Septembre 2014

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  Sinusoïdéal





Vendredi 5 septembre 2014


Depuis fort longtemps je me suis rendu compte que ma pensée suivait une trajectoire sinusoïdale lorsqu'elle accompagnait un important "travail" intérieur d'acceptation du réel. Elle oscille alors entre « ce que je crois » et « ce que je vois ». Entre ce que j'imagine et ce que le réel m'oppose. Il y a alors réagencement de ma pensée, en quelque sorte "idéale", pour qu'elle rejoigne la réalité. Cette pensée "idéale" est directement issue de mon imaginaire, tant pour ses aspects les plus sombres et névrotiques que pour ses éclats les plus lumineux. Avec le temps elle ne peut que se transformer pour aller vers davantage de conscience.

Pour tous les éléments courants de la vie ce travail d'acceptation se fait par ajustements permanents et infimes, imperceptibles. Il faut que le décalage soit fort et relativement soudain pour que je perçoive la secousse, voire le choc de l'imaginaire s'écrasant contre le réel. Dans les cas les plus significatifs il peut me falloir entre quelques heures et quelques mois pour accepter que le réel soit différent de ce que je croyais. C'est ce qui se produit, par exemple, lors du décès imprévu de personnes qui font partie du cercle de mes connaissances : je dois modifier ma perception du réel puisque celui-ci a changé. C'est ce qu'on appelle le deuil, qui consiste à accepter une nouvelle réalité. Il concerne toute perte concrète ou abstraite : celle de proches comme celle d'un travail, d'une maison, d'un objet, de ma jeunesse, de relations... ou de rêves, d'idéaux. Je pense là à certaines visions du monde, des rapports entre les humains ou de leur rapport à leur environnement.

Le deuil est un processus activé en continu dont seuls les éléments les plus saillants viennent vraiment à la conscience. Depuis le printemps dernier, par exemple, chaque soir et chaque matin je dois accepter de voir qu'un alignement d'immenses et majestueux platanes, qui donnait un caractère particulier à un secteur de mon village, a perdu beaucoup de sa superbe depuis qu'un abruti à cru bon de les élaguer "pour faire propre". Lorsque je passe sous leurs frondaisons amputées, je ne peux m'empêcher de revoir en imagination la voute qu'ils avaient formé en un siècle de libre croissance. À chaque passage je dois accepter cette nouvelle réalité : ils ne retrouveront jamais la noblesse de leur port. D'autres que moi n'ont peut être accordé aucune importance à cette nouvelle réalité, ou s'en sont réjouis, mais pour moi il y a perte d'un paysage, d'une ambiance, d'une harmonie. Donc processus de deuil.

Il y a évidemment des deuils plus importants, plus marquants, plus déterminants, plus absolus. Ils n'en seront que plus longs à opérer. Deuils individuels ou collectifs, deuils majeurs tels que ceux que l'humanité a dû faire en constatant les atrocités dont elle était capable. Car au delà de la seule perte d'un état antérieur, le deuil peut concerner des aspects immatériels : idées et idéaux.

Pour en rester dans l'exemple - volontairement mineur - des grands platanes cités plus haut, c'est une certaine idée du rapport entre l'homme et la nature qui s'est exprimée. Un rapport à la sécurité, sur l'autel de laquelle on a sacrifié l'esthétique naturelle. Ce n'est pas comme si une tempête avait défigurés les arbres : une décision humaine a conduit à cette destruction d'harmonie. Un homme avait le pouvoir de modeler ces êtres vénérables selon sa conception des choses et a fait fi d'autres avis. Il y a eu là une logique de domination. Sans concertation, sans dialogue, un homme a usé de son pouvoir.

Au deuil proprement dit s'est donc ajouté ma colère. Ce n'est pas la fatalité qui a changé un état antérieur mais une volonté. Ma colère s'adresse non seulement à celui qui a pris la décision mais aussi envers celui qui l'a légitimée en apposant sa signature et envers celui qui a fait le travail. Elle va aussi contre tous ceux qui ont "laissé faire" par ignorance ou désintérêt. Elle va enfin contre une certaine idée de la domination de l'homme sur la nature.

Mais ce serait un peu court et irresponsable si je n'adressais cette colère qu'aux autres... Car c'est probablement contre moi-même qu'elle est la plus forte ! Je n'ai pas été suffisamment vigilant pour empêcher une action contre laquelle je m'étais toujours fermement opposé. J'avais les moyens d'un contre-pouvoir, issu de mes compétences et de mes convictions, et je n'en ai pas fait usage. Simplement parce qu'à cette période j'étais épuisé et n'ai pas réagi à des signes que j'avais pourtant captés. Je n'ai pas eu la force, à ce moment-là, de chercher à approfondir mes soupçons. J'ai fait confiance à ceux qui connaissaient mon opposition, imaginant qu'ils ne tenteraient pas de la contourner. J'ai été naïf, crédule, et je m'en veux. Depuis, chaque jour, en passant sous ces platanes, je paye le prix de ma faiblesse en même temps que je réactive le processus de deuil.

Il en va de même, à une toute autre échelle, pour ce qui concerne mon attitude dans l'aventure relationnelle dont je narre ici les conséquences à long terme : chaque jour, ou presque, une situation présentant des analogies avec cette étonnante expérience réactive le processus de deuil dans un mélange composé, en parts fluctuantes, d'acceptation, de colère, de tristesse, de joie, de gratitude. Parce qu'à la fois je m'en veux d'avoir fait preuve de faiblesse, de manque de détermination à certains moments-clés de notre brève histoire commune, et à la fois je suis fier d'avoir parcouru autant de chemin grâce à cette exceptionnelle rencontre. J'oscille donc, à fréquence et amplitude déclinantes, entre acceptation de la réalité et persistance d'un rêve dont j'aurais voulu faire ma vie. Si au pire de l'incompréhension les ondes se succédaient plusieurs fois par jour, ce qui entrainait une grande instabilité dans mes pensées, leur fréquence de retour est actuellement de plusieurs semaines. Je les vois venir de loin, comme des vagues calmes sur une mer étale. Chaque phase de renoncement m'amène à restreindre mes rêves en acceptant les limites que leur impose le réel. Le deuil opère, lentement, profondément, selon une sinusoïde alternant entre la persistance d'un désir de retrouvailles et une forme d'indifférence envers celle qui, malgré les années qui s'écoulent, le suscite encore.

En ce moment je me sens particulièrement loin d'elle. Très lucide. Sans rêve ni désir. Et je m'en étonne...




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De honte et de fierté



Lundi 15 septembre 2014
[Rédigé le 6, amendé, modifié et précisé jusqu'au 15]


L'évocation, dans mon précédent billet, d'un sentiment de culpabilité face à la faiblesse dont j'ai fait preuve ce printemps n'était pas totalement fortuite. Les histoires de platanes n'étant pas vraiment dans la thématique de ce pseudo-journal, c'était seulement une façon d'introduire l'analogie avec une situation qui m'a autrement plus marqué, vaguement ébauchée en fin de texte : « je m'en veux d'avoir fait preuve de faiblesse, de manque de détermination à certains moments-clés de notre brève histoire commune ». J'ai envie de revenir sur ce jour où, dépassé, j'ai baissé les bras et laissé faire sans réaliser que les conséquences allaient être fort regrettables.

