V       Les quatre autres extinctions de masse

 

Version anglaise

 

Après avoir étudié l'extinction de masse la plus connue, l'extinction de masse à la limite K/T, nous allons examiner les quatre autres plus importantes : l'extinction à la limite de l'Ordovicien/Silurien, au Dévonien tardif, au Permien/Trias et au fini-Trias.

Si le modèle probabiliste est pertinent, il est vraisemblable que nous pourrons retrouver, dans ces quatre extinctions de masse, le même cas de figure que dans l'extinction de masse au fini-Crétacé. L'évolution environnementale a dû induire l'évolution biologique, grâce à l'influence probabiliste de la chaîne alimentaire et des facteurs de biominéralisation du calcium. S'il en est bien ainsi, le rôle probabiliste prépondérant, mais non exclusif, du calcium, dans l'acmé puis l'extinction de groupes importants d'organismes vivants, aussi bien de protistes que de métazoaires, ressortira avec évidence.

 

1 L'extinction de masse à la limite P/T ( vers - 248 M.A.)

 

C'est l'extinction de masse la plus importante de l'ère phanérozoïque. Plus de 200 familles d'organismes disparaissent alors que les quatre autres extinctions concernent environ une centaine de familles chacune. On estime que 13 % des classes animales, 17 % des ordres, 49 à 52 % des familles, 72 % des genres, entre 80 et 95 % des espèces (90 % des formes marines à coquilles; 78 % des familles de reptiles, 67 % de celles des amphibiens), auraient pu disparaître (Raup 1979), (Devillers, Chaline 1989), (Erwin, Valentine, Sepkoski), (Erwin 1996). Tous les groupes décimés ou éteints à la limite P/T ont connu une apogée avant cette limite : Foraminifères fusulinidés, Ammonoïdés (Goniatidés), Brachiopodes ( Classe des Articulés, Ordres des Strophomenida et Orthida - superfamilles Orthacea et Enteletacea ), Crinoïdes, Bryozoaires et Coraux solitaires.

Nous allons examiner les principaux groupes d'Invertébrés atteints ou décimés à la limite P/T, avec le pourcentage approximatif d'extinction des familles (Newell 1977):

Echinodermes

1) Crinoïdes : squelette en calcite représentant entre 95 et 99 % du volume de l'animal; la majeure partie des genres disparaissent à la fin du Permien, environ 100 % (Roux 1988).

2) Cystoïdes : tests formés de plaques calcaires polygonales, disparaissent à la fin du Permien, 100 %.

3) Blastoïdes : plaques calcaires coronales, éteints au Permien, 100 %.

4) Echinides : tests calcaires ; le seul genre qui survit au Trias est Miocidaris qui n'a que deux colonnes de plaques interambulacraires, alors que tous les autres genres du Permien qui disparaissent en ont jusqu'à 8 (Erwin 1996), plus de 50 %.

5) Ammonoïdés :Goniatites; coquilles calcaires, acmé au Carbonifère, s'éteignent au Permien, 100 %.

6) Trilobites : exosquelette riche en phosphate de calcium, existence benthique, se nourrissent de vase et de micro-plancton, extinction progressive depuis l'Ordovicien, définitive au Permien, 100 %.

7) Ostracodes : carapace bivalve calcaire, plus de 50 % décimés au Permien terminal.

8) Brachiopodes : coquille de phosphate et/ou carbonate de calcium, fréquemment associés aux Spongiaires et Coralliaires, environ 75 % d'extinction (Strophomenida et Orthida - Orthacea, Enteletacea -) (Babin 1991).

9) Bryozoaires : organismes coloniaux à zoécies calcaires ou phosphatées, rencontrés surtout dans les faciès calcaires, environ 75 % d'extinction (Trépostomes et Cryptostomes) (Théobald, Gama 1969).

10) Coraux solitaires : squelette calcaire, les coralliaires représentent le tiers des calcaires construits à la surface du globe, 100 % d'extinction.

11) Foraminifères fusulinidés : coquille calcaire volumineuse et lourde (muraille imperforée, cordons basaux), dans les calcaires à fusulines, tests en grande quantité associés à des Algues calcaires, Polypiers et Bryozoaires, 100 % d'extinction (Théobald, Gama 1969).

