Vers ACCUEIL
Vers Début de Chapitre
Vers Paragraphe précédent

 

ISTANBUL CAPITALE MALGRE TOUT

(de 1922 à nos jours)

 




DES FRAGMENTS AUX GRANDS TRACÉS : LES LOTISSEMENTS APRÈS INCENDIE ET LE "PLAN PROST"


Le plan directeur PROST

 

Le tissu urbain d'Istanbul doit à la fréquence des incendies une instabilité que d'autres villes orientales tiennent des tremblements de terre ou de la fragilité de la terre crue. Cette instabilité a peut-être eu l'avantage de permettre un renouvellement constant, donc une mise à jour, de l'habitat et du dessin des trames viaires et parcellaires. A défaut de projets et de plans d'urbanisme, c'est par fragments que le tissu est quelquefois passé, au cours des XVIIIe et XIXe siècles, de la forme traditionnelle propre aux villes islamiques (rues peu hiérarchisées et au tracé complexe, nombreux culs-de-sacs), à celle d'une ville composée de lotissements juxtaposés entre lesquels ont persisté des tracés byzantins et ottomans ou, par endroits, des quartiers épargnés par les derniers incendies et qui n'ont donc pas été reconstruits sur un plan régulier, avec des maisons en maçonnerie. Les quartiers de Zeyrek (autour de l'église du Christ Pantocrator), de la Küçük Aya Sofya et de la Süleymaniye en sont des exemples, aujourd'hui protégés (théoriquement), où sont encore visibles des maisons en bois construites entre l880 et l920.


Extension actuelle d'Istanbul

Un plan de l882 révèle déjà de très nombreux quartiers nouveaux (les plus anciens d'entre eux étant consécutifs aux incendies de l759 et de l782) caractérisés par des rues orthogonales et un parcellaire laniéré permettant de construire des maisons mitoyennes en bande. A part ces aménagements ponctuels, quelques alignements et l'ouverture des rues Aziziye (aujourd'hui Ankara Caddesi), Mahmudiye (Babâli), Orhaniye, Osmaniye (Nuruosmaniye), vers l867-l868, aucune grande opération ne concernera la péninsule avant la seconde moitié du XXe siècle.

Sur l'autre rive de la Corne d'Or à Galata, la seule percée, unique mais prestigieuse, la rue des Banques (Voyvoda Caddesi), ne remodèle le tissu que dans la stricte épaisseur nécessaire, à la manière d'Haussmann à Paris. Seules les parcelles bordant la rue sont remembrées puis loties selon un nouveau découpage pour être occupées par les sièges des grandes banques européennes.

C'est cette ville que va découvrir Henri Prost en l902. Le jeune architecte, alors pensionnaire à la Villa Médicis, y effectue le traditionnel voyage en Orient (quelques années avant Le Corbusier). Il y entreprend le relevé préparatoire à son " envoi de Rome " de 4e année : la restauration de Sainte-Sophie de Constantinople, et est même consulté par une commission alors chargée de la restauration concrète du monument. Son second contact avec la Turquie a lieu en l926 quand, fort de ses expériences au Maroc et en France, il est invité à dessiner le plan directeur d'Izmir, devenu nécessaire et possible après le grand incendie de l922. Il retourne à Istanbul en l934 à la demande du gouvernement turc, mais décline provisoirement l'offre de s'y installer, ce qu'il ne fera qu'en l936, à la demande personnelle d'Atatürk.

En attendant, ce sont A. Agache et J.-H. Lambert qui rédigent les premières études. Le travail mené par ce dernier dépasse la commande initiale qui consistait simplement à proposer un plan d'embellissement pour des zones incendiées. Lambert dresse un tableau sévère de la situation : faiblesse du marché foncier, reconstructions anarchiques, immeubles récents trop élevés interdisant la vision panoramique du paysage urbain, rareté des artères permettant la circulation automobile, absence d'équipements culturels modernes. Trois axes sont tracés pour un programme urbanistique : industriel (un port, une zone industrielle et des cités ouvrières à Bakirköy sur la Marmara), culturel (une université, une cité des arts et de l'artisanat, une mise en valeur des monuments) et touristico-sportif (hôtels, stades, stations balnéaires).