Bon. Là il faut que je dise qu'il y a un élément dont je n'ai jamais parlé, depuis dix ans que je tourne autour. Je l'ai maintenu dans l'ombre parce que j'en avais honte, mais aussi parce que, honte ou pas, je n'avais plus le pouvoir de désamorcer un processus qui s'était emballé trop vite. C'était "trop tard". J'ai donc gardé ma honte toutes ces années...

Aujourd'hui je pense que le moment est venu de m'en délivrer.

Avant d'approfondir et de décortiquer comme à mon habitude, je peux déjà résumer les choses ainsi : un jour j'ai eu moment de faiblesse passagère. Grave mais passagère. Indirectement cela a engendré des conséquences qui, rapidement, dont devenues "irréversibles". Lorsque j'ai pris conscience du processus fatal qui s'était enclenché j'ai voulu réparer mon erreur... mais il était déjà "trop tard". Je m'en suis alors beaucoup voulu d'avoir flanché... avant de sentir grandir en moi une colère contre celle qui, en choisissant l'irréversibilité, me privait de toute capacité d'action. C'est comme si j'étais enfermé dans un piège. La colère que j'avais contre moi s'est alors souvent retournée contre celle qui, involontairement, m'empêchait d'en sortir.

Comprenez-vous la situation ?

Alors oui, j'en ai énormément voulu à celle que j'aimais d'avoir fait ce choix... car il rendait définitive une faiblesse temporaire entachée de honte. Et ma honte, autour de laquelle je tourne sans oser vraiment l'avouer... c'était d'avoir fait preuve de lâcheté.

Ma lâcheté ? D'avoir accepté sans résistance de mettre fin à notre relation lorsqu'elle me l'a proposé... parce que j'y avais moi-même pensé quelques jours plus tôt, sans rien lui en dire. Oui, avant qu'elle énonce les mots de fin j'avais déjà décidé de la quitter ! Sauf que cette décision éphémère n'avait tenu que quelques heures. Elle n'était que l'expression d'un désarroi solitaire, réel certes, mais absolument pas suffisant pour conduire à des actes irréversibles.

Hélas ces éphémères pensées allaient rapidement avoir des effets désastreux...

C'est en grande partie autour de ce point d'inflexion et du fait qu'il soit devenu "irréversible" que s'articulent les faits que je relate dans ce journal depuis dix ans.

Pourquoi autant d'années à décortiquer ce passé ? Je crois que la raison est finalement toute simple : en toute chose j'ai besoin de connaître ma part de responsabilité. J'ai besoin de savoir à quel moment j'ai fait des erreurs, où j'ai failli et, dans l'aventure que je raconte, ce qui m'a fait renoncer à ce en quoi j'avais pourtant cru si fort. Je veux prendre ma part, sans plus, ni moins, pour observer ce qui vient, ou pas, de mon fait. C'est pour moi la meilleure façon d'accepter pleinement, et non par défaut, une situation dont il m'arrive encore de déplorer qu'elle perdure malgré l'importance du travail accompli. Et bien oui : quoique satisfait d'en être arrivé là où je suis, je ne peux m'empêcher de ressentir, parfois, une forme de... comment dire... oui, une forme d'injustice... tout en sachant combien il est vain d'attendre de la notion de justice qu'elle s'exerce équitablement. Et puis je sais bien que l'essentiel n'est pas là, mais dans le fait d'avoir parcouru un chemin dont, par ailleurs je suis fier et heureux.

J'aurais pourtant tellement aimé qu'il nous permette de nous retrouver...

Que s'est-il donc passé pour que je m'en sente honteux ? Rembobinage arrière, jusqu'en juin 2004 [pour amateurs d'auto-décorticage détaillé seulement]. Je vivais depuis plusieurs mois dans une situation de profond trouble, sommé de choisir entre deux modes de vie représentés par deux types de relations. D'un coté la stabilité, une certaine sécurité, mais aussi une certaine lassitude. De l'autre la liberté, l'inconnu, et un fort attrait pour tout ce qu'il allait falloir inventer afin de le rendre possible. Un vrai défi ! Dans mon esprit l'orientation choisie était nette mais des scrupules et des convictions morales entravaient fortement mon avancée. Plus de vingt ans de vie commune et d'amitié étaient en jeu, tout de même ! Je ne parvenais donc pas opter radicalement pour un choix dont les conséquences promises me mettaient déjà dans une situation de grande sensibilité émotive [eh oui, j'étais comme ça...]. En outre, ce vers quoi j'avais choisi d'aller avait parfois des aspects angoissants, réveillant alors des névroses infantiles. Globalement, même si je sentais naître une nouvelle maturité, j'avais un fort besoin d'être rassuré et je dirais même "accompagné". J'avais besoin de soutien, d'encouragements, et vivais mal d'être rudoyé. Oui, il y avait encore beaucoup du "petit garçon" dans tout ça...

J'avais surtout besoin de temps. Or sans savoir exactement de combien j'en disposais, je sentais confusément que je n'en aurais pas suffisamment : l'une des deux femmes grâce à qui je maintenais mon équilibre, incarnant la continuité tandis que l'autre m'invitait au changement, attendait de moi que je me détermine rapidement. De mon côté j'avais déjà compris que, coûte que coûte, il fallait que je poursuive la seule route qui vaille : celle de l'émancipation et de l'autonomie. C'était l'unique issue pour bien vivre ma relation avec celle qui tenait farouchement à sa liberté. Mais j'étais encore loin du bout !

Dans ce contexte instable et quelque peu tendu il me semble me souvenir que j'avais insisté auprès de celle qui me bouleversait pour qu'on se retrouve durant l'été. Depuis quelques temps j'avais senti croitre ses hésitations à poursuivre et redoutais les conséquences d'un éloignement trop durable. À tort, sans doute : je sais aujourd'hui que ce n'est pas le temps qui passe qui éloigne les êtres. Je percevais aussi de sa part une lassitude face à la lenteur de mon évolution vers l'autonomie et, probablement, des doutes sur mes capacités à y parvenir vraiment. Ne risquait-elle pas de "décrocher", à force de complications ? Quelle était sa patience à mon égard ? Jusqu'à quel point tenait-elle à moi ? Eh oui, je doutais... Il m'arrivait même de vaciller devant la difficulté à accepter une moindre démonstrativité que ce dont j'avais besoin.

J'étais encore bien fragile...

Alors reporter de six mois une nouvelle rencontre me paraissait impensable ! Non seulement j'avais très envie de retrouver cette femme "pour de vrai", mais je crois que j'en avais aussi besoin. Je pensais qu'auprès d'elle je retrouverais des forces. J'avais besoin de l'énergie vitale que je trouvais dans nos échanges. J'avais besoin, aussi, de constater l'importance qu'elle m'accordait. Ouais... j'avais beaucoup de besoins dépendant de l'autre, à cette époque...

