre, mais les peurs de l'un éveillent les peurs de l'autre. La spirale est dangereuse et je m'en méfie désormais. Tant que les risques ne portent pas à conséquence j'essaie. Et si je devais découvrir que je me suis trompé, et bien ce sera une excellente façon de faire mieux la fois suivante !

Le déséquilibre entre ce que me donne Caroline et ce que je donne a rapidement été flagrant. Elle a semblé l'ignorer un certain temps, continuant à l'entretenir dans des flots de mots et de confidences. Je ne pouvais que laisser faire tout en exprimant clairement ma différence. Maintenant elle semble mesurer que je ne la suivrai pas aussi loin, ni aussi vite qu'elle l'aurait désiré. De toutes façons... je ne changerai pas ma façon d'être, même si elle me le demandait.

C'est à prendre ou à laisser.

J'en serais presque à énoncer « il ne faut rien attendre de moi ». Plus on attend et moins je suis disposé à donner. Je ne m'oblige à rien...

C'est un peu raide, hein ?

J'ai eu quelques scrupules à laisser cette femme se laisser happer dans une dynamique sentimentale alors que je ne la suivrai pas. Mais j'ai été clair dès le départ, et n'ai guère de responsabilité dans ce qu'elle investit. Je sens bien que sa demande est forte... mais soit je me sauve, par crainte d'être envahi par son désir, soit je reste à une distance relative. C'est ce que je fais. Et elle s'y ajuste.



Euh... complet renversement de situation par rapport à ce que j'ai vécu antérieurement, non ? Du coup je comprends beaaaauucoup de choses de mon parcours en les vivant de l'autre coté...

Et je comprend maintenant ce qu'on peut ressentir devant quelqu'un qui a des besoins auxquels on sait ne pas pouvoir répondre. Je comprends l'inquiétude devant un "trop d'amour" qui se déverse. 

J'apprends donc à exprimer mes limites avant de me sentir envahi, sans pour autant être cassant (signe que j'aurais trop attendu avant de le dire). J'apprends à être "vrai", sans pour autant révéler plus que nécessaire. C'est très bon pour moi tout ça ! Utile apprentissage...

Et puis... c'est bon pour l'ego du mâle de se sentir puissamment désiré et convoité par une femme.







Pour mon bien




Mercredi 18 juillet


Je me doutais un peu que mon dernier texte pouvait susciter quelques réactions, d'où mon choix de ne pas en parler sur le blog. Pas envie de discussion sur ce genre de sujet en public. Je suis bien sûr ouvert aux échanges, mais je les préfère en privé...

Ce texte a suscité un certain malaise, que je peux comprendre vu les apparences et la sensibilité de ce dont il est question. Pour ceux qui connaissent un peu mon mode de fonctionnement et mes scrupules vous vous doutez bien que je me suis posé pas mal de questions en voyant s'engager cette relation apparemment inégale (mais tout dépend de ce qu'on met dans la balance). D'autant plus que j'ai très vite pris conscience de la reproduction, inversée, de ce dont j'avais souffert. Or justement : non seulement je sais tous les bénéfices que j'ai tiré de cette épreuve nécessaire... mais l'ayant vécue je suis tout à fait sensible et attentif à ce que peut ressentir Caroline.

Je ne crois pas au hasard pour ce genre de rapprochement. Si Caroline est venue vers moi en sachant quelle était ma position, clairement annoncée, c'est qu'elle avait quelque chose à "réparer" en elle. Du reste elle en est tout à fait consciente, m'en a parlé, et dispose du bagage nécessaire pour gérer cela. Autrement dit : c'est une grande fille.

Je comprends qu'on s'inquiète pour elle, mais c'est son chemin et elle a le courage de l'affronter. Ça fait partie de ce qui me plaît en elle...

On me dit « tu sembles te réjouir de cette sorte de petite vengeance du macho ». Il n'est pas question de vengeance, mais il est bien question du masculin. Cela fait partie d'un processus de reconquète de ma part masculine, qui m'est nécessaire. Ce faisant, est que j'utilise Caroline, comme me le dit une amie sensible à ce genre de situation.

Bien sûr que "j'utilise" Caroline... tout comme elle aussi "m'utilise" sur son propre parcours évolutif. C'est bien elle qui choisit de poursuivre en toute connaissance de cause : elle est consciente de ce qu'elle a choisi... tout en se demandant parfois pourquoi elle continue. De quel droit pourrais-je lui dire « écoute, je crois que pour ton bien il vaudrait mieux en rester là ». Ce n'est pas à moi de prendre un rôle protecteur à son égard. Chacun est responsable de ses choix, qui ont toujours un sens, même s'ils ne sont pas toujours perceptibles par la conscience. J'ai proposé à Caroline de ne pas aller plus loin et elle m'a dit, très justement, être assez grande pour savoir ce qui lui convenait.

On me dit aussi que lorsque les sentiments sont là on ne réagit plus de la même façon. C'est vrai. Les "choix" de Caroline sont déformés par ses sentiments (avec la peur de perdre ce que je lui apporte de bon), et donc pas aussi libres qu'elle le prétend. Là encore, serait-ce à moi de décider à sa place ? Je sais à quel point ce genre de décision imposée est une violence, qui en fait vise d'avantage à se préserver soi qu'à prendre soin de l'autre. Si je décide d'arrêter un jour ce sera parce que moi je ne supporterais plus la situation. Et le cas échéant je resterai disponible pour verbaliser tout cela autant que nécessaire.

Je chemine avec Caroline. Nous sommes tous les deux dans cette relation a égalité. Si l'un des deux se trouve en état de manque c'est à celui-là de voir pourquoi il le vit ainsi. C'est ce qu'elle fait...






C'est ma voie




Jeudi 19 juillet


Je suis plutôt content de moi : face aux mails qui ont -amicalement- désapprouvé mon attitude je suis resté relativement serein. J'ai ressenti un certain trouble, m'obligeant à me réinterroger sur mes choix, mais cela m'a permis de mieux les confirmer. J'apprécie cette incitation à revisiter les choses grâce au regard que les autres portent sur moi.

Autrefois, sur ce même journal, je me souviens avoir très fortement réagi après des courriels qui désapprouvaient mes avancées hésitantes vers des voies que d'aucuns réprouvent. Aujourd'hui, cette assurance tranquille à laquelle je suis parvenu semble confirmer ce que m'a dit récemment une lointaine amie qui suit avec attention mes écrits depuis très longtemps...

Incontestablement mon rapport aux autres a changé en quelques années, et ceci grâce aux relations par internet.



Mais poursuivons dans la veine des rapports affectifs...

