III     Les extinctions de masse

 

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Les cinq plus importantes extinctions de masse connues sont les extinctions aux limites des périodes Ordovicien/Silurien, Dévonien tardif, Permien/Trias, Trias/Jurassique et Crétacé/Tertiaire, la plus importante étant l'extinction à la limite P/T, la plus connue à la limite K/T (Gore Rick 1989, Sepkoski J.J.Jr, 1986).

Si la réalité des extinctions de masse est l'objet d'un consensus dans la communauté scientifique, les causes de ces extinctions suscitent des hypothèses nombreuses et controversées. L'extinction à la limite K/T a suscité un foisonnement d'hypothèses, certaines sérieuses, comme les régressions marines et les détériorations climatiques qui en découlèrent (Ginsburg 1964), d'autres assez fantaisistes ou spéculatives comme la thèse de la supernova, d'une épidémie virale, de la sénescence des groupes, etc... La théorie en vogue de l'impact d'une météorite avec la terre (Alvarez 1980) est la plus populaire.

Les causes les plus souvent mises en avant dans ces cinq extinctions de masse, qui reposent sur des constatations paléontologiques, paléogéographiques, paléoclimatiques, etc... peuvent se résumer ainsi : variations climatiques (glaciations, réchauffements), changements de niveaux océaniques (transgressions et régressions), volcanisme, orogénie, impact (surtout à la limite K/T), anoxie, hypersalinité. Ces causes sont invoquées, soit de façon univoque, soit regroupées de façon plurielle (Gerta Keller 1996).

On peut toutefois relever un certain nombre de caractéristiques communes à différentes extinctions : disparition préférentielle des faunes et des récifs tropicaux pendant les 5 extinctions, répétition des extinctions pour certains groupes (Ammonoïdés au Dévonien, aux limites P/T, K/T et Trias ; Trilobites à l'Ordovicien, au Dévonien et à la limite P/T), extinctions graduelles et soudaines (Dinosaures et Ammonoïdés au Crétacé ; Coccolithophoridés au fini-Crétacé), refroidissements et glaciations (Ordovicien, Dévonien, P/T, K/T), océans anoxiques (Dévonien, P/T), extinctions régionales ou globales.

A la lumière de ces différentes observations, il apparaît clairement que toute explication générale des extinctions de masse doit pouvoir rendre compte des différents paramètres qui les caractérisent. Elle ne peut être que plurifactorielle ou synthétique. Un autre paramètre fondamental des extinctions de masse concerne leur sélectivité. C'est là où les causes unifactorielles semblent les plus insuffisantes.

L'examen des groupes de Vertébrés et d'Invertébrés impliqués dans les extinctions de masse révèle qu'il s'agit essentiellement de groupes animaux à endosquelette ou exosquelette d'un composé de calcium :

Protistes : algues calcaires, coccolithophoridés, foraminifères.

Métazoaires : spongiaires, cnidaires, bryozoaires, conodontes, brachiopodes, mollusques, arthropodes, échinodermes et vertébrés.

Souvent, ces groupes, entièrement décimés, présentent un métabolisme très important : Hippuritidés aux coquilles calcaires très épaisses, Orbitoïdés de grandes tailles allant jusqu'à 6 cm à la fin du Crétacé, gigantisme de nombreux Reptiles du Mésozoïque, Crinoïdes du Permien. Les organismes à squelette siliceux ou de matière organique sont, le plus souvent, épargnés : Annélides, Insectes à squelette de chitine (seule exception à la limite P/T), Protistes (Silicoflagellés, Diatomées, Dinoflagellés, Radiolaires). Les plantes sont très diversement affectées par les extinctions (Angiospermes à la fin du Crétacé).

Le calcium nécessaire à la constitution du squelette des organismes leur est fourni soit par la chaîne alimentaire soit par la biominéralisation. Nous avons vu plus haut que les processus de biominéralisation, complexes, peuvent être favorisés ou perturbés par de nombreux facteurs. Nous proposons donc que, selon le modèle probabiliste, les facteurs perturbateurs de la biominéralisation et de la chaîne alimentaire du calcium soient les causes probabilistes des extinctions de masse.

Facteurs probabilistes favorables à la biominéralisation du calcium (liés ou indépendants) :

  1. Ions Ca++ sursaturés : niveaux supérieurs des eaux chaudes et peu profondes (Maddocks 1998).
  2. Température chaude ou tropicale : les coraux ne peuvent subsister en-dessous de 18°C.
  3. Le bas niveau de CO2, moins soluble dans l'eau chaude, favorise la précipitation de CO3Ca (Maddocks 1998).
  4. Calme orogénique : eau claire et bas niveau de sédimentation terrigène (Maddocks 1998) ; faible volcanisme (peu d'expulsion de CO2) (Mc Lean 1997).
  5. pH neutre ou alcalin (Mc Lean 1997), salinité moyenne
  6. Niveau favorable d'oxygène atmosphérique et dissous (Holland 1984)
  7. Chaîne alimentaire intacte : des producteurs primaires (phytoplancton) aux premiers consommateurs (zooplancton) etc... (Maddocks 1998).

Facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation du calcium (liés ou indépendants) :

  1. Ions Ca++ sous-saturés dans les eaux profondes et froides (Maddocks 1998).
  2. Glaciations, température fraîche ou froide : en général, les organismes calcaires sont remplacés par des diatomées siliceuses dans les régions de haute productivité et de basses températures. Ces conditions sont généralement réunies durant les glaciations (Archer 1991).
  3. Le niveau plus élevé de CO2, plus soluble dans l'eau froide, interfère avec la biominéralisation et favorise la dissolution de CO3Ca (Maddocks 1998).
  4. L'orogénie et l'activité volcanique favorisent la sédimentation terrigène, l'expulsion de CO2 et troublent la pureté des eaux (Mc Lean 1997).
  5. pH acide (effets délètères sur l'affinité de l'hémoglobine pour l'oxygène -effet Bohr - Knoll 1996), hypersalinité (Maddocks 1998).
  6. Anoxie (Holland 1984).
  7. Rupture de la chaîne alimentaire : l'abondance du zooplancton (foraminifères planctoniques) est contrôlée par celle du phytoplancton elle-même contrôlée par le niveau des nutriments (Maddocks 1998). La disparition d'un élément de la chaîne alimentaire (coccolithophoridés) détruit toute la chaîne alimentaire.

Dans les différentes extinctions de masse, un certain nombre de facteurs probabilistes perturbateurs de la chaîne alimentaire ou de la biominéralisation surviennent. Il en résulte un dysfonctionnement de ces processus qui se traduit par une atteinte plus ou moins profonde des organismes à squelette de calcium. Nous constaterons ainsi que l'extinction de masse la plus importante, à la fin du Permien, cumule la plupart des facteurs perturbateurs alors que celle du fini-Trias, bien moins importante, n'en recense que deux. Nous allons examiner, tour à tour, les cinq plus importantes extinctions de masse. La présence du facteur 1, particulièrement malaisée à mettre en évidence pour les périodes passées, ne sera pas pris en compte.

Suite : IV L'extinction de masse à la limite KT

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