9.7 DETENTE

 

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Je décidais de mettre cette énigme en sourdine dans un coin de ma tête.

L'expérience m'avait appris que les idées suivaient leur cours et aboutissaient plus vite de cette façon.

Je quittais mon alvéole pour enfin déguster ce jus de coléoptile dont je ressentais maintenant vivement le besoin.

Dans le bar à liqueurs, une atmosphère conviviale et feutrée témoignait du bon déroulement de l'expédition. Des frères Drhyz bavardaient dans cet environnement étudié pour la détente ; d'autres jouaient au bag-moon. L'air fortement ionisé embaumait d'une senteur fraîche, et la diffusion de fréquences d'ondes oméga finissait d'offrir un confort raffiné. Je m'installais seul sur un jet de gaz stabilisé, et je remplis à une fontaine un verre de cette liqueur que nous autres Drhyz aimions tant. La première gorgée fut un moment d'extase, et je la savourais pleinement. Lorsque je rouvrais les yeux, Jacqueline, en face de moi, m'observait avec un sourire en coin.

-" Dis donc, fit-elle, tu me rappelles le séjour à Amsterdam que j'ai fait l'année de mes dix-neuf ans. Nous avions passé la soirée au "Melkveg" et l'ambiance ressemblait à ton visage en ce moment."

Je ne connaissais pas assez en détail les us et coutumes régionales de la planète Terre, et d'une mimique, je fis part à Jacqueline de mon incompréhension. Le sourire de la jeune femme se fit plus appuyé encore et elle ajouta :

-" Ne t'en fais pas, le jus de coléoptile est bien meilleur pour ta santé que les volutes du Melkveg."

Cela ne m'éclairait pas davantage mais j'avais assez de devinettes à résoudre pour l'instant. Jacqueline semblait apprécier la croisière et affichait une mine resplendissante. Elle avait pris le poids inhérent à son état gravidique et arborait fièrement des seins qui avaient doublé de volume. Elle me dit qu'elle atteignait la moitié du terme de sa grossesse, et je remarquais que le temps avait passé plus vite qu'il m'avait paru. A ce moment, l'ordinateur du bord annonça d'ailleurs que l'Arche se situait à 30 U. du tunnel de basculement. Progressivement et sans brusquerie, les frères pilotes se levèrent pour rejoindre-leur postes. Je devais également prendre le mien, et je décidais d'abord d'aller voir Ryu, l'ingénieur chargé du stockeur d'ondes cérébrales. Jacqueline me suivit. Je l'informais au passage de mes dernières aventures et visiblement elle ne savait rien. A son avis, il n'y avait aucune intervention divine dans cette affaire et son intuition coïncidait maintenant avec la mienne. Nous entrâmes dans l'alvéole-laboratoire où Ryu et ses cinq collaborateurs se tenaient autour d'un plan de travail de verre organique. Quatre petites pyramides de métal enveloppées sous une coque cristalline opalescente, captaient toute leur attention et j'en conclus qu'ils regardaient le résultat de leur recherche. Dés qu'il nous vit, Ryu vint à nos cotes pour faire un compte-rendu de l'étude de son équipe :

-" Nous avons réalisé ces stockeurs d'ondes cérébrales qui fonctionnent selon le principe de la résonance nucléaire homothétique, dit-il. Chaque atome du métal de synthèse de ces pyramides se réglera en phase avec la vibration d'une pensée et deviendra la mémoire de chaque intelligence. Les entités spirituelles seront ainsi placées en sursis. Nous avons fabriqué une pyramide pour chacune des missions."

Jacqueline écoutait les explications de Ryu avec des yeux ébahis ; notre technologie parvenait tout de même encore à l'épater. Elle ne put réfréner une question :

-" Comment ce phénomène se déclenche-t-il ?"

-" Simplement par proximité, précisa Ryu, le métal que nous avons conçu fonctionne comme un puissant aimant mental. Placé dans l'atmosphère d'une planète habitée, et débarrassé de sa coque de cristal, il capte les esprits et laisse les organismes seulement pourvus de leur système végétatif, pareils à des automates. Il suffira ultérieurement de déclencher un processus inverse, le moment voulu, sur des clones de synthèse."

Puis, montrant une petite capsule de ce cristal qui enveloppait les pyramides, il ajouta :

-" Bien sûr, nous serons dotés d'un système de protection."

-" Pensez à m'en garder un." Lança Jacqueline avec un sourire plutôt forcé.

Je félicitais l'équipe de Ryu pour la qualité de son travail, et je sortis satisfait du laboratoire. Les allées de l'Arche étaient vides, parce que chaque pilote se préparait, dans son aérodyne, au basculement à venir. Je restais quelques temps silencieux au milieu de cette structure déserte, et Jacqueline s'assit à même le sol sans mot dire. La voix de l'ordinateur du bord résonna alors sous le dôme de l'arche :

"Arrivée au tunnel de basculement dans 10 U."

Je sortis de ma léthargie, et j'appelais les trois responsables de mission pour un dernier briefing. Les frères Graw, Sfu, et Tuv arrivèrent sur la plate-forme centrale de l'Arche tandis que Ryu apportait les pyramides de stockage de pensées. Nous allions bientôt concentrer entre nos mains tout ce que le pluri-cosmos avait produit de plus avancé. Nous nous installâmes, Jacqueline et moi, dans un des aérodynes fixés sur la paroi de l'Arche. Nous nous trouvions maintenant en géostationnaire à proximité du tunnel de basculement et nous observions sur l'écran de contrôle cet étrange orifice aspirant, au milieu du scintillement brillant des milliards d'étoiles de notre dimension 24. Je lançais un appel vers Graw et son équipe. Une flottille d'une centaine de soucoupes se détacha alors du flanc de l'Arche pour s'aligner en direction du trou noir. Graw nous renvoya un salut amical puis les aérodynes furent engloutis les uns après les autres dans le tourbillon singulier. Ce fut ensuite le tour de Sfu, puis de Tuv et de leurs compagnons. La Terrienne et moi étions maintenant prêts et, avec ceux de notre mission, nous nous décrochâmes.

A l'approche du tunnel, le protocole habituel se mît en route, et nous perdîmes connaissance.

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