Pont sue Bosphore-1973

Prost s'en inspirera pour son " Plan directeur " rendu en l937, mais rendra prépondérantes les préoccupations distributives et esthétiques. Son " Plan " est donc d'abord un plan de voirie. Des avenues à ouvrir à travers le tissu urbain longent les rives de la Corne d'Or, du Bosphore et de la Marmara, traversent la vieille ville d'Est en Ouest entre la Pointe du Sérail et les deux portes de Topkapi et Edirnekapi, du Nord au Sud entre le pont Atatürk (à construire) et Yenikapi, relient les deux ponts sur la Corne d'Or à la Place de Taksim. Ce programme sera progressivement réalisé après la Dernière Guerre, à l'exception de la voie à ouvrir entre le pont Atatürk et Taksim (par élargissement de la rue Tarlabasi), qui vient de resurgir des cartons, et fait actuellement l'objet d'un vif débat. Autre point fort du programme de Prost, le " Parc no 2 ", comprenant un grand stade, sera lui aussi réalisé (l'idée du " Parc n° l " dans la vallée du Lycus fut vite abandonnée), mais récemment détourné de sa vocation par la construction de grands hôtels en forme de tours. Les aspects économiques et sociaux du programme initial échappèrent évidemment à l'urbaniste, le port par exemple étant maintenu dans la Corne d'Or.

Le " Plan Prost ", synthèse du savoir-faire des Beaux-Arts et des idées du Musée Social partagées avec ses compagnons à la Villa Médicis (T. Garnier, L. Jaussely et E. Hébrard), occupe une place importante dans l'histoire de l'urbanisme, par la personnalité même de son auteur, urbaniste de Lyautey au Maroc, et par le fait qu'il s'agit d'une des premières interventions occidentales modernes au Proche-Orient, avec celles contemporaines de H. Jansen à Ankara et de M. Ecochard à Damas.

Par rapport au Maroc, justement, où il avait conçu des villes européennes parallèles aux médinas (l9l3-l923), par rapport à la Région Parisienne dont il avait étudié un plan d'aménagement (l932-l934), Prost entreprend un projet d'un troisième type : le remodelage d'une ville historique. Il ne s'agissait pas " de créer une ville nouvelle, mais d'orienter une antique capitale en pleine évolution sociale vers un avenir où la mécanique et peut-être le nivellement des fortunes allaient transformer les conditions d'existence " écrit-il alors. La référence au projet de reconstruction de Salonique par son ami E. Hébrard (l9l9), qu'il aurait pu avoir en mémoire, ne peut être que partiellement retenue dans la mesure où le plan de la métropole de Grèce du Nord était à redessiner complètement après l'incendie du centre. Par contre, comme à Salonique ou à Rome (pro jets de dégagement des Forums Impériaux au début du XXe siècle, à l'époque où il était à Rome), Prost propose la mise en valeur des monuments byzantins : c'est le " Parc archéologique " incluant le Palais de Topkapi, les vestiges des Palais Impériaux byzantins et l'Hippodrome, application de la notion naissante de zonage. Mais le programme préparé par Prost ne consiste pas seulement en un plan. Il comprend des mesures propres à éviter la spéculation foncière ou les expropriations abusives, des cahiers des charges pour la reconstruction le long des artères nouvelles, une limitation des immeubles à trois étages dans le vieil Istanbul afin de préserver une silhouette d'où devaient émerger coupoles et minarets des grandes mosquées.

Conformément aux principes de la mise en valeur des monuments par le dégagement de leur environnement, encore en vigueur à cette époque, et aussi afin d'élargir les espaces de circulation automobile, Prost fit ouvrir la Place Eminonu qui isole la Yeni Camü, le Bazar Egyptien (Misir Carsisi) et devait même détourner la mosquée de Rüstem Pasa, qui serait ainsi devenue totalement incongrue, notamment du fait de sa position surélevée au dessus des boutiques. Prost avait aussi proposé l'ouverture d'un métropolitain, reprenant ainsi un vieux projet français de E.-H. Gavand remontant à l876.

