L'adoption du pantalon par la Québécoise témoigne des
changements de mentalités . 1940-1950, phase hésitation, 1951-1956 ,phase
désertion,1957-1966, phase mutation, 1967-1980 , phase ébullition, 1981-1990
phase adoption, 1991-2000 phase de stabilisation . Comme grande prêtresse de la
modernité, la mode favorise la passerelle entre l'image féminine d'hier et le
consensus presque universel d'une nouvelle dimension identitaire. De nouveaux
signes sociaux s'élaborent avec l'avènement de ce vêtement ambivalent . En
achetant un pantalon, la québécoise doit se soumettre à une nouvelle
architecture corporelle. L'adoption se fait de façon graduelle permettant ainsi
de définir et de redéfinir la position de la femme dans l'espace et le
comportement. Cette éclosion timide du paraître en pantalon révèle un
attachement à ce qui était et ce qui demeure des éléments d'une tradition de
l'être.
Les objectifs de cette recherche visent à faire état de la consommation du pantalon féminin à Québec de 1940 à 1990 , de tracer la trajectoire d'une tradition séculaire pour mieux comprendre le phénomène d'évolution des consommations, de découvrir que la consommation vestimentaire, souvent identifiée comme futile et issue d'une société matérialiste, est un instrument clé pour analyser les changements culturels, de découvrir les causes de l'effrittement du dimorphisme sexuel, de déceler dans la consommation de biens, des sources potentielles pour suivre le cheminement des ruptures , de percevoir dans ses choix de consommation vestimentaire l'évolution sociale et identitaire de la femme.
Pour rencontrer les objectifs énoncés, nous avons eu recours à des sources diverses: iconiques ,scripto-iconiques: photographies, publicités, catalogues .Les réclames publicitaires de pantalon féminin, proviennent des magasins de la ville de Québec parues dans Le Journal Le Soleil depuis 1940. Du nombre, 500 proviennent de la Maison Simons , et 200 des autres magasins. Les publicités sont analysées selon trois grilles complémentaires : contextuelle, formelle, et culturelle. Des catalogues de vente par la poste provenant de 3 entreprises ont été examinés. Les sources ethnographiques provenant d'enquêtes individuelles et de discussions de groupe apportent un élément de comparaison entre ce qui est offert et ce qui est consommé.
Article paru dans le journal LE SOLEIL le 3 décembre 2000.
Le Soleil, Steve Deschënes |
Pour sa thèse de doctorat sur le
port du pantalon féminin, l'ethnologue Agathe Gagné-Collard a étudié un
millier de publicités de mode parues dans LE SOLEIL entre 1940 et
1990. |
Mélanie Saint-Hilaire
MSHilaire@lesoleil.com
« Mesdames, quoi de plus charmant qu'un délicieux tablier dont les motifs ou les coloris sont assortis à ceux des rideaux ou de la nappe ? » Nous sommes en 1966, et le Guide vestimentaire de la femme, publié à Montréal sous les auspices de l'Institut de féminité, proscrit avec vigueur le port du pantalon pour dame. Pourtant, certains magasins en offrent depuis plus de 20 ans...
Vêtue d'une robe bleu ciel au large col bateau, les boucles brunes soigneusement coiffées, Agathe Gagné-Collard ne ressemble pas à l'idée qu'on se fait de l'auteure de la première étude extensive sur le pantalon féminin. Où sont ses culottes ? « Dans mon armoire », dit-elle en éclatant de rire. Que voulez-vous, quand j'ai commencé à travailler, jamais je ne me serais présentée en pantalon. J'ai gardé l'habitude des robes...
Retour aux études
Originaire de Charlevoix, cette diplômée de l'Institut
familial du Mont-Irénée a passé plusieurs années à enseigner le tricot et le
tissage avant de se marier et de faire trois enfants. À 45 ans, l'âge où la
plupart des gens commencent à planifier leur retraite, elle a entamé des études
à l'Université Laval. « Pour voir si ça fonctionnait encore entre les deux
oreilles », dit-elle en riant. Ça fonctionne si bien qu'elle finit directrice
des programmes en science de la consommation ! En février, à l'âge de 63 ans,
elle déposait sa thèse doctorale, qui a eu un certain retentissement dans la
presse.
