IV    L'extinction de masse à la limite KT

 

Version anglaise

 

I ) L'environnement géologique et stratigraphique au Mésozoïque : l'ère Secondaire, dans son ensemble, a été une longue période de 180 M.A. de calme relatif orogénique et volcanique. La stratigraphie nous indique que le Mésozoïque a été une ère de vastes transgressions marines qui ont laissé d'immenses dépôts sédimentaires composés de grès, de marnes, de sables et surtout d'épaisses couches calcaires et notamment de craie (particulièrement au Crétacé comme son nom l'indique). Ainsi, un environnement et une sédimentation de caractère calcaire prévaut pendant la plus grande partie du Mésozoïque et presque sans partage pendant le Crétacé (exception faite des argiles de l'Aptien et de l'Albien), jusqu'à la limite K/T. Alors qu'on admet une valeur moyenne de 3,65 % de teneur en calcium des roches magmatiques, la moyenne des roches sédimentaires est beaucoup plus élevée (6 %). La liaison, dans le cycle sédimentaire, du carbone et du calcium entraîne un enrichissement du calcium au niveau des carbonates et la précipitation de CO3Ca est particulièrement favorable en milieu marin (Lapadu-Hargues). Les coccolithophoridés, nannoplancton calcaire, recensés depuis le Carnien (Trias supérieur) (Winter et Siesser 1994), connurent une expansion considérable, ainsi que les foraminifères planctoniques, au Crétacé moyen et terminal, entraînant une sédimentation calcaire très étendue (Maddocks 1998). Au Crétacé tardif, on assiste à un réveil de l'activité orogénique : phase laramienne qui marque, dans le domaine mésogéen, le début de la grande orogenèse alpine ; Montagnes Rocheuses (Yale Peabody Museum 1998 ). Le volcanisme devient intense à l'échelle du globe (un tiers de l'Inde est recouvert par une épaisse couche basaltique : les Trapps du Dekkan; au N-O des U.S.A., se produisent de vastes coulées de laves épaisses : Columbia River et Snake River). Sur tous les continents, le volcanisme reprend. Simultanément, de vastes éruptions sous-marines bouleversent les conditions de sédimentation et la composition chimique des océans (Auboin, Brousse, Lehman 1985).

II ) La paléontologie animale au Mésozoïque: les principaux groupes animaux qui prospèrent puis disparaissent à la fin du Crétacé (environ une centaine de familles) (Devillers, Chaline 1989) sont, parmi les Protistes, les Coccolithophoridés et les Foraminifères ; parmi les Invertébrés, les Ammonites, Rudistes et Bélemnites; parmi les Vertébrés, tous les Reptiles marins et tous les ordres reptiliens terrestres sauf quatre (les Rhyncocéphales, dont seul subsiste l'Hatteria qui semble en voie d'extinction, les Chéloniens ou Tortues, les Squamates, Lézards et Serpents, et les Crocodiliens). Il est remarquable de constater que ces derniers reptiles ont un métabolisme qui leur permet de survivre pendant des mois sans s'alimenter) (Reichholf 1993).

Le dénominateur commun à tous ces organismes, de phyla ou d'ordres très éloignés, tant Vertébrés qu'Invertébrés, est la composition et l'importance souvent prise par leur squelette interne ou externe, vertèbres, rostres, tests, coquillages, constitués de composés divers de calcium, calcite, aragonite, phosphates, carbonates, sulfates, etc... Les Ammonites, à coquilles relativement minces, présentaient des coquilles très ornementées, les coquilles d'Ammonites hétéromorphes affectant, à la fin du Crétacé, des formes bizarres. Certaines espèces géantes pouvaient atteindre 2 mètres de diamètre (Ward 1991). Les Bélemnites possèdaient un rostre fortement minéralisé de calcite, un phragmocôme et un proostracum de nature aragonite. Les Rudistes "ont fabriqué des coquilles d'une épaisseur considérable, accumulant le carbonate de chaux comme aucun autre animal ne le fit jamais" (Grassé1974). Ils atteignaient parfois des tailles énormes (certaines espèces mesuraient l mètre). Chez les Foraminifères, on a assisté à un accroissement du test en calcite chez les "grands" dont les tests, dans les formes benthiques, sont lourds, épais, solides ( les Orbitolinidés du Crétacé inférieur ont quelques mm de diamètre et 6 cm au Crétacé supérieur). Les Reptiles du Secondaire (souvent appelée ère des Reptiles), tant marins que terrestres, portaient la marque du gigantisme du squelette (par rapport à la taille humaine): Dinosauriens atteignant plus de 30 m de longueur et un poids de 100 tonnes : Diplodocus, 25 m; Brontosaurus, 20 m; Atlantosaurus, plus de 40 m; Gigantosaurus, 50 m ; larges plaques osseuses et long cou de 30 à 40 vertèbres (Plésiosaurus); cou de 76 vertèbres et longueur de 15 m (Elasmosaurus); hypercalcifications, taille 15 m, hauteur 6 m, crâne puissant et mâchoires à dents aigües et tranchantes longues de 20 cm (Tyrannosaurus rex); aiguilles sur la queue et plaques dermiques sur le dos (Stégosaurus); ossifications avec trois cornes et une plaque osseuse protégeant le cou ( Triceratops 6-8 m); etc...(Théobald, Gama 1969). Notons une observation qui est en phase avec le gigantisme des Reptiles. Le pourcentage du poids du squelette (donc des composés du calcium) des oiseaux et des mammifères est d'environ 20 % pour les gros animaux et 4 % pour les petits ( plus d'une tonne pour un éléphant de 6 tonnes et 0,20 g pour une musaraigne de 5 g ; 1 kg,5 pour la coquille de l'oeuf de l'Aepyornis pesant 9 Kg et quelques mg pour celle d'un oiseau-mouche de 0,5 g). (Dejours 1994). Une autre observation significative : les Angiospermes se développent du Crétacé moyen au Crétacé supérieur (elles représentent de 70 à 80 % des gisements végétaux en Amérique du Nord) (Théobald Gama 1969) alors qu'on sait qu'elles constituent la nourriture de nombreux Reptiles herbivores et qu'elles contiennent des cristaux d'oxalate et de carbonate de calcium (Rosidae) (Schoffeniels 1984). De plus, à la limite K/T, le pollen des Angiospermes disparaît brutalement pour laisser la place aux spores des fougères. C'est le "pic des fougères". Les plantes à fleurs font leur retour après ce pic (Raup 1993) : Avant K/T 30 % de spores, 70 % de pollen ; à K/T 99 % de spores ; après K/T 30 % de spores, 70 % de pollen.

