Juillet 2014

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  La nébuleuse du secret





Samedi 5 juillet 2014
[Mis en ligne le 12 juillet]

Mes premières années d'écriture en ligne ont consisté en une exploration de l'exprimable en public : jusqu'où pouvais-je me dire sous le regard d'autrui ? Finalement je me suis rendu compte que je pouvais aller jusque là où je supportais de m'exposer. La limite, en quelque sorte, c'était moi. Il me revenait donc de décider jusqu'où j'avais envie de m'exposer. C'est ainsi que, progressivement, j'ai pu aller de plus en plus loin, mieux me connaître, et commencer à m'affranchir. En me permettant de travailler sur mes représentations, de repérer mes conditionnements, l'écriture sous le regard d'autrui me permettait de me libérer. En cela la démarche présentait de fortes similitudes avec le travail que j'aurais pu faire avec un psychanalyste.

Au début l'anonymat me protégeait. Cela n'a pas duré longtemps et assez rapidement les interactions sensibles avec quelques autres écrivants-lecteurs [au féminin, la plupart du temps] me placèrent face à de nouveaux questionnements : que pouvais-je exprimer de ce qui me reliait à d'autres, identifiables par eux-mêmes et par les lecteurs ? Oh je n'avais rien de scabreux à dévoiler, mais le simple fait de déclarer l'existence d'un lien privé me posait question. Lorsque j'avais envie d'en parler [mais que signifiait cette envie ?] en avais-je le "droit" moral ? La question est devenue cruciale lorsque ces interactions ont consisté en des rencontres réelles. Je m'en suis débrouillé tant bien que mal, en passant sous silence ce qui aurait pu être gênant, en ne développant que les aspects enthousiasmants, ou en déclarant a posteriori des coups de coeur particuliers. Parallèlement une autre limite m'est devenue de plus en plus gênante : avais-je le "droit", moralement, de décrire ce que je perçevais de mes relations avec des personnes qui, quoique inconnues des lecteurs, étaient devenues parfaitement identifiables. Je pense là à Charlotte, qui était mon épouse dans ces années-là.

Au début 2003 apparurent dans mes écrits les éléments de plus en plus nombreux et marquants d'une relation forte avec une écrivante-lectrice [donnais-je cet indice à l'époque ? Je ne m'en souviens plus...]. La véritable révolution que cela induisait dans ma vie conjugale fut ainsi exposée pendant des mois, ouvrant à une analyse très approfondie de questions existentielles autour de la liberté relationnelle. Ce travail était incontestablement bénéfique pour moi, mais quelles pouvaient être les conséquences sur les personnes citées ? M'appuyant sur leur anonymat je m'autorisais à décrire un processus d'émancipation qui, je le croyais, pouvait être utile au lectorat dans ses propres réflexions.

Tout a changé ce jour de novembre 2003 où, conjointement avec l'écrivante-lectrice restée jusque-là non identifiable, nous avons révélé ensemble à nos lectorats respectifs, le même jour, avec le même texte et la même photo, notre amicale idylle. L'idée était venue d'elle et je l'avais suivie, à la fois inquiet de cette brusque révélation à nos nombreux lecteurs communs et excité par ce dévoilement qui démontrait que la virtualité supposée des relations par internet était, en ce qui nous concernait, devenue bien concrète. Cette déclaration publique et sa mise en scène n'étaient pas sans rappeler celle, tout à fait traditionnelle, du faire-part...

Ce que j'ignorais c'est que par cet acte symbolique d'union, non seulement j'ancrais dans mon esprit d'obscurs et pernicieux mécanismes d'engagements réciproques, mais surtout je perdais une liberté d'écriture. À partir du moment où le lectorat savait... toute la dynamique de l'écriture allait être changée. Sans cesse j'allais être confronté au dilemme du dire ou taire, qui allait entraver ma pensée. Et cela, je le sais maintenant, parce que je parvenais pas toujours, dans les temps de dialogue direct, à m'exprimer avec la franchise nécessaire. Mon mode de pensée, d'une lenteur sensible et réfléchie, tout en nuances, précisions et analyses, s'accomodait mal de réponses rapides dans des domaines complexes. J'usais alors de l'écriture pour contourner les obstacles au dialogue, espérant ouvrir de nouvelles perspectives. Las, cette méthode avait souvent des effets délétères qui, à la longue ont eu tendance à s'amplifier. Tant et si bien que la relation, aussi prometteuse qu'elle ait pu nous paraître, finit par sombrer cœurs et âme dans les affres bouillonnantes de nos turpitudes.

Après ce lamentable naufrage ont alterné, dans mes écrits, les périodes de mutisme et de libération plus ou moins contrôlée. L'expérience m'a montré que j'ai eu tort : on ne règle pas en public ce qui ne parvient pas à se dire en privé. J'ai fait de grosses erreurs. Je suis allé trop loin, j'ai fait preuve de maladresse. Les conséquences de ces errements, pour désolantes qu'elles furent, m'ont beaucoup appris. Le lien que j'entretiens avec l'écriture a changé, avec de nouvelles limites. Celles-ci ne m'ont cependant pas permis de retrouver la liberté d'élaboration qui, autrefois, conduisait à des découvertes inattendues. Au fil des ans mon écriture, déjà contenue, est devenue extrêmement contrôlée. A tel point que j'ai cessé d'écrire ici pendant près de deux ans. Depuis mon retour j'avance prudemment, en évitant soigneusement d'aborder de trop près ce qui touche aux mystères non élucidés. Pourtant il faudra bien que je me confronte un jour à cette nébuleuse du secret si je veux retrouver la liberté exploratoire qui me manque. Je pressens qu'il me faut en passer par là si je veux complètement transcender les séquelles du naufrage. Je perçois que je reste empêtré dans une histoire sans fin et que la réelle délivrance passera par je ne sais quel acte libératoire sur les lieux-mêmes du sacrifice [je trouve que les formules grandiloquentes seyent bien à ce genre de thème...]. Bref : j'ai envie que ce soit ici qu'apparaisse le résultat d'années d'introspection secrète. Mais j'ai envie que cela soit propre, joli, nettoyé. Je ne veux plus qu'il reste de traces de ressentiment et autres saletés et c'est pourquoi j'hésite encore à passer à l'étape suivante. Voilà plusieurs mois que j'y pense, après avoir digéré l'ultime refus de dialogue, en septembre dernier. Je crois que je suis prêt...



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Élaboration silencieuse





Dimanche 6 juillet
[Mis en ligne le 12 juillet]

Je crois faire preuve d'une totale lucidité lorsque j'observe le rapport que j'entretiens avec "mon amie québecoise". J'ai parfaitement conscience qu'accorder encore une place à une relation qui, dans le concret, n'a plus donné lieu au moindre partage depuis des années a quelque chose d'aberrant. Certes. Il n'empêche que le constat est là : j'y pense encore comme à quelque chose de vivant. Rationnellement c'est idiot, évidemment. Il faut donc sortir du rationnel et voir s'il n'y aurait pas d'autres axes d'analyse...

Quel peut-être l'intérêt d'accorder encore une place à un lien qui, dans les faits, n'existe plus ? De quel énergie propre est-il doté pour tenir aussi longtemps sans être alimenté ? Autrement dit : qu'est-ce qui fait que je ne lâche pas ce fil qui pend désormais dans le vide ? Quel avantage tire-je de mes pensées émises sans aucun retour d'écho ?

Je ne crois pas faire partie de ces gens qui s'accrochent au passé, ni à ceux qui rêvent de l'impossible. Le passé j'en fais usage pour l'analyser et en tirer des conclusions ; quant aux rêves que je peux avoir, ils n'ont rien d'impossible. Mieux : je fais ce qui est en mon pouvoir pour les rendre atteignables. D'une part j'ai considérablement réduit leur envergure, pour qu'ils rentrent dans l'espace du réel, et d'autre part leur contours se sont modifiés. Mes rêves ont changé en s'adaptant à la réduction de mes attentes. Et si mes rêves ont changé, alors c'est que quelque chose en moi a changé.

Il m'est difficile d'en parler ici parce qu'évoquer tout cela m'a été "interdit" de façon globale, sans discernement. Une interdiction à mon sens abusive dès lors que mes tentatives de dialogue étaient, elles aussi, refusées. J'ai, tant bien que mal, essayé de respecter cet embargo malgré la vive colère qu'il a suscité en moi. Obligé de trouver d'autres solutions j'ai dû passer par l'élaboration mentale silencieuse, ce qui a peut-être permis qu'un travail différent opère. J'ai largement intériorisé ma réflexion, faisant ainsi abstraction du regard d'autrui. Il en a résulté un cheminement en solitaire, sans contact avec d'autres pensées. Quelque chose de très personnel, forcément singulier, sans influences directes. Tout au plus me suis-je contenté de raconter à des personnes en qui j'avais confiance, en de rares occasions, comment j'avais évolué.

