DESASTRE |
Jorientais ma trajectoire vers Wolf et Loan et, environ quatre U. plus tard, jatteignais le système Drhyz. Je plongeais dans latmosphère de ma planète et je survolais déjà son pôle nord où sétendait lautre océan. Le ciel se voilait dune brume épaisse et lordinateur annonça une température extérieure de 86~.
Je descendis en altitude pour me placer en géostationnaire sous lépais manteau de nuages, et je branchais lécran de vision basse. Jassistais alors à un spectacle que je naurais même jamais pu imaginer : de gigantesques bulles remontaient des profondeurs de leau pour venir éclater à la surface : la masse entière de locéan était simplement en ébullition. Des ouragans dune violence inouïe, dus aux variations de pression atmosphérique accompagnaient cette vision dapocalypse mais les vagues qui commençaient à peine à se former témoignaient de la jeunesse du phénomène. Ma soucoupe se tenait là, au milieu des éléments en furie qui me donnèrent lenvie soudaine de menfuir et, limage nostalgique de gloussa charnus et de ganamous juteux traversa mes pensées. Je sapercevais que, si jétais parvenu à endiguer le Big-Crunch, le réchauffement de la planète 08 avait atteint un niveau suffisant pour anéantir toute vie marine, base de notre alimentation. Je restais là, dans une indécision totale, pendant près dune U. à contempler cette scène aussi grandiose que terrifiante. Puis ma conscience, à moins que ce fut ma curiosité, lemporta, et je mis le cap sur Ghya. Les vents violents balayaient la côte boréale et toute la végétation avait disparu. Le sol de Drhyz 08 avait troqué sa belle robe de mousse bleue pour un noir revêtement calciné et les rivières que je croisais fumaient dune vapeur dense. Japprochais dune agglomération, ses rues ne reflétaient que limage de la désolation. Etais-je responsable de ce désastre ? Mieux valait-il ne pas y penser parce que quand je survolais Ghya, le tableau ne fut guère plus attrayant, empreint de tristesse et de mort. A cause de la taille de mon aérodyne, jeus lidée de me poser dans le stade réservé aux exhibitions sportives, et quand ma soucoupe toucha le sol, la température extérieure avait baissé à 6~.
Jenfilais un scaphandre et je me retrouvais au milieu de ces gradins déserts doù se dégageait une atmosphère étrange. Après une manuvre, le scaphandre me souleva légèrement me propulsant à petite allure dans les rues de Ghya. Je flottais silencieusement sur les avenues embrumées, et, pour la première fois, obscures. Les immeubles daméthyste, pareils à des rescapés dune armée de lombre, semblaient me lancer des regards inquiétants, et seul le sifflement du vent, qui avait conquis la ville, me demandait pourquoi je revenais sur ces lieux. Un frisson dangoisse me traversa le corps, et je pensais à cette joyeuse fanfare du 18ème arrondissement de Paris pour me redonner un peu de cur au ventre.
Je me dirigeais vers mon habitation quand, à langle dune traverse, cinq carcasses de Drhyz brûlés, disposés en cercle, me ramenèrent à cette triste réalité que je vivais. Je regardais alentour en me demandant si, en ce moment même, des yeux de Drhyz mobservaient.
Cette interrogation mincita à pousser la puissance des micro-réacteurs de mon scaphandre et moins dune unité après, jarrivais devant le sas dentrée de mon immeuble. Je poussais la porte du premier niveau, un cadran confirmait que le système de régulation thermique fonctionnait, et je pus ôter mon équipement.
Le vaste hall était vide, mais deux scaphandres se trouvaient sur le sol ; javais eu de la visite. Jappelais Jacqueline mais personne ne répondit. Ce calme apparent ne me laissait présager rien de bon ; mais que pouvais-je faire dautre quavancer ? Je montais les escaliers qui conduisaient à mon bureau, et jen ouvris la porte, et là, je vis Jacqueline, les yeux hagards, au même endroit où je lavais laissée.
Je sentis alors un net soulagement.
-" Jacqueline, dis-je, je suis Kuhing, me reconnais-tu ? Peux-tu me dire ce qui sest passé ? "
La jeune femme leva des yeux vitreux sur moi sans répondre. Je mapprochais plus delle, et la secouais en lui prenant lépaule, répétant :
-" Jacqueline, me reconnais-tu ? Je suis Kuhing, qu est-il arrivé ? "
La jeune femme me fixa intensément, et parut chercher dans le fond de sa mémoire puis elle se leva péniblement en me prenant la main.
Jacqueline, insistais-je sans lui opposer de résistance, peux-tu me dire ce qui sest passé pendant mon absence ? Tu veux me montrer quelque chose ?"
La jeune femme acquiesça dun sourire étrange et memmena dans les escaliers, vers le troisième niveau. Nous montâmes les marches, elle poussa la porte et une vision dhorreur me souleva le cur : Un de mes semblables se tenait là, agenouillé, les yeux brillants, du sang autour de la bouche ; prés de lui, les restes du cadavre éventré dun autre Drhyz quil venait de dévorer. Je dégageais ma main en reculant de terreur. Jacqueline se retourna vers moi et me dit, dun ton monocorde et posé qui me rappelait ce redoutable sentiment de certitude :
-" Larmée de lunification nous conduira vers le Projet Final.""
Puis elle se mît à rire à gorge déployée de ce ricanement que seuls les fous possèdent.
Le Drhyz mutant parut déconcerté par ma présence, et jétais moi-même pétrifié de peur. Il se redressa soudain et fonça dans ma direction. Je neus pas le temps de penser au sort qui mattendait quil me renversa à terre mais, au lieu de sacharner sur moi, il dévala les escaliers et se précipita à lextérieur de limmeuble. Je me levais et je courus vers la paroi de létage. Je vis le Drhyz marcher quelques pas dans la rue puis, sous la chaleur intense, saffaisser. Jassistais ensuite avec le plus profond dégout à la brève dessiccation de son corps.
Quelques D..U. après, seuls les restes épars de son cadavre fumant jonchaient le sol.
Mon plus cher désir eut été de me réveiller de ce cauchemar mais je sentis la présence de la jeune femme derrière moi, et je me retournais aussitôt. Jacqueline me regardait, un rictus accroché aux lèvres. Lexpression de son visage était maintenant nettement marquée du sceau de la démence mais il ne me semblait cependant pas y discerner de pulsions agressives. Je la laissais sapprocher de moi, et elle répéta en écarquillant plus encore les yeux :
" Le Projet Final, le Projet Final."