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CONSTANTINOPLE COSMOPOLITE (XIXe-DÉBUT XXe s.)


Fethiye Camii (XX)

Maisons en bande (Kasim Pasa)

Quartier de Beyazit

Plan de Constantinople de Kaufer, revu Barbié du Bocage-XIXième




GALATA : DE LA VILLE GÉNOISE A LA VILLE LEVANTINE

Galata présente deux caractéristiques majeures : c'est une ville dans la ville, et depuis sa fondation jusqu'au XXe s. une ville occidentale dans la ville orientale. Quant les Paléologues récupèrent en l26l leur capitale, occupée par les Croisés et les Vénitiens depuis l204, ils ont besoin pour faire face à la toute puissante République Sérenissime, de l'aide de son ennemi héréditaire, la République de Gênes. L'alliance byzantino-génoise aboutit à une première concession accordée aux Génois pour bâtir une cité sur l'autre rive de la Corne d'Or. Un premier établissement, en bord de mer, entouré d'une palissade, se développe par concessions successives vers la colline. La Tour du Christ (actuelle Tour Galata) est implantée au point de rupture de la pente et ainsi se constitue de proche en proche une colonie génoise. C'est une vraie ville occidentale, avec ses murailles, ses hautes maisons en pierre, ses rues rectilignes et parallèles,l'ensemble constitué par les églises Saint-Dominique et Saint-François de part et d'autre de la cathédrale Saint-Michel, en bordure de la place centrale où se tient le marché. La rue principale part de la Tour, passe devant les maisons patriciennes accrochées à la pente et la loggia du podestat où se réunissent les marchands, puis coupe la place de la cathédrale pour descendre jusqu'à la mer, à l'endroit le plus étroit de la Corne d'Or où s'effectue la traversée vers Byzance. C'est l'actuelle rue de Persembe Pazari le long de laquelle on peut encore voir les dernières " maisons franques ", en réalité des maisons en pierre des XVIIe et XVIIIe siècles. Au niveau de la place centrale, cette rue, perpendiculaire à la mer, est coupée par le second axe important de Galata, parallèle au rivage qui va de la porte de l'Arsenal à la porte de Tophane (la Fonderie de canons). Les Génois restent spectateurs du siège de Constantinople par les Turcs, signent ensuite un acte de reddition qui garantit non seulement leurs personnes et leurs biens, mais leur donne aussi le droit de conserver leurs églises et leur accorde un semblant d'autonomie.

Les Turcs transforment peu après l'église Saint-Dominique en mosquée,l'actuel Arap Camü,pour installer autour un quartier d'ouvriers et de soldats de l'Arsenal (tout proche), mais ce sera l'unique empiètement pour longtemps, les grandes mosquées bâties de ce côté de la Corne d'Or (Sokollu Mehmet PaSa en l576, Kili Ali Paa en l580) l'étant à l'extérieur de la muraille de Galata. Et les voyageurs s'étonnent d'entendre fêter bruyamment le carnaval ou de voir se promener des processions de flagellants dans la ville " franque ". Galata se présente sans doute aux yeux de l'administration ottomane comme un ghetto chrétien. C'est là qu'on installe les ambassades chrétiennes au fur et à mesure de leur arrivée dans la capitale, à l'exception de celle de l'Empereur Germanique, le seul qui pourrait prétendre à l'égalité avec le sultan, qui loge à Constantinople. C'est là qu'on boit le vin à volonté dans les tavernes grecques où viennent aussi les Turcs qui traversent la Corne d'Or. C'est là aussi que se fait le commerce avec l'Occident chrétien. Les Levantins de Galata sont les courtiers, les intermédiaires privilégiés de l'Europe, et quand la puissance de celle-ci s'affirme, Galata cesse d'être un ghetto pour devenir le coeur économique de la ville.Les prêteurs grecs, arméniens ou juifs du gouvernement ottoman en difficulté, les banquiers de Galata s'y installent tout naturellement, et quand, avec la guerre de Crimée en l853, l'Empire ottoman est placé sous la tutelle économique de l'Europe, c'est Galata qui aura sa rue des banques en même temps que la première municipalité de I'Empire. Pressée par les ambassadeurs étrangers d'établir des services municipaux dans la capitale, I'administration ottomane divise la ville en quatorze cercles et instaure une " municipalité modèle " pour le seul sixième cercle, c'est-à-dire Galata et Beyoglu. Le premier conseil municipal, composé en grande partie de chrétiens et de juifs, avec la participation à titre consultatif d'étrangers établis dans la ville, décide de paver les rues, de démolir les murailles et d'ouvrir une voie carrossable pour gravir la pente entre le rivage et la Grande Rue de Pera, l'actuel Beyoglu. C'est sur cette rue(dite rue des Banques, et aujourd'hui appelée Voyvoda Caddesi) empruntée par les premiers tramways hippomobiles (l869) que s'installera la Banque impériale Ottomane, organisme franco-anglais, bientôt suivie par les autres établissements bancaires comme celui d'Abraham Camondo, bordé par l'élégant escalier " baroque " du même nom qui gravit la ruelle latérale. Un funiculaire, le célèbre " tunnel ", relie depuis l874 Galata à Beyoglu. Autre caractéristique occidentale, la " fuite du centre de Galata : les premières boutiques à l'européenne et les premiers immeubles de rapport se déplacent de Galata à Beyoglu, et ensuite au-delà de la place de Taksim, en laissant derrière eux des quartiers dégradés, progressivement occupés par l'artisanat et les migrants ruraux. Ce processus amorcé dès les premières années de la République est déjà accompli en ce qui concerne Galata au cours des années 50. Toutefois, l'ancienne cité génoise conserve son site exceptionnel, sa situation de passage obligé vers la vieille ville d'Istanbul, et abrite toujours les sièges des banques.


