Mai 2010

Dernière mise à jour:samedi 10 juillet 2010 - Accueil - Archives - Message






Envie d'envie



Lundi 3 mai


Comme une petite musique de fond, mes pensées suivent la partition que leur transmet mon inconscient. Des questions s'égrènent, vont et viennent, disparaissent et reviennent. Elles cherchent leur réponse, la lumière qui les éclairera. En se diffractant, d'autres énigmes en seront à leur tour éclaircies. Ce mouvement est devenu léger, fluide, souple comme un massage qui ne s'arrête jamais vraiment. Je me suis habitué à la mélopée persistante. Elle m'accompagne et peut-être me manquerait-elle si elle s'éteignait subitement.

Qu'est-ce qui fait que je préfère désormais la solitude sentimentale ? Est-ce que je ne me prive pas ainsi d'une part importante de la vie ? Est-ce que je ne me ferme pas à bien des découvertes ? Est-ce que je ne m'éloigne pas d'un essentiel ?

À chacune je trouve des fragments de réponses, sans jamais épuiser l'interrogation. Chaque avancée se heurte à quelque chose d'encore inexpliqué, à travailler encore, à décortiquer, à accepter.

Je sais bien pourquoi je suis seul. D'ailleurs ce n'est pas une question que je me pose. Les choses se sont faites ainsi. Je sais aussi pourquoi je reste seul. Je sais les avantages que je trouve dans cette situation et n'y vois guère d'inconvénients. Le seul qui me dérange un peu est l'absence de... hum... partage sexuel. Mais bon... l'abstinence n'a jamais empêché de vivre !

Mais les sentiments qui pétillent, non, ça ne me manque pas. Ce qu'on appelle "amour", et que je mettrais plutôt dans le champ du désir, ne me manque pas non plus. Je ne désire ni "aimer", amoureusement parlant, ni l'être. Je ne désire même pas désirer ! Enfin... je parle là du désir de rapprochement, pas du Désir comme élan de vie. Ce désir de vivre est bien présent. J'aime ma vie et l'orientation qu'elle suit. Des projets reviennent dans mon esprit, avec une envie de les réaliser. Une envie d'avancer, de vivre, de profiter pleinement de ce qui me fait envie. Oui, c'est ça : j'ai envie de vivre ce qui me fait envie !

Je n'ai jamais oublié la pulsion que j'ai ressentie lorsque l'appel de la vie m'a sollicité, il y a sept ans, me donnant l'audace de le suivre. C'est comme une promesse que je me suis faite à moi-même, à des moments-clé de mon parcours, plusieurs fois renouvellés : « oui, c'est ça la vie, ce que je vis maintenant ! C'est ça se sentir vivant ! ». Avoir envie de vivre deux siècles, comme le disait Alain Corneau ce jour où je l'écoutais parler de "l'élan vital" pendant une émission de radio. J'étais quelque part sur une route de l'ouest, de retour de vacances, et j'avais décidé quelques jours plus tôt de rencontrer celle par qui mon existence découvrait des dimensions insoupçonnées. Un mois plus tard nous étions dans les bras l'un de l'autre et, ébloui, j'avais l'impression de redécouvrir l'intensité de la vie. Les yeux grand ouverts je dépassais le stade irréversible qui ouvre la conscience. Le retour en arrière était désormais impossible : je savais. Et plus que savoir, j'avais ressenti. Vibré d'une onde inoubliable. Six mois plus tard, en transit dans un aéroport grand ouvert sur le monde pour aller de nouveau a sa rencontre, je ressentais avec une incroyable vitalité le souffle de la liberté. Inoubliable. Et puis chez elle, dans ce pays autre que le mien, cette sensation intense que je touchais-là l'essentiel de la vie.

Ces émotions issues de mon être profond, cette vibration intérieure, ont été des expériences intimes. Je ne crois pas les avoir vraiment partagées. Peut-être dépassaient-elles ma capacité à les mettre en mots ? Ou bien n'ai-je pas perçu une écoute, un attention, une pulsation intime à la hauteur de leur puissance ? Je les ai ressenties en vivant quelque chose de très puissant avec une altérité... mais peut-être déjà en solitaire. Peut-être était-ce là l'illusion dans laquelle je me suis égaré ? Je ne sais pas...

Cela fait partie des questions qui, à la longue, finissent par monter à la surface : étions-nous vraiment "ensemble" ? Jusqu'où nous sommes nous liés et à partir de quand une invisible barrière est-elle apparue, empêchant de nous rapprocher davantage ? Qu'est-ce qui, bien avant la fin, l'a rendue si rapidement possible ? Quels peurs intimes n'ont-elles pas été dépassées ?

Avec le temps j'ai perçu que les questions infinies autour d'un indicible ne m'empêchaient pas de poursuivre mon chemin. Simplement il fallait que je le redéfinisse. Que je renonce à celui en lequel j'avais cru pour en trouver un autre me permettant d'atteindre les objectifs mis en évidence : vivre, m'approcher de ce qui constitue mes aspirations les plus fortes, tendre vers mon équilibre intérieur.

C'est ce à quoi je m'emploie depuis que je suis allé au bout de ce qui m'était possible. Je n'ai pas tenté de me rapprocher davantage de l'inaccessible. Question de confiance...









Écosystème




Jeudi 13 mai


Il n'aura pas échappé à mon lectorat le plus fidèle qu'au fil du temps le rythme de mes interventions ici s'est considérablement espacé. De longues périodes de mutisme ont même émaillé le fil du récit, lui-même devenant plus évasif.

Cela indiquerait-il un moindre désir d'écrire ? En partie oui. Une moindre nécessité. Mais cette expression atténuée est surtout due à une retenue volontaire. Retenue sous-tendue par plusieurs raisons d'origines diverses mais conjuguées. Sans ordre hiérarchique j'ai envie de les préciser, afin de mieux comprendre ce qui se passe en moi autour de cette non-écriture, contraire à un désir d'expression plutôt spontané chez moi.

Je remarque, en écrivant ce mot, « spontané », que ma retenue va à l'encontre de ma démarche originelle : une libération pour aller vers davantage de spontanéité.

J'en suis venu à me retenir parce que je sentais que je touchais à quelque chose de "sacré", et que le simple fait d'y toucher était déjà le malmener. Le profaner, pourrais-je dire...

Ce sacré, c'est l'intimité. La confiance qui la rend possible, le respect qui la protège. Je veux parler là de l'intimité d'une histoire commune, voire de l'intimité d'une autre personne que moi. Mon intimité c'est moi qui en définis les contours, mais dès qu'elle s'allie à celle d'autrui je deviens détenteur d'une part d'intimité qui ne m'appartient pas. Il y a un partage d'intimité et je n'en suis pas le seul dépositaire.

J'ai abondamment relaté ici des faits qui faisaient partie d'une intimité de couple. Ce faisant, je suis allé au delà de ce que, consciemment, éthiquement, j'aurais voulu respecter le plus absolument. Sauf que j'ai été emporté par mes affects, perdant mes propres repères dans une décohésion de mon être. En quelque sorte j'ai "perdu le contrôle de moi-même". Non pas dans le sens souhaité (la spontanéité, la liberté d'être et d'oser), mais dans un sens indésirable et redouté (ne plus savoir me contenir). Pour diverses raisons évoquées dans les méandres de ce journal, et surtout parce que j'ai été dépassé par une expérience à très fortes résonnances personnelles, j'ai outrepassé des limites et me suis aventuré bien au delà de mon simple "moi".