In extremis elle accepta décida de venir me rejoindre en France pour une quinzaine de jours. Je garde l'impression tenace qu'elle ne serait pas venue si je ne l'avais pas un peu forcée. [Il semble que ma mémoire commence à tordre la réalité : elle n'aurait pas accepté de venir si elle s'était sentie forcée].

D'une certaine façon cet acte nous engagea : en lui faisant la demande j'exprimai clairement mon choix; en l'acceptant elle montra qu'elle aussi tenait à ce que nous vivions. Et mon épouse sut ainsi à quoi s'en tenir, hélas. C'est en réalisant vers quelle issue cela allait mener notre couple que, dans une tentative désespérée, Charlotte me supplia de ne pas rejoindre mon amie québecoise alors que celle-ci survolait déjà l'Atlantique. Le coeur déchiré par la douleur de mon épouse j'avais longuement tenté de l'apaiser mais n'avais évidemment pas accédé à sa demande : il était inconcevable que je ne sois pas là pour accueillir N. à son arrivée. C'est donc passablement bouleversé et en retard que je pris ma voiture pour foncer vers l'aéroport. Une heure de trajet ne me fut pas de trop pour retrouver un peu mes esprits : je me sentais vraiment très mal dans le rôle du "méchant". Cet ultime sursaut de Charlotte avait pompé beaucoup de mon énergie et englouti ma joie, tout en me culpabilisant. Son acte n'était pas délibérement volontaire... mais assurément me fragilisa.

Je me suis toujours demandé si Charlotte n'avais pas ainsi, sans le chercher, précipité la fin de l'aventure...

Car lorsque je retrouvai enfin celle que j'attendais et avais tant de plaisir à revoir... je n'étais pas encore pleinement disponible et n'avais guère de ressources pour lui exprimer ma satisfaction. De son côté elle n'en manifesta pas particulièrement, sans que je sache s'il ne fallait attribuer cela qu'à la fatigue du voyage. Les retrouvailles se firent donc sans effusion, ce qui m'étonna, et une atmosphère de neutralité émotionelle s'installa illico. Un raté. Il aurait fallu prendre le temps de se "poser" au calme pour nous retrouver, nous reconnecter de corps et d'esprit, mais l'envie de quitter au plus tôt l'aéroport l'emporta. Ce fut une erreur lourde de conséquences : la tiédeur initiale impulsa une atmosphère que je qualifierai de "circonspection attentiste" et il me fallut plusieurs jours pour dépasser cette première impression, quand même assez mitigée. C'est comme si les moments de plaisir à être ensemble, pourtant ressentis et clairement manifestés, ne suffisaient pas pour relancer vraiment la dynamique heureuse et insouciante de nos précédentes rencontres. Dès le début il manqua à ce séjour une ouverture, un enthousiasme, un souffle, une vitalité. Mais peut-être que ces impressions n'étaient que le reflet de mes inquiétudes ?

Pour ne rien arranger j'étais à cette période dans une situation financière préoccupante, ce qui limitait forcément les possibilités de déplacement et de fantaisies, donc ma liberté d'action. Inquiet de l'état de ma trésorerie en état d'alerte, le moindre achat m'angoissait. Faire le plein d'essence n'y échappait pas...

Bref, les circonstances n'étaient pas des plus favorables. Assurément je n'étais pas pleinement disponible.

Il y eut pourtant de vrais moments de plaisir à être ensemble - des rires, de la complicité, de la douceur - tels que j'aimais les vivre avec elle. Quelques escapades sur les routes vertigineuses du Vercors ou sur les hauts-plateaux me restent précieusement en mémoire. Mais je garde aussi le souvenir de moments où le silence devenait pâteux. Intuitivement je perçevais un malaise. Quelque chose clochait. Je ne retrouvais pas vraiment la femme pétillante que j'aimais et il me sembla parfois lire dans son regard quelque chose d'analogue. Je perçus même des signes d'agacement manifeste de sa part, sans qu'elle ne s'exprime à ce sujet. J'avais l'impression de la décevoir. Je perdais confiance en moi, donc en nous. Exactement ce que j'avais voulu contrer ! Et puis je découvrais des aspects méconnus, la voyant un peu moins ouverte que ce que j'imaginais. Quant à nos étreintes intimes, dont j'espérais qu'elles prennent enfin toute leur dimension... diverses maladresses les firent tourner au fiasco ! Alors après une dizaine de jours à ce régime mitigé j'en vins parfois à me demander ce que nous faisions ensemble... Désappointé, j'avais l'impression que nous ne nous retrouvions plus, tout en me sentant coupable de ne plus allumer d'étincelles dans son regard. Dans l'attitude de ma partenaire je percevais des signes d'ennui, de mélancolie, d'un je-ne-sais-quoi qui me désolait profondément. Tout ce que nous avions mis en place depuis des années semblait ne plus opérer. J'étais déçu. Je ne savais plus comment atteindre l'état relationnel et la fantaisie dont j'avais non seulement envie, mais aussi besoin. De ce séjour ensemble j'attendais beaucoup, à un moment difficile de ma vie, et il ne me nourrissait pas suffisamment. Je m'étiolais alors que j'attendais de la vitalité. À tel point qu'un matin, dépité de voir dormir à une heure avancée celle que je ne reconnaissais plus, je partis me promener pour me ressourcer, seul. Je me suis assis sur une souche, j'ai réfléchi, et là, au creux d'une forêt, j'en suis venu à me dire... que j'allais arrêter. J'attendrais la fin du séjour pour lui annoncer ma décision. Ce matin-là je ne ressentais plus rien pour elle. Je n'avais plus envie de continuer avec elle.

Oui, j'ai eu ces pensées de fin ! Elles n'ont duré que quelques heures, mais elles ont existé... En soi cela n'avait rien d'extraordinaire : dans toute relation peuvent venir des moments de doute, voire de renoncement. C'est le signe que tout n'est pas idéal et il faut nécessairement en passer par là pour changer de regard, s'adapter à une autre réalité que ce que l'on imaginait. Malheureusement ces éphémères pensées allaient jouer, quelques jours plus tard, un rôle capital.


À mon retour de promenade, retrouvant mon énigmatique amoureuse fraichement réveillée et de bonne humeur, je la vis satisfaite que j'aie fait quelque chose sans elle. Il est vrai qu'à cette époque je considérais encore que le temps d'un séjour commun devait être passé intégralement ensemble. Vieux relents d'une éducation éculée, basée sur le modèle du couple fusionnel, dont la stupidité me désole aujourd'hui !

Je ne lui ai rien dit de mes pensées morbides et nous avons continué à notre rythme tranquille. J'ai donc "triché". Ni plus ni moins que lorsqu'on ne dit pas tout de suite à l'autre des pensées désagréables à son sujet, ou inopportunes. Sauf que dans ce cas-là les circonstances qui allaient suivre n'allaient plus permettre d'y revenir...