A la prédominance calcique des roches sédimentaires du Secondaire et surtout du Crétacé, correspond, comme nous venons de le constater, l'épanouissement et une diversification souvent explosive des groupes animaux dont l'appareil de soutien, interne ou externe, est constitué de composés divers du calcium. Les facteurs probabilistes favorables à la biominéralisation du calcium sont également à l'œuvre durant le Mésozoïque : calme orogénique et faible volcanisme, température chaude entraînant un bas niveau de CO2 dans les océans et favorisant la précipitation de CO3Ca, chaîne alimentaire marine en pleine activité, du phytoplancton (Coccolithophoridés) au zooplancton (Foraminifères). La corrélation probabiliste apparaît sans équivoque entre l'intensité de la chaîne trophique du calcium, allant de l'environnement sédimentaire calcique, du phytoplancton (algues calcaires , Coccolithophoridés) et du zooplancton (Foraminifères) du Mésozoïque, et particulièrement du Crétacé, ainsi que les facteurs favorables à la biominéralisation du calcium et la radiation des organismes vivants, tant Vertébrés qu'Invertébrés, dont l'exosquelette ou l'endosquelette, constitué de composés du calcium, est plus ou moins important. On peut dire, sans exagération, que le Crétacé (et plus largement le Secondaire) est l'ère de la chaîne alimentaire du calcium. Cette chaîne trophique probabiliste du calcium, qui va du phytoplancton au microplancton, des végétaux aux grands prédateurs conduit aux radiations explosives de nombreux groupes animaux, quels que soient les taxons, où le métabolisme calcique joue un rôle essentiel (Reptiles marins et terrestres, Coccolithophoridés, Foraminifères, Rudistes, Ammonoïdés, Bélemnoïdés, Bivalves, Coraux, etc...).

III ) Si on peut constater un lien de probabilité évident entre les radiations de groupes animaux, les facteurs favorables de biominéralisation et la composition chimique de l'environnement, l'extinction de masse à la limite K/T doit, selon notre modèle, relever du même facteur probabiliste. On estime, selon les auteurs, que parmi les animaux, environ 50 % des genres ont disparu au Maëstrichtien (38 % des genres marins) soit 65 à 70 % des espèces (90 % des espèces planctoniques; 100 % des espèces de reptiles marins; tous les groupes animaux précités, Ammonites, Rudistes, etc...) (Raup, Sepkoski 1982).

Au fini-Crétacé, la reprise de l'orogénie (phase laramienne) (Auboin, Brousse, Lehman 1985) et d'un volcanisme intense sur toute la surface du globe (mers et continents) modifie considérablement la composition géochimique. Aux roches sédimentaires calcaires succède une sédimentation à dominante siliceuse. Différentes preuves paléontologiques et stratigraphiques l'attestent. Nous avons rappelé que les roches magmatiques contiennent 3,65 % de Ca et les roches sédimentaires 6 %. Quant aux silicates, ils ont des teneurs en silice de 43 à 49 %. (Lapadu-Hargues). Radiolaires et diatomées, s'ils existaient au Crétacé, y occupaient une place modeste. Ils prospèrent au Tertiaire et l'on sait que leur association avec des cinérites permet d'affirmer qu'ils représentent des faciès marins proches d'éruptions sous-marines où l'abondance des matériaux siliceux favorise leur pullulement. Les Silicoflagellés, Algues flagellées, pourvus d'un squelette d'opale, sont connus depuis le Crétacé supérieur jusqu'à nos jours. Le Crétacé supérieur voit disparaître les éponges calcaires qui ont prospéré au Secondaire (Peronella) alors que les éponges siliceuses deviennent très abondantes : Lyssacines ( Proeuplectella, Cénomanien), Dictyonines (Pleurope, Sénonien) (Théobald, Gama 1969). Nous verrons, un peu plus loin, qu'à la fin du Crétacé se manifestent les facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation.

La nouvelle composition géochimique rompt la chaîne probabiliste du calcium et perturbe, directement ou indirectement, les métabolismes calciques. Les groupes animaux qui prospèraient voient la chaîne alimentaire du calcium et les processus complexes de biominéralisation gravement perturbés. Ainsi disparaissent brutalement (à l'échelle géologique) nannoplancton et microplancton, Mollusques lamellibranches et Céphalopodes (Ammonoïdés et Bélemnoïdés, mais persistance des Nautiloïdés), Reptiles, etc...