La culpabilité que j'en ai ressenti, en partie justifiée (je commettais bien une "faute", selon mes valeurs personnelles), en partie inappropriée (je répondais par un simple réflexe de "survie psychique"), m'a souvent poussé à agir de façon très désordonnées, contradictoire, générant un profond trouble intérieur : je savais que j'agissais "mal" alors que je cherchais des façons de revenir vers quelque chose de "sain". Ce va et vient incessant entre diverses instances de ma pensées, entre différents états du moi, a abouti à une gesticulation désordonnée, préjudiciable. J'avais parfaitement conscience des dégats que j'occasionnais, mais ne trouvais pas d'autre solution que d'en passer par là pour me "sauver" et tenter de sauver ce à quoi je tenais. C'est un peu comme si, pris dans des rapides, j'avais le choix entre la noyade ou m'aggriper à "n'importre quoi" pour survivre. Même si ce "n'importe quoi" était contraire à mes valeurs personnelles ou détruisait ce qui m'était cher. Il a résulté de cette panique une culpabilité supplémentaire, ne serait-ce que celle de préférer me sauver que de protéger autrui...

Lorsque le tumulte des flots s'est apaisé, j'ai pu reprendre mes esprits, me calmer, et revenir vers un respect de ce qui avait tant de valeur à mes yeux. Sauf que les périodes de tranquillité ont parfois été de courte durée et que divers évènements, extérieurs à moi-même ou issus de mes profondeurs, réveillaient mes vieux démons ou m'entraînaient de nouveau vers des eaux bouillonnantes et incertaines. Ainsi, selon les périodes, j'oscillais entre le calme enfin retrouvé et la chute dans une cascade inmaîtrisable.

Il a fallu beaucoup de temps pour que je reprenne suffisamment de contrôle sur moi même et puisse me diriger de façon sensée, réfléchie, mesurée, adaptée. Et qu'enfin je retrouve ma capacité à respecter mes valeurs essentielles.

Le respect de l'être, valeur première à mes yeux, m'a donc conduit à... me taire. Quitte à ainsi faire violence à un autre aspect du respect : celui que je me dois. Me respecter, c'est me permettre de me dire, c'est accorder mon attention à des besoins qui s'expriment en moi par des jaillissements spontanés d'idées, de pensées, de sentiments, de ressentis. J'ai compris que ma vérité intérieure, gage de ma libération, ne pouvait qu'être favorisée dans son expression si je voulais "devenir ce que je suis".

D'un côté j'étais poussé à me taire, de l'autre à m'exprimer. C'est ce qui a fait qu'écrire ici est devenu une affaire extrêmement complexe.

Aujourd'hui ce lieu reste un espace d'expression utile, nécessaire, mais que je n'investis qu'avec une grande prudence. J'ai déjà évoqué les nausées qui avaient pu me saisir au moment de la mise en ligne de textes qui n'étaient pas totalement épurés de "ce que je ne veux pas dire". En même temps je sens bien que "quelque chose a à se dire". D'où ce louvoyage dans des eaux à peu près limpides en surface, mais que je ne veux pas agiter sous peine de les troubler de nouveau. J'ai l'impression de naviguer dans des marais peuplés d'esprits et de présences, qui m'observent et qu'il ne faudrait surtout pas déranger...

Cela dit ce parcours sous surveillance est propice à une réflexion approfondie, chacun de mes gestes étant évalué en fonction de conséquences envisageables. Ainsi je continue mon avancée avec une infinie précaution. Avancée toute en lenteur, mais au contact direct des sensations qui me parcourent. Progression lente laissant toute sa place à la réflexion, à l'observation.

De marin haté de s'élancer au large, se sentant un peu vite "le maître du monde", j'en suis venu à prendre une attitude nettement plus humble, m'adaptant à un environnement méconnu que je parcours avec le souci de n'en pas déranger l'ordonnancement. Je ne suis qu'un élément de cet écosystème relationnel humain, interagissant avec d'autres éléments que mon itinéraire n'a pas à perturber outre mesure.








Du courant d'air dans les toiles d'araignées




Samedi 15 mai


Je suis maintenant [et depuis pas mal de temps...] persuadé que mes ressentis relationnels et le récit que j'en fais ici se sont mutuellement nourris l'un de l'autre. La question n'est plus de savoir si l'existence de ce journal public a intérféré et interfére encore dans le récit que j'y développe, mais jusqu'à quel point cela agit. Il me paraît certain que je n'aurais pas accordé autant d'importance narrative à un épisode de ma vie, aussi déterminant soit-il, si ce journal n'avait pas été ouvert au regard d'autrui [et, plus encore, au regard de personnes impliquées]. Je n'aurais pas autant fait corps avec cette part de mon histoire si je n'avais pas pu la raconter selon un déroulement qui ne doit rien au hasard.

L'important ce ne sont pas les faits que je raconte, mais la façon dont je les raconte. Le sens que je leur donne, ou cherche à leur donner.

Je m'explique : me sachant lu j'ai conscience de disposer d'un canal de communication avec un autre multi-identitaire. L'écriture-lecture étant un lien distant, abstrait du réel, laisse donc à mon imaginaire tout loisir de construire des représentations diverses de cette altérité, en correspondance à ma fantasmatique [et inversement pour vous, lecteurs...]. Une petite partie de mon imaginaire est accessible à ma conscience mais une large part échappe totalement à cette analyse. Quant au votre, hé hé, je vous le laisse...

Lorsque j'écris, à chaque instant je peux choisir, plus ou moins consciemment, les mots, phrases, idées que je vais donner à lire. Je me sens maître de ce que je veux montrer, cacher, suggérer, induire, mais mon inconscient est le vrai maître de ces choix... qui m'échappent largement. Vis à vis de la plupart d'entre vous l'enjeu relationnel est peu significatif puisque nous ne nous connaissont pas, ou peu. Mais pour moi-même [qui suis mon premier lecteur] et pour des personnes auxquelles mon inconscient attribue un rôle, une fonction particulière, il se joue dans le dévoilement introspectif quelque chose qui n'est pas anodin. Et, bien évidemment, plus je charge un personnage-lecteur de mes projections, plus je peux être tenté d'interagir avec, si besoin. Largement à mon insu puisque, quoique je sente bien que "quelque chose cherche à se dire", j'ignore souvent dans quel sens et avec quel objectif j'agis. Ce n'est qu'avec le temps que je découvre progressivement où mon inconscient à voulu me conduire...

Vous n'y comprenez rien ? Attendez, je vous explique.

Mes mots s'écrivent ici au "je" mais il y a plusieurs narrateurs. Plusieurs états et représentations du moi qui peuvent être tentées de s'exprimer. Freud aurait peut-être dit qu'il y a moi, ça et surmoi, mais c'est certainement plus complexe du fait que j'extériorise ce conflit intrapsychique universel. Non seulement ces entités sont instables et instantanément changeantes, mais pour peu que j'imagine les réactions de lecteurs en leur attribuant des personnalités aussi diverses que les miennes, et c'est encore plus de possibilités qui se présentent.

Cela dit je ne m'en inquiête pas : peu ou prou, nous fonctionnons tous ainsi ! Moi aussi je me vois "imaginé" par les autres. Euh... ce n'est pas insignifiant puisque l'autre me sert à me définir et construire mon identité ! Chez un psy on parlerait de transfert et de contre-transfert. Ici cette interaction est *simplement* [hum...] multipliée par la diversité...

Généralement le contact réel nous permet de réajuster régulièrement les personnages imaginaires à la réalité des individus qui les incarnent. Vous savez comme moi combien on peut « se faire des films » tant qu'on n'a pas eu l'occasion de se réajuster. Bon... ça ne marche pas à tous les coups et parfois on reste malgré tout dans son cinéma intérieur. Et peut-être est-ce nécessaire ! Peut-être que cela a une fonction psychique, allez savoir...