Le lendemain j'emmenais ma princesse vers une ville méridionale connue jusqu'au Québec pour sa production de nougat, friandise qu'elle appréciait. Le trajet pour s'y rendre avait été tout à fait agréable et je me sentais de nouveau très bien avec elle. C'est comme si quelque chose s'était libéré. J'avais même été tenté d'offrir à ma belle une robe qui semblait lui plaire à l'étal d'un marché. Pensé seulement, sans oser, un peu échaudé par sa réaction face à ma proposition - maladroite - de lui offrir quelque chose quelques jours plus tôt. En fin de journée nous avions passé un moment à la terrasse d'un café, à l'ombre des platanes. Moment paisible que je captai en quelques photos, comme je l'avais fait tout au long de ces jours partagés. Sur cette terrasse je me sentais bien avec elle, me demandant fugitivement, en mon for intérieur, comment j'avais pu penser, la veille, qu'elle m'était devenue indifférente ! Mais non, je l'aimais cette femme !!

Le soir venu nous étions rentrés par les chemins buissonniers, profitant d'un coucher de soleil sur la vallée. Arrivant fort tardivement dans la vieille ferme qui était notre lieu de villégiature, je m'étais senti un peu penaud d'avoir mal estimé la distance et de lui avoir ainsi imposé un long et sinueux trajet sous les sombres forêts du Vercors. Elle ne sembla pas m'en vouloir tandis que, satisfait d'avoir retrouvé une bonne entente, j'avais oublié mes funestes pensées.

C'est le lendemain que les choses se sont brutalement gâtées, sans que nous nous y attendions. Trois jours avant la fin du séjour Charlotte s'immisca sans précautions dans notre duo par un coup de téléphone intempestif. Épuisée de douleur, profondément déprimée, elle ne supportait plus la situation et me posait un ultimatum radical : si je n'arrêtais pas définitivement cette relation, alors elle me promettait un divorce difficile et notre "amitié" n'y survivrait pas. A cette époque l'amitié de Charlotte me paraissait absolument essentielle et je n'imaginais pas d'y mettre fin dans une déchirante hostilité. Et puis la savoir en grande souffrance me brisait le coeur. Alors, face à l'urgence et à sa détresse, déboussolé, hagard et égaré... je n'ai plus su quoi faire.

J'étais totalement désemparé. [et comment aurait-il pu en être autrement ?]

Et là, très lâchement... j'ai laissé Nathalie dire les mots que j'avais envisagé de lui annoncer. Elle les a exprimés calmement, comme si elle-même s'y était déjà préparée. Pour moi, bien qu'ils ne soient plus d'actualité, ils représentaient une issue de secours immédiate. Mon "renoncement" des jours précédents m'avait, en quelque sorte, préparé à cette fin abrupte. En la laissant dire les mots fatals j'avais pleinement conscience que je m'évitais ainsi d'être celui qui met fin à la relation. Elle écrivit plus tard qu'elle avait lu dans mon regard que j'abdiquais. À cet instant c'était vrai.

Cette attitude déplorable, lâche et fuyante, ne m'honore pas. Elle m'aura finalement desservi puisque j'ai payé très fort le prix de ma démission. Soulagé dans l'instant de la culpabilité d'avoir à être "le méchant", j'ai dû porter ensuite celle, insidieuse et sournoise, d'avoir trahi, d'avoir failli. Et je l'ai portée seul puisque je ne lui ai jamais avoué cette bassesse, dont j'ai longtemps eu honte...

A très court terme je m'étais oté une charge, à long terme cela a certainement contribué à faire avorter notre relation puisque je n'ai pas affirmé, au moment crucial, ma volonté de poursuivre. J'ai besoin de reconnaître ouvertement cette part de ma responsabilité dans ce qu'il est advenu de nous par la suite. Sauf qu'à ce moment-là, sous la pression de l'urgence, je n'avais aucune conscience du long terme. C'était totalement abstrait. Je partais au plus pressé et n'imaginais pas qu'ainsi allait prendre fin la plus belle, la plus intense et la plus forte rencontre qu'il m'ait été donné de vivre. Je ne visualisais pas les conséquences de mon acte. D'ailleurs, soulagé, j'avais très vite retrouvé une insouciante légereté pour nos trois derniers jours ensemble. Si bien que, la veille de son départ, en voyant Nathalie me faire un signe depuis la fenêtre de "ma" vieille maison, je ne réalisais absolument pas que cette vision ne se reproduirait jamais. Je lus plus tard qu'elle, par contre, le « savait » déjà. Comment pouvait-elle savoir... si ce n'est en l'ayant décidé ? Dans son esprit un cheminement irréversible avait déjà pris place.

J'ai quand même eu des sursauts de lucidité, qui m'ont fait m'effondrer en percevant les conséquences envisageables. Je me souviens d'avoir sangloté dans ses bras en réalisant qu'était en train de se produire ce que je redoutais le plus, tandis qu'elle, et cela m'étonna, resta à peu près impassible. Je la trouvais "forte" alors que je m'écroulais.

Aux derniers instants, baissant un peu sa garde, elle m'avouera « j't'ai dans la peau, mon français ». Cela me rassura puissamment. Et tout en me déclarant qu'elle « savait qu'on ne se reverrait jamais »... elle me laissa une chance de nous retrouver si je me rendais disponible « avant cinq ans ». Elle se ravisa immédiatement pour que l'année tombe sur un chiffre rond : avant août 2010. Elle me laissait ainsi l'espoir et la chance de rendre possible la poursuite de notre relation. Un espoir auquel j'allais m'accrocher de toutes mes forces...

Je me souviens encore de l'amère douleur de mes larmes lorsque son avion s'est arraché du sol : je savais que nous ne nous reverrions pas avant très longtemps. Je ne crois pas avoir pensé que ce ne serait jamais.

Mais je n'ai pas voulu m'appesantir dans ce registe de douleur : j'ai immédiatement voulu faire bonne figure et consigner mon évolution par écrit [dans quel but ?]. J'ai fait comme si je prenais cette nouvelle donne avec philosophie. La seconde quinzaine d'août 2004, dans mes écrits, est assez révélatrice d'un beau trompe-l'oeil : non seulement je tentais de m'autoconvaincre, mais je voulais en même temps montrer à N. que moi aussi j'étais fort. Faussement détaché, c'est comme si je me dédoublais : tout en faisant mine d'accepter une nouvelle réalité... je refusais de voir cette fermeture à laquelle je ne croyais pas. D'ailleurs je ne pouvais m'empêcher de conclure chacun de mes textes par quelques mots montrant que je ne renonçais pas à cette relation. Et dans ces mots-là je ne trichais pas.