IV ) Une analyse fine des pourcentages des genres, existant au fini-Crétacé, qui survivent à la limite K/T, nous permettra de tester notre modèle de la corrélation entre la perturbation de la chaîne trophique du calcium et des processus de biominéralisation et l'atteinte ou la disparition des organismes à métabolisme calcique plus ou moins important (Emiliani, Kraus, Shoemaker 1981). Les groupes et les pourcentages de survivants sont des données d' Emiliani, Kraus et Shoemaker, la composition de l'endosquelette ou de l'exosquelette de l'auteur :

Groupes

% de survivants

Composition du squelette

Planctonique

Coccolithophoridés

13

Coque incrustée de calcite Ca

Foraminifères

13

Test calcaire Ca

Diatomées

31

Coque siliceuse Si

Dinoflagellés

78

Thèque cellulosique

Radiolaires

93

Squelette siliceux Si

Nectonique

Ammonoïdés

0

Coquille calcaire Ca

Belemnoïdés

0

Coquille calcaire Ca

Nautiloïdés

50

Coquille calcaire Ca

Elasmobranches

67

Squelette cartilagineux

Ostéichthyens

4

Squelette osseux Ca

Ichthyosauriens

0

Squelette osseux important Ca

Plésiosauriens

0

Squelette osseux important Ca

Benthique

(Bathyal-abyssal)

Foraminifères

75-85

Test calcaire Ca

(Néritique)

Coraux

20

Squelette calcaire Ca

Foraminifères

0

Grands Foraminifères

(Orbitoïdés)

A test calcaire Ca

Pélécypodes (à l'exclusion des

Huîtres et Hippuritidés)

43

Coquille calcaire Ca

Huîtres

32

Coquille calcaire Ca

Hippuritidés

0

Coquille calcaire Ca

Terrestre

Amphibiens

100

Squelette osseux Ca

(données insuffisantes)

Reptiles :

Cheloniens

23

Armure osseuse Ca

Sauroptérygiens

0

Squelette osseux important Ca

Squamates

Lacertiliens

27

Squelette osseux important Ca

Serpents

0

Multiples vertèbres Ca

(données insuffisantes)

Crocodiliens

12

Squelette osseux important Ca

Saurischiens

0

Gigantisme osseux Ca

Ornithischiens

0

Gigantisme osseux Ca

Ptérosauriens

0

Gigantisme osseux Ca

Oiseaux (données insuffisantes)

0

Organismes de petite taille Ca

Mammifères

52

Organismes de petite taille Ca

Plantes supérieures

69

Le nombre total de groupes se monte à 30. Nous en analyserons 29, celui des plantes supérieures ne nous semblant pas significatif. Sur ces 29 groupes de Protistes, Vertébrés et Invertébrés, 25 ont un endosquelette ou exosquelette composé de calcium, 2 de silice (Diatomées et Radiolaires) , 1 de cellulose (Dinoflagellés) et 1 de cartilage (Elasmobranches). Si nous considérons qu'un groupe, dont le pourcentage de survie est inférieur à 25 %, est gravement affecté par la rupture de la chaîne trophique du calcium ou les dysfonctionnements des facteurs de biominéralisation à la limite K/T, nous constatons que 19 d'entre eux sont dans ce cas (y compris les Lacertiliens 27 ~ 25).

1) Les Coccolithophoridés (13 %, coque incrustée de petits corpuscules calcaires, les coccolithes); 2) Les Foraminifères planctoniques (13 %, à test calcaire, Globotruncana, Globotruncanella, etc...); 3) Les Ammonoïdés ( 0 %, coquille calcaire relativement mince mais avec développement et parfois exagération de l'ornementation, Pachydiscidés dont certains genres atteignent de grandes tailles, 1 m, Acanthocératidés, formes massives et renflées, majeure partie des Ammonites hétéromorphes à la fin du Crétacé (Ward 1991); 4) Les Belemnoïdés ( 0 %, rostre fortement minéralisé de calcite, phragmocône et proostracum d'aragonite); 5) Les Ostéichthyens (4 %, crâne et squelette ossifiés); 6) Les Ichthyosauriens (0 %, squelette osseux important, atteignent de 2 à 20 m, Shonisaurus 14 m, Basilosaurus 20 m, évoluent du Trias au Crétacé et s'éteignent à - 90 M.A., se nourrissent de Bélemnites et d'Ammonites) (Mazin 1981); 7) Les Plésiosauriens (0 %, squelette osseux important, Elasmosaurus atteignant 15 m de long avec un cou constitué de 76 vertèbres); 8) Les Coraux (20 %, récifs surtout d'Hexacoralliaires avec accumulation de calcaire par élaboration du squelette et aussi par précipitation de CO3Ca déclenchée par les Algues symbiotiques); 9) Les Foraminifères Orbitoïdés (0 %, test calcaire, grandes tailles pouvant aller jusqu'à 6 cm); 10) Les Hippuritidés (0 %, Rudistes supplantant les Coraux, coquilles calcaires très épaisses, peuvent atteindre 1 m); 11) Les Chéloniens (23 %, endosquelette et armure osseuse importante comprenant une carapace ventrale et un plastron ventral); 12) Les Sauroptérygiens (0 %, Nothosauriens à long cou et longue queue); 13) Les Lacertiliens (27 % ~ 25 %, Squamates à écailles épidermiques parfois doublées d'un os dermique, les espèces marines sont souvent de grandes dimensions, Mosasaurus de 12 à 15 m, colonne vertébrale de 120 à 150 vertèbres); 14) Les Serpents (0 %, multiplications des vertèbres, dents sur la plupart des os buccaux); 15) Les Crocodiliens (12 %, squelette osseux important pouvant atteindre de 6 à 10 m); 16) Les Saurischiens (0 %, Théropodes et Sauropodes dont 80 % des espèces ont un squelette osseux gigantesque - par rapport à la taille humaine - Lambert 1986): Tyrannosaurus 15 m, Diplodocus 25 m, Brontosaurus 20 m, Atlantosaurus 40 m, Gigantosaurus 50 m); 17) Les Ornithischiens ( 0 %, squelette osseux important, Ornithopodes - Iguanodon 10 m de long, 5 m de haut -, Stégosauriens - Stégosaurus 7 m de long, plaques osseuses sur le dos et épines osseuses sur la queue -, Ankylosauridés, armure de plaques osseuses massives et gaine osseuse sur la queue); 18) Les Ptérosauriens ( 0 %, squelette osseux important, crête osseuse cranienne fréquente, Pteranodon 8 m, Quetzalcoatlus northropi 11 à 12 m ) (Langston 1991) ; 19) Les Oiseaux (0 % Oiseaux à dents du Crétacé, Hesperornis dépassant 1 m de haut).