Connaissant ma propension à imaginer la réalité... je cherche le réel. J'ai besoin de toucher du doigt le concret, m'y confronter. Là encore je réponds à un guidage inconscient. Peut-être pour mieux savoir où est l'imaginaire et dans quelle direction il peut se déployer ? Peut-être pour pouvoir rêver plus librement ? Peut-être pour vivre ceux de mes rêves qui sont réalisables ?

Or ici j'ai un gros problème pour toucher le réel. Ben oui, forcément : ce ne sont que des mots...

Ah la la, l'imaginaire et le réel, l'idéal et la réalité, j'y reviens toujours... Ici l'imaginaire prend beaucoup de place. Et c'est tant mieux, d'ailleurs : il fertilise ma pensée ! Mais étant à la recherche d'un "moi" je trouve surtout un "moi-écrivant"... qui n'est assurément pas le même. Le dialogue intime de soi à soi n'est pas le même quand il se fait devant autrui. Cela dit, puisque le moi n'a de sens que face à autrui, l'exercice de l'écriture de soi en public est loin d'être inutile ! Il me semble même très éclairant. Et d'autant plus quand on parvient à observer ce que cette expression ouverte met en jeu en soi. Quand le soi parvient à observer avec suffisamment de recul le soi-écrivant.

Ouhla, la mise en perspective devient vertigineuse !



Mais... comment dire... ici c'est encore un peu plus compliqué [oui, oui, c'est possible !]. Ouais, pas mal plus compliqué... parce que... figurez-vous que ce journal est... attendez, approchez... plus près... figurez-vous que ce journal est... HANTÉ ! Oui, parfaitement : hanté ! Un fantôme le hante.

HoouuoOOooouuUUUu [hullulements et bruits de chaînes dans les toiles d'araignées]

Un fantôme c'est pas vraiment concret, hein ? C'est invisible et ça n'existe que pour ceux qui y croient. On ne peut que sentir leur présence...

Et bien moi je sens sa présence ! Oh c'est pas une présence qui me fait peur, non. C'est simplement qu'elle est là. Quelque chose de son esprit demeure et vit encore. Et puis son regard passe là, ou peut y passer à l'improviste. Je n'en vois nulle trace mais... ouais, c'est ça : je la sens.

Serais-je un illuminé ? Arhhh, c'est ça le problème : pas possible de savoir ! Aucune certitude.

Mais le simple fait de sentir cette présence fait que j'en tiens compte. Donc, de fait, elle est là. Même si ce n'est que dans ma tête, elle est là. Je me sens... observé. Intuition ou délire ? Allez savoir...

En fait je m'en fiche un peu d'être observé ou pas. C'est pas ça qui importe. L'important, c'est ce que moi j'imagine de cette présence ! C'est la place que je lui donne, les rôles que je lui assigne, les représentations que j'ai de ce qui lui a donné corps. Ouais, tout ça se passe dans mon imaginaire [mes fantasmes, projections et autre représentations], et c'est là une des clé de l'énigme que je suis pour moi-même. Ce fantôme, en fait, j'en fais mon allié. Je l'utilise. Je me sers des différentes fonctions que je lui attribue pour observer ce que j'en ressens. Selon que je l'imagine bienveillant, sensible ou persécuteur, je vois comment je me sens, quelles émotions me traversent. Je me demande aussi ce qui fait que je le perçois ainsi, d'où ça me vient, ce qui stimule dans un sens ou dans l'autre mon imaginaire.

Mon inconscient tente de me faire communiquer avec cette présence absente, même si je me répète qu'elle ne répondra pas. Ce n'est pas son rôle... Alors je me tais. Plus ou moins. Pour des tas de raisons égoïstes ou altruistes, selon le moment. Je ne peux qu'imaginer des scénarios, des éventualités aboutissant à la fin de cette hantise. Selon que je m'en sente bien, ou en colère, triste ou réjoui, tout l'intérêt consiste à comprendre ce qui entraîne ces réactions. Je peux même être hilare en pensant à l'absurdité de la situation qui l'a faît naître et, plus encore, durer !

Sacré fantôme ! Sacrée histoire...

Ouais... cette présence est là. Pas que dans ce journal, bien sûr. Ici ce n'est que le lieu où je tente de donner un peu de réalité à une "communication" formellement proscrite. Formellement...

Hé hé, ça me fait rire... parce que le fantôme ne l'est pas tant que ça. Il a eu des regards bien réels sur mes lignes, parfois, ce fantôme, interagissant de fait. Mi-fantôme, mi personne réelle, quoi...

Je ne ne sais pas quelle est la fonction de cette présence spectrale, si ce n'est me faire "grandir". J'aurais très bien pu décider de m'y soustraire en "disparaissant" à mon tour, me couper du lien réel et "tourner la page", comme on dit. M'intéresser davantage aux vivants désireux de communiquer avec moi qu'a d'autres avec qui j'ai pu accepter, autrefois, d'aller vers une place d'objet. Oui, c'est probablement ce qui se travaille en moi en ce moment : la place que j'ai envie de m'accorder face à l'autre. Le droit d'être moi, tel que je me sens être. Pas tel que l'autre voudrait me voir... Et cela passe par la confiance que j'ai en moi, mon estime personnelle. Quoique elle se soit fortement solidifiée, y'a encore du boulot !

Alors non, je ne choisis pas cette forme de fuite qui consisterait à passer à autre chose que ce qui me dérange. Car c'est à moi de changer mon regard sur le monde relationnel. Je continue à me confronter à mes vieux démons. Et aux fantômes ! Enfin... au fantôme puisqu'il n'y en a qu'un qui joue vraiment un rôle. J'ai encore des comptes à régler avec cette présence-là. Observer la stature qu'elle conserve me sert à quelque chose. Ça fait travailler quelque chose en moi. Ne serait-ce que m'interroger sur la place que je lui accorde encore ! Désactiver ce qui n'a plus lieu d'être tout en conservant ce qui le mérite. 

Au delà, par similarité, je cherche à mieux comprendre comment interagissent les humains dans leurs rapports relationnels. Ainsi que, probablement, admettre que moi aussi je peux être imaginé, perçu comme autre que ce que je suis, et inconsciemment utilisé pour cela. Moi aussi être la correspondance fantasmatique d'un imaginaire insuffisamment partagé. Car être en relation sainement c'est avant tout librement partager...

C'est en cela que l'on se sent sujet agissant, et non pas objet agi. Le respect de l'altérité, seul, induit la confiance qui, réciproque, peut mener à la véritable rencontre.





Mots insensés




Dimanche 16 mai


L'automne dernier, après moult complications post-rupture, laborieusement étalées sur des années de flottement, j'ai accepté (décidé ?) de « laisser aller » l'étonnante amie-amoureuse avec qui j'avais vécu une Rencontre hors du commun. J'ai admis que je ne pouvais que céder devant sa demande et que ma persévérance était vaine, quelles que soient les raisons qui m'avaient poussé à agir en faveur d'une réconciliation. Celle-ci a cependant eu lieu, dans une version minimaliste, puisque nous nous sommes mis d'accord, pacifiquement [j'ai même ressenti un léger souffle de douceur], pour en rester là. J'ai décidé de ne plus rien tenter, quoi qu'il puisse m'en coûter de brider mes élans. J'y ai gagné en tranquillité d'esprit, allégé de la crainte d'être encore rejeté lorsque l'envie me prenait de communiquer. Mais en agissant ainsi je me suis aussi figé dans une sorte d'immobilisme agaçant.

En acceptant cette "fin" [les guillemets s'imposent, vu les détours et sinuosités de notre histoire commune...] je pense l'avoir libérée de la pression qu'elle pouvait ressentir de ma part. Débarassée de mon embarassante présence elle pouvait continuer sa route sans plus rien savoir de moi. Sauf à suivre volontairement ma trace, mais ça... ce n'est plus de mon ressort.