Il y a quelques temps, alors que j'étais chez ma chère psy, je racontais les derniers développements de mes relations passées, présentes, et éventuellement futures. Expliquant ma poursuite d'un cheminement de découverte de la diversité du féminin [n'est-ce pas joliment dit...], j'ai déclaré très nettement : « de toutes façons, je ne veux plus être amoureux ». Elle a repris mes mots : « Vous ne voulez plus être amoureux ? »« Non je ne VEUX PLUS être amoureux » ai-je répété avec assurance, ajoutant lucidement... « du moins pour le moment ». Ben oui, rien n'est jamais certain pour l'avenir, et puis honnêtement ce serait plutôt triste de renoncer définitivement à aimer. Il n'empêche que ma conviction actuelle s'est solidement installée durant le temps des séparations. J'ai besoin de me reconstruire et redéfinir mon approche sentimentale, et pour cela il me faudra peut-être du temps.

Au fil de la séance je lui racontais un peu comment je vivais maintenant les deux séparation, comment je dépassais cela en laissant s'éloigner mes ex-compagnes de route aussi loin qu'elles en avaient besoin. Acceptation résignée, relativement sereine... mais probablement au prix d'une fermeture sentimentale. La méthode est assez efficace. Assez bêtement efficace : il me suffit de ne pas m'approcher et l'éloignement se fait tout seul. À la longue la voix du coeur se tait.

Je vois de moins en moins Charlotte. Pourtant nos rencontres se passent bien, mais je n'ai pas l'impression que ma présence soit particulièrement désirée. Je reste donc discret et à distance. À force d'avoir vu mes propositions repoussées je ne sollicite plus. Et puis Charlotte semble prendre un certain plaisir à me répéter qu'elle une vie trèèès occupée... Je la laisse dire. Elle suit son chemin et je le respecte, bien qu'il ne corresponde pas à ma façon de maintenir des liens.

Ce qui est certain c'est que je n'ai plus du tout "besoin" d'elle et c'est par simple plaisir affectif que j'aimerais que nos moments de rencontre soient un peu plus durables et amicaux.



J'ai aussi parlé à ma psy de ma façon de concevoir les relations, désormais, insistant sur mon désir de vivre les rencontres au jour le jour dans un esprit de grande liberté, sans vouloir former couple, sans m'engager à rien. Subitement elle m'a dit « voila trois fois que vous répétez que vous ne voulez plus être amoureux... ». J'ai été surpris de cette répétition dont je ne m'étais pas rendu compte. Et encore plus quand elle m'a demandé si ce refus ne me faisait pas penser à l'attitude de l'amie qui, jadis, m'avait séduit par son apparente liberté d'être...

Euh...

Ben merdalors !

J'en suis arrivé là ?

Ça m'a fait un choc, sur le moment...

Et puis j'y ai repensé, plus tard.

Oui, c'est vrai, au bout de sept ans de réflexion soutenue je me vois parvenu a l'apparente liberté relationnelle qui m'avait fasciné et irrésistiblement séduit. Vivre plusieurs relations plus ou moins intimes, et être partisan de l'attachement libre (ou libre attachement).

Ne me demandez pas pourquoi j'ai suivi cette voie, je ne le sais toujours pas ! Probablement parce qu'elle m'a semblé la plus ouverte au changement, aux rencontres, et donc à quelque chose qui me paraît éminemment porteur de vie...

En tout cas c'est ma voie, suivie intuitivement.







Renifler le parfum de la découverte




Vendredi 20 juillet


Le sujet que j'ai abordé ces derniers jours est sensible...

Je ne l'ignore pas, et avoue apprécier de titiller un peu l'éventuelle sensibilité de mon lectorat à ce propos. Non par plaisir sadique [hyerk hyerk hyerk...], mais parce que j'aime tout ce qui fait s'agiter un peu là où ça dérange. Si quelque chose dérange... c'est que ce n'est pas tout à fait clair en soi. Ne voyez donc mes écrits que comme une invitation à réinterroger vos convictions, éventuellement, si ça vous chante.

J'ai donc encore reçu, hier, un message ponctué de quelques phrases éloquentes sur ce qui a été "lu" dans mes écrits... mais qui ne correspond pas à ma pensée. Pour cette amie-lectrice la voie que je suis est celle « que prennent de nombreux hommes où les femmes ne sont plus qu'une bouchée de plaisir, sans attachement, sans brides ». Elle ajoute : « Personnellement je ne pourrais jamais prendre cette voix et m'offrir en friandise à un homme qui n'aurait que faire de moi. ». Là, je me dis que si elle me voit ainsi c'est que je n'ai pas du tout su faire passer le message...
Pour un peu elle m'achèverait avec cette sentence : « Beaucoup d'hommes sont ainsi et je suis un peu déçue que tout ce cheminement intérieur t'ai mené à ce que sont beaucoup d'hommes sans même y réfléchir un seul instant. »

Blom !

Je me garderai bien de juger tes propos, amie lectrice. Tu exprimes en fait beaucoup de choses sur ton rapport au sujet que je décris, qui manifestement te trouble.

Booooon... je crois donc que quelques explications s'imposent.



Je ne veux convaincre personne de ma bonne foi ni de la justesse de ma démarche, mais offrir une explication moins simpliste que les apparences lourdasses. En fait vous penserez bien ce que vous voudrez de moi, j'en ai déjà entendu pas mal à mon sujet lorsque j'ai aimé une autre femme que mon épouse... Certaines personnes se sont définitivement détournées de moi à ce moment-là tandis que d'autres, qui pourtant n'avaient pas la même vision des choses que la mienne, étaient suffisamment ouvertes pour que nous continuions à renforcer une amitié, ou du moins un respect mutuel. J'ai, vous vous en doutez, trouvée bien plus intéressante cette démarche... Mais elle venait aussi de personnes qui sont certainement assez au clair avec elles-mêmes.



Cette voie que je suis, ma voie, est celle de la découverte. Ne me dites pas qu'à votre âge, quel qu'il soit, vous auriez renoncé à la découverte de l'humain et des mystères de leur rencontre ! Moi ça me passionne et c'est devenu un des points centraux de mon existence. Pour l'heure ce qui me fascine ce sont les rapports homme-femme, tant dans l'approche (séduction), que la construction du "couple" ainsi formé (quels qu'en soient les élastiques internes et les contours mouvants), et surtout leur pérénnité (ou ce qui y met fin). De façon plus élargie, m'intéressent les rapports qui permettent "d'avancer" dans la connaissance de soi, c'est à dire ce qui confine à l'essentiel, à l'intime, aux valeurs personnelles, aux piliers fondateurs. Là où on touche à l'authentique, à l'émotion, à ce qui remue, permettant donc, pour peu qu'on le veuille, la prise de conscience de soi. Pour être déstabilisé, rien de mieux que l'inconnu. D'où mon attrait pour les relations approfondies au pluriel. Relations d'amitié, de complicité, de séduction, d'amour... peu importe, je suis ouvert à toutes les dimensions.

