VI       L'explosion cambrienne

 

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Les causes de l'émergence, au Cambrien basal, de la majeure partie des phyla actuels de métazoaires, à l'exception des Bryozoaires, entre dans le cadre de notre modèle probabiliste d'interaction entre l'évolution environnementale et l'évolution biologique.

Avant d'analyser les caractéristiques essentielles de l'"explosion fossilifère" du Cambrien, résumons brièvement les évènements biologiques qui précèdent cette "explosion".

Dans l'état actuel de nos connaissances, on peut fixer l'origine de la vie, sur la terre (âgée d'environ 4,6 milliards d'années), vers 3,85 milliards d'années, date à laquelle on trouve les premières roches et les premières traces de vie sur l'île d'Akilia, au sud ouest du Groënland (ratio des isotopes 12 et 13 du carbone, Mojzsis 1996).

Les fossiles archéens sont de deux types: 1) des microfossiles: bactéries primitives procaryotes et cyanobactéries filamenteuses primitives (Warrawoona Group en Australie occidentale 3,5/3,4 M.A); bactéries primitives et cyanobactéries unicellulaires (Big True Group en Afrique du Sud 3,4 M.A.) 2) des stromatolites constitués de carbonate de calcium (Warrawoona Group, probablement vers 3,5/ 3,4 M.A; Pongola Supergroup et Bularvayan Group en Afrique du Sud 3,1/2,8 M.A.).

Comme pendant l'Archéen, les fossiles du Protérozoïque ( 2,5/0,543 M.A.) sont de deux types: microfossiles et stromatolites.

Au Protérozoïque inférieur ( 2,5/1,6 M.A.): Guntflint Chert (Amérique du Nord, 2,1/1,8 M.A.): diverses bactéries procaryotes évoluées et cyanobactéries filamenteuses; Fortescue Group (Australie occidentale, 1,8 M.A.): diverses bactéries procaryotes évoluées et cyanobactéries filamenteuses (taille d'environ 10 microns); les stromatolites deviennent plus abondants (Fortescue Group, 1,8 M.A.)( Freeman Lynde 1998). A partir de 1,87 M.A., des micro fossiles eucaryotes évoluent. Ils se distinguent des procaryotes par des dimensions plus grandes (40 à 60 microns en moyenne), des parois cellulaires plus épaisses, un noyau et des composés chimiques spécifiques (Butterfield 1998). Des recherches récentes (à confirmer) auraient révélé la présence de cellules eucaryotes il y a 2,7 milliards d'années (Roger Summons 1999).

Au Protérozoïque moyen ( 1.6/0,9 M.A.), la vie se diversifie; micro fossiles : première apparition des Acritarches (kystes d'algues eucaryotes planctoniques), algues multicellulaires (empreintes carbonatées; possibilité dans les Little Belt Mountains Montana 1,4 M.A.; elles s'étendent au Spitzberg, en Chine, aux Indes, au Canada 1,2/0,7 M.A.). Au Néoprotérozoïque ( 0,9/ 0,543 M.A.), apparition des premières traces de métazoaires (pistes, terriers) puis de la faune d'Ediacara ( 0,565/0,543 M.A.). Les stromatolites sont très abondants. Au Phanérozoïque, ils deviennent restreints et confinés aux milieux hypersalins (Freeman Lynde 1998).

Si l'on résume sommairement les évènements biologiques, on constate que, sur une longue période (environ 2 milliards d'années, de 3,8 à 1,8 M.A.), la vie sur terre a été une vie microbienne unicellulaire procaryote. Puis, pendant une longue période suivante (de 1,8 à environ 1 M.A. Butterfield 1998) s'est développée une vie unicellulaire eucaryote (Holland Bengtson 1994), conjointement à une crise de nombreux groupes de bactéries procaryotes. Depuis 1 milliard d'années environ, sont apparus des fossiles ou des traces fossilifères de métazoaires. Les algues multicellulaires apparaissent plus tôt (1,4/1,2 M.A. Butterfield 1998).