On peut constater qu'à la limite P/T, dans ces 11 groupes d'invertébrés marins, à exosquelette de carbonate ou de phosphate de calcium, les familles sont soit éteintes, soit décimées de 50 % à 75 %. Le métabolisme calcique de ces groupes d'organismes est plus ou moins important : Crinoïdes quasiment éteints avec squelette de calcite entre 95 et 99 % du volume de l'animal; Miocadaris, de petite taille , à test mince et à deux colonnes de plaques interambulacraires, le seul genre d'Echinides qui échappe à l'extinction alors que les autres genres éteints possèdent de nombreuses colonnes de plaques interambulacraires de calcaire; tests ou squelettes de calcite, aragonite, phosphate de calcium, plaques coronales calcaires, etc... Les Gastéropodes et les Bivalves sont également gravement atteints (Pamela J.W. Gore 1997). Les Spongiaires, qui peuvent avoir des spicules calcaires ou siliceux, apparaissent relativement peu touchés.

Ainsi, 13 groupes sur 14, à métabolisme calcique important, s'éteignent ou sont gravement décimés, soit 93 %. Un pourcentage aussi élevé ne peut être attribué au hasard.

Si nous analysons le cas des Vertébrés, il confirme le rôle essentiel du métabolisme calcique dans l'expansion et l'extinction des familles.

Le groupe des Reptiles domine les Vertébrés terrestres au Permien. Les Cotylosauriens, les Reptiles les plus anciens, ont, dans l'ensemble, des formes lourdes, pataudes et relativement grandes : Limnocelis (2 m de taille), Diadectes (1m,50 de taille), Pareiasaurus (3 m de taille). Les Pélycosauriens sont des formes uniquement permiennes : Dimetrodon, sorte d'énorme caméléon de 3 m de long avec une crête dorsale soutenue par des apophyses épineuses d'une longueur insolite (Théobald, Gama 1969 ). Les Eosuchiens, groupe vivant aux confins du Primaire et du Secondaire, sont généralement de petites tailles, mais avec une denture aux nombreuses dents. Les Mésosauriens, sont des Reptiles marins et peut-être terrestres, de grandes dimensions, avec une longue queue et des dents nombreuses. Dans ces différentes formes, le métabolisme calcique semble jouer un rôle majeur. 78 % des familles de Reptiles disparaissent à la limite P/T (Erwin 1996). La classe des Amphibiens connaît une phase d'expansion au Permo-Carbonifère. Parmi les Stégocéphales du Permien, existaient des formes de grandes dimensions, dépassant celles des crocodiles actuels, à côté de formes plus petites ((Seymouria); Rachitomes : Edops (os trapus, crâne de 63 cm), Eryops (membres massifs et bien ossifiés, crâne de 2 m) (Babin 1991), (Pamela J.W. Gore 1997), Actinodon, etc... Leur corps était recouvert d'écailles ou de plaques dermiques. Des os puissants fermaient complètement la voûte crânienne (Grassé 1992). Comme chez les Reptiles du Permien, le rôle du métabolisme calcique semble avoir été dominant. On estime le pourcentage d'extinction des familles d'Amphibiens à la limite P/T à 67 (Erwin 1996).

Au Permien, la formation du super-continent de la Pangée entraîne la collision des continents et l'érection de montagnes (Appalaches , Alleghany). Alors que la sédimentation calcaire, pendant le Paléozoïque, avait été abondante et notamment depuis le Dinantien, le Permien terminal voit se produire la phase palatine de l'orogenèse hercynienne et une sédimentation dûe à l'érosion des nouveaux massifs montagneux, à caractère principalement siliceux (grès bigarré ou Bundsandstein), sur la plus grande partie du globe. A la même époque se produit un volcanisme intense entraînant des coulées basaltiques considérables (trapps de Sibérie rejetant dans l'atmosphère et la stratosphère de 2 à 3 millions de Km3 de matériaux volcaniques riches en silice). La Chine du Sud connaît, à la même époque, d'importantes éruptions volcaniques (Erwin 1996) (Renne 1995). Le volcanisme s'accompagne de glaciations aux pôles Nord et Sud, de refroidissement du climat et de faciès dysaérobiques locaux dans les océans peu profonds et de baisse du niveau d'oxygène (S.E. Sichuan, Chine - Wignall et Hallam 1998). On observe également de larges accumulations d'évaporites et des eaux hypersalines (Pamela J.W. Gore 1997). Le CO2 dégagé dans les éruptions volcaniques augmente dans l'atmosphère et dans les océans (Dewey M. McLean 1997).