Tous ces groupes marins ou terrestres sont caractérisés par un développement considérable de l'endosquelette ( Reptiles, avec parfois des excroissances osseuses importantes : Stégosauriens, Ankylosauridés, Céraptosauriens - Proceratops, Triceratops -, Ptérosauriens - Pteranodon) ou de l'exosquelette ( Ammonoïdés, Belemnoïdés, Hippuritidés). D'autres groupes qui disparaissent ou sont largement touchés ont un métabolisme calcique essentiel (Coccolithophoridés, Foraminifères planctoniques et Orbitoïdés, Coraux, Ostéichthyens).

A contrario, les groupes, où le métabolisme calcique ne joue pas un rôle primordial, ne sont pas ou relativement moins affectés : Radiolaires à squelette siliceux 93 %, Dinoflagellés à thèque cellulosique 78 %, Diatomées à squelette siliceux 31 %, Elasmobranches à squelette cartilagineux 67 %, Mammifères, Multituberculés et Pantothériens, Premiers Marsupiaux et Placentaires représentés par de petits organismes 52 %, Amphibiens, le squelette osseux des Anoures et Urodèles était beaucoup plus réduit que ceux des grands reptiles du fini-Crétacé 100 %. Deux groupes à test ou coquille calcaire sont relativement épargnés: a) les Nautiloïdés 50 %. On suppose que, contrairement aux Ammonoïdés qui devaient se nourrir, dès les premiers jours de leur existence, du plancton décimé au Crétacé final, les Nautiloïdés échappèrent à l'extinction en s'alimentant dès leur naissance, sur le fond, en eau profonde, comme les adultes (Ward 1991); b) les Foraminifères (benthique, bathyal, abyssal) 75-85 %. Les Pélécypodes (43 %) et les Huîtres (32 %) subissent les effets de la perturbation de la chaîne trophique du calcium sans toutefois disparaître (les Inocérames, huîtres géantes, posées sur les fonds calcaires, disparaissent environ 1 M.A. avant la limite K/T (Jaeger 1996).

Sur les 29 groupes considérés, 4 groupes dont le métabolisme calcique est absent ou mineur ne sont pas ou peu affectés (Radiolaires, Dinoflagellés, Diatomées, Elasmobranches). Sur les 25 autres : 19 dont le métabolisme calcique est important disparaissent ou sont très affectés, 3 sont plus ou moins affectés (Nautiloïdés 50 %, Pélécypodes 43 % et Huîtres 32 %), les 3 derniers sont épargnés. Les Amphibiens et Mammifères possèdent un métabolisme calcique modéré.Quant aux Foraminifères, ils bénéficient d'un biotope tout à fait particulier, benthique (bathyal-abyssal), qui semble les avoir protégés de l'extinction,

En résumé, sur 29 groupes, 26 (4 + 19 + 3) soit 90 % des groupes témoignent d'une corrélation (par leur persistance, leur disparition ou leur faible pourcentage de survivance) entre la nature et l'importance de leur endosquelette ou de leur exosquelette et la perturbation de la chaîne trophique et des processus de la biominéralisation du calcium au fini-Crétacé. Un pourcentage de ce niveau ne peut pas être attribué au hasard mais bien à l'action probabiliste du calcium. Nous verrons au Paragraphe VI l'ensemble des facteurs perturbateurs de la biominéralisation du calcium qu'on peut recenser à la limite K/T et qui ont causé l'extinction de masse à cette époque.

V ) L'examen des aires et des époques d'apparition d'un groupe de reptiles terrestres qui a dominé le Mésozoïque, les Dinosaures, apporte des arguments puissants en faveur du modèle probabiliste. On constatera, dans les analyses qui suivent, la corrélation qui existe, dans l'espace et le temps, entre l'apparition locale des fossiles de Dinosaures et une transgression préalable, c'est-à-dire une sédimentation marine qui permet d'instaurer la chaîne trophique probabiliste du calcium. La localisation des fossiles des Dinosaures dépend de facteurs multiples: conditions favorables de fossilisation, affleurements des roches mésozoïques, etc... D'un autre côté, les migrations des groupes de Dinosaures, au cours du Mésozoïque, ont dépendu largement des communications existant entre les continents : communications triasiques entre la Laurasie et le Gondwana, division du Gondwana au Jurassique avec des communications possibles entre les parties, division de la Laurasie au Crétacé et rupture des communications avec les continents du Sud. Nous nous sommes basés, dans nos recherches, sur divers travaux et plus particulièrement sur le Guide des Dinosaures de Lambert (1986), l'article synthétique de Charig (1973) et d'autres (Furon 1959) (Buffetaut 1994).

Le groupe des Dinosaures, qui est représenté par plus de 340 genres, est généralement réparti en 2 ordres, les Ornithischiens et les Saurischiens. Il comporte des familles de petite taille, mais surtout de nombreuses familles d'animaux de grande taille , comparativement à la taille humaine ( Mégalosauridés, Tyrannosauridés, Titanosauridés, Diplodocidés, etc...) et à excroissances osseuses, Stégosauridés (Dinosaures à plaques), Ankylosauridés (Dinosaures à cuirasses), Céraptosauridés (Dinosaures à cornes). Sur les nombreuses familles ou sous-familles de Dinosaures recensés, dans les différents continents, au Jurassique et au Crétacé, plus de 80 % sont des animaux de grande taille (Charig 1973). La croissance et l'entretien des endosquelettes et des excroissances nécessitent un métabolisme calcique très actif et la capacité d'y satisfaire par les chaînes alimentaires existantes. C'est ce qui a été possible pendant la durée du Mésozoïque et particulièrement au Jurassique et au Crétacé où la sédimentation marine calcaire a dominé (Coccolithophoridés et Foraminifères - Maddocks 1998) et où des couches crayeuses ont formé le fond des mers (Lambert 1986). Si, au Trias, les premiers Dinosaures pouvaient se répandre sur la quasi-totalité des terres émergées qui formaient le bloc de la Pangée, il n'en fut plus ainsi au Jurassique et encore moins au Crétacé où les continents se séparèrent et dérivèrent avec des périodes de transgression et de régression. Comme nous l'avons rappelé plus haut, les communications furent ainsi tantôt établies, tantôt rompues entre l'Asie et l'Amérique du Nord, entre l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud, etc... Si les aléas des conditions de fossilisation et des affleurements mésozoïques jouent un rôle important dans la distribution des sites fossilifères des Dinosaures, l'analyse des sites fossilifères du Jurassique et du Crétacé dans le monde montre, néanmoins, une corrélation étroite entre la localisation dans l'espace et le temps de ces sites et une transgression préalable, plus ou moins proche dans le temps, initiant la chaîne alimentaire du calcium et favorisant la venue et/ou l'épanouissement des familles de Dinosaures.