Au Néoprotérozoïque terminal, la faune d'Ediacara apparaît entre 0,565 et 0,543 M.A. Initialement découverte dans les collines d'Ediacara (Australie), la faune d'Ediacara a été trouvée depuis dans plus de 30 localités, dans tous les continents, sauf l'Antarctique. D'après les données moléculaires, les métazoaires dériveraient d'organismes unicellulaires reliés aux choanoflagellés, datant d'environ 1 M.A.. Les traces fossiles les plus anciennes de vers seraient vieilles d'environ 0,565 M.A.. Des chercheurs de Tübingen, Yale et Jadovpur (Inde) ont trouvé des tunnels qui auraient été creusés, il y a environ 1 M.A., par des organismes semblables à des vers. Cette hypothèse, soutenue par Seilacher et ses collègues (1998) est néanmoins controversée. Les éponges (phylum des Porifères) trouvées dans les sédiments du Néoprotérozoïque sont les organismes métazoaires les plus primitifs. Les Cténaires et les Cnidaires (méduses, actinies, coraux), métazoaires diploblastiques primitifs comme les Porifères, possèdent, comme eux, 11 types de cellules spécialisées alors que les vers, organismes triploblastiques plus évolués, pourvus d'un coelome, en possèdent approximativement 55. La majeure partie des organismes vendiens fossiles, à part quelques bribes de squelettes durs, sont des organismes à corps mou. Pour les 2/3, ce sont des Cténaires et Cnidaires; pour 1/4 des vers plats. Et quelques arthropodes primitifs. La faune vendienne a été interprétée comme un règne différent du règne animal (McMenamin soutenu par Seilacher, contesté par Runnegar 1997), comme composée de protozoaires, de lichens (Retallack 1994), comme un groupe proche des cnidaires, etc... La faune édiacarienne a pratiquement été éteinte à la frontière du Précambrien et du Cambrien, il y a 0,543 M.A. mais il n'existe pas de solution de continuité entre le Néoprotérozoïque et le Cambrien (Erwin, Valentine, Jablonski 1997). Les premières traces de métazoaires plus évolués se situent à ce niveau (Trichophycus pedum International Subcommission on Cambrian Stratigraphy 1997), avant les S.S.F.

Au Cambrien inférieur apparaissent de nombreux métazoaires minuscules à coquilles (environ 1 à 5 mm) et à faible diversité, les S.S.F. (Small Shelly Fossils). Ils sont largement répandus dans le monde (Australie, Inde, Chine, Mongolie, Sibérie, Iran, Amérique du Nord, etc...). Cette apparition et celle de la faune édiacarienne, à partir de 0,565 M.A., représentent 2 pulsations majeures qui caractérisent l'émergence des animaux macroscopiques à la fin du Néoprotérozoïque et au Cambrien inférieur, suivie par l'"explosion cambrienne" (Grotzinger 1998). Au Cambrien basal apparaissent Anabarites, Protohertzina et mollusques primitifs. Au fur et à mesure que le Cambrien basal progresse, les organismes à squelettes et à membres distincts deviennent de plus en plus abondants. On a ainsi souvent parlé d'"explosion tommotienne". Au Tommotien (0,530/0,527 M.A.), de nouveaux phyla sont recensés: Brachiopodes et Porifères (récifs d'Archéocyathes), Lapworthella, nombreux phyla à corps mou. A l'étage Atdabanien (0,527/0,525 M.A.), surgissent les Arthropodes (Trilobites qui vont dominer le Cambrien) et des Echinodermes primitifs. Au Cambrien moyen, la faune de Burgess Shale (vers 0,520 M.A.) sera composée d'animaux à corps mou et d'animaux à parties dures. La plupart des phyla modernes marins y sont représentés (sauf les Bryozoaires). On en décompte environ 37 (Erwin, Valentine, Jablonski 1997) parmi lesquels des Porifères, Annélides, Priapulides, Onychophores, Mollusques, Arthropodes, Coelentérés, Echinodermes, Chordés et de nombreux phyla éteints à corps mou (Pamela Gore 1997). On estime peut être à une centaine le nombre de phyla apparus au Cambrien (Valentine; Clark 1997). Au Cambrien, la diversification se situe au niveau des phyla et non des genres (environ 400 genres au Cambrien pour 1500 à l'Ordovicien Pamela Gore 1997). Le Cambrien ressort ainsi plus comme un temps d'expérimentation évolutionniste, de radiation des métazoaires et de diversification des lignées que comme une période de spéciation. La radiation cambrienne des métazoaires constitue un des évènements les plus importants de l'histoire de la vie avec l'apparition de la plupart des plans d'organisation associés aux innovations les plus essentielles des organismes vivants (squelettes minéralisés, intestins, mâchoires, branchies, etc...).