Cette possibilité n'est cependant pas neutre. De ma part elle correspond clairement à un désir de maintenir un lien, aussi ténu soit-il, conformément à ce que j'ai souhaité jusque-là.

Car en acceptant de la « laisser aller » je n'ai pas pour autant renié ce que j'étais, ni renoncé totalement à ce qui m'importait : j'ai continué, en solo assumé, à laisser émerger ce qui m'apparaissait. Après ces années d'une relation particulièrement contrastée, riche d'enseignements, beaucoup de choses ont à se dire. En moi d'abord, à qui veut l'entendre ensuite. Je ne m'exprime toutefois qu'avec prudence, discrètement ou hors-contexte, m'efforçant de n'évoquer publiquement que ce qui m'appartient en propre. J'ai recentré ma réflexion sur mes ressentis, mes impressions, mes émotions. Celle-ci est devenue beaucoup plus intérieure et n'apparait que sporadiquement dans mes écrits. Je crois qu'une façon d'être, de percevoir l'autre et d'interagir m'imprègne lentement. Le regard que je porte sur moi et mon rapport au monde a changé. Je crois être devenu beaucoup plus responsable, ou du moins conscient de ce qui est de ma responsabilité. Par voie de conséquence plus conscient aussi de ce qui est de la responsabilité de chacun dans ses choix existentiels, conscients ou inconscients. Cette aventure a eu le mérite de m'interroger abondamment sur la position de "victime"...

Même si je le voulais je crois qu'il me serait difficile de décrire le mouvement intérieur qui m'anime depuis mon renoncement forcé. Probablement parce qu'il est encore en action. Mouvement lent cette fois, loin de l'effervescence mentale et émotionnelle du temps de la rencontre, des grandes remises en questions et des confrontations. Maintenant que je suis seul... j'ai le temps ! Je ne suis plus tenaillé par l'urgence.

Il n'empêche que, souvent, j'ai envie de me mettre devant le clavier. Mais pour écrire quoi ? Difficile d'évoquer ce qui me concerne sans faire référence à... ce que j'appelle "l'indicible". Pas tant par souci de répondre à l'interdiction [?!] de le faire que par incapacité de relier clairement des idées. C'est comme si ce que j'explorais était trop vaste pour que j'en saisisse un bout. Et puis je crois que je me heurte rapidement à des mots insatisfaisants. Des mots trop connotés, trop lourds de sens, trop chargés de représentations. 

Peut-être parce que j'ai mesuré à quel point j'avais été, moi-même, emporté par des mots trop forts...

Lorsque j'analyse le déroulement de cette relation qui m'a ouvert à moi-même, je repère des moments-clé. Et je dirais même des mots-clé : ils ouvraient ou fermaient des pistes. Mais ce qui m'a le plus surpris c'est que ces mots m'ont parfois été donnés de l'extérieur, alors que moi je n'en utilisais pas. Avec le recul je me dis que ces termes, rendus nécessaires par le besoin de communication, m'ont parfois orienté vers des directions que je préférais alors laisser dans l'incertitude. Probablement parce que je sentais confusément que mettre des mots aurait restreint le champ des possibles. Le terme insensé (dénué de sens) le plus flagrant aura été le [pas de mot existant] que j'employais pour ne pas nommer ce que je ressentais d'une relation perçue comme "extraordinaire". Pour moi elle l'était. Je découvrais un mélange de sentiments, de désir, de connivence, et surtout d'une confiance que je n'imaginais pas possible. À mes yeux c'était l'alliage précieux de l'amour et de l'amitié, placé sous le double signe de la liberté et du réengagement permanent. Une chimère, peut-être...

Je me souviens avoir résisté à l'emploi de mots que je trouvais trop restrictifs, tels que "amitié" et "amour", mais j'ai fini par devoir nommer les choses, répondant à des besoins de précisions des personnes avec qui j'en parlais. C'est Charlotte qui, en me disant « tu l'aimes ? », m'a fait réaliser que ça pouvait se dire ainsi. Mais le dire ainsi, c'était enclencher tout un processus de réactions attachées au sens très fort de ce mot. C'est comme s'il y avait eu un besoin de classifier pour savoir comment répondre...

Il en a été de même pour l'emploi du terme "couple". Cette fois c'est moi qui me suis laissé emporter dans mes représentations, quand ma partenaire l'a employé pour caractériser notre relation. Je n'avais alors pas conscience de l'importance considérable qu'allaient prendre ces six lettres en rencontrant le sens que mon héritage psychique lui donnait. Dans mon esprit un couple était forcément durable, était forcément marqué par une volonté d'engagement en ce sens. À ce moment-là j'étais encore dans l'illusion de la solidité indestructible du couple que je formais avec Charlotte. Il était tout simplement impensable que cette relation de couple se termine... et pareillement pour le nouveau lien qui, en étant nommé ainsi, acquérait à mon insu ce statut d'éternité.

Je crois que ce simple mot est à l'origine de l'effondrement qui a eu lieu quand j'ai compris que je m'étais trompé. Intellectuellement je savais bien que des tas de couples se séparaient, mais en mon for intérieur ça ne pouvait pas arriver dans les relations de couple desquelles je faisais partie. Parce que j'y mettais la ferme volonté de faire ce qu'il fallait pour que ça dure.

Aujourd'hui encore j'en suis à "travailler" sur ce concept, que je remanie profondément en faisant appel aux multiples références qui ont constitué ma représentation fondatrice de ce mot de haute valeur. Il en va de même pour ce qui concerne "amour" et "aimer". Et tant que je ne serais pas suffisamment au clair avec ces mots, leur ayant enfilé un nouvel habit de sens, je crois que je ne pourrais pas vraiment m'approcher de ce qu'ils définissent.

Si ces mots n'ont plus de sens pour moi, alors je ne vois pas comment je pourrais vivre ce qu'ils (ne) représentent (pas).

Par contre je peux aller vers des termes qui leurs sont connexes : le désir, la séduction, l'amitié, la tendresse, l'intimité, la sexualité. Tout... du moment que je ne m'approche pas des mots "insensés". Ni couple, ni amour ! Celles qui, depuis, ont tenté de me "forcer" en ce sens auront pu voir avec quelle détermination j'y resistais. Jusqu'à la colère si je me sentais acculé...



* * *




À toi...


Après avoir écrit ce qui précède, mû par je ne sais quelle pulsion je suis allé farfouiller dans mes dossiers poussiéreux à la recherche de la correspondance que nous avons échangée quand nous n'étions encore qu'au stade de l'amitié teintée de séduction. Ces très longs dialogues écrits par lesquels nous décrivions nos façons de vivre l'amour, les relations affectivo-sentimentales, le désir, et surtout notre conscience du besoin de liberté. Je sais que c'est dans ces échanges que s'est scellée notre amitié bien spéciale, longue approche faite de confiance et de confidences, de dévoilement prudent et de respect de l'autre. Une richesse d'échange inégalée, une profondeur jamais connue avec qui que ce soit d'autre, et surtout... un humour qui, huit ans après, m'a encore fait rire.

Bon sang... tout cela me paraît encore si proche, tellement accessible...

Drôle d'impression que de relire les échanges chaleureux de ces anciens complices devenus, quelques années plus tard, froidement "étrangers" l'un à l'autre. Deux êtres profondément changés dans ce qu'ils ne partagent plus. Deux hypersensibles émotifs devenus incapables de s'ouvrir à l'autre simplement, directement.