De plus en plus j'ai la conviction qu'il est important que je témoigne de ce cheminement. Ne me demandez pas d'où me vient cette conviction : je n'en sais rien. Par contre je perçois que la délivrance de ce message pourrait être fort lente.


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Par petites touches



Lundi 7 juillet 2014
[Mis en ligne le 12 juillet]

Écrire par petites touches plutôt que d'allonger l'idée première en ramifications sinueuses. Ne pas trop réfléchir. Livrer sans chercher à analyser. C'est peut-être ça mon chemin de liberté ?

Analyser c'est chercher à rationnaliser. C'est vouloir expliquer, voire justifier des faits, des attitudes, des comportements. Est-ce vraiment judicieux ? Hmmm... Oui, probablement : la simple observation sans analyse ne permettrait pas le changement. Évoluer c'est observer, puis déduire, par l'analyse des causes et des conséquences. Sans analyse, sans déduction, nous resterions tels que nous sommes. Ça n'aurait pas de sens.

Certes, on ne peut pas tout comprendre... mais on peut s'y employer. Du moins pour ce qui nous importe. Et moi, ce qui m'importe, c'est de trouver mon équilibre parmi mes semblables. Je ne suis pas doté de la stabilité qui me permettrait de me mêler aux autres sans tanguer : dès que l'autre est là sa sphère d'influence m'impacte. Agréablement ou pas. Je suis sensible à l'autre. Pas forcément dans un sens favorable : l'autre peut me perturber. Impossible pour moi de déclarer que "rien à foutre des autres". L'autre compte toujours.



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Le temps pour le dire




Mercredi 9 juillet 2014
[Mis en ligne le 12 juillet]

Hier soir j'ai longuement parlé avec Artémis, qui cherche à comprendre comment je peux trouver un attrait à vivre les relations au pluriel. Impossible, à ses yeux, de dissocier amour, sexualité et exclusivité. Pour elle c'est un tout et ma différence de perception sur ces plans-là l'intrigue encore, malgré les années d'échange à ce sujet. Fondamentalement elle reste inquiète sur la pérennité de notre lien, qu'elle sent menacé par mon attrait pour la rencontre. Je sens cependant que sa position s'est assouplie.
Artémis m'a questionné une fois de plus sur les partenaires, plus ou moins temporaires, avec qui ont existé des périodes d'intimité depuis ma petite révolution personnelle. Quel lien entretenais-je avec chacune d'elle ? Qu'en était-il des sentiments ? de l'amour ? du désir ? de la sexualité ? Il m'a fallu du temps pour réexpliquer de façon plus détaillée ce qu'elle sait déjà. Ses questions étaient précises et voulaient des réponses de la même eau. Mais il m'est difficile d'expliquer, par exemple, la différence que je fais entre "désirer une femme" et "avoir envie de faire l'amour". Le vocabulaire, lacunaire, se montre défaillant et nécessite moult précisions pour être entendu de façon adéquate. Il faut pas mal d'ajustements pour que je perçoive enfin dans les reformulations d'Artémis quelque chose approchant de suffisamment près ce que je décris. J'ai besoin de sentir dans les attitudes de mon interlocutrice à quel moment il me faut ajouter un bémol ou introduire une précision. À tel point que ce que j'explique à une personne ne conviendrait pas forcément à une autre. Je pourrais même avoir un discours assez différent selon les personnes, tout en voulant exprimer le même ressenti !

Autant dire que tout cela s'accommoderait mal de l'écrit ! Et voilà peut-être une des raisons de ma relative désaffection de l'écriture : les sujets qu'il m'intéresserait de développer sont trop complexes pour être exposés sans risque d'interprétation erronée. Je le constate parfois en voyant de quelle façon ils me reviennent déformés... Pour certains sujets je trouve que l'écriture atteint ses limites. Ou bien est-ce moi qui ne sais pas trouver les mots suffisamment justes pour être bien compris ? Bah, me direz-vous, l'important c'est que je m'exprime ! Librement, ajouterai-je...

Qu'est-ce qui fait que je ne me sens pas toujours libre de m'exprimer ? Je crois que c'est la crainte d'être mal compris, et jugé sur cette base-là. Encore une fois c'est une question de temps : celui laissé à la précision de l'expression. J'ai besoin de me sentir dans un environnement favorable, ouvert, réceptif. Accueillant. J'ai besoin de sentir que l'objectif est de se comprendre, d'apprendre de l'autre, et non d'opposer des points de vue. Si je sens que la personne qui est en face de moi n'attend que le moindre flou, le moindre doute pour afficher ses certitudes, ou tente de me (dis)qualifier pour que je corresponde à ses schémas mentaux, je n'essaie pas. Sauf si le sujet me tient vraiment à coeur, auquel cas je peux trouver l'énergie d'affirmer mes idées avec un peu plus de conviction.

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Peurs et erreurs



Samedi 12 juillet 2014


Je ne sais pas toujours ce qui motive mon désir d'écriture et vers quoi vont s'orienter mes réflexions. Cette fois j'ai tenté de reprendre la formule du dialogue intérieur, qui m'est la plus favorale pour laisser venir mes pensées sans trop de contrôle. C'est pour moi une façon de relancer le mécanisme de l'introspection extime quand je sens qu'il a tendance à se gripper. Généralement cela conduit à un nouvel état de conscience...


Tes dernières entrées sont plus courtes que d’habitude, plus fréquentes, et tu ne les mets pas en ligne une fois écrite. J’y reconnais le signe d’un certain trouble, ou du moins la trace d’hésitations…

Je n’en fais pas mystère : il m’est difficile d’écrire ici au sujet de… ce que je ne sais même plus comment nommer. C’est ainsi depuis que j’ai commencé à sentir que mon expression n’était plus libre.

Que veux-tu dire par « plus libre » ? Qu’est-ce qui empêche cette liberté ? À partir de quand as tu ressenti cela ?

C’était il y a plus de dix ans et mes souvenirs sont imprécis, mais l’impression que je garde c’est qu’à partir d’un moment donné j’ai senti qu’il y avait des choses que je ne devais pas dire. C’était différent de l’autocensure, qui faisait que je ne voulais pas exprimer certaines choses.

Saurais-tu situer un éventuel élément déclencheur ?

Il y en a un qui me vient immédiatement à l’esprit à chaque fois que j’y pense : à partir du moment où, dans ma relation avec Elle, j’ai exprimé une attente. Ça s’est fait en un instant, lorsque j’ai eu comme réponse « si tu as des attentes ça ne marchera pas entre nous ». Mais peut-être était-ce « si tu attends quelque chose de moi… ». Quoi qu’il en soit le sens était le même.

Ah, tu veux dire que tu ne te sens plus libre... par rapport à Elle. Mais tu as déjà évoqué de nombreuses fois ce moment…

Preuve qu’il a été déterminant ! Le jour où j’ai exprimé cette attente j’ai mis au jour une faiblesse : mon immaturité relationnelle. Je n’avais jamais pris conscience, au cours de ma vie relationnelle antérieure, qu’exprimer une attente était une pernicieuse tentative d’influence. En fait je demandais plus que ce qui m'était donné. Je croyais, naïvement et égocentriquement, que mon attente était légitime et devait être prise en compte. En me basant sur des croyances jamais contredites, il me paraissait évident d’obtenir ce dont je croyais avoir « besoin ». La réponse qui m’a été apportée ce jour-là mit fin abruptement à mon illusion, me mettant face à ma faille infantile. La surprise a été totale devant l’avertissement qui m’était donné. Je ne l’ai toutefois pas vraiment intégré et il m’a fallu un autre avertissement, plus rude, pour que je saisisse l’ampleur de la limite qui se dressait devant moi.

On dirait que tu parles d’évènements terribles !

Pas du tout ! La première fois aurait presque pu passer inaperçue. Par contre la seconde a été plus redoutable, conduisant à la première véritable crise (1). Suffisamment sérieuse pour qu’il en soit question simultanément dans nos écrits respectifs, avec, pour la première fois, son repli dans le silence.

Ah tiens, le silence, déjà ?

Ce fût la première manifestation visible d’une différence majeure de la gestion des crises : j’aurais voulu le dialogue, elle préférait s’isoler dans le silence. Mais je m’empresse d’ajouter que dans d’autres situations, bien plus nombreuses, c’est moi qui évitais de dire. C’est d’ailleurs cet évitement qui posait problème, au moment où la manœuvre était perçue.