On peut schématiser l'"explosion cambrienne" en 4 périodes significatives:

1) La période vendienne, antérieure à l'explosion cambrienne et qui l'annonce (0,565/0,543 M.A.) caractérisée par l'émergence soudaine des métazoaires à corps mou.

2) L'apparition des S.S.F. (Small Shelly Fossils) caractérisée par de nombreux organismes minuscules à coquilles, des spicules et une faible diversité (0,543/0,530 M.A.).

3) Les radiations tommotienne et atdabanienne (0,530/0,525 M.A.) avec l'émergence de la plupart des lignées modernes et de nombreuses lignées éteintes (à squelette dur et à corps mou) et leurs innovations biologiques.

4) La faune de Burgess Shale (vers 0,520 M.A.) qui prolonge les radiations tommotienne atdabanienne et l'évolution des lignées qui y sont apparues (à squelette dur et à corps mou).

Les causes proposées de l'"explosion cambrienne" peuvent être classées en deux catégories:

a) Les causes intrinsèques : la flexibilité génétique, la complexification des Hox gènes des métazoaires (1 chez les éponges, 6 chez les mouches, 8 chez les arthropodes, 38 chez les mammifères ... Erwin, Valentine, Jablonski 1997), l'existence de niches écologiques libres, l'apparition de la prédation.

b) Les causes extrinsèques : modifications de l'environnement, composition chimique des océans (carbone, soufre), variations du niveau des nutriments, phosphogenèse, formations calcaires, augmentation du taux d'oxygène dans l'atmosphère et les océans.

Une cause purement intrinsèque peut être exclue. L'"explosion cambrienne" ayant concerné tous les taxons simultanément semblerait incompréhensible dans le cas d'une cause purement intrinsèque.

Nous proposons d'intégrer le phénomène de l'"explosion cambrienne" dans le cadre du modèle probabiliste d'interaction entre l'évolution environnementale et l'évolution biologique.

Nous avons schématisé l'"explosion cambrienne" en 4 périodes significatives. Nous allons tenter de corréler, selon notre modèle, les variations des stimuli de l'environnement et leur influence probabiliste sur les organismes vivants. Parmi les stimuli de l'environnement dont l'influence sur les organismes est prépondérante et qui ont évolué considérablement pendant la trentaine de millions d'années du processus cambrien (d'environ 0,549 M.A., sommet de la faune ediacarienne, Grotzinger 1998, à 0,520 M.A., faune de Burgess Shale), nous en retenons deux essentiels : les éléments chimiques O et Ca.

L'influence du niveau du stimulus de l'oxygène moléculaire libre dans l'atmosphère ou dissous dans les océans est primordiale dans la physiologie et la morphologie des organismes vivants et notamment des métazoaires. Nous étudierons, au chapitre IX , l'interaction entre l'évolution de la PO2 P.A.L. (PO2 : Pression partielle d'oxygène moléculaire par rapport à la P.A.L. Present Atmospheric Level : niveau actuel de l'atmosphère ) depuis l'origine de la terre et l'évolution biologique depuis l'origine de la vie.