Vue de la tour Galata vers Tophane
 
Rue Tarlabasi
 
Maisons gênoises à Galata

BEYOGLU : GRANDEUR ET DÉCADENCE

Beyoglu est à l'origine la banlieue de Galata. De part et d'autre d'un chemin suivant, au-delà de la Tour, la ligne de crête entre le Bosphore et le vallon de KasimpaSa qui débouche sur l'Arsenal, des " personnes de qualité " vont en villégiature en ce lieu appelé les " vignes " de Pera : notamment un certain Iskender Pasa qui légua son domaine à la fin du XVe s. au Couvent des Derviches Tourneurs qui s'y trouve encore ; le vizir Ayas Pasa au milieu du XVIe s. dont les jardins occupaient l'emplacement du célèbre Park Otel, hôtel récemment démoli (en contrebas de la place Taksim), mais surtout Alvise Gritti, le fils naturel d'Andrea Gritti, le doge de Venise, qui recevait chez lui Soliman le Magnifique. C'est ce " fils du Seigneur " (Beyoglu) qui donnera son nom au quartier. Un premier carrefour, formé par cet axe et la Montée des Bombardes (Kumbaraci Yokusu),constitue le premier lieu d'installation où se trouvait la Mosquée de la Treille (Asmalimescid) disparue depuis mais qui a laissé son nom au quartier. Au second carrefour, formé des vallons venant de Tophane et de Kasimpasa, Bayezit II installe un palais qui est en réalité une caserne d'apprentis janissaires. Il abritera ensuite, à partir de l867, les apprentis bureaucrates de l'Empire et de la République, le Lycée Français de Galatasaray. A côté, un des ministres de Bayezit fait édifier un hammam. Plus loin, un Agha, gouverneur de la caserne, bâtit une mosquée vers la fin du XVIe s. Ces bâtiments toujours debout, indiquent un deuxième lieu de concentration sur cet axe. Plus loin encore, la place du cc partage [des eaux] ", Taksim, sera marquée en l732 par les travaux d'adduction du sultan Mahmud Ier et la construction de casernes qui suivit. Les espaces situés entre ces pôles marqués parl'administration ottomane sont progressivement occupés par les ambassades européennes et leur clientèle chrétienne locale. Dès l545, l'ambassadeur français Polin de la Garde se retire sur les " Vignes " de Pera pour éviter une épidémie de peste. Il s'agit sans doute de l'actuel emplacement de l'Ambassade de France dont les bâtiments furent édifiés au milieu du XIXe s. (l838-l847, Paul Laurécisque architecte), pour remplacer une série de bâtiments incendiés dont celui construit au début du XVIIIe s. par Vigné de Vigny d'après des plans de Robert de Cotte. Vers l560 les Vénitiens viennent s'installer là où est encore aujourd'hui l'ambassade italienne. L'ambassadeur anglais, arrivé à Constantinople en l583, loue une maison sur les bords du Bosphore d'où il est chassé vers l595 à cause de ses bruyantes beuveries. Il se fixe à l'emplacement actuel de l'ambassade, à Galatasaray. Au début du XVIIe s. les Hollandais s'installent dans la maison d'un riche négociant arménien, suivis plus tard par les Suédois. Vers la fin du XVIIIe s. les ambassades ont déjà trouvé leur place définitive même si tous les bâtiments, plusieurs fois brûlés, sont postérieurs (l'ambassade de Russie a été construite par G. Fossati entre l838 et l843). Le quartier poursuit son développement cosmopolite dans le sillage de Galata après le dernier grand incendie de l870, dans lequel trois mille maisons et boutiques sont brc3lées. Un plan de l905 laisse apparaître un réseau viaire régulier et des constructions bâties presqu' entièrement en maçonnerie, parmi lesquelles figure une bonne centaine d'cc appartements ", c'est-à-dire des immeubles de rapport à l'occidentale de 5 à 6 étages.

