Chapitre 02 : Le job
Mes recherches de travail ont été
plus que sporadiques, je l'avoue.
A certains moments je répondais
à10 annonces par jour, pendant une semaine ou deux.
Et puis
ensuite, plus rien pendant une autre semaine ou deux.
Et puis
rebelote.
En l’espace de deux mois,
juillet et Août, j’ai bien dû répondre à
une soixantaine d’annonces. J’ai eu 4 réponses,
toutes négatives.
En gros ce n’est pas la joie.
Parmi ces réponses, il y en a même eu une (pour être prof. à Harvard) qui commençait par me dire :
que les interviews commençaient
la semaine d'après, (ouais!)
qu'ils allaient voir tout le
monde, (re-ouais!)
et que si personne ne convenait au poste, ils
allaient me contacter . . . no comment !.
Je surfais parmi une montagne de web-sites dont voici les plus connus :
www.boston.com
www.bostonjobs.com
www.bostonsearch.com
www.flipdog.com
www.monster.com
www.masscareers.com
www.hotjobs.com
www.boston.computerjobs.com
www.careersurf.com
www.bostonhire.com
www.allbostonjobs.com
www.bilingual-jobs.com
Ca n'a l'air de rien, comme ça, écrit petit, mais à surfer tous les jours, c'est totalement impossible.
Et puis un jour ...
Début septembre, je reçois
un mail de la part du site Bostonworks.com.
Ils
organisent un « Job Fair » dans Fenway Park à
Boston.
Et attention : * Fenway * !
C'est
le stade mythique des Red Socks. L'équipe de baseball de
Boston !
Moi qui avais l'habitude des forums genre « La
Défense », avec 150 sociétés et je ne sais
combien de centaines de m² ...
Ca va être une tuerie !
Bon, d'accord, dernièrement, ce genre de forum, c'était plutôt du genre "sous-sols de l'Hôtel Concorde Lafayette", à la porte Maillot, avec 3 banques, un cabinet de recrutement et surtout 90% de SSII, présentes uniquement pour donner le change, style : " Vous voyez, nous, la crise on connaît pas, puisqu'on embauche ...", afin que leurs actions ne dégringolent pas trop.
Notez que ces sociétés n'embauchaient pas du tout ! Je le sais ! Je faisais partie de leurs équipes d'ingénieurs. En fait, je faisais surtout partie des 45% en inter-contrat ... Ahhhhh, Altran, quelle réussite ! Ceci dit, ils ne sont pas les seuls sur Paris et, après quelques déboires d'ordre prudhommaux, j'apprenais avec stupéfaction, et ce de la bouche d'un juge, que les 3/4 des plaintes sur Paris concernaient des informaticiens en but avec leur SSII. Mais ceci est une autre histoire, que je raconterai une autre fois.
Ca commençait à 13h00 et
se terminait à 18h00.
Tiens, bizarre. Ce n’est pas
toute la journée ?
Et puis c'était que un seul
jour.
Tiens, re-bizarre.
Ce n’est pas un week-end pendant
3 jours ?
M'enfin bon, j'y vais quand-même.
Oh putain !
J'aurais dû emporter mon caméscope tellement c'était américain !
Imaginez un stade.
Bon, c'est
plutôt grand, un stade !
Et son mur d'enceinte, c'est encore
plus grand : genre 400m par 300m.
Et bien à 13h00 : la file
d'attente (pour entrer) faisait déjà les trois côtés
du monument ...
et quand j'en suis ressorti (parce que j'y suis
entré !) vers 16h30 c'était pareil !
La veille, j'avais pris soin de faire
un tour complet des sites web de toutes les sociétés
impliquées dans le Job Fair.
Une bonne cinquantaine quand
même.
Au final j'avais compté à peu près
90% d'hôpitaux, parmi lesquels je compte un ou deux hospices
(qui ne cherchaient que des nurses, des toubibs, des chercheurs en
radiographie et j'en passe et des meilleurs... ) la compagnie de
pizza à emporter « Papa Gino's / D'Angelo » (qui
ne cherchait que des managers de restauration rapide), la société
Bosh (qui ne cherchait que des vendeurs), une école de nurses
(qui ne cherchait que des étudiantes), et des compagnies qui
ne cherchaient que des « sales » (vendeurs), parmi
lesquelles Herz, Citizens Bank, Securitas ...
Et bien, sur place, vous allez rire mais, c'était pareil.
L'horreur !
Une de ces visions dont vous ne vous remettez jamais vraiment.
Hallucinant !
Apoplexant
!
Terrifiant !
A chier partout par terre.
Tout ça me faisait penser à ces films sur la crise de 29, tel que : « On achève bien les chevaux », dans lequel on voyait ce genre de, euh, chose, ou bien ces films sur la Pologne d'après guerre.
Et vu de l'intérieur c'était
pire !
Parce que sur le web, il n'y a pas de file d'attente !
Sainte Marie, Mère de Dieu, protégez nous ... enfin ... moi surtout.
Quand on n’est pas préparé à ça, et bien, je confirme : c'est le choc.
En plus c'était minable
! Sur un stade tel que Fenway, ils n'utilisaient que 10 à 15%
de la surface, pas plus.
Il y avait 50 entreprises avec, pour
chacune d'elles, deux tables d'école pour exposer et, en face
de chacune d'elles, je vous le donne en mille : une file d'attente.
Le genre qu’on n’a pas vraiment envie de commencer, à
moins d'être Russe ou Polonais, et d'avoir été
élevé avec.
Chacune de ces files devait compter au
moins 30 à 40 personnes (en
moyenne), et certaines pouvaient compter jusqu'à 80
personnes.