Explique un peu…

Et bien disons que j’avais appris, depuis mon enfance, à éviter de dire ce qui pouvait irriter l’autre, susciter sa colère ou sa réprobation.

Ton père ?

Oui. À partir de là je crois que j’ai intégré qu’il vaut mieux se taire si on veut éviter de mettre l’autre en colère. Mais se taire c’est garder en soi et, à la longue, ça empoisonne l’existence. En voulant se protéger de réactions immédiates on accumule un mal-être qui, progressivement, nous met en position inconfortable. La méthode est donc idiote. Hélas, je me suis construit comme ça… et globalement je m’en suis accommodé, tant bien que mal. Sauf qu’avec Elle ça ne pouvait pas fonctionner : elle n’admettait pas cela.

Ce en quoi elle avait raison.

Tout a fait ! D’ailleurs sa franchise a été un des éléments qui m’ont fasciné : elle parvenait à dire à d’autres ce que moi j’aurais tu, par crainte du conflit. Ou par peur de blesser…

Tu avais donc peur du pouvoir de tes mots ?

J’avais peur de ce que mes mots pouvaient déclencher. Or avec Elle, tout au long de nos premières années de correspondance, j’avais trouvé une sorte de pays merveilleux où le dialogue était totalement libre. Nos échanges étaient empreints de curiosité, d’un vrai respect, et la découverte réciproque de nos univers était un enchantement. J’avais enfin trouvé l’amitié parfaite. D’où le choc le jour où je me suis rendu compte qu’une fissure s’était dessinée entre nous. Avec la peur de perdre cette si précieuse amitié.

Mise en évidence par la phrase « Si tu as des attentes, ça ne marchera pas entre nous » ?

Exactement ! L’avertissement équivalait pour moi à une menace terrible. Passé l’étourdissement j’ai vite compris qu’il me fallait éviter toute récidive. Mais au lieu de travailler sur mes attentes, j’ai opté, inconsciemment bien sûr, vers le plus simple à mettre en œuvre : ne pas exprimer mes attentes ! Après tout, c’est ce que je savais le mieux faire depuis toujours. J’ai donc continué avec mes mauvaises habitudes, en dissimulant ce qui pouvait entraîner le moindre conflit. Et davantage encore après le second coup de semonce, lorsque j’ai cru avoir tout perdu.

Que c’était-il passé cette fois-là ?

Une nouvelle fois j’avais exprimé une « attente », sans même me rendre compte qu’il s’agissait de cela. Inquiet, j’avais maladroitement révélé ce que j’attendais d’une amitié, négligeant le fait que l’amie en question avait sa vie propre, ses fluctuations, et que la bonne attitude à ce moment-là aurait été de lui laisser toute latitude de mouvement, même s’il pouvait y avoir un certain silence et un relatif éloignement. Mais j’étais peu au fait de tout cela, n’ayant jamais connu d’amitié à si haute fréquence de contact et telle qualité de partage. Bref, j’étais en manque d’elle et je l’avais exprimé sans assez me soucier de son état intérieur. Résultat : une grosse colère de sa part, une totale incompréhension de la mienne, et trois jours d’isolement.

Ces deux expériences t’ont visiblement marqué.

Très fortement. En même temps elles allaient être salvatrices sur le long terme, car c’est à partir de là que j’ai compris le pouvoir terriblement nuisant et despotique des attentes à l’égard de l’autre.

Développe un peu.

Ce que j’attends de l’autre m’appartient. Ça fait partie de mon histoire. Si j’impose mes attentes personnelles à l’autre j’exerce une pression sur lui, je tente de l’influencer pour qu’il se plie à mes exigences, sous peine d’être insatisfait. Ça peut vite conduire à une tyrannie relationnelle. Par contre je peux exprimer des souhaits, des désirs, indiquant ainsi dans quelle direction j’ai envie de voir s’orienter la relation, mais en laissant à l’autre toute latitude d’y répondre ou pas, selon ses capacités, ses propres désirs, etc. La différence c’est que l’attente… attend d’être résolue, et ne cessera pas tant que ce ne sera pas le cas, alors que le souhait indique une piste… à suivre ou pas. L’attente est statique, demandant à l’autre de faire un mouvement vers moi, tandis que le souhait propose une éventualité qui me serait agréable, voire nécessaire, mais sans exigence d’être assouvie. Il n’est pas forcément simple de faire la différence entre les deux dynamiques.

Mais dis-moi, quand elle t’a dit « Si tu as des attentes, ça ne marchera pas entre nous », au delà de l’avertissement, n’émettait-elle pas une attente impérieuse, voire une exigence ?

Si, bien sûr… et c’est probablement un des éléments qui me rendait sa demande incompréhensible. Je me sentais coupable d’avoir eu une attente un peu puérile, mais il y avait quelque chose d’injuste. Il m’a fallu quelques années pour réaliser que c’est parce qu’elle aussi avait émis une attente, assez impérieuse, à mon égard. Sur le fond elle avait raison en m’avertissant des risques, mais sur la forme son exigence avait été telle que je me suis senti abusivement fautif. Il était injuste, déséquilibré, que je prenne autant à ma charge. Et ça, c’était aussi une erreur de ma part. Tenant très fort à cette relation, et convaincu par la pertinence de son raisonnement, je n’ai pas su voir la faille de sa méthode un peu autoritaire. Et j’ai commencé à avoir peur…

Peur de quoi ?

Peur de perdre cette relation tellement enrichissante. C’est comme si je pressentais qu’avec Elle je pouvais vivre quelque chose d’unique et qu’il ne fallait surtout pas rater cette chance. Ses réactions m’avaient montré qu’elle pouvait fort bien se retirer. Pour que ça n’arrive pas j’allais me mettre dans la posture de celui qui accepte d’être confronté à la difficulté.

En avais-tu conscience ?

Absolument pas. Je sentais que ça allait m’être difficile, mais en même temps que j’avais à m’améliorer. Et j’étais volontaire pour cela. Dans le fond je savais qu’elle avait raison… même si la façon de le signifier était perfectible.

Tu veux dire qu’elle était…

... parfois trop brutale pour moi. À cette époque je n’étais pas en capacité de prendre suffisamment de recul avec la tonalité employée. Son intransigeance me fascinait, mais la virulence dont elle s’était montrée capable me faisait peur. Je pense que sa rigidité indiquait une peur : mes attentes représentaient probablement ce qu’elle voulait ne pas voir s’installer entre nous. Bêtement, au lieu de saisir l’occasion et poursuivre le dialogue sur ces thématiques, qui auraient pu être mutuellement très enrichissantes, je me suis soumis à son autorité. Troisième erreur de ma part. Décidément, j’en ai fait beaucoup…

Des erreurs par ignorance, par méconnaissance, par inexpérience.

C’est vrai. Et ces erreurs allaient me permettre de comprendre, en voyant leurs conséquences, ce sur quoi je devais orienter mon travail. Mais il m’a fallu du temps pour changer. Trop de temps, hélas. Lorsque j’ai enfin compris la leçon, elle était déjà loin. Et puis il y avait eu tant de malentendus découlant de tout ça, entretemps.

Tu regrettes ?

À quoi bon regretter ? J’ai fait au mieux selon ma conscience de l’époque. Depuis, je ne me souviens pas avoir été en position d’attente envers qui que ce soit, et c’est ce qui compte. Quant aux attentes qu’on peut avoir à mon égard… je crois que je sais les écouter sans trop les craindre. Je n’offre que ce que je peux donner sans me mettre en déséquilibre, ni me forcer, mais ne ferme jamais la porte. Je laisse l’autre se déterminer, partir ou s’accommoder de ce que je veux bien partager. C’est ma conception de la liberté : chacun se détermine pour lui-même, sans décider pour l’autre.

Alors décide pour toi-même, et tu te sentiras libre ! Ne t'interdis pas d'écrire...

 

(1) En mettant un lien vers ce que j’avais écrit au second moment-clé je me suis souvenu qu’il s’agissait d’une période bien particulière : celle d’un grand stress autour de notre première rencontre réelle, dont il me revenait de prendre la décision finale, avec toutes les conséquences envisageables sur ma vie conjugale…


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Le domaine des possibles


Lundi 14 juillet 2014


Nouvel état de conscience ? Il semble que mon texte précédent, par sa redondance avec moult écrits antérieurs, m'ait mis face à l'évidence : maintenant il faut en sortir. Du coup, il se pourrait que se dessine le moment de libération si longtemps désiré...