Ainsi, à la fin du Permien, nombre de paramètres probabilistes perturbateurs de la biominéralisation du calcium étaient présents, soit sur toute la surface du globe, soit régionalement :

Facteur 2 : Les glaciations aux deux pôles refroidissent la température et les eaux peu profondes des océans

Facteur 3 : Niveau plus élevé de CO2 consécutif au volcanisme intense des Trapps de Sibérie et de la Chine du Sud dans l'atmosphère et les océans (Renne 1995 - Erwin 1996)

Facteur 4 : Erosion terrigène et poussières riches en silice des éruptions volcaniques

Facteur 5 : Hypersalinité des océans attestée par l'accumulation des évaporites (Pamela J.W. Gore 1997)

Facteur 6 : Anoxie dans les océans (Wignall et Twitchett)

Facteur 7 : Rupture de la chaîne alimentaire: disparition des Foraminifères fusulinidés, des Coraux, des Bryozoaires, Brachiopodes, etc...

On constate qu'à la fin du Permien, la quasi-totalité des facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation sont en action, ce qui explique avec pertinence l'extinction de masse majeure qui se produit à la limite P/T.

Le modèle probabiliste est en phase avec l'hypothèse des deux pulsations d'extinction à la fin du Permien, l'une au Guadaloupéen, l'autre au Tatarien (Stanley et Xiangning Yang 1994).

 

2 Les extinctions de masse à l'Ordovicien/Silurien,

au Dévonien tardif et au fini-Trias

 

Elles sont approximativement égales en intensité comme nous l'avons rappelé plus haut, de l'ordre d'une centaine de familles chacune (Sepkoski 1986). Les groupes qui disparaissent ou qui sont les plus touchés sont toujours, Vertébrés ou Invertébrés, protistes ou métazoaires, "consommateurs" importants de calcium pour l'édification de leur squelette interne ou externe. Examinons brièvement ces 3 extinctions.

 

a) L'extinction à la limite Ordovicien/Silurien (vers - 438 M.A.)

 

Parmi la centaine de familles qui disparut, les groupes les plus touchés furent les Bryozoaires, les Brachiopodes, les Coraux solitaires, les Trilobites, les Graptolithes, les Echinoïdes et les Crinoïdes (Newell 1977) (Stanley 1991). Tous ces organismes avaient un métabolisme calcique plus ou moins important . Seuls les Graptolithes, gravement affectés également, ne possèdaient pas de squelettes de composés du calcium. Ces organismes, planctoniques pour la plupart, se nourrissant de bactéries et d'autres organismes marins microscopiques étaient rassemblés dans des réseaux de tubes faits de protéines de collagène semblables à ceux des Ptérobranches (Ruppert et Barnes 1994). La fin de l'Ordovicien se situe à la phase taconique du cycle orogénique calédonien. Les continents étaient, à cette époque, des déserts biologiques, faute de couvert végétal (les premiers végétaux aériens apparaissent à ce moment). Les continents étaient la proie de l'érosion d'où une prédominance des faciès terrigènes dans les mers du Paléozoïque inférieur (Auboin, Brousse, Lehman 1985). La mise en place de la chaîne calédonienne s'accompagnait de métamorphisme et de granitisation. On passe des calcaires de l'Ordovicien terminal aux grès et schistes du Lhandovérien inférieur. L'importance de l'érosion terrigène est manifeste. Simultanément, la tectonique des plaques était responsable d'un arc volcanique en Amérique du Nord. Le climat se refroidissait avec une glaciation importante au Gondwana à la fin de l'Ordovicien ( dépôts glaciaires du Sahara - Pamela J.W. Gore 1996).