Je me suis toujours demandé si pendant les semaines qui ont suivi le départ de N. j'aurais encore pu changer le cours des choses. Aurait-elle aussi rapidement fermé toute possibilité de rattrapage si je n'avais pas fait semblant d'accepter ? Tandis qu'il m'a fallu ce temps de séparation pour prendre conscience que, non, définitivement, je ne voulais pas renoncer à cette aventure - certes difficile mais tellement riche de possibilités évolutives - elle, de son côté, voulait se couper de toute idée de retour. Au moment-même où la tournure de mes écrits se faisait de plus en plus affirmative dans mon désir de poursuivre avec elle, elle écrivait dans un sens opposé. Lorsque je l'ai appris, par un surprenant acte manqué de sa part, j'ai hurlé mon refus : NON ! Ce cri déclencha un échange téléphonique, au cours duquel elle finit par me convaincre d'accepter la fatalité. Le 13 septembre 2004 j'abdiquais de nouveau dans un Oui de défaite et de résignation. À l'entendre il était déjà trop tard pour elle, qui était passé du terme de « suspension » à celui de « arrêt ». Face à mon incompréhension elle m'avouera quelques mois plus tard, agacée par mes questions, qu'à l'aéroport elle avait choisi le premier terme « parce que ça aurait été trop difficile de dire arrêt ». En m'affirmant que ça voulait dire la même chose, faisant fi de la précision sémantique qui la caractérisait, elle tenta peut-être de se déculpabiliser. Sauf que pour moi la suspension avait un tout autre sens, sous-entendant évidemment qu'il y aurait reprise. C'est à cette condition que j'avais accepté le silence et c'est parce que je pensais à des lointaines retrouvailles que j'écrivais mon journal-lettre, à elle adressé. En voulant lui montrer que je supportais bien le choc, je tentais d'être à la hauteur attendue. Mais cela n'avait de sens que si l'objectif pour lequel je travaillais avait des chances d'aboutir.

Si j'ai effectivement fait preuve de lâcheté en laissant ma grande amie prononcer des mots de fin, elle aura de son côté fait un usage un peu léger du sens des mots. En les utilisant de façon approximative et changeante au gré de ses états intérieurs, elle contribua grandement à me déboussoler. Nous avons donc chacun eu nos faiblesses dans des moments d'épuisement ou de découragement. Hélas, à partir de là j'ai senti qu'elle n'était plus sincère avec elle-même... et je ne savais plus quand me fier à ses mots. Pendant les années qui suivirent, dans notre très filandreuse séparation, j'allais ne plus pouvoir savoir quand elle me dirait réellement le fond de sa pensée. C'est ainsi qu'alternèrent, pendant cinq ans, les moments de rapprochement qui me redonnaient l'espoir que nous allions enfin nous retrouver, et les longues périodes d'éloignement qui me faisaient m'interroger sur les suites de cette spirale sans fin. Lorsque c'est elle qui revenait vers moi et que je la sentais heureuse et épanouie, j'étais sûr qu'elle était sincère. Mais quand c'est moi qui revenais vers elle pour éclaircir ce que je ne comprenais toujours pas, elle avait une autre attitude et ses paroles versatiles perdaient beaucoup de leur fiabilité. Je crois qu'elle refusait sa propre culpabilité et, de ce fait, sa "franchise", parfois brutale, était à géométrie variable. Quant à ma propre sincérité sur ce journal-lettre à propos de cette histoire, elle a toujours été très relative : mes pensées, souvent, n'ont été que partiellement exposées. Spécialement quand il s'agissait de témoigner de mon attachement...

Forcément, puisqu'elle me lisait !

Par une volonté d'adaptation et de mimétisme j'ai souvent préféré écrire dans le sens de ce qui séparait (parce qu'elle voulait que les choses aillent en ce sens) plutôt que celui de l'amitié indéfectible qui m'habitait [sans pouvoir l'éviter...]. C'est pourtant parce que je tenais, ô combien, à cette relation d'une qualité rare que j'ai fait l'énorme travail intérieur qui m'a permis d'atteindre l'autonomie relationnelle qui me caractérise aujourd'hui.

Et de cela, je crois pouvoir être fier.






Pourquoi je raconte ça avec autant de détails ? Je vous laisse deviner...



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Se surpasser



Vendredi 19 septembre 2014


Vous êtes très peu à me lire ici. Dix fois moins que sur le blog. Un petit cercle qui convient très bien pour ces écrits... tout de même très personnels. Ça me va. Je trouve dans cette confidentialité le calme dont j'ai besoin.

De temps en temps l'un(e) d'entre vous m'écrit en privé, m'apportant l'écho sans lequel ce journal perdrait sa raison d'être. D'une certaine façon ces rares interactions justifient la poursuite de cette écriture en me rappelant qu'il y a bien "des gens" qui me lisent. Sans ça... je n'écrirais probablement plus !

J'ai cependant pleinement conscience qu'il est quelque peu bizarre de raconter une évolution personnelle dont on pourrait penser qu'elle n'a d'intérêt que pour celui qui la vit. Après tout, le monde s'en fout de mon cheminement ! Le monde oui... mais apparemment pas vous, puisque certain(e)s me suivent depuis des années. Et puis bon, de vous à moi... personne n'est dupe : vous savez très bien pourquoi j'écris encore ici. Je ne m'en cache plus vraiment...
Depuis mon précédent billet,
qui allait un cran plus loin que d'habitude, pas moins que trois lectrices m'ont interpellé sur cet aspect. J'y reviendrai prochainement. En tout cas je peux d'ores et déjà vous assurer que je sais très bien ce qui motive mon écriture !

Ce qui est indéniable c'est qu'écrire dans les conditions particulières qui règnent sur ce site permet un travail qui n'aurait pas pu exister ailleurs. Pensez-donc : bénéficier de l'attention discrète de quelques dizaines de personnes pour moi tout seul, c'est bien mieux qu'un psy ! Il est loin le temps où je ressentais la nécessité d'avoir un accompagnement thérapeutique dont, par ailleurs, je n'ai plus besoin. C'est aussi ça l'autonomie...

Mon travail s'est donc fait "avec vous" dans le rôle essentiellement passif qui est le vôtre : une présence silencieuse. Il s'est fait durant le temps fertile de la réparation post-séparation, que j'ai voulu exploiter à son maximum. Un temps qui s'est de plus en plus étiré : plus il s'écoulait et moins il y avait urgence. Je me suis ainsi progressivement accordé toute la durée nécessaire au cheminement auquel l'aventure relationnelle interrompue m'a invité. J'ai compris que l'atteinte de l'objectif était plus importante que la rapidité pour y parvenir. Et mon objectif était, à défaut des retrouvailles espérées, de trouver une paix de l'esprit durable. Maintenant que j'ai atteint cet état... le travail semble s'éteindre de lui-même.

C'est notamment pour cette raison qu'il me faut parfois plusieurs jours pour rédiger des textes se référant à de l'histoire ancienne : il me faut disposer d'une concentration de pensée qui n'est plus vraiment là.
N'étant plus dans le temps de l'urgence, je reporte la finalisation de jour en jour, souvent en fonction des aléas météorologiques. Jusqu'à ce que je me décide enfin à publier, acte nécessaire par lequel je valide l'aboutissement psychique du travail d'écriture. S'il m'arrive encore d'hésiter à publier, songeant alors que le fait de mettre en mots a déjà joué son rôle, je n'oublie pas que la publication a un effet beaucoup plus efficace : elle déclenche de nouvelles prises de conscience. Elle ouvre de nouvelles pistes d'exploration. Garder en moi ce serait tendre vers une accumulation avec tendance au déséquilibre à long terme. C'est en m'exposant constamment que j'entretiens la légère instabilité qui m'oblige à avancer. Ce journal a donc pour moi la même fonction qu'un vélo : il faut un minimum de mouvement pour garder l'équilibre.