Un système de passages à la manière parisienne, débouchant sur la grande rue (Istiklâl) abrite boutiques et grands magasins, brasseries, théâtres et plus tard cinémas. Des immeubles prestigieux, dont celui du Cercle d'Orient reste un des meilleurs témoins, bordent l'avenue principale traversée par une ligne de tramway.

Jusqu'aux années l950, on montait à Beyoglu comme on allait à une soirée mondaine, en s'habillant de ce qu'on avait de mieux et en se regardant une dernière fois dans la glace.

Depuis, le centre a continué sa fuite vers le Nord jusqu'à ce que, bloqué par la ceinture des bidonvilles, il traverse le pont du Bosphore pour la rive asiatique. Les communautés chrétiennes et juives ont volé en éclats et la population de la ville s'est multipliée par six en quarante ans. Beyoglu plonge alors dans la déchéance, hanté par les ombres qui s'y promènent la nuit, cherchant on ne sait quel relent de son passé libertin, puis finit par devenir le refuge de ceux dont la mémoire est ailleurs, dans leur village anatolien.

Aujourd'hui l'ordre urbanistìque, la logique spéculative et la technique des ingénieurs s'efforcent d'inverser le mouvement. Un axe rapide de deux fois trois voies (ouvert par élargissement de la rue Tarlabasi), déjà prévu à la veille de la dernière guerré par H. Prost, va relier Taksim au Pont Atatürk, laissant l'Istiklâl Caddesi (l'ex-Grande Rue de Pera) en voie piétonnière. Les façades ravalées du Cercle d'Orient se mireront sur la tour en verre et en acier qui s'élèvera en face, et les stambouliotes monteront à nouveau à Beyoglu voir les touristes.

LA DÉRIVE DES PALAIS IMPÉRIAUX


Le palais de Dolmabahçe

Entrée du palais de Dolmabahçe

Façade du palais de Dolmabahçe

Les palais des sultans de la capitale ottomane ont, au-delà de l'idée de la présence impériale qu'ils traduisent, une signification urbaine plus spécifique. Leur morphologie et leur architecture révèlent une histoire culturelle et urbaine qui se manifeste à travers leurs transformations et leurs déplacements. D'ailleurs, simultanément à ces déplacements, deux axes de développement se dessinent parallèles, aux XVIIIe et XIXe s. : un axe résidentiel noble, celui des yah du Bosphore ; un axe urbain, sur la crête cette fois, de Galata vers Pera.