C’est tout de même étonnant de voir à quel point tu restes relié à la même histoire, alors qu’elle n’a plus d’existence concrète.

Je m’en étonne moi-même. Je ne sais pas pourquoi ça reste ainsi en moi. Il y a certainement un sens caché qui cherche à s’extraire par l’écriture. Quelque chose à trouver…

Mais qu’écrire encore que tu n’as déjà écrit ? Tu vois bien que ça tourne en rond, tout ça !

Oui, et ça m’agace. Je vois bien que je reviens toujours plus ou moins sur les mêmes éléments. Je ne fais que les observer sous des angles un peu différents, éclairés sous un jour nouveau en fonction de mon évolution, mais les points durs restent globalement les mêmes.

Les points durs ?

Ces moments-clé où quelque chose s’est infléchi d’un côté plutôt que d’un autre. Je crois que j’ai besoin de voir et revoir, encore et encore, les raisons de certains de mes choix que je comprends aujourd’hui comme étant des erreurs. Besoin de constater qu’il n’y a qu’une seule conclusion, quel que soit le bout par lequel je prends la situation : j’ai agi ainsi parce qu’à ce moment-là c’était le meilleur choix que j’étais capable de faire.

Tu te sens coupable de tes erreurs ?

Coupable, responsable, auteur… je ne sais pas bien. En tout cas elles sont là et j’ai besoin de me les pardonner. Au fur et a mesure que ma pensée évolue et que je mesure mieux  mes erreurs, je réactualise ce pardon à moi-même. Et probablement, aussi, à Nathalie.

Le Pardon ? Drôle de terme…

Je m’en veux beaucoup d’avoir été défaillant, d’avoir manqué de confiance en moi… et en même temps je n’y pouvais rien, à l’époque. Je n’étais pas apte. Alors tout ça j’ai besoin de me le répéter régulièrement.

C’est pour ça que tu reviens encore sur ce passé ?

Je crois, oui.

Tu as cité le prénom de Nathalie…

Oui, ça m’a échappé :)

Et ?

Habituellement j’évite de la citer. J’essaye aussi d’éviter les divers surnoms que j’ai pu lui attribuer. J’élude, je reste vague…

Pourquoi ?

Deux raisons principales. La première c’est qu’elle m’a demandé, il y a plusieurs années, de ne plus la nommer. La seconde c’est que c’est une façon de rester « à distance », et même de mettre une distance avec un personnage dont je me sens trop proche.

Un personnage, dis-tu…

Oui, un personnage : celle à laquelle je pense n’est pas la personne réelle mais une persistance plus ou moins imaginaire. Basée sur une réalité, certes, mais tellement ancienne et différente de ce que j’ai pu voir ensuite que je préfère m’imposer cette barrière. La Nathalie qui est dans mon esprit n’est plus celle qu’elle m’a montré être depuis… tellement longtemps.

C’est bizarre ton truc…

C’est peut-être bizarre mais c’est comme ça dans ma tête : il y a un personnage dont je me sens encore très proche et une personne réelle qui un jour n’a plus voulu avoir affaire à moi. Cette double réalité, entre l’être réel et la pensée que j’en ai, me met dans une situation instable. Indécidable. Selon les moments auxquels j’y pense c’est l’une ou l’autre de ces deux entités qui prédomine, suscitant en moi des élans contraires.

Bizarre, vraiment.

Oui, mais certainement pas unique. Toute personne confrontée à la perte fait face à cette double entité : le personnage réel d’avant la perte, et le personnage imaginaire d’après. D’une certaine façon c’est plus radical avec la mort puisque l’aspect définitif de la perte assure qu’il n’y aura jamais plus de confrontation au réel. L’imaginaire peut donc se développer sans limite. Mais dans le cas qui m’intéresse les deux entités coexistent puisque la possibilité de contact ne peut être définitivement exclue.

Que veux-tu dire ?

Et bien je ne peux pas exclure avec certitude qu’il n’y aura jamais plus aucun contact avec Nathalie.

?! Pourtant… elle te l’a affirmé !

Je sais bien, mais ça n’est pas une garantie absolue. Les choses peuvent évoluer…

Ouhla… tu y crois encore ? (air suspicieux)

Ce n’est pas de l’ordre de la croyance. Non, je ne « crois » pas qu’elle changera d’avis un jour. Par contre j’ai une sorte d’intuition. Je pourrais presque dire une certitude. En même temps j’ai accepté l’idée qu’il n’y ait plus de contact direct. C’est tout un travail mental que de faire cohabiter ces notions !

Je vois que ça t’occupe l’esprit.

De temps en temps. J’y pense souvent mais ça ne me préoccupe que de temps en temps.

Tu parles de « contact direct » et cela sous-entend qu’il y aurait des contacts indirects.

Ben oui : ce journal.

Si elle vient le lire ?

C’est ça.

Ah ! Alors tu cherches encore à communiquer !

Probablement. Je donne des informations. J’actualise mon état d’esprit, je laisse à voir comment j’évolue. C’est là, disponible.

Ouais, mais en agissant ainsi tu te mets en position d’attente !

Pas du tout : j’offre.

Oui, mais tu aimerais bien qu’un jour ça porte ses fruits !

Évidemment ! Et il y en aura, quels qu’ils soient. L’absence du moindre écho, par exemple, me permet d’aller plus profondément en moi. Ces années de silence me sont très bénéfiques, c’est évident. Quand je vois le chemin parcouru… je me dis que notre séparation a été une chance pour moi. Pour grandir.

Tu dis ça pour te donner bonne conscience.

Mais non ! Je dis ça parce que je vois tout ce que j’ai compris en étant confronté à moi-même. Bien sûr que j’aurais préféré continuer « avec elle », mais aurais-je pu faire autant de chemin ? Là j’ai combiné ce que j’avais appris de son mode de pensée, qui ne m’avait pas attiré par hasard, avec le mien. Le résultat donne un mélange sur mesure, qui me convient bien. J’ai pris d’elle ce qui me plaisait et gardé de moi ce qui me correspondait. Ainsi je me sens « à ma place », bien axé, en équilibre.

Finalement il vaudrait mieux qu’elle ne revienne pas, alors ?

Peut-être… De toutes façons je n’attends pas cette hypothèse, des plus incertaines. Si un jour elle se manifeste… je verrai bien ce qu’il en sera. Dans ce cas elle aurait forcément évolué de son côté et ce serait quelque chose de nouveau à mettre en place.

On voit que cette éventualité existe bien dans ton esprit.

C’est certain. Il se pourrait même que ce journal se perpétue en partie pour ça : une fenêtre ouverte.

T’es barjo !

Je ne crois pas :) Au pire j’aurai laissé cette fenêtre ouverte pour un résultat autre que celui que j’espère, au mieux le maintien de ce « contact indirect » permettra un jour… je ne sais quoi. Le domaine des possibles est vaste et les chemins qui le parcourent sont à inventer.


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Rétrospective



Mercredi 16 juillet 2014

Mes derniers écrits m’ont travaillé et c’est ce que je cherchais. Décidé à retrouver la « liberté d’écriture » à laquelle j'aspire je n’ai pas censuré. Tant pis si ça m’a conduit à exposer des aspects un peu ridicules…

M’en fous.

Néanmoins le fait de ressentir un vague malaise, après ma mise en ligne du 13 juillet, m’a alerté. Non seulement je me suis trouvé un peu pathétique, mais j’ai surtout eu l’impression de ne pas être juste. Du coup je suis allé relire ce que j’écrivais au moment où les faits évoqués s’étaient produits. Flash-back, dix ans plus tôt. J’avais un peu oublié combien l’époque était critique : c’était celle des grands questionnements. Entre avril et août 2004 j’étais tiraillé entre le refus de voir mon couple se disloquer, la peur des conséquences envisagées, et surtout ma difficulté à voir évoluer ma relation avec qui l’on sait. C’est ce qui me tourmentait le plus, d’ailleurs. Il me fallait apprendre l’autonomie affective, aptitude à laquelle je n’avais pas été confronté malgré mon âge.

Lire à quel point j’avais en même temps du mal à « lâcher » la stabilité conjugale m’a surpris. J'avais un peu oublié qu'à cette époque j’avais peur de me retrouver seul ! Aujourd’hui, vu les orientations que j’ai prises, je trouve que c’est risible…

Je ne regrette pas cette « vie d’avant », à laquelle je tenais pourtant. Peut-être est-ce parce que je n’ai pas pu conserver avec Charlotte la qualité de ce qui faisait notre lien, dissout dans les suites de la tourmente ? Je me demande si c’était en mon pouvoir, vu son besoin de mettre une distance affective entre nous. Avec elle, j’ai rapidement lâché prise.