Parmi les trois lectrices qui m'ont écrit depuis mon précédent billet, l'une d'elles a évoqué la notion de « souffrance » qui lui semblait encore transparaître dans mes textes actuels. Je me suis alors rendu compte que mes écrits, en revenant abondamment sur un passé qui fût douloureux, donnent probablement une idée fausse de mon état d'esprit lorsque je les rédige. Pour moi le "travail" qui opère entre l'écrit et ma pensée se fait désormais sans aucune souffrance. Je fais simplement le constat d'une évolution heureuse entre passé et présent. Et s'il y a bien quelque chose dont j'aimerais témoigner, c'est que d'une rupture extrêmement douloureuse on peut sortir grandi. Alors certes, comme il s'agit d'un "travail", il présente quelques difficultés. La démarche garde des aspects laborieux et je ne suis pas dans une écriture purement créative et ludique... Néanmoins les difficultés sont plaisantes à aborder et je trouve satisfaction à les dépasser, les voir s'estomper, voire disparaître.

J'aimerais que soit perçue ainsi ma démarche, à présent :)

Alors, parce que je me sais plus spontané dans mes échanges privés, j'ai envie d'en proposer aujourd'hui quelques passages significatifs. Voici un extrait du courrier de M., lectrice : [en espérant que cette citation sauvage ne pose pas de problème...]
« Une expression m'est venue à l'esprit en te lisant " lâcher la proie pour l'ombre", qu'on pourrait inverser par "lâcher l'ombre pour la proie". Rien n'est facile dans ton histoire et beaucoup pour ne pas dire tout y est bien  difficile et souvent bien douloureux. Le jeu en valait -il la chandelle ? Tu répondras "oui" j'en suis sûre. »

Réponse ainsi formulée : « Je dirais plutôt "lâcher l'ombre pour la lumière", tant je trouve satisfaction à avoir évolué grâce à cette histoire. Je pense que ça ne sent pas vraiment parce que j'évoque souvent les aspects qui ont été douloureux… mais observer cette évolution, cette sortie de la souffrance (qui venait essentiellement de mon immaturité) me procure une réelle joie. Donc oui, le jeu en valait la chandelle, sans hésitation »

M. poursuit : « Quand il s'agit d'amour fou on ferait n'importe quoi. Moi aussi je pourrais chanter avec Edith piaf : Non rien  rien de rien, je ne regrette rien, ni le bien ni le mal qu'on m'a fait cela m'est égal.... Mais à quel prix de souffrance mais on s'en fout tant qu'on est sous l'emprise de cet amour majuscule.
»

Ce à quoi j'ai répondu: « À mon sens ce n'était pas de "l'amour fou" (même s'il avait quelque chose de "fou"…) mais vraiment cette "complicité" que j'ai si souvent évoquée. Un mélange de grande confiance, d'amitié et d'amour. Difficile à décrire en fait. Il y avait une sorte d'évidence qui, malheureusement, s'est compliquée, à cause de sensibilités peut-être incompatibles… du moins à grande distance. Bon je ne sais pas, en fait. Je n'ai encore pas tout compris, c'est certain.

Donc rien de rien, je ne regrette rien :)
(sauf le mal que j'ai pu faire…) »

Avec un peu de recul je vois une phrase de ma lectrice sur laquelle j'aurais pu préciser ma perception des choses :
« Quand il s'agit d'amour fou on ferait n'importe quoi ». Pour ma part n'étant pas dans un amour fou, ni fou d'amour, je dirais que, plutôt que de faire "n'importe quoi", j'étais prêt à faire... beaucoup. Et par amour, en effet, je me suis surpassé. Je pourrais même aller jusqu'au terme de transcender ! Si pendant quelques temps j'ai bel et bien été perdu face à la complexité d'une situation qui m'échappait, je ne me suis pas perdu. Au contraire, au final je me suis trouvé.



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9+1=10



Dimanche 21 septembre 2014


Dix ans, c'est la durée que que j'avais estimée nécessaire pour reconstruire mon imaginaire amoureux si je devais accepter de "perdre"
(ne jamais revoir) la femme avec qui nous nous étions mutuellement accordé confiance. Il m'en aura fallu neuf mais l'échéance de la décennie est restée comme un repère. Pour le chiffre symbolique.

Le cap des dix années a été franchi depuis peu, libérant au passage
quelque chose dont j'ignore encore la nature. C'est comme si un nouveau paysage s'ouvrait devant moi. À l'évidence cette mutation était en préparation de longue date dans l'infra-conscient, comme en témoignent mes rares écrits durant les deux années interruption de publication, à partir de janvier 2012. J'avais subitement cessé de mettre en ligne mes textes lorsque je me suis vu écrire ces mots : « J'ai donc utilisé ce pseudo-journal comme une forme de communication dévoyée. Mes écrits ne pouvaient se déprendre d'une intentionalité en voulant faire passer un message, plus ou moins adroitement. Une façon comme une autre de contourner l'impossible dialogue... ». Cet extrait provient de "Fidélités contradictoires", texte écrit en janvier 2012 mais dont la publication a été reportée jusqu'en novembre 2013. Le constat me paraissait alors inavouable, trop sensible pour être exposé. Mon écriture s'était alors bloquée et mon journal entrait en sommeil. Il aura fallu que, de nouveau, un refus soit opposé à ma tentative de contact inopinée, lors mon troisième voyage solitaire au Québec, pour que finalement, sous l'effet d'une étrange sensation de déception-colère-réhabilitation, je retrouve le chemin de l'écriture...

Car il m'était appparu avec évidence que, quoi que je fasse, je n'avais plus le pouvoir de changer quoi que ce soit à la situation ("Restructuration"). J'avais utilisé toutes les possibilités à ma portée et il ne me restait qu'à lâcher-prise, une fois de plus, mais encore plus en amont. À partir de cette prise de conscience j'ai entrepris un long travail d'écriture élaborative que j'ai diffusé sur plusieurs mois. Ces écrits ont eu pour objectif de clarifier mes pensées, reprendre contact avec mes ressources profondes, accentuer le travail de détachement... et vérifier que tout cela ne déclenchait aucune réaction. Ensuite, c'est à dire depuis le printemps dernier, j'ai poursuivi le travail de détachement-pacification-revalorisation, jusqu'à
avouer trés récemment une faiblesse dont je me sentais encore coupable. Ainsi s'achève une année d'écriture supplémentaire. Neuf + un = dix

Maintenant tout est posé.

Tout ?
Presque tout...

Ne reste qu'à délivrer un aveu qui ne surprendra personne, tant il est flagrant. Il y a longtemps que j'ai commencé à m'en ouvrir à demi-mot et les trois lectrices dont j'ai parlé dans mon précédent billet, dans une belle unanimité, me poussent à achever la besogne.