Edifié sur des vestiges antiques, le palais de Topkapi était le signe de la présence ottomane sur la vieille cité romaine et byzantine : demeure de ces Grands Turcs qui revendiquaient l'héritage romain - se nommant eux-mêmes " le Sultan du territoire de Rome " -il reproduisait de par sa structure l'organisation et les formes urbaines de la capitale de l'ère des conquêtes ottomanes : ville préindustrielle, spontanée, organique, irrégulière. La première volonté de changement dans la conception des palais se manifeste au XVIIIe s., á i'époque du Sultan Ahmet III, par la création de l'ensemble impérial de Sâadabad sur les rivages du Kâithane qui se déverse dans la Corne d'Or. Le palais de Sâdabad et les jardins de plaisance poétiquement nommés" Cedvel-i Sim " (la Règle ou Canal d'Or)s'inspirent des palais classiques français (Versailles, Trianon, Marly surtout) décrits au sultan par ses ambassadeurs fascinés comme remarquables par leur ordre et leur grandeur. Pourtant, cet ensemble qui couronne architecturalement le mouvement esthétique raffiné appelé " l'Epoque des tulipes " (l7l8-l730 : première tentative d'ouverture culturelle aux formes occidentales) est loin d'en reproduire les schémas et espaces. Linéaire et axial, mais non nécessairement symétrique et loin d'être strictement géométrique, l'aménagement du paysage reste plus oriental que français, et le palais, malgré certains motifs néo-classiques, a une échelle et une articulation profondément ottomanes.

Mais l'exode impérial a commencé, Mahmut II délaisse le vieux palais qui évoque tant de souvenirs tristes et n'assure pas une sécurité suffisante face aux révoltes. Il préfère vivre au palais de Besiktas qu'il fait construire par son architecte en chef Krikor Balyan, toujours sur la mer, mais plus près des casernes de son armée réorganisée.

Les souverains suivants quittent définitivement le vieux palais et s'installent dans ces nouvelles demeures impériales construites sur les rives du Bosphore ou sur ses collines : DolmabahÇe, Çiragan, Yildiz, Beylerbeyi.

La construction des palais sur le Bosphore, les sahil saray (palais d'eau) est une longue tradition de la famille impériale ottomane, partagée par d'autres dignitaires de la capitale. Ces palais étaient souvent des résidences secondaires, d été ou de plaisance, constamment reconstruites plus ou moins sur les mêmes emplacements privilégiés. Si leurs caractéristiques formelles et stylistiques révèlent certes la volonté des dirigeants ottomans de s'approprier des modèles artistiques occidentaux, elles traduisent aussi une forme de vie nouvelle, " modernisée " : ameublement, chauffage, instruments de musique, salles de concert ou de théâtre, serres et volières, objets d'art, etc. Mais cette mutation culturelle est loin d'être une réelle métamorphose. Les formes importées d'Occident ne cessent de se marier aux typologies, éléments formels et modèles spatiaux indigènes.Ainsi, une oeuvre monumentale comme le palais de DolmabahÇe construit (l853-55) par l'architecte Garabet Amira Balyan pour le souverain Abdülmecid sur la rive du Bosphore, à l'emplacement d'un vieux palais réalisé au siècle précédent par Melling et complété par son fils Nikogos Balyan, marque-t-elle un pas décisif. Il échappe à I'image du palais français ou autrichien malgré ses dimensions imposantes et ses profils néo-classiques ou néo-baroques car ses architectes lui ont donné une échelle et une ambiance spatiale ottomanes. Il peut même être considéré comme une série de grandes maisons à sofa central, certains de ses espaces évoquant véritablement une image et une échelle domestiques.


Küçüksu kasri aux eaux douces d'Asie

Palais de Çiragan

Quant au dernier palais impérial, celui de Yildiz édifié sur un grand terrain accidenté, et dont la construction peut être expliquée par des raisons de sécurité, son aménagement en kiosques fait étrangement penser à un retour au modèle originel, Topkapi. Certes, la topographie du terrain,l'existence de certains kiosques antérieurs à la construction, la proximité des palais de DolmabahÇe et Çiragan et les difficultés du budget impérial qui frôlait la banqueroute à l'époque de sa construction (dernière partie du XIXe et début XXe s.), justifient l'échelle modeste de ses structures. Malgré l'effort des architectes pour créer un paysage romantique et pittoresque et une ambiance naturelle, il rappelle à l'évidence l'image du vieux palais.