Nous avons utilisé le recensement des principaux sites fossilifères de Dinosaures du Jurassique et du Crétacé de Charig (1973), et corrélé les transgressions préalables correspondantes. Nous avons ajouté un certain nombre d'autres sites fossilifères non cités par Charig, selon d'autres auteurs, et les transgressions correspondantes (Furon 1959).

 

Amérique du Nord:

 

1) Alberta - Crétacé supérieur (Formation Edmonton, Formation St Mary River, Formation Oldman, Formation Milk River supérieure ) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

2) Saskatchewan - Crétacé supérieur (Formation Lance, Formation Frenchman) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

3) Montana - Jurassique supérieur (Formation Morrison), Crétacé inférieur (Formation Cloverly, Formation Kootenai), Crétacé supérieur (Formation Lance, Formation Hell Creek, Formation St Mary River, Formation Judith River, Formation Two Medicine, Grès Eagle) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

4) Wyoming - Jurassique supérieur (Formation Morrison), Crétacé inférieur (Formation Cloverly), Crétacé supérieur (Formation Lance) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

5) Dakota du Sud - Jurassique supérieur (Formation Morrison), Crétacé inférieur (Formation Lakota), Crétacé supérieur (Formation Lance, Formation Hell Creek) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

6) Utah - Jurassique supérieur (Formation Morrison), Crétacé supérieur (Formation North Horn) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

7) Colorado - Jurassique supérieur (Formation Morrison), Crétacé supérieur (Formation Denver, Formation Arapahoe) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

8) Kansas - Crétacé inférieur (Formation Dakota), Crétacé supérieur (Formation Niobrara) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

9) Missouri - Crétacé supérieur (Formation Ripley) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

10) Californie - Crétacé supérieur (Formation Moreno) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

11) Arizona - Jurassique inférieur (Grès Navajo), Crétacé inférieur (?), Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

12) Nouveau-Mexique - Crétacé supérieur (Grès Ojo Alamo, Formation Kirtland, Formation Fruitland) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

13) Texas - Crétacé inférieur (Groupe Trinity), Crétacé supérieur (Formation Aguja) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

14) Oklahoma - Jurassique supérieur (Formation Morrison), Crétacé inférieur (Groupe Trinity) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

15) Alabama - Crétacé supérieur (Groupe Selma) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

16) Caroline du Nord - Crétacé supérieur (Formation Black Creek) - Transgressions Crétacé.

17) Maryland et Washington D.C. - Crétacé inférieur (Formation Arundel) - Transgressions Crétacé.

18) New Jersey - Crétacé supérieur ( Groupe Monmouth, Formation Navesink, Formation Matawan) - Transgressions Crétacé.

19) Mexico (Etat de Coahuila) Crétacé supérieur (Formation Difunta) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

 

Europe :

 

20) Angleterre - Lias inférieur, Jurassique moyen (Great Oolite, Forest Marble, Stonesfield Slate, Chipping Norton Limestone), Jurassique supérieur (Kimmeridgien, Corallien, Oxfordien, Callovien), Crétacé inférieur (Lower Greensand, Wealdien, Potton Sands, Middle Purbeck Beds), Crétacé supérieur (Lower Chalk, Cambridge Greensand) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

21) Pays-Bas - Crétacé inférieur (Wealdien), Crétacé supérieur (Maastrichtien, Santonien) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

22) France - Lias, Jurassique supérieur (Portlandien, Kimmeridgien, Oxfordien, Callovien), Crétacé inférieur (Gault), Crétacé supérieur (Maastrichtien) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

23) Espagne - Crétacé inférieur ( Albien, Wealdien ), Crétacé supérieur (Maastrichtien) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

24) Portugal - Lias, Jurassique supérieur (Kimmeridgien), Crétacé inférieur ( Aptien, Lower Greensand ), Crétacé supérieur ( Maastrichtien ) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

25) Allemagne - Jurassique supérieur (Kimmeridgien, Solnhofener, Schiefer), Crétacé inférieur (Wealdien) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

26) Autriche - Crétacé supérieur (Formation Gosau) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

27) Pologne - Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

28) Transylvanie - Crétacé supérieur ("Danien" = Maastrichtien) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

29) Spitzberg - Crétacé inférieur (?) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

 

Asie occidentale :

 

30) Kazakhstan - Crétacé inférieur (?), Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

31) Ouzbekistan - Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

 

Asie orientale :

 

32) Sibérie centrale et méridionale - Crétacé inférieur (? Udinsk) - Transgressions Trias, Jurassique.

33) Sinkiang - Jurassique supérieur (?), Crétacé inférieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

34) Mongolie du Sud - Crétacé inférieur (Formation Ashile, Formation Oshih, Formation Ondai Sair), Crétacé supérieur (Formation Nemegetu, Formation Djadochta) - Transgressions Trias, Jurassique.

35) Mongolie orientale - Crétacé inférieur (Formation Iren Dabasu), Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique.

36) Mongolie intérieure - Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique.

37) Kansu - Jurassique supérieur (?), Crétacé inférieur (?), Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique.