Ça ne s’est pas du tout passé de la même façon avec « celle que je ne nomme pas » et cette différence n’a cessé de m’étonner. Qu’y avait-il de différent, finalement, puisque l’homme était le même ?

Relire mes écrits m'a donné un indice : ressentir une honte a posteriori. Qu’est-ce que j’étais dépendant des signes d’attachement ! J’avais un besoin constant d’être rassuré et ce devait-être étouffant. Comment ne pas comprendre que cette part immature l’ait éloignée de moi ? Je lui montrais mes limites, mes faiblesses, mon côté « petit garçon ». J’étais encore bien loin de pouvoir vivre ce à quoi, assez présomptueusement, j’aspirais. J’avais un énorme travail d’émancipation-autonomisation à accomplir.

Où en suis-je dix ans plus tard ? Je crois pouvoir dire que les résultats sont là, si j’en juge à ce que je vis. Certes il m’a fallu du temps, bien que j'aie très vite fait de mon émancipation une priorité puisque c’était la seule façon de parvenir à ce que je voulais. Certaines personnes disent parfois, « on ne change jamais ». Je ne suis pas d'accord : en évoluant dans le regard que l’on porte sur les choses, notre approche diffère… et c'est ce qui nous change.

Ce qui m’a frappé aussi, à la relecture, c’est la masse considérable des « je veux » et « il faut que je » : une volonté forcenée qui cachait mal mon incapacité à changer rapidement. Bien sûr je voulais… mais je n’y parvenais pas !  Alors il m’est assez agréable de constater qu’aujourd’hui je suis parvenu à ce que je voulais. Dix ans pour y parvenir ? Et alors ? Même constat pour les innombrables « maintenant j’ai compris » et autres « maintenant je sais ». Foutaises que tout cela : ce ne sont que d’éphémères prises de conscience. De l’écume. Il faut beaucoup de temps et de multiples rechutes pour acquérir un minimum de certitudes, par ailleurs jamais immuables.

Lundi j’ai poursuivi ma lecture au delà de l’épisode marquant d’août 2004, jusqu’à la fin de cette même année. Mon effondrement, la lente, chaotique et douloureuse remontée, les moments d’enthousiasme suivis de profondes dégringolades, les espérances fulgurantes qui ne tenaient pas la durée. J’en ai bavé, c’est certain, ignorant que du même coup se préparait un cadeau caché : ça m’a été tellement douloureux que le « jamais plus » s’est imposé et m’a poussé à faire le travail nécessaire. J’ai fait en sorte de grandir et d’être apte à vivre ce à quoi j’aspirais. Ce à quoi m’avait initié Nathalie…

Quand je regarde ces années difficiles je ressens un peu de gêne (l’immaturité), parfois de la honte (les errements, les doutes, les paroles blessantes), mais globalement une vraie fierté pour le chemin parcouru.



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Qu'en penser ?



Jeudi 17 juillet 2014

 

Quelle curieuse démarche que de raconter des choses aussi personnelles et peu transposables que celles que je donne à lire en ce moment. Allez savoir ce qui me motive ! Par quels curieux détours mon inconscient me fait-il passer ? et pour aller où ? vers quel objectif ? Mystère…

Mais laissons-là ces questionnements : l’important c’est d’avancer. Me laisser porter par ce qui vient, sans trop réfléchir. Après tout la « liberté d’écriture » c’est cela ! Et tant pis si le résultat est un peu bizarre ou n’intéresse que moi. Je reviens donc sur ma petite lubie du moment (et sans apologie inutile… Oups... ça m'est venu tout seul !) : la relecture de ma superbe prose, avec une décennie de recul.

La mémoire établissant un tri sélectif j’ai eu le plaisir de redécouvrir une réalité quelque peu transformée par l’oubli. Étonnement, par exemple, de lire que dès l’automne qui a suivi le départ (repli ?) de N. j’avais déjà tout analysé des raisons qui y avaient conduit ! Ce que j’ai ressassé ensuite indéfiniment était déjà posé et, je le réalise maintenant, n’attendait qu’une confirmation. La répétition sous diverses formes était une façon d’obtenir une validation qui ne venait pas. J’espérais qu’un jour elle me dirait : oui, c’est bien ce qui s’est passé. J’avais besoin que nous tombions d’accord sur les raisons de nos incompréhensions et, in fine, les conclusions à en tirer.

Car finalement, au vu de mes attentes, de la complexité de la situation, de mes doutes, la mise en retrait de N. avait une certaine logique. J’avais fait des erreurs, j’avais manqué d’assurance, et cela avait eu des conséquences. Tout ça je pouvais le comprendre, et même l’admettre. Mais la suite à donner nécessitait, selon moi, une mise en mots afin de pallier à ceux qui avaient manqué antérieurement. De son côté N. avait une autre vision de la situation et estimait le silence préférable.

Ce point de divergence majeur, qui s’était rapidement révélé lorsque notre amitié a pris une tournure amoureuse, comme je l’ai relaté il y a quelques jours, s’est solidement confirmé dès que N. a opté pour l’éloignement.

Aujourd’hui je ne porterais pas le même regard sur une telle attitude qui, quoique je ne la pratique pas, peut fort bien s’expliquer et même se justifier. Mais à l’époque je n’avais pas cette conscience. Ni la capacité à l’accepter. Le silence qui me faisait face me laissait donc dans la plus grande incertitude. Mon désir de poursuivre, en ne trouvant aucun d’écho, favorisa la mise en ébullition de mon imaginaire inquiet. Faute des réponses attendues, et épuisé par l’alternance des épisodes de tristesse et d’espérances douchées, de désarroi et d’enthousiasme brisé, de peurs et d’optimisme refroidi, mes écrits prirent une tournure revendicative. Sûr de mon bon droit, et après avoir été relativement compréhensif, ma colère d’être traité de la sorte commença à se manifester. Et puisque le dialogue direct m’était « interdit », je faisais savoir mon courroux par le seul canal disponible : ce journal.

En choisissant un mode d’expression détourné je me suis probablement « grillé ». Sur le moment, bien que m’étant souvent questionné sur les risque que je prenais, j’ai décidé de poursuivre. Je pensais vraiment que c’était la meilleure option, sachant que celle du silence accepté était au dessus de mes forces. Aujourd’hui il en irait autrement mais, puisque cela découle de l’expérience de cette histoire, étroitement intriquée au journal, cette affirmation n’a pas de sens.

Ce qui en a, en revanche, c’est d’avoir évolué dans ma compréhension d’un certain nombre d’interactions affectives. Ainsi que, peut-être, d’avoir fait part de mon cheminement dans un tel contexte.

Reste l’impression d’avoir payé et fait payer cher le prix de l’apaisement…

Avec, encore aujourd’hui, une certaine hésitation dans la perception des responsabilités de chacun dans ce qui peut aussi bien être qualifié de formidable fiasco que de magnifique expérience. D’ailleurs c’est peut-être ça qui se cherche dans mes mots, actuellement : que penser de tout cela ?

 

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Maturation



Vendredi 18 juillet 2014


J'ai souvent parlé d'une supposée immaturité affective, endossant cet habit avec une déconcertante facilité. Mais elle consiste en quoi, cette "immaturité" à laquelle je me réfère ?

J'emploie le terme dans le sens de "ayant des besoins qu'un adulte est censé ne plus avoir". En particulier quand lesdits besoins dépendent du bon vouloir d'une autre personne. Si je les qualifié de puérils ou d'enfantins c'est parce que l'enfant dépend nécessairement de l'attention de personnes censée prendre soin de lui, voire de le protéger. L'enfant n'est pas en capacité de subvenir à ses besoins. L'enfant est, par essence, immature.

Par extrapolation, l'adulte qui se place en position de dépendance d'autrui a un comportement enfantin. Il attend de l'autre une réponse à ses besoins, comme un enfant. Il peut même attendre d'être "protégé", voire revendiquer le droit à l'être, si ce n'est l'exiger. C'est une attitude que j'ai souvent vue exprimée, notamment de la part de personnes qui ne comprenaient pas que j'aie une attitude assez intransigeante sur ce point : je n'ai pas à me soumettre aux "besoins" de qui que ce soit. Mais si je suis devenu très clair sur ce plan-là c'est parce que j'ai compris mes erreurs d'autrefois.