Rappelons les relations complexes qui existent entre les métazoaires et l'oxygène moléculaire libre. Dans les cellules des organismes aérobies, l'oxygène moléculaire est le dernier maillon de la chaîne des transporteurs d'électrons, la chaîne respiratoire. Les organismes aérobies réagissent (ou utilisent) à l'oxygène présent, sous forme dissoute dans l'eau ou sous forme gazeuse dans l'atmosphère, selon deux modes respiratoires principaux : la respiration aquatique (cutanée et branchiale) et la respiration aérienne (cutanée, trachéenne et pulmonaire). Certains dispositifs mixent les respirations aquatiques et aériennes, "trachéobranchies" d'insectes aquatiques larve d'Ecdyonurus (Ephérémoptère), "poumons d'eau" des Phanorbes (Basommatophores) (Turquier 1994). De même que le calcium ou d'autres paramètres chimiques ou physiques de l'environnement (iode, soufre, carbone, ondes électromagnétiques ou sonores, etc...), l'oxygène peut être considéré comme un stimulus de l'environnement auquel réagissent les organismes. Selon notre modèle, l'évolution animale est corrélée, chronologiquement, de façon probabiliste, au cours des temps géologiques, à la teneur en oxygène moléculaire libre présente dans l'hydrosphère et l'atmosphère terrestres. La PO2 P.A.L. étant passée, de l'Archéen à nos jours de 0 à 100 %, concomitamment à cette variation du stimulus de l'oxygène moléculaire libre, la réaction des organismes a évolué, cette évolution se manifestant essentiellement par des innovations morphologiques, physiologiques et notamment des systèmes respiratoires diversifiés.

L'apparition des cellules eucaryotes aérobies vers 1,8 M.A. implique une PO2 P.A.L. au minimum de 1 % (Chapman, Schopf 1983), celle des métazoaires, au moins de 7 % PO2 P.A.L. (Raff). L'utilisation de l'oxygène dissous dans l'eau, pour la respiration des animaux aquatiques, est conditionnée par de nombreux paramètres, tant physiques qu'anatomiques, physiologiques ou biochimiques. Parmi les paramètres physiques, citons le coefficient de solubilité de l'oxygène dans l'eau ( ou capacitance - Dejours 1994) ( 34,1 ml l-1 dans l'eau distillée à 15 ° C équilibrée contre de l'air) et la température (Krogh 1941). La diffusion de l'oxygène dans les tissus, qui obéit à la 1ère loi de Fick, dépend du paramètre de distance L entre 2 points A et B, de la surface de contact des différents compartiments, de la différence de leur pression partielle, de la constante de diffusion de Krogh (K). L'importance du paramètre L a été formalisée par Harvey (1928). La simple diffusion de l'oxygène dans les tissus animaux ne peut être efficace, selon la modèlisation de Harvey que pour des animaux de petite taille ou lorsque des formes ou des dispositifs spéciaux (aspect foliacé, pseudopodes développés, surfaces compliquées) permettent de respecter les contraintes de Harvey (Turquier 1994). La respiration cutanée peut augmenter son efficacité par des perfectionnements importants (convection externe renouvelant l'eau: cils, flagelles, appendices; convection interne : appareil circulatoire, sang ou hémolymphe, pigments respiratoires). Ces multiples dispositifs peuvent être combinés ou non dans les espèces à respiration branchiale ou pulmonaire. La respiration branchiale, avec ses particularités essentielles (grande surface d'échange, épithélium aminci, convection externe ventilation branchiale , et interne circulation coelomique ou sanguine, pigments respiratoires ), constitue, chez les animaux aquatiques, le dispositif le plus efficace pour absorber l'oxygène, pour un animal de grande taille. Alors que, chez les Invertébrés, les branchies externes sont très répandues, elles sont relativement rares et souvent transitoires chez quelques larves de Poissons (Polyptères, Dipneustes) et chez les Amphibiens (Turquier 1994). La quantité d'oxygène dissous dans l'eau douce et dans l'eau de mer est beaucoup plus faible que celle qui existe dans l'air, 5,79 ml l-1 dans l'eau de mer et 7,22 ml l-1 dans l'eau douce à 15° en équilibre avec l'air atmosphérique, pour 209,5 ml l-1 dans l'air atmosphérique (Schmidt Nielsen 1977). Les animaux à respiration aérienne utilisent, pour absorber l'oxygène de l'atmosphère, en dehors de dispositifs cutanés spécifiques (Amphibiens adultes, Oligochètes terricoles, etc...) essentiellement les systèmes trachéens et pulmonaires, indépendamment ou combinés (respiration mixte des Araignées).