Mais attention, il ne faudrait pas se fier, là encore, aux apparences : j'ai beau aimer la découverte de la rencontre, je suis aussi quelqu'un de fidèle aux liens. Je ne suis donc pas dans la consommation (= je prends, j'utilise, je jette), mais plutôt dans l'exploration. Je recherche la différence, l'apprécie, m'en enrichis... et préfère garder que jeter. Maintenir les liens plutôt que les couper. Garder en mémoire plutôt que tourner la page. Évoluer ensemble. Je vais à la recherche de ce que je ne connais pas, dans un but de découverte de la diversité. L'exploration c'est tout l'inverse de la consommation. Ça demande du temps, de l'énergie, de la patience, de l'attention... et une recherche constante. Chaque découverte m'est précieuse. 

Récemment j'ai discuté très longuement avec une femme lors de notre première rencontre (oui, encore une autre !) et elle me demandait quelle était ma recherche existentielle. Je lui ai répondu que je ne savais pas ce que je recherchais, mais que c'était peut-être bien le but de ma recherche ! Je n'ai pas d'objectif précis, si ce n'est la découverte. J'avance le nez en l'air, reniflant d'où vient le parfum qui m'attirera, suivant une trace inconnue, traçant par là-même cette voie que je découvre au jour le jour.

La vie est pour moi un terrain de découvertes, et les découvertes humaines sont des rencontres. Pour le moment les rencontres qui m'attirent sont celles du féminin. Pourquoi ? Je n'en sais rien, et ça m'importe peu. Probablement parce que j'aime les femmes, parce qu'elles sont différentes de l'homme que je suis. Aussi parce que j'ai des désirs de rapprochement intime et que j'aime beaucoup le jeu de séduction. Parce qu'est venu le temps de ce genre de rencontres, avec la maturité et... avant la sénescence. Peut-être que plus tard j'irai à la rencontre d'hommes ? A la rencontre d'autres cultures... qu'en sais-je ? Mon chemin me menera où mes désirs me portent, où ma curiosité m'attire, ou l'inconnu se niche.



Donc, pour en revenir à ces messages critiques que je reçois... est-ce que je vois les femmes que je rencontre comme des "bouchées de plaisir" et des friandises dont je n'aurais que faire. Est-ce que tout mon cheminement m'a mené à devenir bêtement un homme macho consommateur de femmes ?

Que des gens qui me lisent depuis longtemps, connaissant mon parcours et mon intérêt pour l'humain sensible, puissent me percevoir ainsi me surprend. Qu'y a t'il dans vos têtes pour faire ce genre de projections sur moi ? Je vous propose de vous interroger à ce sujet [ben ouais, chacun son boulot, hein...] pendant que je le fais de mon côté.

Non je ne me sens pas comme vous semblez me perçevoir. Pas selon le sens que j'attribue à vos mots, dont je vous laisse la responsabilité d'emploi.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, je me sens pleinement sur un chemin d'ouverture, de vie, et d'amour. Donc de respect des femmes que j'approche. J'aime chacune des femmes que je rencontre et avec qui s'établit une affinité. Quelle qu'elle soit. J'aime... à la mesure de ce que je peux donner, qui dépend de ce qui me nourrit en l'autre. Parfois ces rencontres sont fortes, parfois elles ne prennent pas vraiment ou s'étiolent rapidement. Que puis-je donner si je ne suis pas vraiment touché ? Ma présence, mon écoute... Je crois être ouvert, disponible... si on sait capter mon attention. Je ne vais pas me forcer à donner quelque chose qui ne viendrait pas spontanément. J'ai besoin de différence, d'inattendu, d'inconnu, de ce qui va me remuer les tripes, me surprendre, me faire rire. Si la "rencontre" de deux âmes ne se fait pas vraiment il est évident que je n'irai pas dans une dimension sacrificielle. Je n'irai pas jusqu'à m'oublier dans le but de ne pas attrister la personne qui est en face. L'autre a toujours une valeur... mais c'est aussi à lui (elle) de faire briller son éclat singulier (c'est valable pour moi aussi, évidemment).

Je vois les rencontres humaines comme une chance d'avancer ensemble, de préférence joyeusement, aussi longtemps que ce sera bon pour les personnes en présence. C'est selon ce plaisir à être ensemble que je conçois ce que j'appelle attachement libre : je reste en relation avec toi librement, parce que cela m'apporte une satisfaction, parce que je partage avec toi ce plaisir d'un apport mutuel et réciproque.


(à suivre...)







Sur le fil de l'oxymore




Samedi 21 juillet


Soyons objectif : je ne reçois pas que des courriels de personnes qui me désapprouvent. Il y en a de bien plus accueillants envers ce que j'exprime.

« Je (...) suis bien heureuse que tu affirmes autant ton amour des femmes ! Tu sais, je crois que c'est bien rare (bien trop) les hommes qui aiment réellement les femmes...
(...) Tes écrits me font chaud au coeur. Comme d'hab ! Mais ça me rassure sur le genre masculin. Ca existe donc !!! »


« T'imaginer dans la peau d'un macho, alors ça ! c'est bien la dernière des choses que j'aurais pensé faire !! tu en es tellement à l'opposé que ç'en est presque grotesque de seulement énoncer cette possibilité. Quant à se venger, c'est encore moins imaginable, si possible ! »

Je précise, si besoin est, que ces messages viennent de femmes, qui ne sont donc pas toutes outrées par mes explorations. C'est juste histoire de relativiser en équilibrant les points de vue, quoi...



Mais bon, je cesse là cette autocongratulation qui met à mal ma fausse modestie et poursuis le sujet de l'attachement libre, ô combien passionnant, inépuisable... et diviseur. Je me permets d'en parler à la lumière de mon expérience, maintenant relativement diversifiée. D'abord celle d'ex-conjoint d'un amour au long cours : je sais ce que que peut coûter le renoncement à soi. Ensuite l'expérience d'une tentative mémorable durant laquelle je me suis pris les pieds dans le tapis de mes conditionnements inconscients. C'est parce que je me suis rétamé (avec 50% de participation active de ma comparse, quand même), puis que j'ai analysé très largement l'éventail des causes possibles de ce plantage (sans participation de ma comparse, cette fois), que je pense pouvoir m'exprimer avec quelques arguments imprégnés de vécu. Enfin, il m'aura fallu vivre la situation en inversé pour vraiment approfondir mon expérience. Depuis... je me vois parvenu à un état d'autonomie qui facilite les rencontres avec une aisance déconcertante [je ne raconte pas tout, hé hé...]. J'ai donc maintenant des arguments éprouvés, avec solide blindage à l'épreuve des éventuelles critiques. Dans la série "J'ai testé pour vous"... non, en fait j'ai testé pour moi. Tout cela n'a que valeur de témoignage personnel et ne constitue en rien une recette.



Attachement libre, vous l'aurez remarqué, est un oxymore. Donc un paradoxe. J'adore les paradoxes... c'est en leur juste milieu que se passent des tas de choses intéressantes. Là où ce n'est ni un côté, ni l'autre, mais un peu des deux à la fois. Un état instable, le fil d'un funambule.