Il devait penser que le percement de grandes artères allait spontanément rénover en profondeur les tissus urbains, et qu'il suffisait d'accompagner réglementairement ce phénomène. Mais peut-être aussi l'ordonnancement des immeubles devant border les nouvelles avenues lui aurait-il suffi, s'il avait été réalisé ? Les percées et les dégagements prévus par Prost en l937 et non exécutés dans les années l950-l960, telle la transformation de la rue Tarlabasi en autoroute urbaine, sont malheureusement encore aujourd'hui d'actualité.

Quel que soit le respect historique dû au travail de ce grand urbaniste, il est affligeant devoir actuellement resurgir des projets (des percées et dégagements dont il est toujours question) conçus il y a une cinquantaine d'années et ne correspondant plus aux aspirations contemporaines de réhabilitation plutôt que de rénovation brutale. 

 

L'ÉTENDUE : A L'ASSAUT DE l'ASIE

La géographie d'Istanbul, marquée par la mer et une topographie fragmentée, a toujours joué un rôle important dans le développement de la ville.

Ville maritime, les activités portuaires se sont concentrées au croisement défini par les différents bras de mer. Ville de collines, dans laquelle les transports terrestres restent encore aujourd'hui difficiles, les centres d'échanges commerciaux n'ont pu s'éloigner de ce croisement situé à l'entrée de la Corne d'Or. Aussi durant toute la période pré-industrielle, les quartiers commerciaux sont-ils restés implantés aux pieds de Galata et du Grand Bazar, là où se trouvent tous les han.

Quand la croissance des échanges commerciaux avec l'Occident se fera sentir (après le Tanzimat surtout), ce sera toujours à partir des rives de la Corne d'Or que de nouveaux pôles d'activités se développeront. Et ce sera la vieille ville " franque " de Galata qui abritera les nouvelles institutions et structures modernes.

Derrière Galata, Beyoglu en subira les conséquences, et de quartier résidentiel périphérique deviendra le quartier symbolisant le mieux la dépendance de l'empire ottoman par rapport aux modèles européens. Ce glissement annonce l'intégration des petits villages grecs du Bosphore dans la ville, une population urbaine composite s'installant autour des anciens yali, des palais ou des grandes demeures des notables.

C'est seulement avec la fin du XIXe siècle et la construction des voies ferrées que d'autres pôles d'urbanisation vont apparaître à partir des gares de Sirkeci (aux pieds de Topkapi) etde Haydarpasa (sur la rive asiatique), et des lignes qui y aboutissent. D'une part des équipements vont s'implanter autour des gares(caserne de la nouvelle armée réformée et école de médecine à Haydarpasa), d'autre part des industries et des banlieues (en forme de lotissements au plan régulier) vont s'étendre le long de la Marmara, tant sur la rive européenne(Bakirköy, Yesilköy) que sur la rive asiatique(Göztepe, Erenköy, Bostanci) que suit le chemin de fer.

Pourtant, ce développement urbain reste modeste en comparaison de celui des dernières décennies. Si la population passe de 850.000 habitants en l885 à l.000.000 en l950, elle dépasse 6.000.000 aujourd'hui.

Comme la construction des ponts sur la Corne d'Or avait marqué au siècle dernier le développement de la ville vers le Nord, celle des ponts sur le Bosphore (le premier a été mis en service en l973, le second est en chantier, on parle d'un troisième ainsi que d'un tunnel) symbolise une fusion des deux continents. Rien ne semble pouvoir arrêter cette expansion linéaire le long d'une autoroute qui relie Istanbul à Gebze et à Izmit (cette dernière distante de presque l00 km) : pas les reliefs difficiles, encore moins. les plans d'urbanisme. Aucun service d'infrastructure autre que l'autoroute et le chemin de fer n'assume vraiment cette croissance tentaculaire dont il est même difficile de définir les frontières exactes.

Cette extension démesurée s'est doublée d'un renouvellement significatif de la population qui est devenue moins cosmopolite. Les minorités(Grecs, Arméniens, Juifs) qui ne sont plus représentées que par quelques milliers de citadins, ont été remplacées par des Turcs, essentiellement des ruraux venant d'Anatolie. Mais bien qu'Istanbul ne soit plus la capitale d'un empire, ni même celle de la nouvelle République, son activité économique intense continue à en faire une métropole véritable. Malgré la défaillance de ses services et de ses infrastructures, elle continue d'être, par les traces de son passé, par sa vitalité, par ses dimensions, une grande ville mondiale.