En effet j'ai été, à un moment donné de ma vie, dépendant de signes d'attention. Et comme je l'expliquais récemment, j'attendais que ces signes me soient donnés, considérant qu'ils m'étaient "dûs" dans le cadre d'un certain type de relation (amour/amitié). Ignorant qu'on pouvait voir les relations sous une autre forme, je demandais, assez bêtement, ce à quoi je croyais avoir droit. Inutile de préciser que mon positionnement actuel a changé du tout au tout !

Donc oui, à ce moment-là, mon immaturité m'a sauté à la figure. Il a donc fallu que je travaille sur mes attentes et mes représentations. Ce que j'ai fait, aussi rapidement qu'il m'a été possible. Les hasards ont fait que, tandis que je faisais ce travail, les conditions se sont soudain durcies et que j'ai eu à faire face à beaucoup plus difficile que ce que j'imaginais au départ. Apprendre à se passer de signes d'attention quotidiens est une chose, à se passer de tout signe de contact en est une autre. Mon lectorat le plus assidu se souviendra de la réflexion que j'ai été amené à entreprendre sur la notion de "silence" au sein d'une relation. Il m'a fallu des mois, si ce n'est des années, pour passer de la révolte face au silence qui m'était imposé à l'acceptation de ce silence comme manifestation tout à fait légitime d'un "droit" personnel. En effet, rien ne m'autorisait à attendre qu'une parole me soit donnée. Je pouvais la souhaiter, la demander, mais elle ne m'était pas due. Je pense que le coeur de mon changement s'est joué là, grâce à cet *insupportable* silence... avec qui j'ai finalement appris à très bien vivre.

Oui, voilà, c'est ça qui cherche à se dire : les bienfaits trouvés grâce au travail effectué sur ce qui me faisait souffrir. C'est en cela que je me suis émancipé, non pas d'autrui ou d'une relation, mais de mes supposés "besoins affectifs".

Pour en revenir à l'immaturité, je dirais qu'elle consiste donc à attendre de l'autre qu'il réponde à mes désirs. À attendre que ce que je désire domine le réel, dans une sorte de pensée magique. Nous sommes tous plus ou moins habités par ce fantasme hérité de l'enfance mais l'immaturité se caractérise, selon moi, par le refus (inconscient) d'évoluer sur ce plan en continuant à attendre du réel qu'il change. C'est ce que j'ai constaté de temps en temps chez des personnes qui ne parvenaient pas à faire le deuil de leur toute puissance, alors même qu'elles étaient en grande souffrance face à un réel qui n'y répondait pas. Le réel étant souvent "l'autre" qui a le mauvais goût d'avoir une pensée propre, des motivations qui lui appartiennent, et qu'il est alors commode d'accuser d'égoïsme...

Tout cela pour dire - car ma démonstration à un but - que je suis certainement moins immature que ce que j'ai souvent déclaré. Car à chaque fois que j'ai pris conscience que le réel ne concordait pas avec mes désirs j'ai entrepris de travailler sur mes représentations. En celà j'ai fait preuve, avec évidence, d'un comportement "adulte". Il est peut-être temps que je me réhabilite à mes propres yeux...


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Une longue marche




Dimanche 20 juillet 2014

Le rapport que j’entretiens encore avec le personnage de N. pourrait paraître scabreux. J’y vois pour ma part le maintien fonctionnel du support qu’elle a représenté durant le premier temps de ma démarche d’autonomisation affective. Dès l’origine, ayant perçu chez elle une approche relationnelle très saine, je l’ai considérée comme une sorte de référence. Je voyais en elle un guide qui savait se mouvoir dans des dynamiques relationnelles que j’ignorais mais qui m’attiraient. Ses écrits, issus d’une longue réflexion, me semblaient particulièrement pertinents, lucides, et le récit de son parcours m’avait motivé à entreprendre le mien, ignorant que je me lançais ainsi dans ce qui allait être ma longue marche.

Lorsque, quelques années plus tard, N. a renoncé à notre partenariat une dissociation s’est produite dans mon esprit : d’un coté il y avait ce que je voyais d’elle concrètement, qui a mon sens ne correspondait pas à l’idée que je me faisais d’une relation d’amitié-amoureuse ; de l’autre demeurait d’elle la « référence » qui m’avait séduit par son parcours et sa façon d’être. Il m’a fallu des années pour faire coexister dans mon esprit ces deux aspects d’une même personne et accepter l’idée que la personne réelle ne correspondait pas au modèle. À l’évidence j’avais hissé ledit modèle à un niveau de maitrise qui n’était pas atteint. Autrement dit, l’élève avait idéalisé le maître…

Cette désillusion, comparable à celle que les enfants ont envers leurs parents quand ils constatent leurs limites et failles, m’a forcément été profitable en laissant le champ libre à ma propre exploration. C’est ce qui s’est produit pendant les années de crise, deuxième temps de mon parcours. Tout au long de celles-ci j’ai « attaqué » le modèle dans ce qu'il avait de dérangeant en espérant vainement le rendre conforme à mes désirs. Le réel s’est évidemment opposé à mes fantasmes, m’obligeant à les abandonner un à un. Un travail qui se poursuit encore…

Il n’empêche que nombre des précieuses leçons apprises auprès du « maître » d'autrefois sont restées valables et c’est fort de ces enseignements que j’ai poursuivi mon apprentissage. Fondamentalement je n’ai jamais invalidé ce qui m’avait plu. C’était une base solide sur laquelle j’ai appuyé ma propre élaboration. Il n’est donc pas étonnant que je reste fortement imprégné de son esprit et « lié » à N. par delà les aléas qui nous ont éloignés. Et bien souvent j’ai souri avec tendresse des ressemblances de ma pensée actuelle avec la sienne d’autrefois. Ou du moins… de ce que j’en avais compris.

 

* * *

 

 

Le *hasard* m’a fait arriver sur un forum qui aborde des idées sur lesquelles j'ai longuement travaillé avec mon journal. Je propose ici quelques extraits choisis d'une conversation à laquelle je suis totalement étranger mais qui présente d'importantes similitudes avec mes idées passées, d'une part, et présentes d'autre part. Des personnes qui seraient en recherche de réponses sur la thématique des attentes relationnelles en matière affective pourraient y trouver quelques réponses. Accessoirement le dialogue met en évidence, par rapport à ma démarche personnelle, à quelles évolutions de pensée on peut parvenir.

En italiques apparaissent des questionnements et craintes très proches de ce que j’aurais pu écrire il y a quelques années. En bleu, des réponses très similaires à celles que je suis amené à formuler aujourd’hui. Ces dernières font parfois bondir les personnes avec qui j’en parle [je pense en particulier à une lectrice qui se reconnaîtra] et il ne me déplaît pas de voir que d’autres les emploient.

NB : il s'agit d'un échange entre entre trois femmes.

 

Q. « Comment se satisfaire d'une relation que j'ai l'impression de porter à bout de bras. Une relation avec un retour naturel et enthousiaste parfois, mais trop souvent sans retour ou alors simplement "j'ai été très occupé et le suis toujours...".

Je me dis qu'il serait plus facile pour moi de couper complètement le lien plutôt que de me dire que finalement "je ne suis pas grand chose". Vivre l'amour en solo, intérieurement, d'une belle façon, plutôt que de vouloir échanger, partager, avec trop souvent un mur inerte, qui a mieux à faire que de se préoccuper de moi.

(…) Finalement, j'ai peut être besoin d'être bavarde pour me sentir bien avec quelqu'un. Le hic, c'est qu'une personne, certes pas bavarde, mais dialoguante et attentionnée au début, qui au fil du temps devient quasi muette, ben ça veut dire quand même que l'on devient de trop dans sa vie. Pour moi, à ce jour, la question est peut être plus "comment tirer ma révérence sans faire trop de dégâts ?". Laisser la relation s'éteindre en n'entretenant plus du tout lien, méthode douce en quelque sorte (sauf que ça ne me ressemble pas car j'aurais une impression d'inachevé) ou dire clairement à l'autre qu'il ne sait pas m'aimer (sauf que la, remise en cause de la relation elle-même, ce que je ne conçois pas). »

 

R. « Je pense que ce n'est pas parce qu'on est peu disponible (…) que l'autre "n'est pas grand-chose" pour nous. Cette personne n'est pas au centre de ta vie et tu n'es pas au centre de la sienne... Ce qui ne l'empêche peut-être pas de penser à toi !

Je dirais notamment que pour ma part, je fais partie des individus qui ont besoin d'être seuls, de passer des moments sans contacts humains, pour se ressourcer. Je fais partie des personnes pour qui tout contact humain consomme une énergie (parfois très importante).
Ca ne veut pas dire que des personnes que je vois peu ne comptent pas pour moi ! Et certaines comptent autant voire plus que d'autres que je vois toutes les semaines (pour des raisons de boulot, de praticité, de proximité géographique, de hasard qui fait bien les choses et j'en passe) !