Ce qui m'a sans doute le plus surpris est de ne pas me reconnaître ! La tonalité de mes écrits était aussi enjouée, lègère et profonde, que la tienne. Il y a avait une évidence, une simplicité bien loin de ce que j'écris maintenant, toujours sous la crainte diffuse de déclencher je ne sais quelle réaction explosive. Oui, il y avait une confiance évidente, entreprenante, et tout ça allait de l'avant joyeusement. Et tu étais heureuse.

Merde, que nous sommes devenus... tristes ! La façade ne fait pas illusion...

Mais qu'avons-nous fait de nous ?



Je sais que tu n'y crois plus, n'en veux plus. Je respecte ton choix, bien que le mien soit différent, mais quand j'y songe ça me met en colère de voir à quoi nous en sommes venus. Colère triste et rieuse à la fois, parce que ces moments-là étaient vraiment bons, joyeux et tellement vivants.


Merci à toi d'avoir pu vivre cela, infiniment.







Être imaginé




Mercredi 19 mai


Un mot aura suffi. Un seul mot me donnant la clé de l'énigme que je cherchais à comprendre depuis tant de temps...

Bon sang... mais c'est bien sûr ! [m'exclamè-je en frappant ma main avec mon poing].

Mais ça crevait les yeux ! Il suffisait de changer de perspective !

Le réel, l'imaginaire... le virtuel, les fantasmes... depuis le temps que je tourne autour de ça et je n'avais même pas pensé à changer de regard !



Attendez, je vous explique. Revenons quelques temps en arrière.

Depuis quelques semaines je m'interrogeais sur mon choix actuel d'une solitude affirmée. Peu à peu j'en étais arrivé à me rendre compte que ma vie présente était finalement bien assez remplie et que je ne ressentais ni absence, ni manque, et n'avais de toutes façons pas le temps pour ça. Une formule s'est imposée : « je n'ai pas la place d'avoir des relations ». Je parle bien entendu de relations affectives un tant soit peu investies, qui demandent temps et disponibilité. En laissant mes cogitations se poursuivre je me suis rendu compte que cette vie bien remplie, sans place vide... était aussi une façon de ne pas trop réfléchir à ce qui me préoccupe depuis tant de temps. C'est aussi là que j'ai pris conscience qu'une place importante était prise par ce fantôme dont j'ai récemment parlé. Et pour être plus exact, il s'agit autant du fantôme d'une relation (dans ma vie) que d'une personne (sur ce journal).

Bon... ne m'en veuillez pas si j'abrège et condense les réflexions qui m'ont mené là , mais tout cela était inabordable en mots ici auparavant. Parce que ça touchait à cette présence fantômatique à laquelle je ne voulais, précisément, pas laisser trop de place.

En gros, disons que mon choix de vie solitaire me semblait en contradiction avec une aspiration profonde à aller à la rencontre des autres. Et je pense en particulier à l'autre de sexe féminin. C'était quand même ma quête initiale ! Bref, ça m'interrogeait tout ça...

Je... hum... fuis les rencontres féminines dès qu'elles pourraient hypothétiquement aller plus loin que l'échange verbal purement amical. Surprenant, non ?

En y réfléchissant un peu plus j'ai compris que la relation fantôme, parce que son achèvement restait énigme non élucidée, gardait une place prépondérante dans ma vie, notamment relationnelle. Cette persistance agaçante paraissait inexplicable, si ce n'est absurde, alors que je travaille depuis des années à "comprendre" ce qui a pu se jouer dans cette aventure inénarrable.

Ouais, inénarrable. Indicible, innommable, inexprimable. Mais pas forcément dans le sens que j'imaginais.

Comme j'ai appris à me poser des questions sur le sens de ce qui m'arrive dans l'existence, je me suis demandé quels avantages indirects je trouvais à voir durer une situation présentant des aspects sclérosés fort désagréables. Qu'est-ce qui me maintenait dans cette recherche qui ne trouvait que des fragments de réponses ? Je sentais que "quelque chose avait à se dire"...

J'ai exploré mon inconscient, dans la mesure de ce qui peut m'être perceptible. Je tournais autour de l'imaginaire... de la fantasmatique et des représentations... Qu'est-ce que j'avais bien pu projeter dans cette relation ? Qu'avais-je transféré sur la partenaire avec qui j'avais vécu cela ? Jusqu'où cela avait-il été ancré dans le réel, à partir d'où, de quand, l'imaginaire m'en avait éloigné ?

Difficile de m'en ouvrir ici, le risque était trop grand d'être lu par la partie adverse. Car en l'occurence, dans la recherche des réponses nous étions bel et bien des adversaires : parole contre silence. Opposition radicale entre désir et refus de restaurer le lien. J'ai donc évité ce terrain d'expression de la façon la plus absolue qu'il m'était possible. Et je peux vous assurer que cela a été un combat contre moi-même. J'ai passé une énergie inouïe à résister à un besoin viscéral d'expression, de communication, de tentatives de dialogue. Résistance heureusement transformée en énergie de changement intérieur ! Et pour tout dire... je crois que cette lutte interne a pris une place considérable dans l'emploi du temps de mes pensées ! J'ai passé beaucoup, beaucoup, de temps à ne pas m'exprimer. Il y avait là quelque chose de contre-nature qui ne pouvait pas me laisser insensible. Je me suis beaucoup nié dans cette histoire (ses suites...) et c'était particulièrement insatisfaisant par rapport au chemin que je faisais [quoique les détours furent formateurs].

Pour simplifier, je pourrais dire qu'en luttant contre moi j'ai empêché mes élans spontanés. Sacrifiant ma liberté d'expression je me suis contrarié. Ou du moins... canalisé.

Pourquoi ? Hmmm, c'est une autre question. Un autre aspect de ma personnalité. J'ai, là aussi, trouvé des avantages en choisissant inconsciemment cette option. Disons que j'y trouvais une certaine force. Entre autre la satisfaction d'une abnégation. Pas forcément bien placée d'ailleurs. J'en attendais aussi une reconnaissance. Je répondais à mon besoin éthique de me sentir respecter l'autre. Mais, ce faisant, je me suis probablement un peu trop négligé. Bon, globalement tout ça a été assez compliqué à vivre, mais très instructif pour apprendre à mieux vivre !

Comme je l'ai déjà écrit, le stock de données à analyser est énorme et j'en ai pour des années à revenir à tout ce qui s'est joué dans cette affaire. Son souvenir diffusera pendant très longtemps tous les enseignements que je voudrais bien y trouver.



Alors... la clé de l'énigme, c'est quoi ?

Encore un peu de patience, j'y viens...

Depuis quelques temps un mot me venait en tête. Je le trouvais un peu... dérangeant. Peut-être injuste. Je le percevais comme le probable signe d'un rejet vers l'extérieur d'éléments que je ne voulais pas voir en moi. Ma conscience est impitoyable sur ce sujet : dès que je constate que je rejette une part de responsabilité sur l'extérieur ma vigilance est attirée et je me demande ce qu'ainsi je tente d'éviter de voir comme étant de ma propre responsabilité. Ça, c'est que j'ai appris de l'insupportable habit de victime que j'ai longtemps endossé. Je ne supporte plus les postures de victime !

Cela dit, si je suis bien responsable de mes ressentis, je ne suis pas pour autant responsable de tout ce qui m'arrive. Dans les interactions avec autrui chacun amène sa part. Pas toujours facile de discerner ce qui revient à l'un et à l'autre.

Donc ce mot qui m'est revenu en tête à plusieurs reprises est jouet. Je me suis senti avoir été le jouet d'une problématique personnelle qui me dépassait. Dans le jeu relationnel, chacun joue sa partition, reprise ou refusée par l'autre. Mais je n'avais jamais vraiment compris que cela signifiait que l'un pouvait être le jouet de l'autre [l'objet, en langage psy], et inversement, selon les enjeux psychologiques en action. En fait je le savais mais... ne l'appliquais pas forcément aux personnes avec qui je suis en relation.