L'histoire urbaine d'Istanbul est d'autant plus marquée par celle des Palais que leur dérive vers le Bosphore s'accompagne du déplacement vers le Nord d'autres établissements de l'Etat ottoman : casernes, industries, écoles, et même le parlement ottoman. Ainsi les palais sont-ils à la fois les représentants par excellence de la transformation urbaine et sociale de la capitale et les protagonistes de ce nouveau processus urbain qu'ils entraînent et favorisent. A la veille de l'éclipse finale de l'Empire, la volonté réformatrice des dirigeants ottomans réalise pour ainsi dire sa dernière mission urbaine : la naissance de la ville moderne, en même temps que la dernière synthèse artistique ottomane.


Palais princiers sur les bords du Bosphore

DE L'ECLECTISME A L'ART NOUVEAU, UN RACCOURCI DE L'ARCHITECTURE EUROPÉENNE.

Le monde ottoman s'est ouvert progressivement à l'architecture occidentale, dans les konak et les yah d'abord, sur le Bosphore ou dans les Balkans, par les motifs décoratifs ou architectoniques du baroque autrichien ou du néo-classicisme européen. Les premiers bâtiments importants dans ce dernier style sont les kiosques de la Sultane Hatice (Hadigé) à Defterdar et de Selim III à Besiktas, œuvres de A.I. Melling, architecte allemand installé à Constantinople à partir de l784, ou le Collège des Ingénieurs Militaires (l80l). Malgré la réorganisation de la société ottomane consécutive aux tentatives d'occidentalisation inaugurées par le décret de Tanzimat (l839), l'architecture n'est que lentement pénétrée par un néoclassicisme qui s'exprime surtout dans les équipements (casernes, han, tours) et dans les églises arméniennes (la Meryemana de Kumkapi, néo-paléochrétienne, ou l'Asdvadzadzin de Besiktas, néo-palladienne), oeuvres de K. Balyan et G.-A. Balyan (cf. supraJ, fondateurs d'une famille arménienne d'architectes. Ceux-ci prolongent cependant le type de mosquées à grands tympans représenté par la Mihrimah (oeuvre de Sinan) et la Nuruosmaniye (XVIIIe siècle) quand ils ont à construire des mosquées telle que la Nusretiye de Tophane (l823) ou la Bezmiâlem Valide Sultan de DolmabahÇe. C'est sur ces rives du Bosphore justement, que G.-A: Balyan élève son chef d’œuvre, le Palais de Dolmabahçe (l853-l855) évoqué plus haut. Les deux premiers Balyan ont encore construit des casernes (dont la très belle Kuleli de Cengelköy), des türbe et restauré des barrages. L'éclectisme le plus débridé va se développer avec N. Balyan et Agop Balyan (oeuvres dans les styles néo-renaissance, gothique, mauresque, seljoukide...). Avec Sarkis Balyan s'effectue un retour au néo-classicisme et à un certain dépouillement que l'on peut apprécier dans l'ordonnance répétitive des façades du lotissement Akaretler à Besiktas (vers l875).