 

LA DIVERSITÉ ARCHITECTURALE, DES BUILDINGS AUX "GECEKONDU"

 


Immeubles de Kocamustafa Pasa

Avenue Halasker Gazi à Osmanbey

Immeubles et gecekondu au bord du Bosphore

De par sa situation géographique entre Orient et Occident, de par son rôle historique de capitale d'empires, Istanbul a toujours abrité une diversité de populations et connu une pluralité de cultures, toutes deux caractéristiques. Les confrontations entre chrétienté et islam, entre mondes de la Méditerranée et des steppes d'Asie une foie passées, la pression démographique, les déséquilibres socio-économiques, les dimensions mêmes de la ville, creusent aujourd'hui d'autres fossés.



Gecekondu de Gülsuyu et de la corne d'or

Bien sûr, de Byzance à l'empire ottoman, ont toujours vécu en parallèle des élites culturelles et des cultures populaires. A la vie raffinée des kiosques ottomans a succédé la vie mondaine des salons levantins, comme les façades " art nouveau " de la Grande rue de Pera (actuelle Istiklâl Caddesi) ont succédé aux yali du Bosphore, indépendamment de la persistance des modes d habiter traditionnels. Mais, au sein de la nouvelle société qui s est modelée avec l avènement de l'indépendance nationale, se sont constituées des formes culturelles encore plus diversifiées : celle de l'avant-garde intellectuelle, celle des mouvements traditionalistes, celle des milieux petits bourgeois aux modèles stéréotypés, celles des marginaux encore semi-ruraux.

Il y a aujourd'hui d'un côté l'architecture " élitiste " des maîtres (S. Arlam, I. Tekeli, B. Çinici, S. Eldem), qu'elle soit historiciste ou moderniste ; d'un autre celle des hôtels de luxe, des buildings des grandes sociétés, symboles de prestige économique et social comme les immeubles de standing qui s'élèvent sur les versants du Bosphore ; d'un autre côté encore l'architecture stéréotypée des bâtiments publics et des immeubles de rapport ; d'un autre enfin celle des gecekondu.


Bätiments de la Sécurité Sociale à Zeyrek

Faculté des Sciences et Lettres

Immeuble Istanbul Reklam

Appartements à Bebek

L'urbanisation rapide semble avoir eu raison de traditions spatiales populaires qui n'ont pas été remplacées par une planification urbaine efficace. Ces quartiers de bidonvilles (Zeytinburnu, Rami, Gültepe, Caglayan, Umraniye, Gülsuyu) qui couvrent les collines situées derrière la Corne d'Or ou au-dessus de l'autoroute d'Izmit, spontanément construits par des provinciaux déracinés, ont rapidement pris une dimension urbaine évidente. D'ailleurs, à y regarder de plus près, le plan des maisons à distribution centrale (sofa ou eyvan), le découpage des parcelles, les circulations, les plantations qu'affectionnent indéfectiblement les Turcs reproduisent assez bien l'habitat traditionnel.

Il n'y manque même pas les mosquées, en béton, qui poussent partout. Bien des caractéristiques de la ville ottomane s y retrouvent donc, même si les robinets bricolés des points d'eau remplacent les fontaines de marbre d'autrefois.

L'architecture marginale des gecekondu par sa diversité et son fonctionnalisme s'oppose avantageusement à celle de la petite entreprise, de la bureaucratie, du conformisme, où tout semble être réduit à un schématisme élémentaire. L'habitat collectif n'échappe pas à cette médiocrité, et ce n'est que depuis ces toutes dernières années que l'on constate un premier effort d'invention dans ce domaine, pourtant si important pour la ville.

 

RÉNOVATIONS ET RÉHABILITATIONS

La législation relative à la préservation du patrimoine culturel remonte à la fin du siècle dernier alors que le premier musée national est créé à Istanbul et que les premiers archéologues turcs entreprennent des programmes de fouilles. Mais, ce n'est que vers la fin des années l960 qu'un mouvement de conservation et de mise en valeur du patrimoine architectural, aussi bien monumental que vernaculaire, connut un certain retentissement dans le pays.