38) Szechuan - Jurassique supérieur (Séries Kuangyuan) - Transgressions Trias, Jurassique.

39) Shansi - Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique.

40) Shantung - Jurassique supérieur (?), Crétacé inférieur (?), Crétacé supérieur (Séries Wangshih) - Transgressions Trias, Jurassique.

41) Mandchourie (Heilungchiang) - Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique.

42) Sakhalin - Crétacé supérieur (Sénonien) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

 

Asie du Sud :

 

43) Laos - Crétacé supérieur (Sénonien) - Transgressions Trias, Jurassique.

44) Inde centrale - Jurassique inférieur (Formation Kota), Crétacé supérieur (Formation Lameta) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

45) Inde du Sud - Crétacé supérieur (Etage Aryalur supérieur ) - Transgressions Crétacé.

Amérique du Sud :

46) Argentine du Sud (Patagonie) - Jurassique moyen (?), Crétacé supérieur (Sénonien) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

47) Argentine du Nord et Uruguay - Crétacé supérieur (?) - Transgressions Crétacé.

48) Brésil (Etat de Säo Paulo) - Crétacé supérieur (?) - Transgressions Crétacé.

 

Afrique du Nord :

 

49) Maroc - Jurassique moyen (Bathonien), Jurassique supérieur (Callovien), Crétacé inférieur (?), Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

50) Tunisie et régions adjacentes de la Lybie - Crétacé inférieur ("Continental intercalaire"), Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

51) Algérie centrale - Crétacé inférieur ("Continental intercalaire") - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

52) Algérie orientale - Jurassique supérieur (?), Crétacé inférieur ("Continental intercalaire") - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

53) Mali - Crétacé inférieur ("Continental intercalaire") - Transgressions Crétacé.

54) Niger - Crétacé inférieur ("Continental intercalaire"), Crétacé supérieur (?) - Transgressions Crétacé.

55) Egypte - Crétacé supérieur (Formation Baharia) - Transgressions Crétacé.

Afrique orientale :

 

56) Tanzanie - Jurassique supérieur (Formation Tendaguru) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

57) Malawi - Crétacé inférieur (?) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

 

Afrique du Sud :

 

58) Province du Cap (Bushmanland) - Crétacé inférieur (?) - Transgressions Crétacé.

59) Province du Cap (Côte Sud) - Crétacé inférieur (?) - Transgressions Crétacé.

60) Madagascar - Jurassique moyen (?), Crétacé supérieur (?) - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

 

Australie :

 

61) Queensland (Côte Nord-Est) - Jurassique moyen (?) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

62) Queensland (Intérieur) - Jurassique inférieur (Walloon Coal Measures) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

63) Nouvelle-Galles du Sud - Crétacé inférieur (? Walgett) - Transgressions Jurassique, Crétacé.

64) Victoria - Crétacé inférieur (? Cap Patterson) Transgressions ?? (Données manquantes).

 

On peut ajouter les sites fossilifères suivants (Lambert 1986) (Buffetaut 1994) :

 

Yukon et Alaska, gisements "polaires" du Crétacé supérieur - Transgressions du Crétacé.

Pérou - Crétacé - Transgressions Trias, Jurassique, Crétacé.

Antarctique - Crétacé supérieur (Campanien) - Transgressions Crétacé.

Soudan - Crétacé supérieur - Transgressions Jurassique, Crétacé.

Kénya - Jurassique - Transgressions Jurassique, Crétacé.

Sud de la Scandinavie - Crétacé - Transgressions Jurassique, Crétacé.

Cette liste, qui n'est pas exhaustive, recense néanmoins les principaux sites fossilifères de Dinosaures du Jurassique et du Crétacé. Elle révèle la corrélation étroite qui existe entre les transgressions et la localisation postérieure des sites fossilifères. Elle est corroborée, en sens contraire, par l'absence de sites fossilifères, partout où aucune transgression mésozoïquze n'est survenue, excluant ainsi l'émergence, dans ces régions, de la chaîne alimentaire du calcium.

Régions non transgressées dépourvues de sites fossilifères :

1) La plus grande partie du Nord de l'Amérique du Nord et du Canada (Région des Grands Lacs, Territoires du Nord-Ouest, Ontario, Québec - sauf Alaska et Yukon), le Groënland (sauf la côte orientale).

2) Amérique du Sud : le Nord de la partie orientale non transgressée (Brésil - Amazonie, Mato-Grosso - sauf Etat de Sao-Paulo et Région de Bahia).

3) Afrique : toute la moitié orientale non couverte par les transgressions mésozoïques sauf la côte orientale (Tanzanie, Malawi, Kénya, Soudan) et Madagascar.

4) Australie : la moitié occidentale dont seule la partie côtière a été transgressée.

5) Europe : Islande et Scandinavie (sauf la transgression de l'extrême sud).

6) Asie : l'Angara non transgressé au nord du Lac Baïkal.

7) L'Antarctique : toute la Péninsule sauf la partie transgressée au Crétacé.

Il faut noter que, si les sites fossilifères, par la nature des choses, sont localisés dans les affleurements mésozoïques et, de plus, dans des zones préalablement transgressées, la réciproque n'est pas vraie. De nombreux affleurements mésozoïques, situés dans des zones non transgressées, ne contiennent pas de sites fossilifères (Lambert 1986):

1) Amérique du Nord: affleurements crétacés de l'extrême-ouest de l'Alaska.

2) Amérique du Sud : affleurements crétacés du nord-est.

3) Australie : affleurements crétacés de la moitié continentale occidentale.

4) Asie : affleurements jurassiques et crétacés au Nord et au Nord-Est du lac Baïkal.