Résumons les facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation du calcium à la fin de l'Ordovicien :

Facteur 2 : Refroidissement du paléoclimat et glaciation au Gondwana

Facteur 3 : Niveau plus élevé de CO2 dans l'atmosphère et les océans dû au refroidissement et au rejet de CO2 par les volcans

Facteur 4 : Sédimentation terrigène par l'importance de l'érosion

Ces facteurs, responsables de l'extinction de masse à la limite Ordocicien/Silurien, peuvent avoir une action régionale ou mondiale.

 

b) L'extinction au Dévonien tardif (à la limite Frasnien/Famennien, vers - 367 M.A.)

 

Comme à la fin de l'Ordovicien et du Trias, une centaine de familles disparaissent à la limite du Frasnien et du Famennien. Les groupes les plus atteints sont, comme dans la plupart des extinctions, ceux de la communauté marine alors que la flore et la faune terrestres sont peu touchés. Les taxons les plus affectés sont les espèces des eaux chaudes et tropicales et, notamment, les principaux constructeurs de récifs : stromatoporoïdés, rugueux et coraux tabulés. Les autres organismes gravement atteints sont les Algues flottantes, les Trilobites, les Brachiopodes, les Conodontes et Acritarches, les Poissons primitifs et les Ammonoïdés (Clyménidés). Tous ces groupes utilisent, plus ou moins, le calcium pour l'édification de leur exosquelette ou leur endosquelette. Alors que les éponges à spicules calcaires périclitaient, les éponges à spicules siliceux prospéraient et se diversifiaient à la fin du Dévonien (Stanley 1991). Chez les Agnathes, alors que les Ostracodermes, "Lamproies cuirassées" à la formation osseuse dermique plus ou moins importante, par des boucliers ossifiés (Ostéostracés), des plaques (Anaspidés) ou des carapaces osseuses (Hétérostracés) disparaissent, les Lamproies, au corps cartiligineux, persistent. Chez les Gnathostomes, les Placodermes, poissons à squelette interne cartilagineux possèdent une cuirasse osseuse (Antiarches et Arthrodires). Ils s'éteignent presque complètement au Dévonien terminal alors que les Acanthodiens, à squelette interne également cartilagineux, qui ne portaient qu'une épine à l'avant de chaque nageoire et étaient dénués de cuirasses osseuses comme les Placodermes persistent jusqu'au Permien (Babin 1991) (Théobald, Gama 1969).

L'existence de récifs, de carbonates et d'évaporites au Dévonien suggère un climat chaud. Au Dévonien moyen et terminal, un changement considérable dans le climat se produit avec une glaciation au Gondwana (mise en évidence par les dépôts glaciaires dans le Nord du Brésil), un refroidissement global avec de vastes dépôts de schistes noirs et une crise biotique marine qui élimine 70 à 80 % des espèces existantes avec une corrélation temporelle étroite entre ces deux évènements. L'orogénie acadienne dans le Nord de l'Amérique et calédonienne en Grande-Bretagne et en Norvége génère l'érection de montagnes et une érosion intense qui produit les puissantes séries détritiques des Vieux Grès Rouges. On passe, en Europe, des calcaires frasniens aux schistes famenniens (Auboin, Brousse, Lehman 1985). Corrélativement, les éruptions volcaniques se développent le long des ceintures mobiles de la croûte terrestre qui résultent des plissements et de l'érection des montagnes consécutifs aux gigantesques collisions des plaques rocheuses à la surface de la terre.

Nous retrouvons trois facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation du calcium au Dévonien terminal :

Facteur 2 : Glaciation du Gondwana et refroidissement global des eaux marines

Facteur 3 : Niveau plus élevé de CO2 dans l'atmosphère et les océans dû au refroidissement et au rejet de CO2 par les volcans

Facteur 4 : Erosion intense et vastes dépôts de schistes noirs et des séries détritiques des Vieux Grès Rouges

 

c) L'extinction au Fini-Trias (vers - 208 M.A.)