Istanbul a été un des premiers centres où des projets de protection d'une certaine envergure ont été lancés, en l'occurrence une campagne internationale (UNESCO) pour la préservation des murailles byzantines et des dernières maisons en bois du quartier de la Suleymaniye. Même si ce mouvement peut assez facilement être attribué à l'influence internationale, particulièrement présente lors de l'Année du Patrimoine Architectural Européen (l980), il faut constater que dans leurs manifestations concrètes, ces projets de conservation revêtent, à Istanbul comme à travers le pays, des caractéristiques proches de celles des autres opérations d'urbanisme plus couramment menées en Turquie. Pour les entreprises de restauration et de réhabilitation, comme pour la construction de logements ou de bureaux, un nombre limité de solutions fixées par des plans d'urbanisme, des réglementations ou des contraintes technologiques, est inlassablement répété. Exactement comme l'immeuble est devenu le signe du mode de vie contemporain, ou comme la coupole (qu'elle soit en maçonnerie traditionnelle ou en béton armé) est restée indissociable de l'architecture religieuse (même dans le cadre d'un bidonville), les espaces publics récemment créés le long de la Corne d'Or, du Bosphore, de la Marmara et autour des remparts byzantins, expriment l'image du cc jardin public " et la reproduisent sans la moindre référence à des contextes urbains forcément différents.


Immeubles à Altimermer

Immeubles à Üsküdar

Cette esthétique, par ailleurs hygiéniste, appliquée à grande échelle pour l'assainissement des rives de la Corne d'Or (et ayant notamment entraîné la destruction de la plupart des dernières demeures en pierre du XVIIIe s. du quartier de Fener), prend une dimension encore nettement plus anti-historique dans les interventions urbaines comme celle aboutissant à la démolition des îlots dits insalubres de la rue de Tarlabasi à Beyoglu. Cette dernière opération est d'autant plus regrettable que les défenseurs de l'ancienne Pera voyaient dans cette rue un des éléments de la revitalisation possible du quartier. A défaut de véritables réhabilitations et restaurations à l'échelle urbaine, les opérateurs publics et privés se limitent à des interventions sur des bâtiments historiques isolés, dispersés dans la ville. Ici encore, les solutions stéréotypées triomphent. En dehors des monuments historiques surtout religieux, plus ou moins correctement traités, la tendance actuelle, encouragée par la législation, la technologie et la mentalité administrative, consiste dans une sorte de maquillage des bâtiments, plutôt que dans une restauration fidèle. Ainsi, les façades peintes en blanc des maisons du Bosphore masquent souvent une ossature en béton, et une distribution sans rapport avec le plan initial. De plus, les traces des transformations successives inhérentes à toute structure historique sont exclues par l'intervention rénovatrice, du fait même qu'elle assimile et réduit le bâtiment à la parure figée de sa façade, quelquefois modifée par les exigences de l'usage ou par les nouveaux matériaux utilisés. Même dans des opérations d'une certaine envergure, comme la réhabilitation du voisinage de la Kariye Camii(ancienne église de Chora) ou du quartier contigu à Sainte-Sophie(la reconstruction de ta rue de Sogukçesme), par le Club d'Automobile et de Tourisme Turc, une vision unidimensionnelle prédomine. L'objet historique est réduit à un décor, fictif et fragile visage d'une volonté qui reste, malgré ses bonnes intentions, étrangère et même inconsciemment hostile à son objectif historique. Ce phénomène est sans doute dû à une certaine confusion entre valeurs patrimoniale et touristique (le ministère de tutelle des monuments historiques est symptomatiquement intitulé de la culture et du tourisme), les restaurations ayant surtout pour but de transformer des bâtiments historiques en deshérence, en objets de consommation touristique. Ainsi est renvoyée aux touristes étrangers l'image que l'on croit qu'ils s'attendent à rencontrer. L'idée de réappropriation et d'animation des monuments historiques qui a renouvelé, par exemple en France, la conception de la restauration, est de cette manière récupérée et quelque peu détournée de son objectif originel, le tourisme devant être au service du patrimoine et non l'inverse.


Sogukçesme sokak

Rives de la Corne d'or

Vers ACCUEIL