L'attachement libre c'est quelque chose qui, en général, se vit très bien dans le registre de l'amitié. Ça peut se compliquer très nettement dans un lien amoureux, tellement chargé de représentations et d'attentes inconscientes autour de l'idée de couple... Ce qui pourrait paraître proche d'un idéal relationnel peut se révèler bien plus complexe à vivre dans la réalité que l'apparente simplicité de la théorie. Je suis bien placé pour le savoir...

Ceci dit, si l'attachement libre (libraimance) devait consister à préserver avant tout ma propre liberté, comme semblent le redouter certains, je crois que je n'aurais pas tout compris de ce qui se joue dans le partage relationnel. Parce que dans le terme d'attachement libre il n'y a pas que la notion de liberté... Le mot "attachement" implique qu'une attention est portée aux ressentis de l'autre, par simple désir de le sentir heureux (vachement important pour la dynamique relationnelle). Autrement dit, l'attachement est du registre de l'amour de l'autre, tandis que la liberté est de celui de l'amour de soi. Toute la difficulté consiste à maintenir l'équilibre sur le fil de l'oxymore.

Mais comment vivre l'attachement librement alors qu'on met en concurrence amour (au sens large) de l'autre et besoin de liberté personnelle ?

Je sais par expérience ce qu'être aimé "librement" peut entraîner pour qui n'y est pas suffisamment préparé. Lorsque le désir de présence de l'un ne concorde pas avec celui de l'autre. Ou encore quand, emporté par un amour (de quel amour s'agit-il ?) plus fort que son besoin de liberté, l'un souffre de l'absence de l'autre. Il se joue dans ce genre de situation des trucs inconscients vachement emberlificotés... Rhôlala, c'est compliqué tout ça...

Qui a dit que les relations humaines étaient simple ?

Peut venir un moment où on se rend compte qu'on ne partage pas la même conception de l'attachement libre. Problème...

C'est ce que j'ai vécu avec Charlotte, avec Nathalie, et maintenant avec Caroline. Chacune dans des relations très différentes, en tant que demandeur ou demandé. A chaque fois a dû prendre place une tentative d'ajustement réciproque, mettant les relations à l'épreuve. 

C'est là que les capacités évolutives des partenaires interviennent, mais aussi l'importance (priorité) que chacun donne à la relation. Si les deux s'arc-boutent sur leur position, la relation n'y résistera pas. Si l'un des deux plie au delà de ses possibilités, l'insatisfaction sur le long terme condamnera aussi la relation. La seule issue viable est donc le compromis, la négociation. Ça peut aller très loin tant que le désir de rester en lien demeure...

Tout le monde n'accepte pas ce genre de négociation. C'est compliqué, ça demande du temps, de l'énergie, de la remise en question...

La pacification est pourtant à ce prix. 

Sinon, il reste la solution radicale : la touche "eject"... Suivaaaaaaant !

Vous aurez compris que les relations jetables n'ont pas mes faveurs. Couper un lien, à mes yeux, signe l'échec [mais non, pas les chèques...]. Pas seulement celui de la relation, mais l'échec personnel de n'avoir pas su trouver un terrain d'entente. Ou du moins de n'avoir pas su évoluer vers une solution qui permette l'entente. Quoique... il est des situations inextricables où des mécanismes inconscient contrecarrent toute possibilité d'entente. Où l'échec est une "réussite" conforme aux attentes inconscientes. Conduites d'échec et autosabotage...



Oui, je sais, ma conception de l'évolution des liens est loin de recueillir l'unanimité des suffrages. Beaucoup considèrent que trancher libère... pour aller vers autre chose (quitte à répéter ad vitam aeternam le même processus). Relations successives. Chacun sa conception des choses...

L'attachement libre et durable (fidélité au lien), forme se rapprochant de mon "idéal" de l'amour, m'a demandé d'être bien au clair avec mes besoins et mes limites. Donc de faire un important travail sur moi [quatre ans de travail, quand même...]. Non seulement pour définir ma façon d'aimer, ce qui est essentiel, mais aussi pour avoir la capacité de m'ouvrir à la différence de l'autre. Avec tout ce que cette différence peut avoir de déstabilisant et demander comme remise en question. C'est là qu'à mes yeux l'amour de l'autre joue tout son rôle et différencie la libraimance de la consommation. Si je ne suis pas dans l'amour de mes partenaires, alors je ne chercherai pas à tendre vers la réalisation de leur désir, je ne l'entendrai pas. Je ne m'occuperai que du mien. Or je ne vois pas une relation comme l'addition de deux égos solitaires, mais solidaires et désirant conjuguer leurs différences multiples. Le désir de maintenir l'attachement, quitte à en distendre l'élasticité, est l'élément fondamental de la durabilité du lien. En même temps le lien n'a de valeur que s'il est sous-tendu par le désir d'être en relation. Les deux vont de pair. Garder le lien pour le plaisir de le garder n'aurait guère de sens. Ma fidélité au lien est avant tout une fidélité à l'autre, à moi, et à ce qui a été construit ensemble. C'est une fidélité à l'amour, au sens large. 

Par ailleurs l'attachement libre, qui joue fortement dans le registre des représentations de l'inconscient, s'il n'est porté que par un travail personnel qui ne serait pas confronté à la réalité de la rencontre risque fort de se révéler insuffisant. Autrement dit, l'attachement libre est loin d'être simple... dès lorsqu'il faut le conjuguer avec l'autre ! C'est une forme de relation amoureuse qui ne manque pas d'exigences. Que ceux qui y voient une solution de facilité, ou une fuite devant l'engagement, s'y essaient...

Mais je parle bien là d'attachement libre durable pas du zapping relationnel...
Il me semble que le zapping n'est pas du registre de l'amour partagé, mais dans celui du désir partagé. Donc de la consommation. Et pourquoi pas, d'ailleurs. Ça peut avoir ses attraits... du moment que c'est clairement énoncé afin que chacun soit bien dans le même registre.

C'est là qu'amour, amitié-amoureuse, amitié désirante, désir d'amour, état amoureux et autres variantes, peuvent présenter de grandes similitudes... tout en se situant dans des registres très différents au niveau de l'implication personnelle. D'où le risque de quiproquos aux conséquences potentiellement très douloureuses. Là encore je parle à la lumière de trois expériences bien différentes.

Bon, ça reste encore théorique tout ce que je raconte. En réalité les choses évoluent sans cesse et on ne sait pas forcément à l'avance vers quoi on va.

C'est là qu'entre en jeu l'indispensable communication. Face à une situation d'équilibre en évolution constante, le dialogue est la barre d'équilibre du funambule. Or parler franchement et librement de ses besoins, attente, désirs, limites, sans se leurrer soi-même, c'est pas toujours simple ! Écouter l'autre ne l'est pas davantage. Bien des peurs, conscientes ou inconscientes, faussent la communication, l'empêchent, la coupent. D'où l'importance, là encore, d'avoir la volonté de se remettre en question en permanence. Garder ouverte une part de doute, qui est l'essence de l'évolution, donc de la vie.

Mais j'aborde là un tout autre chapitre.







