9.5 VISIONS

 

 

Je me retrouvais assis sur un fauteuil de la cabine, encore secoué par ce qui venait de se produire. Même si je m'accrochais à cette éventualité comme à une bouée de sauvetage, l'hypothèse du hasard mathématique me semblait de moins en moins probable.

Ces oiseaux, qui n'avaient de réalité que celle que nous avions bien voulu leur donner à travers un programme informatique, semblaient pourtant devenir des entités propres douées d'une véritable sensibilité.

La frontière entre le réel et l'irréel, la matière et l'idée, semblait, après cette aventure, s'effacer peu à peu. Une confusion extrême envahit alors mes pensées à tel point que je fus pris d'une violente nausée. Celle - ci eut au moins le mérite de me rappeler mon appartenance au monde matériel lorsque je régurgitais le peu d'aliments qui restaient dans mon estomac.

-" Tu es une machine, Kuhing. Me dis-je, et tu as besoin d'une révision."

Après une toilette complète, je sortis de mon alvéole en direction de la plate-forme centrale. Je croisais quelques frères qui confirmèrent que j'avais une très mauvaise mine et chacun s'inquiétait de ce qui m'arrivait. A l'angle d'une allée, je rencontrais Jacqueline qui curieusement ne fit aucun commentaire sur mon état ni sur mon aspect. Je pris l'initiative de l'interroger :

-', T'es-t-il arrivé une chose anormale depuis que nous nous sommes quittés ?"

-" Non, rien de particulier, dit-elle, je me suis promenée dans les allées ; tout est si bien aménag6, on ne se croirait vraiment pas dans un vaisseau spatial."

J'acquiesçais sans enthousiasme à cette banalité. Depuis l'épisode de notre fusion organique, j'avais gardé quelque part le sentiment que cette Terrienne savait tout ce qui m'arrivait, et sa réponse ne me satisfaisait guère.

Je n'insistais cependant pas, et je choisis de me rendre dans l'alvéole réservée aux examens physiologiques. Un frère soigneur s'y tenait assis devant une sphère de contrôle, occupé à la résolution de quelque problème théorique.

En me voyant, il fut presque content d'accueillir son premier patient, peut-être le seul Dhryz de tout le voyage - Nos médecins, d'une manière générale, n'avaient plus beaucoup de travail. Il m'invita à m'installer à l'intérieur d'un cylindre à la paroi mince et translucide, puis en actionna la commande.

La machine, destinée à mesurer les anomalies du rayonnement électromagnétique des organismes vivants, se mit à fonctionner ; et nous pouvions visualiser tous deux le voile vibratoire polychrome qui enveloppait, sur une bonne épaisseur, l'ensemble de mon corps. Le praticien examina en tous points la qualité de cette aura puis vérifia ses observations sur sa sphère de contrôle. Il donna ensuite ses conclusions :

-"Frère Kuhing, ni moi ni cet appareil ne détectons la moindre anomalie dans l'émission électromagnétique de ton corps. Tu es donc théoriquement, donc pratiquement, en parfaite santé mentale et physique."

Surpris de cette normalité, je racontais ce qui venait de m'arriver et qui devait forcément témoigner d'un dysfonctionnement de mes fonctions vitales. Le frère soigneur m'écouta presque sans intérêt. Pour lui, le diagnostic était irréfutable : le détecteur d'aura ne se trompait jamais ; j'avais de vivre une illusion onirique aprés m'être endormi.

Je sortis de l'alvéole médicale finalement plutôt rassuré. Une idée embarrassante vint tout de même me perturber un instant : le Dieu que j'avais rencontré dans le trou noir était-il intervenu dans cette histoire ? Il ne m'avait pas paru enclin à s'abaisser à ce genre de besogne, mais peut-être, se sachant menacé, voulait-il me rendre fou sans

éveiller de soupçons chez mes frères Drhyz ? Je fis l'effort de repousser cette éventualité, en me persuadant que j'avais seulement été victime d'une hallucination passagère due au surmenage ou, comme le pensait le frère soigneur, que j ' avais simplement rêve. Oui, ces deux dernières hypothèses me convenaient bien pour le moment et je décidais de boire une bonne rasade de jus de coléoptile histoire de fêter ça.

Je marchais vers la plate-forme centrale avec pour objectif le bar à liqueurs. En chemin, je croisais des frères pilotes qui me saluaient maintenant sans faire d'autres remarques sur ma mauvaise mine ou mon teint. Tout paraissait être rentré dans l'ordre quand des bruissements lointains attirèrent mon attention. Ils semblaient provenir de l'extrémité du dôme de l'Arche cosmique et je me retournais pour en discerner l'origine. Une sueur glacée perla sur mon front lorsque que je reconnus les cinq oiseaux du décor de synthèse qui m'avaient causé tant d'émotions, J'interpellais deux frères qui flânaient non loin et, pointant mon doigt vers les oiseaux, je demandais :

-" Que voyez-vous là-haut ?"

Les deux Drhyz surpris par ma question regardèrent dans la direction que j'indiquais et l'un me dit enfin

-" Mais Kuhing, ce sont des oiseaux."

 

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