La localisation des sites fossilifères dans les régions préalablement transgressées et leur absence des affleurements non transgressés est un argument puissant en faveur de l'influence probabiliste de la chaine trophique du calcium dans l'acmé et la radiation des Dinosaures. Cette constatation de l'émergence des familles de Dinosaures, exclusivement dans les zones préalablement transgressées, exclut, statistiquement, toute distribution au hasard de la localisation de leurs sites fossilifères. Elle peut favoriser la recherche de sources fossilifères en privilégiant les régions transgressées au détriment de celles qui n'ont connu aucune transgression mésozoïque. La disparition des Dinosaures, à la fin du Crétacé, relève des mêmes facteurs que les autres groupes animaux c'est-à-dire des facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation et de la rupture de la chaîne alimentaire probabiliste du calcium (en particulier la disparition des Angiospermes dont se nourrissaient de nombreux Dinosaures herbivores).

 

VI ) Les facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation du calcium à la limite K/T :

 

Facteur 2 : Glaciations, températures fraîches ou froides : le rafraîchissement de la température des océans de 8°C est une phénomène à long terme du Crétacé qui culmina 500.000 ans avant la frontière K/T. Un effet de serre réchauffant l'atmosphère se produisit durant 400.000 ans. Puis, durant les derniers 100.000 ans, le climat se rafraîchit rapidement de 3°C (Gerta Keller 1998). Les feuilles des végétaux terrestres, à morphologie boréale (allongées, à bords irréguliers), dominent après K/T puis plus tard dominent à nouveau les feuilles à morphologie tropicale (rondes, à bords lisses). Les espèces tropicales et récifales et le plancton à squelette calcaire (coccolithophoridés et foraminifères) furent les plus affectés alors que le plancton à squelette siliceux ou de cellulose fut relativement peu affecté (dinoflagellés, diatomées, radiolaires).

Facteur 3 : Niveau plus élevé de CO2 : le CO2, plus soluble dans les eaux plus froides, favorise la dissolution du CO3Ca (Maddocks 1998). Le volcanisme intense de la fin du Crétacé (Trapps du Dekkan - Mc Lean 1997) rejette du CO2 dans l'atmosphère et celui-ci s'accumule dans les océans.

Facteur 4 : Volcanisme et orogénie alpine, à la fin Crétacé, engendrent une sédimentation terrigène et expulsent du CO2 dans l'atmosphère. Une couche argileuse se dépose presque partout dans le monde et, à long terme, près de Chixculub où se serait produit un impact météorique (Gerta Keller 1996).

Facteur 5 : L'accroissement de CO2 dans les eaux marines augmente l'acidité du pH (Knoll 1996).

Facteur 7 : Ruptures des chaînes alimentaires : Quasi extinction du nannoplancton (coccolithophoridés) et du microplancton (foraminifères) ; Disparition des Angiospermes (Pic des fougères Raup 1993).

Nous constatons que sur les 7 paramètres probabilistes perturbateurs de la biominéralisation que nous avons recensés, 5 se sont manifestés à la fin Crétacé. Par ailleurs, ces 5 paramètres sont en conformité avec les exigences explicatives que nous avons rencontrées plus haut : pluricausalité, gradualisme et soudaineté des extinctions, durée, régionalisme et globalisation ; le caractère fondamental de la sélectivité des extinctions est largement mis en évidence.

VII ) Un certain nombre d'autres preuves ou arguments solides confortent le modèle probabiliste.

a) La cause de l'extinction de masse à la limite K/T a suscité des dizaines d' hypothèses. Certaines sont assez fantaisistes, d'autres sérieuses, comme les régressions marines et les détériorations climatiques qui en découlèrent (Ginsburg 1964). Beaucoup (hormis l'hypothèse volcanique, Courtillot 1987) sont néanmoins très spéculatives : aucun fait probant n'accrédite la thèse de la supernova, de l'étoile ou de la planète inconnue, de la rencontre de la terre avec des nuages du plan de la galaxie, d'une épidémie virale, de la sénescence des groupes, etc... La théorie en vogue de l'impact d'une météorite avec la terre (Alvarez 1980) a reçu l'appui de nombreux arguments (traces d'iridium, sphérules et grains de quartz choqués, spinelles, cratère de Chicxulub). Un certain nombre d'arguments qu'elle met en avant peuvent être interprétés, avec beaucoup de pertinence, par l'hypothèse concurrente de l'origine volcanique. D'autres arguments vont à l'encontre de cette hypothèse : 1) des données récentes suggèrent que l'impact du cratère, près de Chixculub, serait antérieur à la frontière K/T ; 2) les dépôts siliceux consécutifs à un " tsunami " engendré par l'impact sont des dépôts à long terme et non instantanés ; 3) l'événement de l'impact, marqué par l'anomalie d'Iridium, se situe au-dessus des dépôts siliceux ; 4) toutes les données recueillies convergent vers une pluralité des causes (Gerta Keller 1996 ; MacLeod 1999). En tout état de cause, tous ces arguments ne peuvent établir que la possibilité éventuelle d'un impact météorique. Le rapport de causalité avec l'extinction de masse à la limite K/T demeure purement hypothétique. Au demeurant, attribuer à un impact météorique local éventuel et à ses conséquences catastrophiques sur l'ensemble de la planète, l'extinction de masse à la limite K/T, semble, dans l'état actuel des connaissances, une généralisation très hasardeuse. La pluralité causale, les problèmes de dates et de durées et, enfin la sélectivité des extinctions, sont des difficultés majeures que le modèle de l'impact ne résout pas.

A contrario, le modèle probabiliste propose un modèle explicatif synthétique qui répond à toutes ces difficultés du modèle de l'impact..

