9.4 VIRTUEL

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L'Arche prit plus de cinq U. avant de quitter l'atmosphère de Drhyz 08. A bord d'une soucoupe traditionnelle, nous serions déjà presque arrivés à l'entrée du premier tunnel de basculement. D'après les calculs des ingénieurs l'expédition durerait plus de 2.000 U. et Jacqueline accoucherait de son enfant avant notre retour définitif dans le réseau.

L'Arche progressait dans l'espace comme un géant lourd et tout semblait se passer ici au ralenti.

Nous décollâmes le nez des hublots pour marcher à travers les allées dépolies de la plate-forme de rencontre. Maintenant, les sas des soucoupes s'ouvraient les uns après les autres vers l'intérieur du noyau du vaisseau, et les pilotes, remplacés par les commandes automatiques, nous rejoignaient progressivement.

Quand ils furent tous là, je leur précisais le déroulement du voyage:

-" Frères Drhyz, comme vous le savez, nous sommes en route pour accomplir une tache d'importance capitale. Elle sera l'aboutissement de notre civilisation mais peut-être aussi celui de l'histoire universelle. Vous avez assisté, comme tous les Drhyz, aux débats des conseillers sur ce sujet, et vous avez ratifié leur vote. Sans doute certains d'entre-vous ne partagent pas l'avis adopté par notre grande majorité, mais je sais que notre maîtrise achevée de la démocratie aidera à dépasser les désaccords. Nous irons donc dans chaque feuillet d'univers où des espèces vivantes et pensantes se sont développées, et, pour leur sauvegarde, nous en ramènerons des spécimens."

Un ingénieur demanda alors la parole d'un signe de tête presque imperceptible:

-" Qu'en est-il de ceux que nous ne pourrons ramener?"

L'assistance émit une onde de pensée commune indiquant que cette question les préoccupait tous.

-" Je comprends vos interrogations, Frères. Ce problème moral qui m a également perturbé, devra se régler par un artifice technique."

Puis, m'adressant directement au frère intervenant, je pousuivis:

-" Comme tu le sais, toute intelligence distillée par un cortex pensant fait partie de l'entité cosmique générale de chaque univers. Les fréquences de pensée peuvent être conservées comme nous le faisons déjà pour nos aliments ou notre énergie. Nous devons fabriquer des machines de stockage d'ondes cérébrales. Ainsi, toutes les intelligences seront préservées et restituées, une fois notre mission accomplie. Frère qui t'es fait porte-parole, veux-tu te charger de cette tache spécifique ?"

L'ingénieur, satisfait de ma réponse, acquiesca du même hochement imperceptible et Ryu, car tel était son nom, demanda l'assistance de cinq compagnons pour construire une telle machine. Cette question réglée, je précisais notre itinéraire. L'Arche, comme nous avions maintenant coutume de l'appeler, resterait à proximité du tunnel de basculement, pendant que nous irions chercher avec les aérodynes propulseurs des couples de chaque espèce. Graw superviserait la mission dans le feuillet 56 chez les Vossiens, Sfu et ses compagnons iraient vers la galaxie Trza du feuillet 42 pour ramener des Cryens, Tuv, avec cinquante autres, rejoindrait l'angulation du Dieu Héxié; enfin, Jacqueline, moi et une centaine de pilotes nous rendrions vers la planète Terre, de la galaxie Voie-Lactée du feuillet 57.

Je conclus ce briefing, et l'assemblée se disloqua. Nous avions suffisamment de temps pour prendre du repos avant d'atteindre le tunnel de basculement. Ryu et son équipe décidèrent cependant de commencer immédiatement leurs travaux pour la confection des stockeurs d'ondes cérébrales, même s'il suffisait, aprés tout, d'adapter ceux que nous utilisions déjà lors des passages dans les tunnels, à des gammes de fréquences plus larges.

Jacqueline préféra déambuler à travers les allées autour de la plate-forme de rencontre. Quant à moi, j'avais envie de calme, et je rejoignis une alvéole.

                      

 

 

D'un geste circulaire, j'opacifiais ses parois métalliques. Une fois encore, j'avais besoin d'isolement pour avancer dans ma réflexion mais avant, j'actionnais le synthétiseur d'images virtuelles.

Un champ de lichen bleu inondé de la douce lumière de nos étoiles se dessina alors dans ma cabine. Des vibrations musicales montèrent en puissance, et je me sentais bien. Tout autour de moi n'était qu'illusion articifielle, et dans ce décor de rêve étudié pour la détente, toutes mes préoccupations se dissipaient. J'amplifiais l'effet zoom, et je devins minuscule dans ce paysage. Depuis la mise au point de ce système, nous autres Drhyz, n'avions plus besoin de partir en vacances: elles venaient à nous. Et pourquoi pas un petit plongeon dans une mer chaude telles qu'on en trouve dans les régions équatoriales, si agréables, de la planète Terre ? D'une fréquence vocale, je changeais de latitude, et il se forma devant moi une plage de sable fin où des vaguelettes coiffées d'écume roulaient doucement.

Je poussais la puissance, et le soleil se fît plus lumineux et plus chaud. L'eau devînt plus transparente encore. Toutes les sensations associées au décor se reproduisaient avec l'intensité que je désirais. Ce générateur de situations virtuelles était vraiment une belle machine. D'ailleurs, je baissais un peu la brise et j'ajoutais une fragrance épicée mais fraîche, qui parfuma agréablement l'atmosphère.

Voilà, l'ambiance de ce paradis artificiel me plaisait bien et je m'allongeais devant la lagune de synthèse.

Je fermais les yeux pour me laisser bercer par la musique des vagues mais, entre mes paupières mi closes, j'aperçus quelques oiseaux qui passaient au loin en lançant de petits cris stridents. Je les vis voler dans ma direction, puis ils s'approchèrent. J'en fus très étonné car tous les événements programmés dans ces voyages virtuels suivaient les règles des combinaisons aléatoires, et il y avait vraiment très peu de chances pour que ces cinq oiseaux au plumage vert et blanc se posent prés de moi comme ils s'apprêtaient à le faire. Je me redressais sur mes coudes: ils étaient tout proches. Ils me regardaient et semblaient vouloir s'installer pour de bon à mes cotés. Je ne pus m'empêcher de m'interroger sur cette coincidence qui réveilla en moi un sentiment proche de la peur.

 

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Voyons, me dis-je, je suis actuellement dans une alvéole de l'Arche cosmique, et j'ai commandé un décor de synthèse dont je peux débrancher la source à tout instant. Ce que je vois n ' a aucune signification réelle, ces oiseaux ne sont que des images qui se sont posées là par le plus pur hasard mathématique qui sous-tend ce programme."

Je me trouvais dans un monde virtuel tellement sophistiqué que, si un de ces oiseaux venait me toucher, je sentirais sur ma peau le soyeux de ses plumes et, s'il décidait de me piquer de son bec, j'aurais l'illusion de la douleur sans qu'il puisse me blesser.

Le sentiment de malaise continua à prendre corps en moi. Je n'étais vraiment pas venu ici pour ressentir cela, et je décidais d'interrompre ce voyage. Soudain, les oiseaux semblèrent comprendre mes intentions, et ils se mirent a pousser des piaillements de douleur comme s'ils allaient bientôt mourir.

-" Mais voyons, tout cela n'a aucun sens !" m'écriais-je fortement comme pour me rassurer.

 

D'un geste, j'interrompis ce programme tropical, et je revis les parois métalliques de l'alvéole.

 

 

la suite

 

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