Mes amours




Dimanche 22 juillet


Il y a 27 ans j'avais mon premier rendez-vous avec Charlotte, fraîche jeune fille. Notre premier baiser. Le premier contact d'un corps féminin contre le mien. Chastes émois... Cela reste un des plus beaux jours de ma vie. Beau parce que "magique", concrétisation d'un rêve, résultante de mon audace à avoir exprimé mes désirs [tiens, tiens...].

Je ne fêterai pas cet anniversaire avec elle cette année. Elle ne m'en a pas parlé et je n'ai pas envie d'être insistant face à tout ce qu'elle a besoin de couper. Je m'abstiens donc de manifester ce qui en moi me porte encore vers elle. Je tais la plupart du temps cet amour devenu impossible à ses yeux. Dans le doute je m'abstiens aussi de signes d'amitié trop affectueux.

J'agis ainsi lorsque je me sens indésiré. Au début ça me demandait des efforts presque insurmontables en croyant "perdre" qui j'aimais (j'étais encore dans le besoin du regard aimant de l'autre). Et puis j'avoue que la blessure narcissique était sévère ! À la longue je suis heureux de laisser à qui j'aime cette liberté de se séparer de moi. De toutes façons lorsque le désir d'être ensemble n'est plus partagé, à quoi bon s'y accrocher tout seul ?

Peut-être suis-je bizarrement constitué, mais jusque là je n'ai pas su éteindre un amour. Tous mes amours sont restés vivants en moi, même si des décénnies se sont écoulées depuis le premier. Le temps n'a pas vraiment prise, si ce n'est que les années de silence étouffent les sentiments sous leurs sédiments. Le rejet, la violence des propos, ont aussi passablement terni certaines histoires [drôles de hasard des répétitions, d'ailleurs...]

Quand je pense aux amours qui se sont détournées de moi et avec qui je ne peux plus en parler librement... je ne comprends pas vraiment leur réaction [pour tout dire je trouve ça idiot...]. Mais je respecte leur besoin d'éloignement. Il se pourrait que j'aie une solidité intérieure plus grande que ce que je n'imaginais pour être capable de regarder en face la vérité du désir perdu et m'adapter en conséquence ? Réduire plutôt que couper, passer de l'amour à l'amitié... du moment que je sais à quoi m'en tenir.

Mais peut-être est-ce un handicap que de ne pas couper ces liens invisibles, parce que cela peut compliquer un peu la fluidité d'autres relations ultérieures. Ainsi, pour épargner la sensibilité de Charlotte, je m'efforcerai de ne pas m'afficher ostensiblement en compagnie d'une autre. Ou du moins j'agirai avec précaution et respect de sa sensibilité éventuelle. De la même manière se pose la question de raconter ici mon avenir sentimental [les habitués comprendront pourquoi...]. On me dit que ce désir d'épargner la sensibilité d'autrui peut-être une façon de ne pas vraiment couper les liens, comme si je voulais "garder une possibilité".

C'est à la fois vrai et faux. Avec Charlotte nous nous sommes séparés parce que j'avais envie de pouvoir rencontrer d'autres femmes sans limites. Tant que je ne changerai pas d'avis plus rien ne sera possible avec elle dans le registre aimant. Comme j'y ai longuement réfléchi, et que cette direction ne cesse de s'affirmer, il semble peu probable que je change d'avis un jour...
Pour autant j'aime toujours Charlotte et ce lien avec elle, devenu amitié dans les faits, m'est important. Est-ce par crainte de la solitude ? Non, je ne le crois pas. J'apprécie beaucoup ma vie en solitaire et les rencontres que cela me permet. Je ne parviens pas à me voir autrement qu'en ayant plusieurs relations d'amitié féminine, plus ou moins prolongées vers la séduction (pas forcément en même temps). Je crois que seul l'état amoureux pourrait me rendre de nouveau exclusif, pour cause de focalisation de mes désirs sur une seule personne. Mais comme je ne veux plus être amoureux...

En fait je crois que non seulement j'aime les femmes, mais en plus j'aime aimer. Je ne parle pas là de la séduction [que j'apprécie tout particulièrement], ni des sentiments amoureux, ni du désir [évidemment que j'aime désirer !], mais de l'amour de l'autre tel que je l'ai décrit ces derniers jours. Cet amour, qui est détachable des sentiments, est celui qui me fait être attentif et respectueux des personnes avec qui je me suis lié intimement [la souffrance amoureuse a pu me le faire "oublier", mais c'était des cas un peu particuliers]. Cet amour est celui que je ne peux pas couper lorsqu'une relation est "terminée". Ce n'est pas vraiment un choix (du moins je ne le sens pas comme tel), mais quelque chose qui me dépasse. Si j'aime... c'est pour la vie. Quand j'aime un jour c'est pour toujours, dit la chanson.

Est-ce pareil pour tout le monde ? Je ne sais pas...
Est-ce que ce sera toujours le cas ? J'en sais rien...

Je suis peut-être doté d'une constitution particulière, porteur du gêne de l'optimisme, mais quel que soit le climat dans lequel ait pu s'achever une relation j'ai tendance à ne conserver que les bons souvenirs. Non pas que j'oublie les mauvais... mais ils n'ont jamais dominé. Ils se placent en dessous des meilleurs, ce qui fait que je garde toujours une belle image de mes anciennes amours (j'y inclus les amitiés intimes). Un seule de ces amitiés a été suffisamment dangereuse pour que j'y mette fin de moi-même sans aucun désir d'y revenir.

Avec tout ce que j'ai entendu au sujet des séparations amoureuses, je me trouve chanceux de pouvoir ainsi garder une belle image, et des liens lorsque c'est désiré, avec mes anciennes amours (je finis par ne plus vraiment distinguer grand amour et amitié amoureuse).



Bon... j'ai écrit tout ça, mais en même temps c'est peut-être complètement foireux : est-ce que je sais si ça va durer ce genre de pensées ? Si ça se trouve les rencontres que je vais faire à compter de maintenant seront très différentes. Pas du tout investies de la même façon. Légères, ludiques, amour au jour le jour. Amour sans engagement...

Mouais... pourquoi pas ?

Que c'est long de se sortir de certains schémas de pensée !






Devenir vivant




Mardi 24 juillet


C'est incroyable ces scrupules que je peux avoir à agir selon mes désirs ! J'ai pas été programmé pour ça...

Mon programme c'était : bon garçon bien sage, respectueux des règles, fidèlement marié, réfléchi, moral, honnête, devant se dévouer pour les autres. Une belle éducation : bien catholique, bien propre, bien poli, bien gentil, avec la raie bien lissée sur le côté [j'exagère à peine].

Eeeeeeh bé, joli programme !

Étonnez-vous que ça ait donné un coincé frustré introverti, après ça !

Pffff, une castration mentale, oui ! Quel boulot pour m'en émanciper ! Pour "retrouver des couilles" si vous me passez l'expression.