(…) Quelqu'un peut penser que je ne pense pas à lui/elle parce que je ne l'ai pas contacté en trois mois et/ou parce que je n'ai pu que lui répondre que je n'étais pas disponible les fois où il/elle m'a contactée.
Rien ne serait plus faux. On pourra arguer que "Si tu penses à lui/elle, tu peux lui envoyer un petit message", ben non c'est pas si simple.
Penser, je le fais sans effort, mais aussi étrange que ça puisse paraître à certains, envoyer un message me prend de l'énergie, et j'y mets d'autant plus d'énergie que c'est pour quelqu'un qui compte, et (paradoxalement) je retarde donc souvent d'autant plus le moment d'envoyer le message (puisque j'attends d'avoir assez d'énergie, alors que le boulot, les soucis perso, la vie quotidienne etc. m'en prennent déjà une bonne partie). 
Même chose pour me rendre disponible pour quelqu'un : il ne suffit pas que j'aie du temps. D'ailleurs, parfois j'ai peu de temps mais ça va être possible parce que là, j'ai l'énergie pour... !

Tout ça pour dire : si quelqu'un pense qu'il n'est "pas grand-chose" pour moi parce que je n'ai pas d'énergie à lui consacrer - éventuellement pendant une longue période - alors il n'a absolument rien compris à ma façon de fonctionner !

(…) je peux être très bavarde parce que j'ai l'énergie pour au début, et je vais ensuite rentrer dans une période où je n'ai plus cette énergie...ça ne change absolument rien à la place qu'occupe la personne dans ma vie (ou dans mon coeur).
Les gens que j'aime ou même ceux que j'apprécie simplement ne sont jamais "de trop" !
Par contre, il y a des moments voire des périodes où je n'ai pas l'énergie pour interagir...sincèrement.

Je peux dire à quelqu'un que telle ou telle chose ne me convient pas dans la manière dont se déroule la relation (et en général, si ça ne peut pas changer, je prends mes distances, sans toutefois rompre, car les relations pour moi se transforment, évoluent mais n'ont que très rarement des raisons de s'arrêter brutalement).
Mais lui dire "Tu ne sais pas m'aimer" ! !
Sous-entendu : j'attends/exige ceci/cela de toi...
Ca me semble déplacé. Chacun aime à sa façon, ensuite ça peut convenir à l'autre ou non, mais chacun aime à sa façon, il n'y a pas de "bonne" façon ! »

 

« Je n'ai pas vraiment d'attentes ou d'exigences, juste savoir que j'existe. Là c'est moi qui ai envie de parler que ça ne doit pas être insurmontable. Un petit pas grand chose suffirait.

Question place, je veux justement que celle qui est dans mon coeur reste belle. Question énergie, quand on a l'impression de porter à bout de bras pour deux, crois moi, c'est très énergivore, et là, je suis fatiguée de cela.

Tu vas me dire d'en parler avec lui, ben ouais, sauf que pour communiquer, il faut être deux, sinon on parle dans le vide. Je ne veux pas non plus pleurnicher de l'attention, je ne suis plus une gosse capricieuse qui veut ses bonbons. Je considère aussi qu'en amour, rien n'est plus beau que la spontanéité, l'enthousiasme. Alors, je crois que je vais aussi ne plus dépenser inutilement de l'énergie à m'interroger (semble-t-il inutilement en fait), et on verra bien, si dans un moment de disponibilités, son coeur rappelle mon existence à sa mémoire... »

 

« Pour ma part j'ai décidé de décider (oui j'aime les répétitions ;) !) que si quelqu'un me dit qu'il m'aime, alors il m'aime.
S'il me dit que je compte pour lui, alors je compte pour lui. Je n'ai pas besoin de "preuves". Je ne suis pas en lui, alors je lui fais confiance.

Du coup, je m'attends à ce que les autres fassent de même avec moi. Ce n'est pas quelqu'un d'autre qui va décider que j'aime vraiment ou non une personne. Seule moi le sais, et je m'attends à ce qu'on respecte mon ressenti.

(…) il peut arriver toutefois que la manière d'interagir de l'un ne convienne pas à l'autre et/ou inversement. Il peut en résulter un éloignement (spontané ou bien décidé explicitement).
Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'amour ou plus généralement de sentiments.

D'ailleurs ces derniers mois quelqu'un m'a fait des coups pas possibles (genre lapins posés à la dernière minute, pas de fiabilité, un coup dit vouloir s'engager et le lendemain il n'y a plus personne...) et m'a ensuite dit "Mais je t'aime !".
Je ne mets pas en doute le fait que cette personne m'aime. Je lui ai répondu quelque chose comme : "Oui, tu m'aimes probablement, mais ta façon d'agir ne me convient pas pour entretenir avec toi une relation intime telle que tu la souhaiterais."

Aimer ne veut pas dire que tous les obstacles vont magiquement disparaître. Parfois on est trop différents, pas en phase...en plus dans le cas cité, les sentiments ne sont pas les mêmes (l'autre a des sentiments amoureux, et moi je l'apprécie mais ne me sens pas amoureuse).

Deuxième chose : lorsque je donne, c'est toujours sans attendre de retour !
A quel moment ai-je dit que j'étais dans cet espèce d'échange marchand que tu as l'air de suggérer ?
Je donne toujours gratuitement.
Mais pour ça il me faut de l'énergie. A rajouter, je peux avoir de l'énergie pour une chose à un moment donné, et pas pour une autre. Tant pis si ça paraît étrange à certains, mais c'est comme ça.
Et l'énergie, ce n'est absolument pas dans un éventuel retour de la personne que je l'obtiens. C'est en passant du temps seule, principalement. Je l'ai précisé plus haut... »


« Si l'un de tes amoureux exprime qu'il a besoin d'avoir de tes nouvelles pour sentir que le lien existe et est important pour toi, est ce que tu ne trouverais pas un peu d'énergie... »

 

« Oui, bien sûr, j'en trouverai plus que s'il ne demande rien. C'est sûr. Mais c'est quoi "un peu" ?
Le "un peu" dont je suis capable ne sera peut-être pas "assez" pour lui...et désolée mais je ne vais pas me vider de mon énergie pour ça. Non. 
Notamment, je ne vais pas prendre du peu d'énergie que j'arrive à garder, dans des périodes dépressives par exemple (comme ça m'est arrivé), pour assurer une certaine fréquence de messages. 
Or dans de telles circonstances, quelqu'un qui ne faisait pas particulièrement d'efforts de contacts de son côté m'a déjà reproché de ne pas en faire assez...alors que je donnais tout ce que je pouvais, sans retour donc !
Du coup je me méfie des remarques du genre "tu pourrais faire un peu plus"...car je l'avais fait et ça ne lui suffisait pas !! !

Donc le "un peu" dont tu parles me semble très subjectif, et si ça se trouve l'ami de xxx estime en être déjà à son maximum...ou pas, seul lui le sait ! »

 

« Parfois on a tout simplement besoin de se sentir entouré parce qu'on traverse un moment difficile et que la chaleur de l'amitié fait du bien...est ce que demander des signes de présences, c'est toucher à la liberté de l'autre  ? est ce pour autant pleurnicher ? »

 

« Demander, non. Exiger, oui.
Demander me semble très sain, au contraire.

Mais je rajouterais que tu peux avoir besoin de te sentir entourée au moment même où l'autre a besoin de s'isoler.

J'aime profondément quelqu'un qui par périodes, avait tendance à s'isoler, voire se couper le plus possible du monde parce qu'il en avait besoin. Cela m'a fait mal dans des périodes où j'aurais eu besoin de cette amitié, mais j'ai toujours respecté son besoin. 
Etre entourée, c'est un besoin que je peux combler avec d'autres (malgré le fait que non, les gens ne sont pas interchangeables, évidemment !). Alors que si on "force la main" à l'autre pour qu'il soit en contact avec nous, son besoin à lui n'a aucune chance d'être satisfait, même partiellement.

Bref, c'est pas toujours facile à appliquer mais ça me semble faire partie du respect de l'autre de le laisser tranquille s'il en a besoin ou envie.

(…) Pour ma part, je fonctionne beaucoup à la réciprocité, et quelqu'un qui m'envoie des messages, je vais lui répondre. Peut-être pas tout de suite, peut-être même sous deux, trois semaines si je suis très prise (ça peut arriver même si c'est rare, en général c'est quand même plus rapide, 24 ou 48h maxi).