L'importance du stimulus O2 a varié au cours des temps géologiques. Dans le chapitre IX, nous avons tenté d'établir une échelle approximative, dans la limite des connaissances actuelles, de l'augmentation de la pression partielle d'oxygène moléculaire libre, par rapport au présent, PO2 P.A.L., depuis l'origine de la terre. Les données dont nous disposons étant remplies d'incertitudes, on doit considérer les niveaux de cette échelle plus comme des ordres de grandeur vraisemblables que comme des taux rigoureux de PO2.

Les données géochimiques nous fournissent des indications sur les taux d'oxygène, les PO2 P.A.L. depuis l'origine de la terre jusqu'au Phanérozoïque.

A l'Hadéen (4,6/3,9 M.A.), l'atmosphère primordiale de la terre et les dégazages du volcanisme intense de cette époque ne contiennent pas d'oxygène moléculaire libre.

La composition isotopique de l'azote dans les micro fossiles, vers 3,4/3,5 M.A., de même que celle du carbone dans les sédiments de cette période indiquent que O2 était quasiment absent de l'atmosphère (Beaumont et Robert 1998).

De l'Archéen moyen au Protérozoïque moyen ( 2,9 à 1,6 M.A.), 3 phases principales se déroulent:

1) Les dépôts d'uraninite (UO2) et de pyrite (FeS2) au Précambrien, jusque vers 2,3 M.A., indiquent des conditions non oxydatives de l'atmosphère avec des taux de PO2 P.A.L. faibles, allant vraisemblablement de 0,0005 à 0,005; entre 2,25 et 2,05 M.A., on constate une soudaine augmentation du taux de PO2 P.A.L (Holland 1998).

2) Les dépôts de B.I.F. (Banded Iron Formations - Formations de fer rubané), alternant des couches riches et pauvres en magnétite (Fe3O4), se produisent d'environ 2,8 à 1,8/1,7 M.A. avec des pics d'abondance entre 2,5 et 2,00 M.A., coïncidant avec l'augmentation, dans les archives fossiles, des cyanobactéries productrices d'O2 vers 2,3 M.A. et la disparition des uraninites. Les dépôts de B.I.F. indiquent également des conditions non oxydatives de l'atmosphère.

3) Les dépôts de Red Beds (Formations Rouges) d'hématite (Fe2O3) apparaissent vers 2,00 M.A., indiquant des conditions oxydatives de l'atmosphère et conduisent à la disparition des B.I.F. vers 1,8/1,7 M.A. et au développement de la couche d'ozone O3 (Levin). L'augmentation des molécules O2 dans l'atmosphère permet l'émergence des plus anciennes cellules eucaryotes aérobies connues, vieilles d'environ 1,9 M.A. (Gryptania spiralis Pan Terra 1996).

Entre 0,750 et 0,550 M.A., la composition isotopique du carbone suggère une augmentation sensible du taux de PO2 P.A.L. avant l'ère cambrienne (Hoffmann, Kaufman, Halverson 1998). Les données géochimiques indiquent nettement une élévation du taux de PO2 P.A.L. juste avant l'apparition des animaux macroscopiques du Vendien.. Elles montrent également une évolution dynamique du phytoplancton à la frontière du Précambrien/Cambrien (Knoll 1996).