Avoir été le jouet de l'autre, et donc ainsi "manipulé" ne m'exonère pas de ma part de responsabilité : j'ai accepté de l'être. J'aurais très bien pu refuser, me positionner différemment et m'affirmer. La relation n'en aurait été que plus saine et, qui sait, mener vers une toute autre évolution. Ce qui me renvoie une nouvelle fois vers la question : quel avantage inconscient ai-je trouvé à me laisser manoeuvrer ? C'est là que le problème de l'estime de soi prend toutes ses dimensions... Je manquais de confiance en moi, je cherchais cette assurance et croyais avoir rencontré quelqu'un qui allait m'aider à la consolider. Reconnaître que je m'étais trompé [par excès d'attentes], c'est aussi remettre en question mon discernement... donc ma confiance en moi.

Je ne développerai pas aujourd'hui ce chapitre, parce qu'à lui seul il explique, il me semble, tout le désastre qui allait advenir. Mais je m'empresse d'ajouter que ce désastre, en lui-même, à été une épreuve absolument nécessaire et que si je n'étais pas passé par la perte j'en serais probablement encore dans l'angoisse d'abandon qui conduit à la dépendance. Mais bon... je ne vais pas plus loin, il y a vraiment trop de choses à dire autour de ça.

Donc, pour en finir aujourd'hui, quelle clé ai-je découvert grâce à un seul mot ?

Oh elle est toute simple, évidente, et même pas inconnue. Par contre ce qui restait "inconnu" c'est... comment dire... l'élément probant. Celui qui allait servir de déclencheur. Celui qui fait basculer irréversiblement une construction mentale vers son anéantissement.

Imaginaire. Voila la clé. Personnage imaginaire. Non pas celui que moi j'ai construit sur une autre entité, identifié depuis longtemps, mais celui qui a été construit sur moi. L'être que je suis imaginé.

Oui, je sais, c'est évident : nous plaquons tous sur l'autre une image, une représentation et je suis donc, comme tout le monde, imaginé par les autres. Mais... disons que j'avais tellement trouvé de satisfaction à établir une relation de confiance que je n'imaginais pas que la personne à qui j'avais accordé ma confiance à un tel niveau avait pu... euh... ne pas en être à la hauteur. Dit autrement : j'avais mis à une telle hauteur mon idéal de confiance que cela aboutissait nécessairement à idéaliser les personnes à qui je l'accordais. Comme si cette confiance devait me prémunir de la désillusion du réel. Ouais... mon propre imaginaire est pour beaucoup dans le coup de réel que j'ai pris derrière les oreilles !

Ce dont j'ai pris conscience aujourd'hui avec une accuité changeant le cours des choses [je l'avais pressenti à de nombreuses reprises, mais sans "entendre" jusqu'au bout ce que ça signifiait], c'est que ma partenaire d'infortune m'a largement imaginé. M'a fait correspondre à ses fantasmes. M'a, autant que je l'ai fait à son égard, idéalisé. Dans un sens positif au départ, négatif ensuite. D'autant plus que l'échange s'est espacé.

Et tout cela explique beaaaaauuuuucoup de choses qui restaient incompréhensibles dans le domaine du rationnel. Il suffisait que je me place du point de vue de son imaginaire (sans avoir besoin de le connaître beaucoup) pour que s'éclaire d'une autre lumière quantités de zones obscures. Un peu comme la lumière ultraviolette fait voir autre chose que le spectre lumineux habituel.

Je crois que les quelques pages relues de nos échanges anciens m'ont remis en contact avec une réalité d'autrefois, d'une toute autre nature que celle d'aujourd'hui. La confiance qui s'offrait généreusement à l'origine indiquait bien la nature de cet imaginaire. S'en ouvrait, même. La relation était alors très largement "virtuelle", agissant dans la rencontre de nos imaginaires ouverts au partage. Puis le réel est venu, nous a rapprochés... avant de nous éloigner. Rattrapé par l'autre versant de l'imaginaire : celui de nos parts sombres, de nos peurs. Avec le rejet de l'altérité qui les révèle ! Et le repli sur soi protecteur...

Nous avons été incapables de rattraper les choses, envahis par nos projections, nos angoisses que nous n'avons cessé de rendre plus "réelles" dans un processus d'auto-confirmation : il se passait ce que nous redoutions le plus, dans nos phobies existentielles respectives.

Voila. C'est tout simple.

La part d'imaginaire a pris le pas sur le réel. Je suis un être imaginé. Pas étonnant que je me sois perdu à tenter de comprendre un monde qui, pour moitié, existe dans un autre système de pensée que le mien, quasiment inaccessible. Et sans communication les imaginaires se déconnectent du réel aussi sûrement que dérive un bateau sans ancre.

C'est un choix.


Quant au mot qui, venant après d'autres du même ordre, à déclenché ma prise de conscience... il est du registre de l'absolu et du définitif. Quand ces mots sont réellement ce qu'ils affirment et que se réalise concrètement ce qu'imaginairement il sont censés indiquer, alors il sont redoutablement efficace. Nets et tranchants, ils tuent sans pitié ce poison amer qu'est l'espoir, libérant alors la vie. Par contre il ne souffrent pas des demi-mesures et des volte-face. Leur pouvoir s'émousse dans la répétition. Il y a des mots à ne pas employer à la légère... ou bien accepter les conséquences qui découlent de cette fantaisie.

Quand des affirmations ne passent pas du déclaratif au réel... comment ne pas se perdre dans cette apparente double réalité ? Or il n'y a qu'un seul réel : ce qui se réalise. Les intentions ne sont pas les actes.

C'est ce qui fait toute la complexité, donc l'intérêt, des relations humaines. Et j'ai une grande tendresse pour les personnes faillibles dans leurs certitudes.






Écoute interne




Vendredi 21 mai


Quelques semaines de mauvais temps persistant et voila que j'ai disposé jour après jour d'un espace de temps dans lequel les pensées baillonnées ont pris place. Fatalement elle se sont installées et ont fini par déborder quelque part. Alors j'ai écrit, parce que c'est ce qui me vient le plus aisément. J'écris... et je me demande pourquoi je le publie. Le feuilleton de mes frasques psycho-relationnelles à rallonge présente t-il un intérêt majeur pour vous, chers lecteurs ? Et moi, qu'est-ce que je gagne à m'exposer ainsi ?

Sans doute y a t-il un besoin de réhabilitation à mes propres yeux...

Je me suis senti tellement... dévalué [en rajoutant moi-même quelques bonnes louches d'auto-dévaluation !] qu'il me faut sans doute tout ce temps, ces mots, cette énergie pour retrouver une assise suffisante. Oh, ce n'est pas que je me sente encore en position de faiblesse, non : c'est plutôt que mon niveau de conscience s'est élevé. Et mes exigences avec. Je n'ai pas voulu simplement revenir là où j'en étais [boaf...], mais profiter de ce que je reconstruisais pour faire mieux qu'avant. Je crois que j'y parviens sur bien des points, à l'exception notable d'un seul : mon rapport aux relations... euh... d'amitié [non, c'est pas ça...] de confiance [nan, pas ça non plus ] d'intimité... sentimentales... affectives... hum... disons "amoureuses" [?].

Ouais, là c'est bloqué.

Sans que ça me gêne vraiment, d'ailleurs. Mais ça m'interpelle quand même un peu. Et ça me ramène inéluctablement à l'origine de ce blocage. Donc à mes cogitations irrésolues.

