Le Pop Art

Au printemps de 1962, quelques galeries new-yorkaises présentent des œuvres déroutantes. Celles-ci ne cherchent à manifester ni virtuosité technique, ni choix de sujets nobles ou intéressants. Il suffira pourtant d'un an pour qu'on reconnaisse autour de leurs auteurs l'unité d'un mouvement et que le public s'enthousiasme.
Cette émergence du pop art n'est pas concertée, mais elle n'est pas le fruit du hasard. Elle s'explique par la relative monotonie de la peinture américaine, vouée tout entière à l'expressionnisme à la fin des années 50. L'alternative est dans le refus de toute expressivité. L'originalité du pop est d'y parvenir en utilisant un trait de la société américaine : la prolifération des images (médias, publicité). Si le tableau cesse d'être l'image d'une chose pour devenir l'image d'une image banale, il apparaît d'emblée dénué de toute capacité d'exprimer une émotion nouvelle, puisqu'il représente une forme déjà vue.
Une pure image

La dénomination pop art est rapidement acceptée par les artistes, car elle exprime un caractère évident. Les œuvres se réfèrent à des réalités "populaires" ("pop"), c'est à dire immédiatement identifiables par la société : produits de grande consommation, éléments de culture de masse.

Cet aspect seul ne ferait du pop art qu'un avatar du courant réaliste s'adaptant à un environnement nouveau. Or la véritable intention des artistes groupés sous cette dénomination est de réduire le plus possible tout ce qui pourrait faire d'une œuvre d'art un objet singulier. Au degré d'effacement de cette singularité se reconnaît la réussite d'une œuvre pop.

Ainsi, Roy Lichtenstein donne à ses toiles l'apparence d'agrandissements de bandes dessinées en vogue, parce qu'il refuse à être l'artiste au sens traditionnel du terme : celui qui livre ses propres visions. Le même refus caractérise l'œuvre d'Andy Warhol lorsqu'il reproduit les boîtes de soupe Campbell's ou des dollars. Un autre artiste, James Rosenquist, parvient à un résultat identique avec des compositions juxtaposant des fragments d'affiches où l'on retrouve les brusques changement d'échelle propre aux images publicitaires.

Le pop art apparaît donc comme le rêve d'un effacement permettant à l'œuvre de se représenter comme une image pure, une image ne renvoyant qu'à elle-même. Warhol - un artiste qui a commencé sa carrière comme dessinateur publicitaire - est un de ses plus fameux représentant, parce qu'il s'est approché au plus près de cet idéal.

De la création à la production

Pour parvenir à de telles images, il ne suffit pas de leur ôter toute signification particulière. Il faut priver l'acte créateur de sa spécificité. C'est pourquoi le mouvement se caractérise aussi par un bouleversement des techniques.

Les nouvelles techniques utilisées visent à déshumaniser la création pour la rapprocher de la production industrielle. Lichtenstein imite le processus de restitution mécanique des couleurs par une trame de points de grosseur et de densité différentes. Il applique ces points à travers un écran perforé et n'a ainsi presque plus de contact avec la toile. Warhol va plus loin grâce à la sérigraphie. La composition se fait par projection répétée d'une photographie sur un écran enduit d'une couche photosensible. A ce degré de non-intervention, l'absence de l'artiste pendant la création devient possible : Warhol laissait simplement des indications à ses assistants, qui vivaient avec lui dans un lieu appelle significativement "l'usine".

L'aboutissement logique de ce travail est la production d'objets. En 1964, Warhol fait fabriquer des boîtes auxquelles il donne l'apparence de produits de grande consommation. Remarquons que ce sont des objets que l'artiste fabrique lui-même et non des pièces de récupération, à la manière des ready-made inventés par Marcel Duchamp en 1913 ; prendre des objets courants et les déclarer œuvres d'art constituerait une singularité encore trop grande.

Dans cette voie, le peintre Claes Oldenburg, un américain d'origine suédoise, apparaît comme le plus important créateur d'objet du pop art, par ses imitations d'aliments ou d'objets usuels.

Le retour du sens

Les artistes pop se sont heurtés à l'impossibilité de réaliser entièrement l'idéal d'une pure image. Leurs œuvres, même si tel n'est pas leur but, prêtent à lire des significations, des intentions, ou montrent au moins l'habileté d'un savoir-faire.

Tout en refusant l'expressionnisme abstrait, elles reprennent à ce mouvement l'emploi des grands formats entièrement recouverts appelés all-over. Cela suffit à les placer dans la descendance de ce mouvement.

 Mais, surtout, comment s'empêcher de déceler dans ces toiles ou ces objets un ou plusieurs sens ? Les peintures de Lichtenstein inspirées par des bandes dessinées sentimentales indiquent la superficialité des joies et des peines d'une société de consommation. Les séries de Warhol appelées Disaster qui reproduisent des photographies d'accident, dénoncent le pouvoir de banalisation des médias modernes. Les Grands Nus de Tom Wesselman évoquent la réduction de la femme à un objet de désir dans l'imagerie publicitaire. Un artiste pop nomme Robert Indiana avoue que ses œuvres ont une fin expressive : il veut traduire "ce qu'il y a d'optimiste, de généreux et aussi de naïf dans le rêve américain". Une de ses toiles les plus célèbres s'intitule d'ailleurs Rêve Américain.

Les techniques aussi peuvent réintroduire une singularité. Lorsque Lichtenstein reproduit les points tramés du procédé Ben-day utilisé dans l'édition pour l'impression de planche de couleur, cette technique devient un style personnel.

Ainsi le pop art évolue-t-il au cours des années 60, à l'exception des œuvres de Warhol, en s'éloignant de l'idéal d'une pure image et en retrouvant des constantes de l'art : le sens et la manière.