Des arguments biologiques confortent la corrélation entre le niveau de PO2 P.A.L. et l'évolution des organismes vivants. De nombreuses données ont été compilées (Rhoads, Morse 1971) sur la relation entre le niveau d' oxygène dissous et la présence de faune benthique dans les bassins à faible niveau d'oxygène, dans la Mer Noire (Bacescu 1963), le Golfe de Californie (Parker 1964), le Bassin de Santa Barbara (Emery, Hülsemann 1961) et le Bassin de San Pedro (Hartman 1955, 1966). Elles ont montré que les faunes peuvent être classées en trois faciès corrélés à des taux différents de PO2 P.A.L. A une valeur < 0,1 ml/l (environ 0,01 PO2 PAL), les sédiments marins sont essentiellement dépourvus de métazoaires benthiques; pour une valeur comprise entre 0,3 ml/l et 1 ml/l (entre environ 0,03 et 0,10 PO2 PAL), les faunes benthiques sont composées principalement d'espèces petites à corps mou; quand le niveau est supérieur à 1 ml/l (environ 0,10 PO2 PAL), les faunes sont relativement variées et sont constituées de nombreuses espèces qui secrètent des squelettes calcaires. Des relations similaires ont été observées dans la crique Saanich dans l'île de Vancouver (Tunnicliffe 1981) . Rhoads et Morse ont proposé que ces relations entre l'émergence des faunes et les taux d'oxygène dissous dans ces bassins soient considérés comme analogues au développement des groupes de métazoaires durant les dernières étapes du Protérozoïque et les premières étapes du Phanérozoïque.

Cette interprétation est en phase avec le modèle probabiliste d'interaction entre l'évolution environnementale (augmentation des taux de PO2 P.A.L.) et l'évolution biologique (procaryotes, eucaryotes, métazoaires à corps mou, métazoaires à exosquelette, etc...) concomitante, développé au chapitre IX.

Selon ce modèle, au fur et à mesure que le taux de PO2 P.A.L. croît dans l'atmosphère et les océans, au Néoprotérozoïque terminal, comme le confirment toutes les données géochimiques et biologiques que nous venons d'examiner, se présentent de nouvelles possibilités et de nouvelles réactions appropriées des organismes, notamment métazoaires. Seules les plus probables, c'est à dire celles qui ont le plus de chances (au sens mathématique) vont perdurer.

Ainsi, le taux de PO2 P.A.L. < 0,10 environ atteint à la première période significative que nous avons citée, la période vendienne, permet et favorise l'émergence de métazoaires à corps mou et respiration aquatique cutanée, faune d'Ediacara composée à 70 % de Coelentérés (surtout Cnidaires) souvent à formes médusoïdes. Ces structures ont permis à ces organismes d'absorber l'oxygène, par diffusion épithéliale, à de faibles concentrations de l'ordre de 0,07 PO2 P.A.L. (Rudolf, Elizabeth Raff). Les organismes à formes aplaties comme le ver marin Dickinsonia (1 m de longueur pour une épaisseur maximum de 6 mm) auraient pu prélever assez d'oxygène à des taux entre 0,06 et 0,10 PO2 P.A.L. ( Bruce Runnegar 1982). Ce taux permet également la production de collagène nécessaire à la constitution de tissu conjonctif (Towe 1970).