Ça fait combien d'années que je travaille là dessus ? À peu près huit. Lorsque j'ai repris contact avec ma part virile refoulée. Quand, sur un tchat, j'ai eu mes premiers dialogues un peu orientés avec des femmes qui, elles, ne se privaient pas d'exprimer assez crûment leur désir de moi (ou de ce qu'elles fantasmaient de moi...). Je me souviens très bien de l'instant où, dans mon jardin, j'ai subitement réalisé qu'une autre femme que Charlotte ressentait un désir sexuel pour l'homme que j'étais et demandait que je l'assouvisse. Il m'aurait suffi de dire "oui" et je pouvais baiser avec une presque inconnue.

Bon... c'était trop hard pour moi ce genre de plan-cul. J'ai refusé l'offre poliment. Il n'empêche qu'à compter de ce jour je me suis dit que finalement ce n'était pas totalement hors du possible d'envisager de rencontrer d'autres femmes. Rigolez pas, je viens de loin ! Si je vous dis qu'à douze ans j'étais enfant de coeur dans l'église du village (et que j'étais fier de cette place de choix), vous pouvez mesurer l'étendue du conditionnement !

Bref, depuis que ces femmes m'ont fait sentir que j'avais bien quelque chose entre les jambes et que ça n'était pas forcément une carrière très enviable pour ce mâle appendice que de garder une libido d'honnête père de famille, un mouvement s'est enclenché. Mais n'allez pas croire qu'il suffise de vouloir pour pouvoir. Ah ben non, parce que dans le programme du mari bien sage il y avait aussi une sacrée sécurité intégrée : la culpabilité. Et le nombre de choses considérées comme "pas bien" est assez inimaginable. En gros, tout ce qui tourne autour du sexe et du désir, de la façon la plus étendue possible. Plus soft que les talibans, mais guère différent dans l'esprit.

Oh punaise ! Quelle éducation de merde !

Bon, en même temps il y a des bons côtés : faire attention aux autres , ne pas agir inconsidérement, de pas suivre n'importe quelle pulsion. Mais que de barrières ! Longtemps les seules "pulsions" que je m'autorisais étaient sentimentales. Et ce n'est que par ce chemin détourné à l'air innocent que j'ai pu mettre à jour des désirs... disons... plus adultes.

Alors voila, depuis huit ans je tâche de libérer tout ça en essayant de me mettre à l'écoute de mes désirs, ma spontanéité, mon être véritable. J'ose timidement m'affranchir des barrières morales. C'est pas facile parce que ça me rattrape toujours par là où je ne m'y attends pas. Mais j'ai un moteur : suivre mes désirs - au sens large - m'apporte bien-être, satisfaction, assurance, et une grande inspiration d'air nouveau. Je reprends contact avec ce que je ne savais pas que j'étais. Je trouve mon centre, mon équilibre, mon énergie de vie, mon élan vital. Et nom de dieu que c'est bon de trouver cela !

Et comment ai-je repris contact avec cette part instinctuelle, spontanée, vivante ? Avec des femmes ! Les femmes que je désire, les femmes avec qui je peux parler de mes désirs, celles qui m'aident à les faire émerger de la soutane qui les recouvre; qui parfois les nomment à ma place, m'ouvrant ainsi la voie. Ma voie...

Je les fais rire, ces femmes à qui je dévoile avec une gaucherie naïve mes désirs tout simples. Comme un petit garçon qui rosirait de ses minuscules folles audaces, qui se fait peur à oser énoncer ce que bien des adultes font depuis longtemps. Ces femmes qui n'ont pas peur de leur propres désirs sexuels, qui les connnaissent et les nomment. Et parfois attendent que j'exprime cette part masculine.

Je leur dois de devenir vivant, à ces femmes qui me rendent homme...







Oser la rencontre




Jeudi 26 juillet


Ce matin j'ai mis la musique très fort dans la maison vide. Dehors le temps était magnifique. Ciel bleu intense et herbe tendre, sans grosse chaleur. Mes pensées étaient un peu ailleurs, teintées d'une mélancolie que les mélodies entretenaient.

Je n'ai pas laissé ce climat prendre trop de place... Dans l'après-midi je me suis lancé dans quelque chose à faire, occuper mes pensées. Ne pas s'apesantir sur ce qui devient du passé. Reprendre le cours du quotidien.

Ça m'avait pris d'un coup, en revenant dans la maison silencieuse, devant la bouilloire froide de son thé du matin. J'ai senti l'absence. Une demi-heure plus tôt la fermeture des portes du train nous avait séparés. Elle est partie et je suis resté sur le quai. Dans la gare où nous nous sommes vus pour la première fois avant-hier.

Quelques jours passés ensemble à se découvrir, à se voir vivre. Entendre ce rire qui déjà m'avait séduit. Éviter de plonger trop intensément dans son regard vert. Observer, un peu subjugué, sa spontanéité et son aisance désinvolte. Franche, directe. J'aime beaucoup ça. J'aimerais l'être. Des heures à discuter. A dévoiler un peu de nos vies, à dessiner la carte de nos amours, évoquer leur importance dans nos cheminements respectifs. Beaucoup à découvrir de nos différences. Mystère du mode de pensée de l'autre. D'elle j'ai accepté ce qui, de la part d'autres, m'aurait agacé.

Il y a longtemps que je n'avais pas partagé autant avec une femme qui me plaît. Qui m'attire. Belles courbes à carresser du regard. Agréable décolleté. Joli grain de peau. C'était troublant, mais sans issue. La détermination de mon refus de tomber amoureux m'a finalement parue assez dérisoire. Il suffirait probablement de quelques conjonctions de désirs... dont j'aime autant qu'elles ne se produisent pas trop tôt.

Nous resterons dans le registre de l'amitié et c'est très bien ainsi.

Dans le partage j'ai compris plus loin sur l'amour, la séduction, l'amitié, le désir. Belle expérience de confrontation entre la réalité et les élaborations de la pensée. D'ores et déjà je sais que quelque chose a changé en moi. Le passé s'est éclairci, l'avenir n'en sera que plus précisément orienté.

Certaines rencontres valent vraiment la peine d'être osées... même si elles ne correspondent pas à ce qui avait pu être fugitivement espéré.







Victime par choix




Dimanche 29 juillet


Je crois que j'aimerais suivre une psychanalyse...

Ouais, carrément ! Pour comprendre comment je fonctionne. Pour reprendre un peu de pouvoir sur mon inconscient [qui n'en fait qu'à sa tête, le salopard...]. Pour mieux me connaître, devenir plus mature en sortant des conditionnements que j'ai adoptés dans l'enfance.

Oh... je dis ça, mais en même temps cette analyse je la fais en continu. Pas un jour ne passe sans que je ne découvre une part d'inconnu. C'en est fascinant. Un continent de mystères. Chaque rencontre de l'autre m'en révéle des éléments. Et davantage encore lorsqu'il s'agit de relations poussées, ou de celles qui touchent quelque chose de profond en moi. Ce n'est pas toujours agréable, parce que ça vient me chercher là où je ne serais pas allé spontanément, mais je ne refuse jamais cet engagement pour la découverte intérieure. Ouais, je suis un explorateur vachement intrépide qui ne recule devant aucun sacrifice !