Bref. Je fonctionne en réciprocité, sans doute beaucoup plus que ton ami, mais j'ai observé que ce n'est pas le cas de tout le monde.

Aujourd'hui je partage une relation très agréable avec quelqu'un qui avait au bout d'un moment pris l'habitude de ne pas me répondre...(enfin pas souvent)
Au début cela m'énervait et puis "on ne peut pas vouloir pour les autres" alors j'ai décidé de lâcher prise.

Aujourd'hui cette relation est très sereine et agréable même si on ne se voit pas souvent. Aimer pour moi c'est aussi ne pas attendre ce que l'autre n'est pas capable de donner...

(…) Non, ce n'est pas parce qu'on aime quelqu'un qu'on a toujours de l'énergie pour lui !
  Je crois que si certains pensent ça, c'est une idée reçue (que j'ai eue à une époque je l'avoue, une idée-réflexe contre laquelle je me bats encore) et qu'il faut la combattre.

Et non, ce n'est pas parce qu'on aime quelqu'un ou qu'on entretient une relation avec lui/elle qu'on doit se justifier auprès de lui/elle !
 Alors certes, on peut penser qu'il y a un minimum comme de dire à l'autre : "Désolé(e), je ne t'ai pas contacté(e) ces trois derniers mois, mais j'ai été surbooké(e) / eu des soucis".
Je pense que certaines personnes ne disent même pas cela par peur d'avoir à se justifier. Peut-être que simplement leur dire clairement qu'on comprend qu'elles ne soient pas toujours disponibles (voire presque toujours pas disponibles, en ce qui concerne certain(e)s), peut aider à une meilleure communication ?
Elles n'auront plus peur de simplement dire : "Désolé(e), je ne pouvais pas" car elles ne craindront plus qu'on leur demande des comptes.

(…) à te lire j'ai le sentiment (potentiellement faussé donc car c'est mon impression) que tu leur demandes quand même un peu des comptes. Des comptes qu'ils ne sont pas prêts à te rendre... »

 

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La voie étroite



Lundi 21 juillet


Hier soir j'imaginais, dans le dialogue que j'entretiens avec moi même face au mutisme obstiné de mon écran, que parmi les personnes qui me lisent et dont je ne sais pas grand chose, certaines s'étonnent probablement de la persistance de mon sujet d'expression favori en ces lieux. Figurez-vous que j'en ai eu la confirmation ce soir, par le biais d'une missive me poussant à passer à autre chose, ce qui m'a plutôt amusé. J'ai aussi reçu, ce qui m'a davantage plu, un courrier plutôt
... compréhensif. Au vu des écrits que je propose j'ai toujours la crainte de passer pour un monomaniaque obsédé par son histoire, délirant plus ou moins sur un personnage fantasmé. Pour le dernier point, je vous l'accorde, il s'agit bien de pures élucubrations détachées de toute réalité actuelle. Pour le reste, ne jamais oublier que mes écrits ne se focalisent que sur ce qui nécessite élaboration, percolation, structuration. On peut en déduire que si les seuls sujets qui me préoccupent sont ceux que j'aborde ici... alors c'est que je n'ai pas beaucoup de soucis !

De plus, si l'aventure si subtilement narrée a longtemps été source de questionnements, j'espère qu'il est devenu perceptible que ceux-ci ont laissé place à une décantation lente qui n'a cessé d'apporter la richesse de sa sédimentation. Fort de ces bienfaits la question qui pourrait encore se poser serait la suivante : est-ce que le fait que tout ne soit pas totalement achevé a encore des effets sur ma vie, notamment sentimentale.

Des effets, c'est certain qu'il y en a : je continue à laisser mûrir tranquillement le fruit d'une réflexion qui prend son temps. Rien ne presse et peu me chaut de voir passer les ans. Quant à ma vie sentimentale, qui est l'aspect qui semble avoir toujours préoccupé un certain nombre de mes lectrices, l'effet le plus visible est que je n'ai plus souhaité la voir se développer dans l'intensité. Le calme affectif me convient parfaitement ! Est-ce par souci de "protection", comme je l'ai souvent écrit ? Peut-être un peu, mais on sait bien que les sentiments ne se commandent ni ne se contrôlent. Je penche donc plutôt vers une inappétence envers ce genre de délices. Non pas une fermeture totale et définitive, ce qui serait idiot, mais un non-attrait relativement durable.

Oh je ne dis pas que rencontrer quelque svelte gourgandine me laisserait sans émoi, mais je ne ressens pas l'envie de m'aventurer vers la moindre complication. Alors si rien ne bouge... ce n'est pas moi qui frémirai d'une oreille
[mais si ça bouge, je tends l'oreille...].

Certes, je ne vis donc pas le grand frisson, le trouble délicieux, l'élan sublime, la pâmoison transcendentale... Non, rien de tout ce que j'ai pourtant encensé autrefois. Et pourtant je n'ai pas oublié comme cela avait pu être bon mais... comment dire... je n'ai pas retrouvé l'envie de le (re)vivre
[j'allais ajouter « sans Elle », mais je me suis retenu à temps].

Ouais, bon, d'accord... il y a certainement "quelque chose" qui me retient. J'ignore quoi précisément. C'est un peu bizarre que je n'y croie plus. C'est pas vraiment moi, ça. Pas mon genre. Probable que je n'ai pas vraiment abandonné. Pas encore. J'y travaille, pourtant, mais en cherchant, comme d'habitude, si une voie étroite et sinueuse ne permettrait pas de me rapprocher de je ne sais quoi...


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Une présence



Jeudi 31 juillet 2014


Décrypter. Littéralement : extraire ce qui est caché. C'est ce à quoi je me livre
depuis des années, souvent "à l'aveugle". Il n'en a pas toujours été ainsi puisque, pendant un certain temps, je me sentais accompagné de près dans ma découverte. C'était une période exaltante durant laquelle j'ai pu poser les jalons d'une émancipation latente. En quelque sorte, c'est un peu comme si j'avais eu besoin d'une telle rencontre pour m'arracher à mon conditionnement et me lancer...

En me rendant à mon travail, ce matin, je pensais à cette aide qui m'a été si précieuse et qui me porte encore. Tout au long de mon existence j'ai rencontré des personnes qui m'ont permis de comprendre des éléments de vie. Leur nombre est considérable, assurément. Pourtant l'une d'entre elles a représenté, à elle seule, un étonnant concentré de révélations. C'est ce qui explique, je crois, qu'une décennie plus tard je reste fortement imprégné des enseignements, directs ou induits, qui ont découlé de cette rencontre.

Ce lien qui demeure et dont je ne saurais préciser la nature me fascine. Pas vraiment surpris de sa persistance, que j'avais très tôt pressentie, je l'observe néanmoins avec un certain étonnement. En quoi consiste ce lien ? Comment opère t-il ? Quel sens a t-il ? Qu'est-ce qui le fait durer ? Car je ne pensais pas qu'il pourrait durer aussi longtemps avec cette prégnance. Plutôt que de sombrer dans l'oubli il m'aura aidé à aller vers une paix intérieure. Il survit même au travail de "séparation" auquel j'ai fini par me résoudre. Aujourd'hui encore le constat est indéniable : cette présence m'accompagne. L'absence et le silence n'empêchent nullement que ma pensée reste en contact avec une présence intériorisée. Cela n'a rien à voir avec je ne sais quelle démarche spiritiste, non, cela opère plutôt par réactivation de fragments de conversations anciennes. Me reviennent en effet quasi quotidiennement, au hasard des situations de vie, des éléments de dialogue d'autrefois. Ce que je ne comprenais pas vraiment il y a dix ans, ce que je ne savais pas vivre mais qui m'attirait cependant, ne cesse de s'actualiser au fur et à mesure de l'avancée de ma pensée. C'est ainsi que je ressens souvent cette impression, plutôt douce, de convergence de points de vue, telle qu'on peut la vivre au cours d'une conversation instantanée. Seule différence, mais de taille : je le vis en différé. Avec seulement dix ans de retard...

Une telle durée ne correspond pas à celle du temps d'une rencontre, ni même d'une relation. Qui saurait patienter aussi longtemps ? Je n'ai pas été suffisamment rapide dans le temps que m'avait ouvert la chance, c'est ainsi, et il n'y a donc rien à déplorer. Cela ne m'empêche pas, quoique avec un décalage temporel, de ressentir une réjouissante connivence.

C'est probablement de cette satisfaction que je tire l'énergie qui me permet de poursuivre mon décryptage.








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