II       L'influence probabiliste de la biochimie du calcium

 

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Nous allons examiner comment le modèle probabiliste d'interaction entre l'évolution environnementale et l'évolution biologique peut rendre compte des extinctions de masse par l'influence probabiliste de la biochimie du calcium.

Rappelons schématiquement le cycle carbonate-silicate. La désagrégation des roches silicatées (la plupart des roches éruptives), contenant entre 45 à 76 % de silice, libère en solution les ions calcium et les ions bicarbonate (CaSiO3 + 2 CO2 + H2O > Ca++ + 2HCO3_ +SiO2). Ces ions sont transportés par les cours d'eau et les rivières vers les océans où les organismes les utilisent pour secréter des coquilles de carbonate de calcium (Ca++ + 2HCO3_ > CaCO3 + CO2 + H2O). Les sédiments carbonatés, déposés au fond de la mer, sont à nouveau reconvertis en silicates de calcium et CO2 (CaCO3 + SiO2 > CaSiO3 + CO2) quand les plaques océaniques sont poussées sous les autres plaques par la subduction de la tectonique des plaques. Le CO2 rentre, de nouveau, dans l'atmosphère, par les éruptions volcaniques (Martin Soo Hoo, d'après Kasting 1995).

Les niveaux supérieurs des océans sont sursaturés en ions calcium et carbonate. Ces conditions sont réalisées surtout dans les eaux peu profondes et chaudes, avec de bas niveaux de CO2, plutôt que dans les eaux profondes et froides avec des niveaux plus élevés de CO2. Dans le premier cas, le CO3Ca précipite facilement, inorganiquement ou au moyen d'organismes qui peuvent construire leur coquille. C'est un des processus de la biominéralisation. Lorsque ces organismes meurent, leurs coquilles ou parties minéralisées tombent au fond des océans où elles s'accumulent ou se dissolvent, selon les niveaux de profondeur, de température et de pression. La limite entre les niveaux de secrétion et de dissolution du Co3Ca est intitulée " lysocline ". La précipitation de CO3Ca est fonction de la disponibilité de CO2. L'augmentation de CO2 tend à diminuer le pH et augmente la solubilité du carbonate (Yale-New Haven Teachers Institute - The Calcium Cycle 1998).

Les processus de biominéralisation se situent à la limite de la chimie inorganique et de la biologie. Les structures minéralisées vont des structures magnétiques bactériennes aux os et dents des vertébrés en passant par l'exosquelette de silice des diatomées, les coquilles d'aragonite ou de calcite des mollusques, l'aragonite des coraux, etc... (Levine 1998). Beaucoup de protistes, algues et animaux, autotrophes et hétérotrophes, secrètent des squelettes calcaires, extrayant des ions calcium et carbonate de l'eau des océans. Les processus moléculaires qui régulent la minéralisation restent encore largement inconnus (Fincham 1998).Les mécanismes mêmes qui causent l'accumulation de CO3Ca dans l'eau sont variés et pas encore complètement élucidés.

A la base de la chaîne alimentaire marine actuelle se trouve la trinité des algues unicellulaires planctoniques : les coccolithophoridés (nannoplancton à exosquelette calcaire apparu au Trias supérieur vers - 230 M.A.), les diatomées à parois de silice et les dinoflagellés à parois organiques. Les coccolithophoridés sont le deuxième plus important producteur primaire (30 % de la production primaire) dans les océans actuels, second après les diatomées. Ils sont plus abondants que les diatomées dans les eaux chaudes tropicales (Maddocks 1998). Ils constituent la nourriture du zooplancton, y compris les copépodes et tuniciers (Winter et Siesser 1994). L'abondance des foraminifères planctoniques (Globigérines) est contrôlée par celle du phytoplancton elle-même contrôlée par le niveau des nutriments.

Si les quatre éléments chimiques O, H, N et C (95 % de la matière vivante) sont les constituants essentiels des protéines, structures de base des organismes vivants, et de leurs constituants, les amino-acides, ainsi que ceux de l'A.D.N. (plus le phosphore), nous constatons que le calcium, situé au troisième rang (avec le carbone et l'azote), par ordre d'abondance, dans la croûte terrestre, l'est également dans les composants chimiques de la matière vivante. Son abondance croît, dans les organismes, de la bactérie aux plantes et aux animaux. Si l'on prend les six éléments C,H,N,O,P,S, ils constituent 99.72 % de la bactérie, 99,60 % de la luzerne et 97,90 % du corps humain en moyenne. On voit la place laissée pour le calcium, le potassium et les autres éléments trouvés dans les organismes vivants . Le corps humain contient environ 1,50 % de calcium, soit à peu près la moitié de la proportion trouvée dans la croûte terrestre (Raven, Peter, Evert et Curtis 1981).Les plantes contiennent de 0,20 à 3,5 % de leur poids sec de calcium (Yale-New Haven Teachers Institute - The Calcium Cycle 1998).

La constitution, chez beaucoup d'animaux, d'un important appareil de soutien, entraîne une accumulation de calcium dans l'organisme. Le tissu osseux diffère profondément des autres formes du tissu conjonctif par une abondante surcharge minérale : environ 40 % de la matière sèche. Chez l'être humain, 99 % du calcium est concentré dans le squelette et les dents. Il est présent, sous forme ionisée, dans le sang, les fluides extracellulaires et les cellules musculaires. Il est nécessaire dans les transmissions nerveuses, la régulation des battements cardiaques, etc... Le squelette interne des animaux "supérieurs", constitué par les os, contient de 50 à 60 % d'hydroxyapatite Ca5(PO4)3(OH) et de 6 à 10 % de carbonate de calcium (accessoirement, il peut contenir du fluorure de calcium). Par contre, le squelette externe qui forme la coquille des mollusques, des oeufs d'oiseaux, la carapace des crustacés, renferme de 60 à 95 % de carbonate de calcium CO3Ca (sous forme de calcite ou d'aragonite) contre 1 à 2 % de phosphate de chaux.

Parmi les Protistes et les Métazoaires, dans de nombreux embranchements, les organismes secrètent un squelette de soutien externe ou interne. Le plus souvent, ce squelette est constitué de matière organique (chitine des Insectes), de silice (Diatomées) ou de calcium (aragonite, calcite). Le calcium joue un rôle essentiel dans l'exosquelette ou l'endosquelette de nombreux phyla d'Invertébrés ou de Vertébrés, de Protistes et de Métazoaires. Nous avons vu que 99 % du calcium est concentré dans les os et les dents chez les êtres humains. Son importance n'est pas moindre chez de nombreux Invertébrés (squelette de calcite des Crinoïdes représentant entre 95 et 99 % du volume de l'animal, Roux 1988 ; épaisses coquilles des Rudistes ...). Le calcium peut être considéré comme un stimulus probabiliste de l'environnement auquel réagissent les organismes par l'élaboration d'exosquelettes ou d'endosquelettes, aussi bien chez les Vertébrés que chez les Invertébrés. Les variations, au cours des périodes géologiques, de l'influence dans l'environnement de ce stimulus, entraînent, selon notre modèle, de façon probabiliste, une évolution des exosquelettes et des endosquelettes des organismes. Cette évolution peut être une évolution morphologique (accroissement de l'importance du squelette chez les Dinosaures ou les Rudistes), une radiation (Ammonoïdés) ou une extinction (disparition des Dinosaures à la limite K/T ou des Crinoïdes à la limite P/T).

Suite : III Les extinctions de masse

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