En ce moment je (re)découvre, c'est à dire que j'appréhende plus en profondeur, ce qui peut me rendre amoureux (ou désirant ?). Quel type de femme me séduit, quels comportements, et pourquoi. Après quelques rencontres et relations, je commence à en avoir une certaine idée. En fait, une large part me semble prédéterminée. C'est comme s'il y avait un tableau de critères et que je n'avais que peu de marge de manoeuvre pour y échapper, les choses se jouant sur le coefficient de remplissage desdits critères. Il suffit que je rencontre une femme qui en additionne suffisamment pour que je sois attiré. Au delà d'un certain seuil ça devient irrésistible. Inversement d'autres critères seront rédhibitoires.

Je me sens programmé et cette prédétermination est assez déplaisante tant que je sais pas comment elle fonctionne. Je ne me sens pas libre, et surtout je ne connais pas mes chaînes. Je n'aime pas me savoir aussi largement sous la coupe de mon inconscient [ce salopard qui fait rien qu'à m'embêter]. D'autant plus qu'il ne me mène pas forcément vers ce qui me convient, mais vers ce qui lui convient [ouais, bon, vous me comprenez...]. C'est à dire ce "programme" intégré très tôt dans l'enfance, en grande partie selon le modèle du couple parental. Pour le meilleur et pour le pire... La seule solution que je vois pour mieux diriger mes choix est de connaître le plus précisément possible ces critères, et surtout ceux qui ne me conviennent pas. Inutile d'aller vers des impasses.

Par exemple je constate une assez détestable répétition : tomber d'autant plus amoureux-souffrant que je n'intéresse pas celle qui m'attire, ou rester aimant [c'est le cas de le dire...] de qui s'éloigne de moi. Ce genre de schéma, pathétiquement gluant, ne doit rien au hasard. Je sais très bien à quoi il fait référence dans mon histoire d'ex-petit garçon. Dans le même ordre d'idée je me vois fasciné par la femme hors de ma portée : libre, belle, drôle, sûre d'elle, pertinente, originale... mais juste ce qu'il faut de trop pour que je me sente pas à la hauteur. Une sorte de modèle inaccessible sans son accord. Sans son soutien accueillant. Donc "dépendant" de son bon vouloir à mon égard. Tssss... pitoyable, vous dis-je.
Je peux aussi me voir attiré par une femme mariée, ou habitant loin... Autant de situations inabordables en solitaire.

Bon, rien de surprenant, ayant perçu cela, que je ne veuille plus tomber amoureux tant que je n'ai pas repris un peu de pouvoir sur ces prédéterminismes voués à l'échec. Tant que je n'ai pas compris ce qui se jouait dans mes désirs et sentiments, ni dans le "plaisir" que je ressentais à rester dans la souffrance de la non-réciprocité, je préfère m'abstenir. Rien d'étonnant non plus que je sois très intéressé par ce que ressent à mon égard une amoureuse désirante comme Caroline, avec un important décalage dans notre investissement affectif. Schéma inversé dont j'essaie de tirer parti avec elle.

Ces bizarreries s'éclairent peu à peu dans le cabinet de ma psy. Pourtant certaines prises de conscience sont vertigineuses et je me demande comment je pourrais me reprogrammer pour demeurer dans des relations équilibrées, réciproquement épanouissantes et porteuses de vie. Comment détecter le moment où l'un des deux se met à déraper vers quelque chose de mortifère pour la relation. En analysant en détail comment s'était lentement et inéluctablement orientée vers sa fin ma dernière relation amoureuse, je sais précisément les moments-clé qui auraient pu me permettre de réagir autrement... si seulement j'en avais eu conscience à ce moment-là. Si seulement j'avais été en capacité de résister à ce qui allait progressivement me faire perdre ma consistance.

Constater l'emprise de l'inconscient m'indique des portes, que je peux choisir d'ignorer ou d'ouvrir, sachant que seule leur ouverture me permettra de sortir du labyrinthe.

Dernière (re)découverte en date, pas follement agréable : un fantasme victimaire. Mais je ne suis victime de personne puisque je suis libre de mes choix. Je suis responsable du statut de victime que je me choisis.

Mon amie S. m'interpellait récemment au sujet de "l'éducation de merde" que j'avais fustigée. Or, avec le même genre d'éducation, d'autres n'ont pas eu les mêmes blocages que ceux dont je me plains. J'aurais pu réagir tout autrement et m'émanciper bien plus tôt de ce qu'on essayait de me transmettre. Je n'étais pas obligé de tout gober. C'est bien moi, ou du moins mon inconscient [hé hé, vous voyez : je me place en victime de mon inconscient !], qui a trouvé une satisfaction à rester dans des modèles que je rejette.

Il en va de même pour tout ce qui a pu arriver dans mon existence : j'ai "choisi" le sens de mes réactions, et j'ai ainsi "choisi" le destin que je me donnais.

Syndrôme du sauveur maudit, inévitable abandon, autosabotage, refus de choisir, manque d'audace... À l'évidence tout ce que j'ai vécu ces dernières années et sur quoi je me lamentais dépendait de mon acceptation qu'il en soit ainsi. À moi de voir quels avantages que j'ai trouvé à ne pas pouvoir (vouloir ?) éviter l'échec et m'enfoncer dans une situation insatisfaisante. Et ensuite voir comment faire pour ne pas reproduire ce genre de choses...

Mais, peut-être était-ce un passage obligé ? L'ouverture vers une délivrance de mes conditionnements ? Je me sais plus libre depuis que j'ai appris de mes erreurs. Encore fallait-il que je les commette ! Et si'il n'y avait pas de hasard ?

C'est là que la psychanalyse me tente, parce que mon inconscient ne se laisse pas manoeuvrer sans y opposer toute la résistance dont il est capable [le salopard !]. Si je pouvais accélerer un peu le temps de compréhension...







Chien et chat




Mardi 31 juillet


L'idée d'avoir pu passer pour un amoureux gluant me turlupine. Je ne sais pas pourquoi je m'auto-dévalorise en me présentant sous ce jour qui, je l'avoue, me déplaît particulièrement. N'exagéré-je pas quelque peu, me focalisant sur une peur d'être perçu ainsi ? Hum... si je ressens le besoin de revenir là-dessus c'est que je ne suis pas comme je le décris. Ou pas à ce point. Non, franchement, y'a quelque chose qui ne colle pas ! Et puis si je me suis approché de ce comportement ce n'était pas sans fondement. Il y avait tout un tas de raisons qui m'y ont mené. Franchement, je suis quand même un grand garçon, capable de comprendre ce qui est m'est demandé... à condition que ce soit clairement et suffisamment verbalisé [j'aime beaucoup le concept de "suffisamment"].

Mon problème, c'est que j'avais un très fort besoin de savoir comment me situer. Et pour cela j'avais besoin de disposer de suffisamment d'éléments de compréhension. Ah ben oui, j'aime bien comprendre les choses [peut-être trop ?].