Pfff... rien à faire, je bute toujours là-dessus !

Ma difficulté à me dépêtrer de mon histoire ne peut se comprendre qu'en admettant que le manque d'estime de moi [déficit d'assises narcissiques] joue un grand rôle. Ce déficit fait que je n'ai pas beaucoup de réserves d'auto-estime : ma capacité à stocker des appréciations positives est assez courte et, idéalement, j'aurais besoin d'apports réguliers. Inversement je suis rapidement sensible aux jugements négatifs. C'est donc dans le regard que l'autre porte sur moi que je trouve une ressource qui me constitue, me solidifie ou me fragilise. C'est dire ma vulnérabilité aux opinions d'autrui à mon égard...

Cela dit c'est bien moi qui accorde ce pouvoir à l'autre, fort variable selon les personnes cotoyées et le vécu partagé. Voila une piste de réflexion à explorer assidument !

Dans le passé, lorsque des regards qui avaient pu être très positifs se sont détournés de moi, me renvoyant brutalement à un sentiment d'insignifiance trop connu, il est arrivé que j'en sois déstabilisé jusqu'à mes racines. Le ressenti a pu être violemment douloureux, avec réactions en conséquence. Parfois cela a pu être verbalisé, partagé, discuté, entendu... et j'ai pu comprendre les motivations du changement de regard : ce n'était pas forcément moi qui en étais la cause, mais la relation. À partir de cette mise à plat j'ai pu faire un travail de deuil et accepter le nouvel état relationnel. C'est ce qui s'est passé avec Charlotte. Mais lorsque, pour diverses raisons, un tel échange n'a pas pu se dérouler dans des conditions de qualité suffisante, j'ai du me débrouiller seul avec la violence ressentie et procéder par hypothèses et déductions pour l'apaiser. Assez rapidement dans certains cas... beaucoup plus difficilement pour d'autres [ahem... je ne nomme personne...]. Dans le mal-être qui en résultait j'ai pu être tenté de retourner la violence ressentie : en rejetant, tranchant et posant des actes définitifs. Façons de me sauvegarder. Reflexe de projeter hors de soi un mal-être réactivé "par l'autre". Mais je sentais bien que me laisser aller à l'extériorisation aurait été pour moi solutions à court terme, globalement insatisfaisantes et en désaccord avec mes valeurs. Je n'y suis pas toujours parvenu...

Dans la situation qui m'agite encore, objet de mes écrits depuis quelques années, j'ai beaucoup "travaillé" sur mes blessures. Je me suis efforcé de résister à la tentation manichéenne du rejet en luttant entre différentes instances du moi. Le combat a pu être âpre...

Aussi, quand je parle d'avoir passé « une énergie inouïe à résister à un besoin viscéral d'expression », je n'oublie pas qu'en même temps cette friction interne a été créatrice. Ne serait-ce que de sérénité et d'apaisement profond. Car loin d'être dans la souffrance d'une réflexion continue et pénible, c'est sur la longueur et dans l'adoucissement que celle-ci s'est progressivement effectuée. Travail considérable, certes... mais étalé sur des années. En fait maintenant, la plupart du temps, je vis bien tout cela. Il n'y a qu'à certains moments que ça s'agite un peu plus dans mon bocal encéphalique, que ça se met en ébullition et que je me trouve de nouveau confronté à diverses limites de l'exprimable. Les vagues répétées de questions qui auparavant me maintenaient perpétuellement dans des tempêtes émotionnelles dignes des quarantièmes rugissants se sont muées en ondes apaisées. Ça ne vient plus que de temps en temps, de façon de plus en plus espacée et atténuée.

J'apprends à accepter que ma façon de faire, ma quête de dialogue, ne correspondent pas à toutes les personnalités. Que les valeurs qui me fondent ne sont pas nécessairement partagées. J'accepte de voir d'autres façons de vivre les relations. Et si je ne les comprend pas toutes, du moins ai-je intellectuellement accepté l'idée de cette pluralité.

Maintenant je peux comprendre le besoin de se protéger en fuyant une situation génératrice de souffrance, d'inquiétude, d'incertitude. Inversement certaines souffrances, inquiétudes et incertitudes peuvent trouver un apaisement, une résolution dans la confrontation. Et même dans le conflit, qui est une excellente façon d'affirmer sa différence. Donc de se positionner. Donc d'être à l'écoute de soi.

Je sais aussi que l'image négative dont est chargé l'autre peut être nécessaire pour ne pas amoindrir sa propre estime de soi. Ce faisant j'accepte d'avoir été imaginé comme "mauvais objet". L'image défavorable qui m'était renvoyée n'était pas la mienne (pas QUE la mienne), mais celle d'un imaginaire qui avait besoin de ce noircissement pour "se sauver". Ce décalage de perception est important pour distinguer le personnage que j'ai pu être imaginé et celui que je me sens être. Ça change radicalement les enjeux autour de l'estime de soi.








L'envie d'être en vie




Dimanche 23 mai


Le beau temps revenu devrait mettre rapidement un terme à la vague de cogitations de ces derniers jours. L'appel de l'extérieur est puissant ! Mais avant de clore cet épisode j'ai envie de consigner encore quelques idées venues après la libération par l'écriture. Je suis toujours étonné de voir ainsi apparaître quelque chose d'inattendu...

J'ai griffonné quelques notes dans le petit carnet qui m'accompagne, histoire de ne pas perdre l'essentiel de fugaces pensées. Quelques heures plus tard elles sont déjà moins claires et me demandent un effort pour les retranscrire au delà des quelques mots inscrits.

Ainsi, « Retenir mes élans vers autrui suscite mon ressentiment » signifie que j'en veux à la personne qui, en ne donnant pas suite à mes propositions, ou en les refusant, fait que j'en viens à brider mes envies, donc ma spontanéité. Ce constat m'offre plusieurs pistes de travail :
- mieux discerner ce que j'attends vraiment, afin de mieux doser ce que je "donne"... pour rester sans attentes qui me mettraient en difficulté.
- continuer à travailler sur ma confiance interne pour ne pas me sentir amoindri en cas de refus.
- accepter de voir l'autre réagir à sa façon, sans que je ne porte de jugement sur son bien fondé (qui correspond toujours à une question d'équilibre personnel)
- me souvenir que chacun est libre de ses réactions, ce qui sous-entend aussi qu'il en porte sa part de responsabilité
- "entendre" les demandes de l'autre, prendre en compte ses silences, fermetures, fuites, colères... n'implique pas que je m'y plie forcément si cela me conduit à nier quelque chose de très "vivant" en moi, et au delà de moi.

Bon... l'équilibre entre ces différents éléments n'est pas forcément simple à trouver...

Une seconde fulgurance a immédiatement découlé de la précédente : je constate ma « tendance à tester la solidité de décisions que je voudrais voir différentes ». En revenant à la charge avec mes élans, alourdis de craintes du rejet et encombrés du ressentiment des refus antérieurs, j'ai pu inconsciemment chercher à tester la solidité de refus que je percevais davantage décidés par principe que par conviction, pas forcément aussi déterminés que leur apparence. Je dirais maintenant que si je sens une faille... je m'y infiltre. Je crois aussi que les inconscients communiquent entre eux...

Si un besoin de coupure prend une tournure filandreuse... c'est que la main qui tient le couteau n'a pas vraiment envie de couper. Ma séparation d'avec Charlotte a été claire parce que ses objectifs l'étaient. Difficile, certes, mais sans ces retours en arrière qui rendent les choses plus compliquées.

En écrivant cela je fais bien sûr référence à une expérience vécue. Il m'a été pénible d'être présenté comme quelqu'un qui ne sait pas entendre ce qu'on lui dit. Qui s'accroche stupidement et ne veut pas lâcher devant les évidences...