 

Les principaux groupes touchés furent les Brachiopodes, les Ammonoïdés (Cératitidés), les Mollusques bivalves (Taxodontes), les Gastéropodes et les Conodontes (Théobald, Gama 1969), (Babin 1991). Les Amphibiens labyrinthodontes et les Reptiles marins, à l'exception des Ichthyosauriens qui apparaissent vers cette époque, sont décimés. Tous ces organismes ont un endosquelette ou un exosquelette et un métabolisme plus ou moins important.

Pendant le Trias, où les continents sont assemblés dans la Pangée, le climat est généralement chaud et sec et les dépôts d'évaporites s'accumulent. A la fin du Trias, la Pangée commence à se disloquer et des volcans locaux apparaissent. Le fini-Trias correspond à la phase cimmérienne du cycle alpin, surtout importante en Asie du Sud-Est. On passe, à la fin du Trias, des dolomies carniennes et noriennes et des marnes du Keuper aux puissants épanchements basaltiques du Rhétien (Auboin, Brousse, Lehman 1985). Il ne semble pas y avoir eu de glaciation et de refroidissement au Trias.

Les facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation qui sont actifs au fini-Trias sont :

Facteur 4 : L'orogénie, le volcanisme local et les épanchements basaltiques du Rhétien favorisent la sédimentation terrigène

Facteur 5 : L'hypersalinité des eaux transgressives recouvrant épisodiquement les évaporites.

On constate que, dans ces cinq extinctions de masse, les organismes à exosquelette ou endosquelette de composés du calcium, à métabolisme plus ou moins important, subissent les effets de l'apparition des facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation du calcium.

Ainsi, à l'Ordovicien, les organismes subissent les effets de 3 facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation du calcium, au Dévonien de 3 facteurs, au Permien de 6 facteurs, au Crétacé de 5 facteurs et au Trias de 2 facteurs. Ces extinctions de masse sont précédées, le plus souvent, de radiations induites par la présence des facteurs probabilistes favorables à la biominéralisation du calcium : Ordovicien, Silurien et Dévonien basal et moyen, Carbonifère et Permien, Mésozoïque (Erwin, Valentine, Sepkowski).

Dans les cinq extinctions de masse, de nombreux faits significatifs confortent le modèle probabiliste; entre autres :

1) A la limite K/T, la corrélation entre la persistance, la disparition ou la faible survivance de 90 % des genres à la limite K/T et la composition de leur exosquelette ou leur endosquelette; celle qui existe, dans l'espace et le temps, entre l'apparition locale des fossiles de Dinosaures et une transgression préalable, c'est-à-dire une sédimentation marine qui permet d'instaurer la chaîne trophique probabiliste du calcium; les preuves stratigraphiques de changement de la sédimentation calcaire en sédimentation siliceuse à la fin du Crétacé, etc...

2) A la limite P/T où 49 à 52 % des familles disparaissent; 13 groupes d'invertébrés sur 14, à exosquelette de calcium et à métabolisme calcique, s'éteignent ou sont gravement décimés, soit 93 %. De même disparaissent 78 % des familles de Reptiles et 67 % de celles des Amphibiens à métabolisme calcique important.

3) Après la radiation ordovicienne, à la limite Ordocicien/Silurien, les groupes les plus touchés sont les Bryozoaires, les Brachiopodes, les Coraux solitaires, les Trilobites, les Graptolithes, les Echinoïdes et les Crinoïdes; tous ces organismes, sauf les Graptolithes, comportent un squelette de calcium et un métabolisme calcique relativement important.

4) Au Dévonien tardif, les éponges à spicules siliceux prospèrent aux dépens des éponges à spicules calcaires; les Poissons primitifs disparaissent (Ostracodermes et Placodermes, "poissons cuirassés", à plaques et cuirasses osseuses), alors que les Poissons non cuirassés (Acanthodiens) persistent.

5) Au Fini-Trias, les principaux groupes touchés sont toujours des organismes à exosquelette de calcium et à métabolisme calcique plus ou moins important (Brachiopodes, Ammonoïdés, Mollusques bivalves, Gastéropodes et Conodontes).

