Purûravas et Urvaçi

 

Il y a bien longtemps, en Inde vivait un prince d’une grande beauté. Il s’appelait Purûravas et était renommé dans tout son pays pour sa bonté, sa générosité, sa piété, son amour du beau et du vrai. Un jour qu’il chassait avec ses gens sur les bords de l’Himalaya, il rencontra une meute de démons qui avait enlevé deux Apsarâ.

Les Apsarâ sont des fées nées à l’origine du monde. Elles sont apparues au moment où les dieux extrayaient l’ambroisie du centre de la terre. Elles vivent dans le palais d’or du paradis d’Indra, le royaume céleste où poussent une végétation luxuriante des banians et de figuiers. Leurs amants, les Gandharva sont extrêmement jaloux. Néanmoins, de temps à autre elles descendent sur la terre pour goûter aux saveurs de l’amour des mortels. Ceux qu’elles choisissent deviennent alors des héros.

Après une bataille terrible, Purûravas réussit à délivrer les deux Apsarâ. L’une d’elle s’appelait Urvaçi. Il se dégageait d’elle une telle séduction que le prince en tomba éperdument et instantanément amoureux. Jamais il n’avait vu une femme telle qu’elle. Elle était très belle, élégante, distinguée enfin, bien supérieure à toutes les femmes qu’il avait rencontrées jusque là. Sa taille était fine, ses hanches arrondies, ses fesses rebondies et ses cuisses musclées. Ses seins opulents, fermes et hauts dressés inspiraient l’amour divin. Mais ce qui par dessus tout attirait le regard était son visage d’un ovale parfait encadré d’une cascade de cheveux noirs et brillants ; une bouche en pétale de lotus, des yeux de braise en amande et une carnation de miel.

Les premières paroles qu’il lui murmura furent des paroles d’amour et une supplique :
- Oh beauté céleste ! mon cœur et mon âme sont devenus vôtres à l’instant même où vous m’êtes apparue. Accordez-moi votre pitié et votre affection en retour. Urvaçi ne fut pas insensible à cet appel. Elle se sentit même flattée et honorée qu’un tel homme puisse tomber amoureux telle. Elle accepta de renoncer aux délices de son Eden et lui répondit :
- Si tel est ton souhait beau prince, j’accepte de devenir tienne mais il te faudra respecter trois conditions que je t’imposerai. Si tu venais à trahir ta parole, le pacte qui nous lie sera rompu et je devrai rentrer à Indra sans espoir pour toi de me revoir un jour.

Purûravas accepta sans même savoir quelles étaient les conditions, trop heureux d’avoir enfin rencontré l’Amour.
Urvaçi lui expliqua alors les trois principes fondamentaux :
- D’abord, les deux agneaux que tu vois ici sont miens. Jamais ils ne m’ont quittés et jamais ils ne me quitteront. Je les aime comme mes enfants. Tu devras accepter qu’ils restent sans cesse à mon chevet de jour comme de nuit. Nul ne pourra me les ôter. Ensuite, tu devras veiller à ce que je ne te voie jamais nu et finalement tu ne pourras me donner comme nourriture que du beurre clarifié. Les Nymphes ne se nourrissaient en effet que de beurre clarifié et d’ambroisie. Urvaçi ne faisait pas exception.

Le prince ramena son aimée à Alaka où ils vécurent heureux ensemble pendant quelques semaines. Tous étaient sous le charme de l’épouse de Purûravas. Les femmes de la cour essayaient de lui ressembler en tous points. Elles avaient adopté la façon de s’habiller et toutes vivaient à demi nues, parées de colliers, de bracelets d’or et de perles rares. Elles étaient couronnées de tiares et de couronnes de fleurs. Elles portaient des lourdes boucles d’oreilles et des clochettes aux chevilles. Pour tout vêtement, elles ne se drapaient que de légers pagnes recouverts de riches ceintures. La cour avait ainsi un air de paradis.

Pendant ce temps, à la cour d’Indra, les autres Apsarâ, les Ghandharva et les Siddha se lamentaient de la perte de Urvaçi. Sa beauté, sa gentillesse, ses chants mélodieux leur manquaient. La compagne de Urvaçi dès son retour à la cour avait raconté comment elle avait été délivrée des démons par le jeune prince et les informa de la teneur du pacte qui avait été conclu entre les deux amoureux. Les Ghandharva se réunirent et l’un d’eux, Viçvavasu fut chargé de préparer un plan pour séparer les époux.

Par une belle nuit sans lune, il pénétra sans bruit dans la chambre des deux amants et s’empara de l’un des agneaux qui se mit à bêler. Urvaçi se réveillât. Elle se mit à pleurer :
- Qui a volé l’un de mes enfants ? Pourquoi mon époux manques-tu de courage et ne vas-tu pas le rechercher ? A qui dois-je m’adresser en ce lieu étranger ? N’y a-t-il aucun héros pour voler à mon secours ? Comme je suis malheureuse ! Aiguillonné par les lamentations de son épouse, Purûravas se leva en pria les dieux que Urvaçi ne le vit pas nu. Il faisait nuit noire et il n’y avait guère de danger. Il saisit son épée et se lança à la poursuite des voleurs. C’était sans compter sur la fourberie des Ghandharva qui déclenchèrent un orage d’une rare violence. Un éclair dévoila aux yeux de Urvaçi le corps nu du prince. Le pacte avait été rompu et la nymphe disparut instantanément.

Le prince parcourut son pays en tous sens ; envoya des émissaires dans les pays voisins à la recherche de sa bien-aimée sans succès. Un jour, alors qu’il approchait du lac Kuruksheta, il l’aperçut qui se baignait avec ses soeurs. Il la supplia de revenir et de rester près de lui.
- Je ne puis, mon cher époux. Tu as rompu le pacte qui nous liait, répondit la belle. Je ne puis avoir encore confiance en toi.
Purûravas se mit à pleurer et le cœur de la belle à battre de plus en plus fort. Elle réfléchit et se laissa convaincre par les larmes.
- Je suis enceinte de toi. Reviens dans un an ici même. Notre fils premier né aura vu le jour, je te le remettrai et je passerai avec toi une nuit entière

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Le jour anniversaire de leur rencontre sur les bords du lac, le prince se rendit à Kuruksheta. Urvaçi lui remit Aysus, leur fils. Ces rencontres durent cinq ans et à chaque fois, Urvaçi remettait à Purûravas l’enfant conçu de leurs amours.

A la sixième rencontre, Urvaçi était particulièrement belle. Il émanait d’elle une joie qui donnait à la nature un air féerique. Elle annonça à son époux d’une voix un peu tremblante :
- Pour me plaire et pour récompenser ta patience, le conseil des Ghandharva a décidé de te bénir mon mari !

Depuis ce jour, les amants vivent ensemble, heureux au royaume des Gandharva et nul ne pourra jamais les séparer.