M., déjà citée, m'a demandé : « Une question: Si tu as écrit ce long texte, n'est ce pas avec une certaine idée derrière la tête ... un espoir qu'elle te lise et te revienne...? »

E., qui connaît assez bien le versant "off", va un peu plus loin : « Je crois (...) que tu espères encore... que ton cœur bat encore pour cette femme. Pourrait il en être autrement? Je ne crois pas... tu y as mis toutes tes convictions, tes sentiments, c'est donc naturel de conserver cette empreinte indélébile au cœur. Reste a savoir si elle t'entendra... je te le souhaite. »

Quant à L., un peu trop arrogante à mon goût, elle dépasse carrément la ligne jaune : « Croyez-vous que Nathalie viendra féliciter son petit Pierre d'avoir si bien obéi et d'être devenu exactement celui qu'elle lui intimait de devenir : ce grand solitaire héroique et totalement autonome. Autonome mais tellement dans l'attente de son regard à ELLE. (...) Autonome et tellement dans l'espoir encore de voir revenir Nathalie... »

Aux deux premières je réponds clairement et sans détours : oui, tout ce que j'ai écrit depuis des années l'a été en pensant à son regard
[mais pas que...]. Oui j'espère encore et mon coeur bat encore pour cette femme avec qui j'avais tant à partager. Voilà, c'est dit [merci de m'y avoir conduit].
D'aucuns
[à commencer par elle, peut-être...] peuvent trouver ça débile, après tant d'années. Lamentablement pathétique, carrément pitoyable. Mais honnêtement... je m'en fous. Voir les choses ainsi, ce serait coller sur ma pensée des scénarios d'une grande pauvreté spirituelle. Car si j'espère c'est sans attendre [cette précision est essentielle], donc sans souffrance. En outre il m'importe de préciser l'objet de cette espérance : réconciliation. Rien de plus (je m'en étais déjà ouvert ici). Simplement permettre à deux êtres qui ont vécu ensemble quelque chose de puissant de pouvoir de nouveau se parler un jour.

Un jour, peu importe quand. Mais si ce jour ne devait jamais arriver, et bien tant pis ! Je n'attends pas ce jour hypothétique et devenu de plus en plus improbable. Toutefois, avoir accepté un choix qui n'est pas le mien ne m'empêche pas d'espérer qu'il évolue vers ce que je souhaite.

Quant aux battements de mon coeur, ils vont vers la personne sensible que j'ai connue, appréciée, estimée, aimée... Si elle n'avait plus que de la dureté et de la froideur à m'offrir alors, là encore, tant pis : ça ne m'intéresse pas. Elle le sait. Et là aussi je veux être clair : si elle-même n'a pas un jour ce désir de revenir vers moi il ne se passera rien. Par mes écrits elle sait mes désirs, ma disponibilité, mon attachement, et la liberté que je lui laisse de choisir. De mon côté l'absence de perspective réconciliatrice ne me provoque plus aucune tristesse, ni chagrin, ni douleur. J'ai pris acte de ses refus répétés. Je trouve seulement qu'il serait dommage d'en rester définitivement là. Vraiment dommage. Mais bon, cela ne m'empêche pas de continuer à me réjouir de ce que j'ai vécu et découvert grâce à cette femme avec qui j'aurais tant aimé poursuivre l'aventure. Pour moi notre rencontre reste une magnifique expérience, vivante, riche de ses complexités et contrastes. Oui E., tes mots sont justes : une empreinte indélébile au coeur. Et pas qu'au coeur...

J'en viens aux propos un peu acerbes de ma troisième lectrice
[dont je connais la propension à plaquer sur moi ses propres pensées]. Là je vais faire preuve d'un peu de véhémence mais... comment pouvez-vous, ô versatile lectrice [oui, je m'adresse à vous], imaginer que je n'aurais pas déjà réfléchi au schéma de pensée que vous me proposez avec un brin de condescendance ? N'ai-je pas suffisamment montré à quel point je sais farfouiller dans les recoins les plus obscurs de ma conscience ? Alors croyez-vous vraiment que je ne m'étais pas encore posé la question des raisons de ma persévérance ? Allons...
Vous y voyez de l'obéissance et supposez que je répondrais ce qu'on m'aurait intimé de devenir ? Comme un petit garçon ? Mais quelle piètre perception vous avez de l'homme que je suis devenu ! N'ai-je pas suffisamment montré que je disposais d'une certaine lucidité sur moi-même, souvent plus avancée que ce que je dévoile publiquement ? N'avez-vous pas l'impression de vous livrer à une magnifique projection en imaginant une relation fondée sur l'obéissance ! Si j'ai cherché à évoluer, à grandir, à mûrir, ce n'est pas parce quelqu'un me l'aurait demandé mais bien parce que je comprenais que cela me limitait dans mon épanouissement. Comment aurais-je pu rester amoureux d'une femme qui aurait cherché à me soumettre à sa volonté ? C'est au contraire parce que je percevais des signes de déséquilibre dans ce domaine que les choses se sont compliquées : je refusais cette dynamique délétère. Et le travail volontaire que j'ai entrepris pour aller vers l'autonomie a consisté, précisément, à faire abstraction du regard de celle vis à vis de qui je voulais atteindre l'autonomie. Si au début j'étais bien dans l'attente de son regard favorable sur moi, j'ai tout fait pour quitter cette "dépendance". Il m'a fallu du temps mais j'y suis parvenu. Certes j'ai eu une méthode assez particulière en ce sens que j'ai fait ce parcours d'émancipation sous le regard de la principale intéressée, mais en même temps je l'ai fait dans ces conditions difficiles parce que c'était la seule façon d'affronter ce regard-là. En outre ce regard, à supposer qu'il soit passé ici, est resté totalement muet depuis des années, me renvoyant "de force" vers moi-même, vers mon imaginaire, mes fantasmes, mes peurs. Dans ce "silence", dans cette bénéfique "solitude", j'ai pu forger mon autonomie. C'est donc tout le contraire de ce que vous me dites, L.

[Mais je vous remercie, par vos allégations fantaisistes, de me faire prendre conscience qu'il est très désagréable de se voir "analysé" par quelqu'un qui assemble les éléments parcellaires auxquels il a eu accès pour établir des postulats farfelus. Franchement c'est... n'importe quoi !]

Pour en finir avec le regard dont il était question plus haut... je m'en fiche s'il devait être là pour me juger. Je ne cherche pas à lui plaire à tout prix, mais à être "conforme à moi-même". Si ce que je raconte ici devait un jour la faire changer d'avis alors tant mieux, mais ce ne sera certainement pas parce que je me serai plié à ses désidératas... dont j'ignore tout. La seule chose dont je garde le souvenir tenace de ce qui pourrait lui plaire, c'est précisément que j'aie trouvé le degré d'autonomie qui me convient, et que je m'en trouve heureux. Que je me sente bien dans ma vie.

J'affirme sans prétention y être parvenu et c'est le meilleur hommage que je pouvais rendre à notre fructueuse rencontre.


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Communication violente



Samedi 27 septembre 2014


Je me suis laissé le temps de revenir, après que les propos acerbes d'une lectrice un peu trop imaginative m'aient fait réfléchir. Parce que l'interprétation qu'elle a fait de mes confidences a déclenché en moi un agacement, j'ai immédiatement fait le rapprochement avec des reproches qui m'avaient été faits autrefois. Car moi aussi j'avais une propension à me livrer à des suppositions hasardeuses, parfois...