 

La plupart des arguments qui valident le modèle probabiliste, dans l'extinction de masse à la limite K/T, s'appliquent, de façon similaire, aux autres extinctions de masse : durée "géologique", sélectivité, acmé antérieure des groupes animaux, dénominateur commun de la prospérité et de la disparition "simultanées" d'embranchements éloignés, Vertébrés et Invertébrés, chaîne trophique du calcium, changement du caractère de la sédimentation lors des extinctions, qui passe d'une dominante calcique à une dominante siliceuse (par les mouvements orogéniques, le volcanisme, les intrusions magmatiques). Les autres facteurs probabilistes de l'environnement perturbateurs de la biominéralisation du calcium sont, par ordre décroissant : les glaciations et refroidissements du climat (à l'Ordovicien, au Dévonien, au Permien et au Crétacé), l'accroissement de CO2 dans l'atmosphère et les océans (à l'Ordovicien, au Dévonien, au Permien et au Crétacé), l'hypersalinité des océans (au Permien, au Crétacé et au Trias), la rupture de la chaîne alimentaire (au Permien et au Crétacé) et l'anoxie (au Permien). Ces facteurs perturbateurs peuvent avoir une action régionale ou globale.

Une analyse des organismes les plus affectés par plusieurs extinctions de masse conforte le modèle probabiliste. Dans l'énumération suivante figurent les groupes dont 50 % ou plus d'espèces ont été décimées lors des différentes extinctions :

  1. Spongiaires (Dévonien  : prospérité des éponges siliceuses aux dépens des éponges calcaires)
  2. Cnidaires (Ordovicien : coraux solitaires ; Dévonien tardif : coraux tabulés, stromatoporoïdés ; Permien : coraux solitaires, rugueux et tabulés ; Crétacé : coraux)
  3. Bryozoaires (Ordovicien ; Permien : Trépostomes et Cryptostomes)
  4. Brachiopodes (Ordovicien ; Dévonien ; Permien ; Trias)
  5. Mollusques (Dévonien : Ammonoïdés, Clyménidés ; Permien : Ammonoïdés, Goniatidés ; Gastéropodes, Bivalves ; Trias : Ammonoïdés, Cératitidés ; Bivalves, Taxodontes ; Gastéropodes ; Crétacé : Ammonoïdés ; Belemnoïdés ; Nautiloïdés ; Huîtres, Hippuritidés ; Pélécypodes)
  6. Arthropodes (Ordovicien : Trilobites ; Dévonien : Trilobites ; Permien : Trilobites ; Ostracodes)
  7. Echinodermes (Ordovicien : Echinoïdes ; Crinoïdes ; Permien : Crinoïdes, Cystoïdes, Blastoïdes, Echinides)
  8. Vertébrés (Dévonien : Poissons primitifs, Ostracodermes, Placodermes ; Permien : Amphibiens, Reptiles, Pélycosauriens ; Trias : Amphibiens labyrinthodontes ; Reptiles marins sauf Ichthyosauriens ; Crétacé : Poissons Ostéichthyens ; Reptiles terrestres et marins)
  9. Graptolithes (Ordovicien)
  10. Conodontes (Dévonien, Trias)

Parmi les Protistes, les Coccolithophoridés, apparus au Carnien (Trias supérieur), sont décimés à la limite K/T. Quant aux Foraminifères, ils sont quasiment éteints au Permien (fusulinidés) puis au Crétacé (Globigérines, Orbitoïdés).

Tous ces groupes décimés, souvent à maintes reprises, protistes ou organismes multicellulaires (à l'exception des graptolithes qui se nourrissent de bactéries et d'organismes planctoniques microscopiques), possèdent un exosquelette ou un endosquelette de composés du calcium et un métabolisme calcique plus ou moins important.