Agin sokagi Kösesi à Fener

Tombeau de Seyh Zafil à Yildiz

Lotissement Akaretler

L'architecture ottomane longtemps figée dans un nombre relativement limité de types traditionnels (mosquée, medrese, hammam...) va connaître dans les dernières décennies du XIXe s. un renouvellement obligé par l'apparition de nouveaux programmes d'édifices publics: sièges de ministères, de services administratifs, musées, banques, gares... Certains types traditionnels vont eux-mêmes évoluer, tels les han qui, de bâtiments à cour centrale entourée de galeries, vont devenir des immeubles industriels pénétrés de passages couverts. L'est sous la pression de ces nouveaux types architecturaux et sous l'influence grandissante de l'Europe (qui du fait de la Dette ottomane gère une partie de l'économie de l'Empire) que le problème du style va être posé. II ne suffira plus que des détails italianisants ou baroques viennent décorer des architectures restées ottomanes dans leur conception générale. L'évolution sera d'autant plus marquée que pour construire ces nouvelles architectures l'Empire ottoman, dans les dernières années du XIXe s., va de plus en plus faire appel à des architectes étrangers, italiens (G. Mongeri, G. Semprini et R. D'Aronco, après G. Fossati au milieu du XIXe s.), français et allemands. Ces derniers seront immédiatement appelés à enseigner dans les deux établissements qui sont alors fondés : l'Ecole des Beaux-Arts et celle des Ingénieurs Civils, respectivement sous influence française et allemande. Entre l890 et l930, tous les styles vont coexister, dans un impressionnant raccourci qui fait passer, en moins de quarante ans, l'architecture ottomane du néo-classicisme au Mouvement Moderne. Dans ce brutal entrechoquement des styles auquel les architectes ottomans sont confrontés, les professeurs eux-mêmes sont éclectiques. Le Pr. Jachmund dessine un imposant Germania Han (BahÇekapi) comme une gare de Sirkeci " ottomanesque " (l890), A. Vallaury un Musée archéologique néo-grec (l89l-l907), une Banque Ottomane néo-renaissance et un siège de la Dette Publique Ottomane plutôt mauresque (l899) : un condensé d'architecture coloniale et d'" arabisances ". Le style légèrement postérieur de Vedat [Tek] Bey et de Kemalettin Bey est une synthèse plus originale de la monumentalité classique et de l'art ottoman de la modénature. Vedat (ancien élève de Centrale et des Beaux-Arts de Paris) auteur de la Poste Centrale de Sirkeci, a inventé avec le Defter-i-Hakani (près de la mosquée de Sultan Ahmet, vers l9l0) un genre d'édifice public à pavillons verticaux et toitures en auvent qui aura un grand succès à Istanbul et à Ankara jusque vers l930 (oeuvres de Vedat lui-même ou de G. Mongeri). En ce sens, il peut être considéré comme le fondateur du " Premier Style National ". Sa propre maison (à NiSantaS, vers l9l0) est plus originale encore. Elle mélange avec virtuosité la volumétrie des demeures ottomanes traditionnelles, bardées d'encorbellements(Cikmas, avec une modénature modernisée précubiste. Kemalettin, plus classique et plus ingénieur en même temps (il étail ancien élève de la Technische Hoschschule de Berlin), a construit à Istanbul le Quatrième Han des Vakif, et l'étonnant immeuble des Victimes du Feu (Harikzedegân, l9l9=l922). Cependant, le renouvellement des plans, comme l'arrivée de formes stylistiques nouvelles n'impliquent pas le renoncement à toute couleur locale, à un certain pittoresque méditerranéen. Les encorbellements (cumba ou cikmas sont encore là, même s'ils figurent au centre de compositions devenues symétriques. Les fenestrations sont toujours importantes, et les toitures débordent toujours en auvents. Les influences sont donc mutuelles, les dernières maisons en bois adoptant les modénatures néo-baroques ou néo-classiques, comme les premières maisons en maçonnerie reprennent encorbellements et auvents. Ainsi voit-on alors se constituer une mosaïque typologique et stylistique en continuel renouvellement, reflétant à merveille l'amalgame socio-culturel de la Constantinople fin de siècle. Mais,l'oeuvre la plus originale est sans conteste celle de l'architecte italien Raimondo D'Aronco (Udine, l857-l932), appelé à Istanbul par l'ambassadeur d'Italie en l893, et qui y séjournera jusqu'en l909, hormis quelques voyages en Italie surtout. Architecte de la liste civile du Sultan Abdulhamid II, il construira beaucoup, d'abord dans un style néo-ottoman (Ministère de l'Agriculture,l896-l900) précurseur de celui de Vedat Bey, puis après sa rencontre avec Olbrich en l900 à Paris, dans une heureuse synthèse du vocabulaire de la " Sécession " viennoise et de la typologie ottomane. Au service du Sultan, il restaure de nombreuses grandes mosquées d'Istanbul (l896), réalise de petits monuments dans le parc du Palais de Yildiz, l'Ecole Militaire de Médecine d'Haydar PaSa, la petite mosquée de Karaköy (l903,aujourd'hui démontée). Pour une clientèle privée, il construit des immeubles (le plus célèbre est la maison Botter sur l'Istiklâl,l900-l90l),des yah sur le Bosphore (dont la galerie-bibliothèque de Memduh Paça à Arnavutköy,l903, et la maison de Cemil Bey à Kireçburnu l903-l905). Ses deux chefs-d'oeuvre sont le türbe et la bibliothèque de Seyh Zafir à Yildiz (l903-l904), et la résidence d'été de l'ambassadeur d'Italie à Tarabya (l905-l906), grandiose chalet balnéaire sur le Bosphore. La géographie de ces oeuvres éclectiques est ';partie prenante de la dérive de la ville vers l'Est. Les édifices publics construits entre l890 et l9l0 le sont presque tous vers la pointe de la péninsule (entre Sultan Ahmet et Bayezit), derrière, Galata (Beyolu, NiSantaS, Beiktas) ou même sur l'autre rive du Bosphore (la gare d'Haydarpaa de Jachmund par exemple). Le Mouvement Moderne, présent à Ankara à partir des années l930 parce que c'est là, dans la nouvelle capitale, que sont construits les grands édifices publics, n'est pratiquement pas représenté à Istanbul, sauf par ses expressions tardives, après la Seconde Guerre.