Oui, je reconnais avoir projeté sur autrui une réalité distordue. Sur une base d'ingrédients réels j'ai cuisiné des faits à ma façon. Là où je manquais d'éléments j'ai établis des liens de cause à effet selon mon mode de pensée. Ce faisant j'ai forcément fait fausse route à certains moments. On ne devrait jamais supposer les pensées de l'autre, et encore moins tenter d'analyser cet autre.

Non, c'est pas tout à fait ça...
Ce qui ne faut pas faire c'est être affirmatif sur ce qu'on pense de l'autre. C'est une forme de communication violente. Potentiellement violente. Tout ce que l'on peut dire c'est ce que l'on ressent. Ou alors ce que l'on suppose mais sous forme interrogative, en attente de confirmation ou d'infirmation de la part de la seule personne habilitée à dire sa propre pensée, ses propres intentions. Que cette personne se "trompe" éventuellement ou pas n'a aucune importance : elle reste seule juge de la validité de sa pensée. Il ne sert à rien de tenter de la forcer à penser autrement.

Voila pourquoi, bien que j'apprécie beaucoup que lecteurs et lectrices me fassent part de leurs impressions, de leurs accords ou désacords, je peux réagir avec agacement lorsqu'une personne se permet de qualifier négativement mes actes et attitudes ou, pire, de me dysqualifier ou prétendre connaître mes pensées. Tout cela est une violence directe qui peut me faire réagir fortement.

Là où je veux en venir aujourd'hui c'est que je sais avoir eu moi-même cette attitude. Je n'en suis pas fier. Et cela peut encore m'arriver occasionnellement, hélas.

Si j'examine les situations qui favorisent les interprétations, j'observe qu'elles correspondent toujours à un mode de dialogue complexe : la parole n'y est pas vraiment libre. Cela arrive avec des personnes qui "bloquent" sur certains sujets les concernant. C'est un peu comme si un tabou se dessinait peu à peu autour de sujets inabordables. Ce qui est caché, refusé, dénié, tracera progressivement une zone sombre dans laquelle je ne suis pas admis. Je peux l'admettre mais alors j'en viens à me demander, avec le recul, si je peux me sentir vraiment "bien" avec de telles personnes. J'ai besoin de sentir
une volonté de confiance et de clarté, une ouverture, une capacité à se remettre en question. Les personnes avec qui je me sens en confiance sont celles avec qui je n'ai jamais ressenti qu'il y avait des tabous. Peu importe que ce soit dans une grande proximité ou de façon plus distante : j'ai besoin de sentir que les échanges sont libres.

Là, au moment où j'écris, plusieurs personnes s'invitent dans mon esprit, et notamment des ex-proches ou des personnes que je cotoie encore au quotidien dans mon activité professionnelle. Je n'avais jamais établi leur similitude sur ce plan-là.

Cela dit j'endosse ma part de responsabilité dans ces situations de blocage : je n'ai pas toujours eu l'attitude appropriée. En insistant pour forcer des barrages j'ai, au minimum, fait preuve de maladresse. Peut-être ai-je même exercé une violence ? Ce sont des situations qui n'existent plus dans mes relations actuelles mais peuvent perdurer en situation professionnelle. Et occasionnellement sur mes espaces d'expression publique vis à vis de celles ou ceux qui vont un peu trop loin dans leurs affirmations...

Il me revient donc de détecter au plus tôt les champs d'expression protégés de mes interlocuteurs et d'accepter leurs limites invisibles. Chacun a ses sensibilités et le respect de l'autre impose d'en tenir compte, sans chercher à les forcer. C'est d'une aveuglante évidence avec le recul... mais souvent beaucoup moins visible dans l'instant. Rester en contact de mes perceptions subtiles et autres intuitions infimes est probablement la meilleure piste à suivre.




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C'est beau !



Dimanche 28 septembre


Serais-je en train de liquider l'affaire qui a occupé mes pensées pendant des années ? Depuis un an j'ai l'impression de solder les comptes et il se pourrait bien que j'en sois aux dernières lignes d'écriture. Ne resterait-il plus que des ajustements à faire, au débit et au crédit, au fil de ce qui se libère encore ?

Avoir écrit que j'espérais encore un revirement de la part de "celle à qui j'écris", par exemple, m'a fait prendre conscience que j'étais passé, après son refus de l'an dernier, de l'insubmersible « je suis certain qu'on se retrouvera un jour » au dubitatif « on ne se retrouvera peut-être pas ». Maintenant j'en serais plutôt au « je ne crois plus qu'on se reverra ». Alors l'espoir évoqué, là-dedans, est bien mince. C'est une toute petite lumière devenue très lointaine. L'hypothèse de la voir de nouveau croître n'est plus qu'une possibilité infime... dont je me demande parfois si je la souhaite encore
[est-ce moi qui écris ça ?].

Il y a eu tellement de silence face à mes tentatives ! Et j'ai tellement avancé grâce à ce silence...

En fait il y a une dualité en moi. D'un côté je me suis résigné : c'est terminé. De l'autre il demeure cet espoir déraisonnable qu'un jour... la beauté d'heureuses retrouvailles advienne. C'est irréaliste, je le sais, mais ça me vient du plus profond de l'âme : croire que puisse se restaurer un lien endommagé
. Et là je vois au delà de "nous" puisque ma pensée me porte sur une certaine vision des rapports humains. Je suis fait comme ça, à croire en la réconciliation. Pourtant l'expérience m'a montré que cette croyance peut n'être ni partagée ni souhaitée. Alors si un jour elle choisissait de revenir vers moi, après avoir parcouru un long cheminement intérieur, il y aurait dans ce retour quelque chose de puissamment beau. Humainement beau. Que deux êtres qui se sont autant éloignés puissent se retrouver, ce serait à mes yeux... particulièrement fort.

[arrête de rêver !]

En même temps... j'ai tellement modelé mon esprit pour parvenir à accepter que plus aucun signe ne me parvienne que je m'y sens totalement prêt.

Les deux options sont donc possibles : le status quo, c'est à dire la poursuite de l'inexorable éloignement, ou alors, nettement plus improbable, l'inversion du mouvement. La première option revient pour moi à l'acceptation d'une défaite alors que la seconde serait une magnifique victoire commune. Oui, commune, parce que cela signifierait que tous les deux nous aurions suffisamment travaillé sur nous-même pour évoluer vers une capacité à dépasser nos erreurs, nos maladresses, nos faiblesses. Surmonter les blessures aussi. En quelque sorte être capable de pardonner et se pardonner...

Tout cela est assez naïf mais je m'en fous. J'ai cette croyance chevillée au corps qu'on peut rester reliés par delà les aléas, y compris les plus douloureux. Oui, c'est ça : j'ai envie de croire que "l'amitié" - autrement dit, l'amour - permet de surmonter le pire. C'est d'ailleurs à celà qu'on le reconnaît. Et si après s'être entredéchirés deux êtres parviennent à se "retrouver" pour de bon, à de nouveau se faire confiance, alors c'est qu'ils ont dépassé leurs blessures et leur orgueil pour s'ouvrir vraiment à l'autre.

Et ça, je trouve que c'est beau !
[dites-moi que ça existe...]


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Suite : Octobre 2014