Un dernier argument fort de l'influence de la chaîne trophique du calcium et des facteurs probabilistes de la biominéralisation du calcium sur l'acmé des organismes et leur disparition en masse est l'histoire des récifs tropicaux.. Ces récifs témoignent de l'importance du calcaire dans leur édification, aragonite, calcite, carbonates, etc... Selon les époques, les formations récifales ont été élaborées par des organismes très divers, Coraux solitaires ou coloniaux, Algues calcaires symbiotiques, Spongiaires, Tabulés, Tétracoralliaires, Hexacoralliaires, Madréporaires etc... et même des Lamellibranches (Rudistes du Crétacé). Le calcium joue un rôle fondamental dans les constructions récifales qui représentent un tiers des calcaires édifiés à la surface du globe. Les récifs coralliens sont d'ailleurs accompagnés de formations périrécifales (calcaires oolithiques, calcaires lithographiques, etc...) (Théobald, Gama 1969).

Si on partage l'histoire des récifs tropicaux en trois périodes (Copper 1988) : 1) les périodes de début de développement 2) les périodes de plein développement 3) les périodes d'absence totale, on constate :

Les périodes 1 et 2 de début et/ou de plein développement coïncident avec les périodes de radiation qui précédent les extinctions de masse: Cambrien basal et moyen, Ordovicien, Silurien et Dévonien basal et moyen, Carbonifère et Permien, Trias, Jurassique et Crétacé, Tertiaire, c'est-à-dire les périodes où la sédimentation calcaire et les facteurs probabilistes favorables à la biominéralisation du calcium prédominent.

Les périodes 3 d'absence totale des récifs tropicaux coïncident exactement avec les époques des 5 extinctions de masse les plus importantes: limite Ordovicien/Silurien, Dévonien tardif, limite P/T, fini-Trias, limite K/T (plus le Cambrien terminal), c'est-à-dire les périodes où la sédimentation siliceuse s'impose (orogénie, volcanisme, etc...) et où les facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation du calcium déciment les organismes constructeurs de récifs tropicaux.

La corrélation entre l'acmé et la disparition des récifs tropicaux et l'établissement des facteurs probabilistes favorables ou perturbateurs de la biominéralisation du calcium est sans faille.

 

Les arguments a contrario

 

Les protistes à squelette siliceux ou organique sont relativement peu affectés par les extinctions de masse : Silicoflagellés (Si), Radiolaires (Si), Dinoflagellés (organique), Diatomées (Si) dont l'atteinte au Crétacé est contestée.

Parmi les Arthropodes, les Insectes, à squelette chitineux, qui constituent plus de 80 % des espèces actuelles de métazoaires ne sont pas affectés par les extinctions de masse du Dévonien, du Trias et du Crétacé. Seule exception, le Permien, l'extinction la plus considérable de toutes (200 familles éteintes) où 30 % des ordres d'insectes disparaissent (Erwin 1996). Cette disparition semble être corrélée avec l'atteinte de la flore terrestre, dûe à la dévastation de l'environnement, dont les insectes se nourrissent. Les Arachnides semblent également peu atteints. Les groupes les plus affectés, les Trilobites (Ordovicien, Dévonien, Permien) possèdent un exosquelette riche en phosphate de calcium, et les Crustacés (Ostracodes - Permien), une carapace constituée de deux valves de chitine imprégnée de sels calcaires

Les Annélides, qui existent depuis le Précambrien, très peu pourvus en squelette de calcium (en dehors de quelques  Polychètes, Serpule, Pomateceros à tube calcaire, Spirorbis du Silurien, etc...) souffrent généralement peu des extinctions de masse.

Parmi les Vertébrés, rappelons les poissons peu ou pas affectés : Chondrichthyens : Elasmobranches à squelette de cartilage (67 % de survie au Crétacé) alors que les Ostéichthyens, poissons à squelette de calcium sont décimés ( 4 % de survie au Crétacé). Rappelons également la prospérité des éponges siliceuses à la fin du Permien alors que les éponges calcaires périclitent.

En résumé, la masse impressionnante des faits que nous venons de citer crédibilisent largement la validité du modèle probabiliste d'interaction entre un paramètre de l'environnement, le calcium, et les organismes, aussi bien invertébrés que vertébrés, protistes ou métazoaires.

 

Suite : VI L'explosion cambrienne

Retour vers Page d'accueil

Retour vers Table des matières