L'habit fait le moine, soutient Agathe Gagné-Collard. « À voir la façon dont quelqu'un s'habille, on peut souvent deviner des choses aussi précises que son niveau d'éducation ou le rang qu'il occupe dans sa famille », dit l'ethnologue, fascinée par la psychopédagogie du vêtement.
Curieusement, les recherches sur le pantalon féminin sont denrée rare. « J'essayais de trouver des informations sur le sujet, et je ne trouvais jamais rien. Même pas à la bibliothèque sur le textile du Musée du Louvre à Paris. »
Pourtant, parangons de vertu et partisans de la modernité se sont longtemps affrontés au sujet du pantalon féminin. La querelle a même eu des impacts juridiques. Dans les années 50, la réglementation municipale de Saint-Aimé-des-Lacs, dans Charlevoix, interdisait le port des culottes courtes aux femmes. Le gardien de plage pouvait infliger des amendes de 5 à 20 $ !
À l'époque, prôner le port du pantalon féminin revenait à mettre en cause la fonction exclusivement maternelle de la femme, ouvrant la voie à toutes les aberrations: égalité des sexes, indépendance dans le mariage, voire travail salarié et contraception. L'Église s'y opposait furieusement. « Si une femme échange ses habits et prend des habits d'homme, qu'elle soit anathème », décrète-t-elle lors d'un concile.
Heureusement, les partisanes du pantalon ne manquent pas de culot. À un curé qui lui reproche sa tenue masculine, une femme de Sainte-Monique-des-Saules réplique avec hauteur : « Je ne vous blâme pas de porter une robe, moi ! »
Dans les années 50, la jeune Agathe s'achète, en solde chez Luce's Liberty of London, à Pointe-au-Pic, un pantalon de flanelle grise qu'elle paye 35 $ (elle gagne 80 $ par mois !) L'année suivante, elle et sa soeur se cousent des bermudas. « On changeait de trottoir quand on passait devant la maison de grand-mère », rigole-t-elle.
Infiniment pratique, le pantalon gagne peu à peu la faveur des femmes actives. En 1943, le magasin Pollack propose des salopettes - en teintes pastel - pour les travaux aux champs et en usine. La deuxième Guerre mondiale contribue largement à faire évoluer les mentalités. En délaissant le foyer pour l'industrie, les femmes troquent la jupe contre la culotte, plus sécuritaire et fonctionnelle.
« Si parfois, ce vêtement masculin fait perdre au beau sexe, un peu de sa féminité, en beaucoup d'autres temps, il s'avère pratique et indispensable », peut-on lire en août 1942 dans les pages féminines du SOLEIL.
Mais ce n'est qu'à la fin des années 60 que les culottées répandront vraiment leur mode vestimentaire. Tandis que les religieuses enlèvent leur voile et les hommes leur cravate, les jeunes femmes enfilent le pantalon, symbole d'une jeunesse libre qui redéfinit les moeurs de son époque.
Quelques hommes protestent encore. Ainsi, LE SOLEIL du 9 décembre 1968 publie une photo révélatrice: des étudiants d'un collège de Toronto, vêtus de jupes, manifestent contre l'invasion féminine de leur garde-robe. Trop tard... Aujourd'hui, pendant les mois d'hiver, à peine une femme sur 10 porte une robe, estime Agathe Gagné-Collard.
Et elle-même ? « Je porte le pantalon beaucoup plus souvent depuis que je suis à la retraite », admet-elle avec le sourire. Retraite... c'est une façon de parler. Cette année, l'ethnologue a passé 50 jours au Cameroun, où elle a donné des cours sur les textiles à des lycéens. La coopération internationale, elle adore ! La gouverneure des clubs Richelieu de la région de Québec fait aussi du théâtre, de la danse, et planifie d'écrire un roman.
Une version épurée de sa thèse paraîtra probablement aux Presses de l'Université Laval, dans quelques mois.