Il y en avait même une qui faisait « aller
et retour » dans un couloir où deux personnes n'auraient
pu se croiser en courant. En la voyant, comme ça, je me suis
tout d'abord demandé si il n'y avait pas un autre stand, au
bout.
Et bien non ! C'était bel et bien la même queue
!
J'en ai des frissons encore aujourd'hui, rien que d'y repenser.
Le plus impressionnant, c'était le calme et la résignation qui régnaient. Comme si c'était quelque chose de normal, d'habituel, et pour tout dire d'anodin. Ils étaient là, comme des moutons, moutonnant en silence, dans l'ordre, le calme, et la volupté.
Remarquez que moi, en bon « veau
de Français » que j'étais (merci De Gaulle),
inutile de dire que je me sentais très au dessus de tout ça,
sans pourtant me sentir plus à l'aise.
Et c'est la raison
pour laquelle, profitant de la semi-confusion qui régnait
(entre les gens qui passaient, ceux qui faisaient la queue, ceux qui
en sortaient et ceux qui ne savaient plus très bien où
ils étaient), et bien, je me suis systématiquement
présenté directement au stand, sans passer par la case
départ, et de toute façon, y-avait 20.000 à
toucher pour personne, alors ....
Ouais, n'empêche que sans
ça, j'y serais encore (probablement sous la forme d'un
squelette desséché) à attendre mon tour. Et tout
ça pour qu'on me dise, et ce, de façon relativement
invariable :
« IT ? No ! We don't hire IT people right now ! »
Ce qui, en bon Français, veut dire :
« Technologie de l'information ? Non ! Nous n'embauchons pas d'informaticiens pour l'instant ! »
Ah ça, par contre, des toubibs,
des nurses, ça oui ! Mais des techos, non.
Et puis ces
files d'attente qui n'en finissaient pas ....
Devant l'ampleur du
problème, seule une personne de chez Hertz a eu l'idée
de génie de faire des sessions de 5 ou 6.
Mais sinon, les
autres, c'était 'un par un', la chaîne, l'usine,
l'abattoir.
J'ai quand même réussi à
refourguer 4 des 20 C.V. que j'avais imprimés, par précaution,
la veille chez moi, sur un papier super blanc et super épais,
la grande classe.
Remarquez, sur les quatre, un a atterri sur le
stand du site Monster (qui a déjà mes références
en ligne), un a échoué, de désespoir, sur celui
de « Papa Gino's / D'Angelo » (dont la file d'attente
était pour ainsi dire nulle part) et le troisième chez
Hertz, dans les mains de cette grosse dame au cerveau si
brillant.
C'est pour le dernier que j'ai réussis mon plus
beau coup, et, passant devant une file d'attente apocalyptique, je
laissais mon C.V. dans les mains d'une personne de chez «
Abbott Medisense Inc. » qui me disait avec tristesse qu'ils
avaient « c'est dommage, fini d'embaucher des tech., on a
embauché un gars comme vous la semaine dernière, mais
que bon on ne sait jamais ... ».
C'est en tournant et en retournant que
je m'offrais le luxe d'une pensée marrante :
Dans un des
couloirs, un peu plus grand que les autres, les files d'attente
ressemblaient à deux peignes mis à plat et enfoncés
l'un dans l'autre.
De telle sorte que chacun et chacune aurait pu
converser sans difficulté avec une personne d'une autre file
qu'eux, à la queue leu leu !
Ceci étant, les gens
d'ici ne sont pas très « contact ». Et aucun d'eux
n'adressait la parole à un autre.
Je repartais assez perplexe et, à la sortie du stade, je remontais donc la file d'attente de ceux qui voulaient entrer.
La seule note
d'originalité aura été une photo pour laquelle
j'ai posé pour le site Boston-works
(la galerie de photos).
Je me disais que, pour leur site, ils
allaient en prendre tellement que je ne serais jamais ''on-line'', et
que si, par le plus grand des hasards, j'y étais, ça
allait être ''noyé dans la masse''.
« Noyé
dans la masse » ...
Bien sûr
!
Et bien, vous
allez rire, mais non seulement j'ai eu ma photo sur le site, mais en
plus, ma photo était en six ou septième position, et en
deuxième parmi les photos de personnes..
J'étais la
deuxième personne sur ... 6.
6 !
Pas 90 ou 100 : 6 !
Et ces 6 là, qui étaient-ils ?
C'est simple : les
minorités.
(C'est très Américain
de parler des minorités)
Dans l'ordre, nous trouvons donc :
- une étudiante
(fraîchement diplômée),
- un Français
(moi).
- un vieux (plein d'ambitions),
- deux noires
(gentilles),
- un couple (une blanche avec un noir).
- une
jeune femme venant de loin (c.a.d du New Hampshire)
Merde !
Je fais
partie d'une minorité ... opprimée !
Et, mais ...
Il faut absolument que
je fasse entendre mon cri de souffrance !
Avec ma photo il y avait la mention :
Originally
from Paris and now living in Revere, |
Ce qui signifie : |
Originaire de
Paris et vivant actuellement à Revere, |
Il y avait trois choix pour décrire sa position. Ils faisaient tous référence à des expressions liées au Baseball, ce qui est normal, à Fenway Park ... Voici donc les trois choix avec leur signification :
« A) Get
off the DL and back with the team. » |
Traduction : « A)
Sortir du banc de touche et rejoindre l'équipe sur le
terrain. » |
Ce qui signifie : « A) Je
suis sur le carreau et je suis prêt à prendre
n'importe quoi. » |
Vous avez compris, moi j'ai répondu A).
M'enfin bon, quelle qu'en soit la raison, j'étais célèbre, et au fond, c'était plutôt cool.