La seconde période significative que nous avons distinguée est l'apparition vers 0,543/0,530 M.A. des S.S.F. C'est l'essor, avec un taux de PO2 P.A.L > 0,10 environ, partout dans le monde, de la production d'organismes à coquilles de phosphate et de carbonate de calcium. La majeure partie (six sur sept) des facteurs probabilistes favorables à la biominéralisation du calcium sont alors réunis : 1) niveau supérieur des eaux chaudes et peu profondes des océans sursaturés en ions calcium++ et en aragonite et calcite (Holland 1998); 2) température chaude ou tropicale (les continents ne sont pas assemblés dans la Pangée; ils sont principalement localisés à des latitudes tropicales; pas de continents aux pôles d'où pas de glaciers; températures globalement chaudes; Pamela Gore 1997); 3) calme orogénique et faible activité volcanique; 4) pH relativement neutre; 5) niveau O2 favorable (pour un niveau de PO2 P.A.L. > 0,10, des espèces nombreuses secrètent des squelettes calcaires Rhoads et Morse 1971); 6) chaîne alimentaire intacte (radiations à la limite PC/C du phytoplancton, des protistes, foraminifères et radiolaires, des algues, etc... Jerry Lipps).

La troisième période du Tommotien/Atdabanien ( 0,530/ 0,525 M.A.) voit l'explosion des phyla de métazoaires à corps mou et à squelette minéralisé. Les facteurs probabilistes favorables à la biominéralisation du calcium qui ont enclenché l'émergence des S.S.F. jouent à plein. Parallèlement, l'augmentation de la PO2 P.A.L. à cette époque, attestée par les données géochimiques et biologiques, rend possible la constitution d'organismes plus grands et permet de contourner la première loi de Fick et les contraintes de Harvey pour la respiration cutanée. La respiration branchiale, avec ses particularités, donne aux animaux de grande taille de nouveaux dispositifs efficaces pour capter l'oxygène.

La quatrième période, la faune de Burgess Shale, développe toutes les potientalités et les probabilités apparues au Cambrien basal et amplifie les radiations des phyla de métazoaires.

Ainsi, deux paramètres essentiels de l'environnement, au Cambrien basal, vont permettre le déclenchement d'une "explosion" des phyla : 1) les facteurs probabilistes favorables à la biominéralisation du calcium pour les organismes à squelettes minéralisés (six sur sept) 2) le seuil atteint par la PO2 P.A.L. (vraisemblablement > 0.10) permettant l'édification d'organismes plus grands et plus évolués que les animaux à respiration épithéliale. C'est la conjonction, à cette période de l'histoire de la terre, des deux paramètres nécessaires à l'essor de la faune macroscopique qui permet, par le jeu des possibilités et favorise, par le jeu des probabilités, l'"explosion" du Cambrien basal. L'existence conjuguée de ces deux facteurs, absente au Précambrien, explique ainsi le déclenchement, à ce moment et non deux cents millions d'années avant ou après, de l'"explosion cambrienne" qui concerne simultanément tous les phyla, aussi bien pour l'édification des squelettes minéralisés que pour les innovations biologiques (intestins, branchies externes ou internes, mâchoires, etc...).

Il est vraisemblable, qu'en dehors de ces deux paramètres fondamentaux de l'"explosion cambrienne" que nous avons tenter de mettre en évidence, d'autres facteurs ont pu jouer un rôle non négligeable : 1) L'intensification de la chaîne trophique du calcium est corroborée, d'une part par les importants dépôts de phosphates du Précambrien supérieur et du Cambrien indiquant une période de phosphogenèse générale (Cook, Shergold), d'autre part par les "ceintures de carbonate" qu'on trouve, à la même époque, le long de plusieurs continents (Palmer); 2) la flexibilité et la complexification génétiques ont pu se développer à loisir dans des niches écologiques encore vierges. Ces éléments ont permis l'éclosion, au Cambrien, de toutes les possibilités ouvertes essentiellement par les facteurs de biominéralisation et le seuil de PO2 P.A.L. (peut être une centaine de phyla) et la pérennisation, par la loi des probabilités, des seuls phyla bénéficiant des caractéristiques biologiques les plus favorables.

 Suite : VII L'influence probabiliste de l'iode dans l'évolution biologique 

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