Or je sais renoncer et disparaître. M'effacer en silence quand ce temps est venu. Et bien que je ne privilégie pas cette option, je sais rompre définitivement !


*



Une autre piste de réflexion m'est venue, qui n'a aucun rapport direct avec ce qui précède. J'ai repensé à ce mot que je cherchais pour mon dernier texte, en parlant de ma fermeture à certains types de relations. Puisque je ne suis pas parvenu à trouver le vocable correspondant à que je voulais faire passer, j'ai laissé, faute de mieux, le terme "amoureux". Mais non, ce n'était pas ça non plus : je ne suis absolument pas à l'abri d'un nouveau choc amoureux ! Ce n'est pas parce que j'évite ce qui pourrait y mener que j'en suis protégé. Ça frappe sans prévenir ces choses là...

Non, l'idée qui cherchait à se dire est la suivante : rien ne m'empêche de vivre des relations dans toutes la diversité des possibles. Amitié, séduction, confiance, connivence, désir, réflexion partagée, sensualité, intimité, intellectualité, sexualité, spiritualité et j'en passe. Par contre ce qui a peu de chances de ce (re)produire c'est de partager avec une seule et même personne un grand nombre de ces registres. Et c'est là que j'ai réalisé que c'est la simultanéité qui avait rendu "extraordinaire" la relation que je ne cesse d'évoquer en filigrane. Comme toutes les relations elle était "unique", mais elle était singulièrement unique, représentant une conjonction particulièrement rare d'éléments attractifs [quoique forcément incomplète...]. Et c'est ça qui cherchait à se dire ! [entre autres...]

Si j'ai été autant impressionné et bouleversé par cette relation difficilement descriptible, et plus encore par son achèvement, c'est parce qu'elle était « rare et précieuse », comme nous le clamions conjointement à l'époque de ses beaux jours. Et ce n'était pas une formule exaltée, "pour faire joli", mais bel et bien la perception juste d'une rencontre hors du commun. Le genre de chose qui peut arriver à beaucoup... mais rarement dans une vie [dans la mienne, en tout cas...]. Je n'ai cessé de le répéter tout au long de ces années... sans vraiment réaliser ce que cela signifiait : il y a peu de chances que je retrouve un jour une relation du même ordre. Peu ne signifie pas aucune, mais bon...

D'où ma difficulté à la considérer comme définitivement perdue. Cela dit, puisque cette rencontre est devenue, avec la plus ferme détermination de mon ex-coéquipière, vouée à ne jamais être réactivée d'aucune façon... elle restera expérience limitée. Circonscrite dans le temps comme dans ses possibles. Une forme d'idéalisation ?

Bizarrement, malgré ma persévérance à ce qu'il en soit autrement, j'ai fini par accepter cela ! J'ai l'impression que ça fait déjà longtemps, mais c'est peut-être récent. En tout cas c'est indatable. Je crois que c'est juste avant mon voyage en terre Québecoise, l'automne dernier, que s'est dit ce qui allait me mener à l'acceptation. Alors que ma partenaire d'autrefois, après avoir pris le temps de la réflexion, m'a expliqué pourquoi elle n'avait pas envie de me revoir [ce dont je lui suis gré], je l'ai à mon tour informée que, très clairement, ma propre envie n'existait que si la sienne était là ! Je m'étais rendu "libre" pour retrouver un possible mais ne désirais pas rencontrer quelqu'un qui ne l'aurait pas désiré aussi ! Autrement dit, je n'aurais aucune envie de la retrouver tant qu'elle n'en aurait pas envie ! Ce qui laisse, il me semble, toute liberté à chacun. À partir de là il m'a paru clair que toute expression de mon envie ne pouvait en aucun cas être perçue comme une forme de pression ou d'envahissement. Ma complexe ex-complice restait totalement libre de répondre, ou pas, à mes propositions. Et j'étais totalement libre de continuer à exprimer dans le vent mes envies, tant qu'elles existent...

Mais... en fait j'ai envie de quoi ?

C'est hier matin que ça m'est venu : j'ai envie de sentir son envie. Celle de renouer un dialogue. Ben oui, même si je sais [intellectuellement] que ce n'est pas réciproque, il n'empêche que j'aurais envie [viscéralement] de retrouver la part de ce qui, malgré toutes les déconvenues et difficultés annexes, me semblait éminemment riche de potentialités d'évolution individuelle conjointe. Je n'ai jamais démordu de cette intuition, venue du plus profond de mes tréfonds. Même si, à certains moments, j'étais tellement épuisé que j'étais prêt à renoncer [il s'en est fallu de très peu, parfois...]. Je n'ai jamais oublié combien ça avait pu être difficile quand on ne parvenait plus à trouver l'indispensable confiance [en soi et en l'autre] pour aller plus loin. Mais j'ai encore moins oublié combien il avait pu se dessiner quelque chose de puissant et prometteur entre nous.

C'est terminé ? Oui, dès lors que l'envie de poursuivre n'a plus été réciproque à un moment donné. Les timides tentatives de l'un ou de l'autre, depuis ce temps, n'ont pas réussi à "raccrocher" durablement les choses. Le domaine de la confiance a été profondément atteint, difficilement réparable du fait des protections qui se sont dressées. Mais j'ai envie de dire... « et alors ? ». En quoi cela pourrait-il amoindrir mon désir qu'il en soit autrement ? L'envie n'est pas un choix raisonné, contrairement à l'acceptation de la voir inassouvie. Je fais le constat d'une différence de perception, peut-être d'une différence dans la façon de vivre les relations, d'y "croire", mais peu importe. Cela n'enlève rien à ce qui a été vécu, m'a éclairé et ouvert l'esprit, le coeur, et fait prendre conscience de cette force qui m'anime. Ce vécu il est... acquis. Impossible de le supprimer. Oui, c'est un temps révolu, mais mes souvenirs constituent un éternel présent. Ils m'animent, participent de mon désir de vivre, nourissent mon imaginaire et contribuent à l'organisation de mes pulsions. Ces souvenirs sont une source d'énergie et un moteur d'avancement. Orientés vers l'avenir ils me donnent des objectifs pour le présent.

Alors non, je ne cherche pas à revenir en arrière. Ni à revivre la même chose. Et non, je ne retrouverai probablement pas une telle relation de totale complicité [qui n'a d'ailleurs pas duré très longtemps sous sa forme idéale...]. Parce que j'y ai laissé ma candeur. Maintenant je sais la fragilité de ce qui relie les êtres. Je sais l'alchimie délicate des rencontres, les équilibres subtils, l'impalpabilité du désir. Des balises resteront dans mes pensées, et cette expérience comme une sorte d'idéal vécu. Éphémère, visiblement...

La relation est "éteinte" mais encore bien vivante en moi, pour longtemps, probablement. Non seulement je ne cherche pas à revivre quelque chose de semblable... mais en plus je ne crois pas que ce soit possible ! En même temps... je n'imaginais pas non plus vivre un jour cela. Alors...

Alors il faudra peut-être que j'envisage un jour de retirer certains éléments trop protecteurs de mon affectif sensible, si je veux me rouvrir à la possibilité de rencontres entières [mais en ai-je envie ?]. Pour aller au delà des échanges fragmentés et nettement délimités hors du risque amoureux. Accepter que, quoi qu'il puisse advenir, ce sera de toutes façons incomparable avec ce que j'ai vécu, parce que différent [je crains de ressentir la fadeur...]. Je peux peut-être m'orienter vers autre chose, à explorer, à découvrir...

Reprendre contact avec une certaine intensité.

Car j'ai peut-être simplement envie... d'être en vie.




Mois de juin 2010