MAISONS EN BANDE ET LOTISSEMENTS


immeuble des victimes du feu

Maisons en bande: yildirim caddesi à Fener

Après les lentes transformations qui avaient marqué l'évolution de l'habitat urbain à Istanbul (passage des maisons en pierre aux maisons en bois, puis des maisons à sofa extérieur à celles à sofa intérieur), des formes nouvelles d'habitat apparaissent vers le milieu du XIX siècle, qui connaissent rapidement une vaste expansion. Ce sont d'abord les maisons en bande, petites mais mitoyennes, puis les immeubles d'habitation en hauteur, plus imposants. Déjà au XVIIIe siècle, la maison traditionnelle ottomane avait commencé à subir des transformations qui l'éloignaient, sinon dans sa typologie, du moins dans son apparence et ses dimensions, des schémas d'origine. Alors s'étaient divulgués les types à sofa central (jusqu'alors réservés aux konak et aux yah), les distributions et dispositions plus symétriques, les modénatures classiques occidentales. Mais, au XIXe siècle se développe une typologie plus variée : de nouvelles résidences sur le Bosphore, des maisons de banlieue et de grandes maisons dans les quartiers urbains, différentes des précédentes bien que reprenant la terminologie traditionnelle (yah, kök, konak). L'occidentalisation des moeurs et du goût, un contexte urbain de plus en plus cosmopolite contribuent au développement de ces nouveaux types de maison plus extériorisées, plus formalistes, reflétant une prédilection pour une esthétique éclectique importée conforme aux grandes mutations et aux efforts réformistes qui marquent alors l'Empire ottoman. Les opérations d'aménagement urbain, le développement des systèmes de transport et d'infrastructures,l'évolution de la législation de la propriété foncière, comme l'obligation d'assurer les immeubles, accélèrent ce processus et en concomitance avec la croissance démographique de la capitale, favorisent un habitat urbain toujours plus dense. Si dans les quartiers musulmans (Süleymaniye, Zeyrek, Fatih ou Üsküdar) se perpétuent encore les types traditionnels, dans les quartiers nouveaux de Beyoglu, des côtes d'Asie ou dans les quartiers rénovés sur un plan régulier à la suite d'incendies comme ceux de Kumkapi, Fener, Tatavla ou Kadiköy, le système des maisons en bande et des immeubles caractérisé par des alignements, des ordonnances, des parcellaires étroits, des constructions en hauteur, apporte une solution typologique à la pression démographique toujours plus forte, solution conforme à la modernisation à laquelle aspirent les dirigeants ottomans. Cette évolution typologique ne concerne pas l'habitat dans sa seule dimension urbaine ; elle reflète aussi un changement de conception de l'espace domestique, davantage extraverti et spécialisé. Le sofa, espace central de distribution, est remplacé par une entrée et des couloirs. Les oda, pièces traditionnellement polyvalentes, deviennent des chambres à coucher ou des salons. De replié sur lui-même, le plan s'ouvre sur l'extérieur, les pièces principales prenant place sur la façade.

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