Tout modèle explicatif des extinctions de masse à la limite K/T doit être, de surcroît, en mesure de répondre aux divers arguments que nous allons exposer ci-après.

b) La sélectivité de l'extinction de masse à la limite K/T est, nous devons le répéter, fondamentale. Notre analyse, au paragraphe IV, de la corrélation entre la persistance, la disparition ou la faible survivance de 90 % des genres à la limite K/T et la composition de leur exosquelette ou leur endosquelette est un argument majeur pour la crédibilité du modèle probabiliste. On peut ajouter que la plupart des espèces animales dont le squelette exige des besoins importants en calcium disparaissent. Presqu'aucun vertébré terrestre d'un poids supérieur à 20 Kg ne franchit le Crétacé terminal (Reichholf 1993). Rappelons l'importance du squelette chez les gros animaux (20 % du poids) (Dejours 1994). Les Oiseaux à caractères reptiliens, apparus au Jurassique supérieur, s'éteignent au Crétacé terminal alors que prennent leur essor les oiseaux modernes, sans dents, à l'Eocène.

c) Les arguments paléobiogéographiques : l'examen des sites fossilifères d'un groupe de reptiles terrestres qui a dominé le Mésozoïque, les Dinosaures, a apporté une confirmation sans équivoque du modèle probabiliste. On a constaté 1) que l'émergence des fossiles de Dinosaures se produit toujours après une transgression c'est-à-dire une sédimentation marine (Furon 1959) qui instaure la chaîne trophique probabiliste du calcium 2) a contrario, sans transgression préalable, on ne trouve pas de fossiles de Dinosaures. Le lien direct entre la probabilité de l'apparition et de la radiation des Dinosaures et la présence d'un milieu calcique apparaît ainsi solidement établi.

d) Les extinctions de masse à la limite K/T interviennent, le plus souvent, à la suite d'une radiation explosive des groupes qui disparaissent. Seul le modèle probabiliste de l'évolution interprète ces deux ordres de faits par un même facteur : l'instauration d'une chaîne trophique et de facteurs probabilistes favorables de biominéralisation du calcium puis leur perturbation, alors que la plupart des modèles ne prennent en compte que les extinctions de masse au fini-Crétacé.

e) La chaîne trophique et les facteurs de biominéralisation probabilistes du calcium établissent un lien entre l'acmé puis la disparition "simultanées" de groupes animaux très éloignés, Vertébrés ou Invertébrés, par la possession d' un dénominateur commun : un métabolisme calcique important.

f) La stratigraphie atteste du changement de sédimentation à la limite K/T. Une couche argileuse " sépare, dans la plupart des coupes, le Crétacé du Tertiaire et, de façon générale, ... toutes les régions où les termes de passage entre les deux systèmes pouvaient être mis en évidence " (De Bonis 1991). A Gubbio, cette couche contient 50 % d'argile, alors que la plupart des couches inférieures à la limite K/T contiennent environ 95 % de carbonate de calcium et 5 % d'argile (Alvarez, Asaro 1993). Par ailleurs, au fond des océans, la sédimentation calcaire d'origine organique provenant de l'accumulation du squelette de micro-organismes s'arrête à la fin du Maëstrichtien. La concentration des carbonates, à la limite K/T, des sites sédimentaires de El Kef (Tunisie), Caravaca (Espagne) et Hole 761C (au large de l'Australie), témoigne nettement de la diminution, à ce niveau, de la concentration en carbonates de calcium : El Kef (d'environ 50 à 5 %), Caravaca ( d'environ 70 à 20 %), Hole 761C ( d'environ 90 à 70 %) (Robin, Rocchia 1993).

g) Les arguments a contrario : La plupart des genres de Foraminifères disparaissent au fini-Crétacé (Orbitoïdés, Orbitolinidés). Ils possèdent un métabolisme calcique important ; leurs tests épais et lourds peuvent atteindre 6 cm de diamètre ( Orbitolina concava ). A l'opposé, les Silicoflagellés apparaissent au Crétacé terminal. Les Diatomées et les Radiolaires (93 % de survivants), au squelette siliceux, qui prospèrent dans les faciès marins abondants en matériaux siliceux, pullulent au Cénozoïque, où ils constituent des masses considérables de sédiments : diatomites et "boues à radiolaires". Les Dinoflagellés, à thèque cellulosique, prospèrent également (78 % de survivants) et on perçoit souvent les argiles de la limite K/T comme une "soupe de Dinoflagellés" (Smit Ian 1996). Parmi les Vertébrés, les Elasmobranches, poissons à squelette interne cartilagineux, survivent à 67 %, alors que les Ostéichthyens, à squelette osseux, disparaissent presque complètement ( 4 % de survivants).

h) La durée de l'extinction de masse est incompatible avec une catastrophe brève (impact d'un corps céleste, étoile ou planète inconnue, etc...). Elle correspond bien aux extinctions de masse échelonnées, comme l'estimation de la durée du volcanisme du Dekkan, de l'ordre de 500.000 ans, basée principalement sur la polarité inverse du champ magnétique (Courtillot 1987). La perturbation de la chaîne trophique et des facteurs de biominéralisation du calcium est un phénomène progressif qui ne peut se produire que pendant une durée "géologique" et qui peut engendrer aussi bien des extinctions graduelles (Inocéramides et Rudistes) que soudaines (Coccolithophoridés et Globigérines). Cette diversité temporelle des extinctions est bien en phase avec la multiplicité des facteurs probabilistes perturbateurs de la biominéralisation.

i) Le Mésozoïque, souvent considéré comme l'ère des Reptiles, peut être considéré, plus justement, comme l'ère du calcium. Le réveil de l'activité orogénique et du volcanisme au fini Crétacé et les variations chimiques et climatiques de l'environnement qu'il entraîne modifie la composition sédimentaire et rompt la chaîne trophique du calcium (phosphates, carbonates, etc...). Ainsi vont disparaître les Dinosaures, aussi bien herbivores que carnivores. En même temps que les Dinosaures, disparaissent les Plésiosaures et les Ptérosaures, de même que de nombreux animaux marins et terrestres, beaucoup de grandes tailles ou adaptés à un métabolisme calcique important. La perturbation des facteurs de biominéralisation va également atteindre la plupart des organismes marins à squelette calcaire. Cette spécificité de l'atteinte des organismes à squelette et métabolisme de calcium ne peut se comprendre que dans le cadre du modèle probabiliste.

Suite : V Les quatre autres extinctions de masse

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