Comme dirait l'autre : "je comprends vite, mais il faut m'expliquer longtemps". Autant j'apprécie les flous, nuances, entre-deux, quand ils permettent de maintenir des ouvertures, autant je les redoute quand ils masquent quelque chose qui reste dans l'ambiguïté. Le non-dit (ou non-entendu), l'insuffisamment dit (pour être suffisamment compris), c'est la gangrène des relations. « Ce qui va sans dire va mieux en le disant », me déclarait récemment D. en éclaircissant ce qui restait ambigü avant notre rencontre, la semaine dernière.

En fait je suis persusadé que la mal-communication est symptômatique de peurs non exprimées, voire non-conscientisées. Peur de dire et peur d'entendre. Peur de demander clairement ce dont on a besoin (des explications, de l'espace, de l'air, du temps, etc...). Probablement par crainte que ce soit refusé.



Petit retour en arrière : il y a une quinzaine d'années je me suis comporté comme un "amoureux" acharné lorsque, ayant recontacté mon premier amour, celle-ci m'avait fermé la porte au nez. Plutôt accueillante et bavarde au premier contact, Laura s'était brutalement refermée la fois suivante, me privant du même coup d'explications. C'est cette privation qui avait engendré mon insistance imprévue, en surajoutant à un minimal besoin initial celui, impérieux, de comprendre un changement brutal. Besoin de quelques mots précis qui m'auraient délivré de je ne sais quel espoir enfoui. J'avais un besoin d'aide, tout simplement, mais que je n'ai pas su préciser. Cette délivrance ne me fût donc pas accordée, Laura n'ayant plus jamais répondu à mes demandes. Quelle était sa crainte ? Qu'avait-elle imaginé de ma part ? Où était le risque ? Je n'en saurai rien. En l'absence de ces explications il m'aura fallu quatre ans pour faire le deuil de mon besoin, et fermer ainsi le livre de ce qui restera un mystère. Mon besoin premier a été comblé, mais pas celui qui a découlé du refus.

Cette expérience est restée une grande leçon et, logiquement, n'aurait pas dû se reproduire. Et pourtant...

Lorsque, il y a quelques jours, D. m'a parlé d'un de ses amis qui ne comprenait pas qu'elle ne voulait pas d'une relation sentimentale avec lui, mais seulement d'amitié, j'ai fait le rapprochement avec ce dont j'ai eu tant de mal à sortir ces dernières années. Oui, moi aussi je me suis accroché à une amie qui ne voulait plus de mon amour... à la différence près qu'il y avait bien eu amour réciproque auparavant. Et amitié, et désirs communs, et mise en actes partagée. Nous avions été amis et amoureux... avant qu'elle ne décide, sans que je n'en comprenne les raisons et enjeux, de suspendre, puis arrêter cette relation. Et ça... ça m'a été intolérable. Cette privation subite a créé un enchaînement de questions sans réponses. Une frustration terrible en découlait, dépassant d'autant plus ma capacité de compréhension que le dialogue était interrompu. La confusion était totale et mon trouble intérieur à atteint son paroxysme.

Dans tout ça quelque chose n'était pas clair. Les explications ne collaient pas. Il me manquait des morceaux essentiels. Pour tenter de sortir de cette folie j'ai partiellement répété l'expérience détestable de l'amoureux acharné. Mais il s'agissait aussi de l'ami éconduit, en mal de compréhension...

Trois années surréalistes durant lesquelles je ne parvenais pas à appréhender, malgré ses quelques tentatives d'explication, ce qui était vraiment désiré par ma partenaire. Entre les chauds et froids, j'avais un besoin impératif de mots clairs et précis pour comprendre ce qui se passait, pour savoir comment me positionner, quels étaient ses besoins, à quoi renoncer et en quoi espérer. Il me fallait des repères stables pour m'orienter en conséquence. Tout le temps que je suis resté "accroché" à correspondu à une interminable ambiguïté conjuguant relation subitement déclarée *impossible*, tentatives d'amitié alternativement renouvellées et suspendues, et fins "définitives" à répétition.

Un calvaire d'incertitudes. Vraiment très pénible à vivre. J'aurais aussi pu dire merde et renoncer, mais il semble que ce n'est pas trop mon genre. Il me serait d'ailleurs utile de savoir pourquoi. De quoi ai-je peur en n'agissant pas ainsi ? J'en ai une vague idée mais ça m'écarterait trop de mon sujet...

La responsabilité m'incombe de n'avoir pas suffisamment précisé mes désirs et mes besoins. Ils ont peut-être paru bien plus importants qu'ils n'étaient réellement, donc un peu effrayants, inassouvissables. Pourtant je suis certain que je disposais des capacités de comprendre, d'accepter, de prendre du recul et faire les deuils nécessaires. D'ailleurs j'ai fait tout cela... mais infiniment lentement [ma patience me perdra...] parce qu'en solitaire. Tant que les mots ou les attitudes n'ont pas été suffisamment clairs à mes yeux j'ai gardé des espoirs. Je les adaptais à la place qui semblait rester possible, toujours plus réduite. Pourquoi ne voulais-je pas renoncer ni perdre espoir ? Vaste question aux réponses multiples...

Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même d'avoir laissé durer l'incertitude. J'aurais très bien pu demander les précisions que je redoutais d'entendre, ou trancher si c'était trop difficile. Je me suis tenu à la limite du supportable. J'avais à apprendre quelque chose de tout ça, et à travailler sur moi-même. À l'évidence, avec ce que j'en aurais compris, l'expérience peut m'apporter davantage qu'elle m'aura coûté.



Après des douches glaciales j'ai progressivement renoncé, abandonnant l'idée de maintenir l'essentiel de ce à quoi je tenais, cessant de chercher à inventer un compromis satisfaisant pour les deux. Ce faisant j'ai cessé de "m'accrocher". Je revendique volontiers ma persévérance, qui était à la hauteur de ce que j'avais investi dans cette relation. J'y tenais énormément. J'admets que le temps qu'a duré mon insistance a pu me rendre envahissant, gluant de bons sentiments dégoulinants de mièvrerie poisseuse [pouark !]. Oui, je l'aimais encore, et le montrais. Mais « trop d'amour peut provoquer du désamour... » m'a confié D. Encore a t-il fallu que je sois sûr de ce sens des choses avant d'abdiquer.

En l'absence d'échange chacun a pu élaborer une pensée déconnectée de la réalité de l'autre. Libre cours aux fantasmes de peur. Le lien s'est désagrégé dans le silence autant que dans l'insistance. Il a continué de se déliter dans des incompréhensions interrompues et croissantes. Dans ce déséquilibre en aggravation constante ce qui restait de la relation s'est transformé en un tout autre jeu. Celui de chien et chat. Il se joue bien à deux, mais selon des règles tout à fait différentes.

Y'a pas plus con qu'un chien fidèle...






Mois d'août 2007