11 novembre 2000

Septième pleine lune depuis que j'écris mon journal. Et elle joue avec mes émotions. Ce soir je la sens bien. Je sens qu'elle me rappelle que je ne vis pas la vie que j'ai envie de vivre. J'avais réussi à ne plus y penser pendant des années. Plus maintenant. J'ai choisi d'affronter mes peurs, mes angoisses. Je regarde ma vie en plein visage maintenant. Et je vois dans ses yeux la souffrance qu'elle me reproche pour la torture à laquelle je l'ai soumise toutes ses années. J'ai compris maintenant. Et elle le sait. Mais elle m'en veut encore. Difficile de la blâmer. Me pardonnera-t-elle ? Je crois que oui. Mais elle a besoin de temps, et moi aussi.

Ce n'est pas ainsi que je voulais passer mon samedi soir, assis devant deux ordinateurs, à travailler sur des choses qui ne fonctionnent qu'à moitié. Accepter que notre vie ne nous plait pas est une chose. La changer en est une autre.

Plus jeune, je m'inspirais de mes rêves pour écrire des histoires. Ce soir je veux en partager une avec vous. N'ayez crainte, ce sera très résumé.

C'est l'histoire de deux planètes, habitées toutes les deux par des humains. Chacune ignorait l'existence de l'autre jusqu'à ce qu'elles commencent à se rapprocher suffisamment pour permettre à l'une de capter les transmissions radio de l'autre et vice-versa. Avec les années, les deux peuples apprirent à déchiffrer le langage de l'autre, à se connaître, à partager leurs connaissances, leur culture. Des liens se tissèrent, des amitiés.

Aucun des deux peuples ne pouvait voyager dans l'espace. Leurs scientifiques avaient déterminé que les deux planètes allaient passer très près l'une de l'autre, pour finalement commencer à s'éloigner de nouveau. Leur chemin allaient se séparer définitivement après quelques décennies. Ils savaient donc qu'ils perdraient contact avec l'autre planète, mais les années partagées enrichiraient leurs deux mondes et vivraient dans leurs histoires respectives pour l'éternité.

C'est aussi l'histoire d'un homme et d'une femme, habitant chacun sur une planète différente. Ils se lièrent d'amitié dès leur plus tendre enfance. Avec le temps, leur amitié se mua en amour, un amour virtuel, un amour impossible, puisqu'ils ne pourraient jamais être ensemble. Ils savaient bien cela et l'acceptait. Mais on ne commande pas l'amour...

De grandes festivités se préparaient sur les deux planètes: les festivités de la Grande Rencontre, le moment de l'histoire où les deux planètes allaient passer à leur plus près l'une de l'autre. Plus le grand moment approchait, plus les scientifiques purent déterminer qu'à cet instant précis, pendant quelques heures à peine, les atmosphères des deux planètes allaient se toucher suffisamment pour permettre le passage d'un aéronef de l'une à l'autre. Alors un projet fou vit le jour: le projet de construire un appareil capable de faire le voyage, la grande traversée d'un monde à l'autre. Pendant des années les deux peuples consacrèrent toutes leurs ressources à ce projet grandiose.

Et nos deux amoureux virent là la chance d'être réunis.

Quand le grand moment arriva, le projet était prêt. Une seule personne allait pouvoir faire la grande traversée. Notre amoureux consacra toute sa carrière, toute sa vie, à être cette personne. Contre vents et marées, contre les angoisses, l'épuisement, le découragement, les impossibles chances d'être choisi, il persévéra. Sa vie était là, sur l'autre monde, et renoncer à son rêve équivalait pour lui à accepter la mort.

Et contre toute attente, il fut choisit. Son rêve impossible avait enfin une chance de se réaliser. S'il survivait à la traversée, il allait finalement pouvoir rejoindre sa douce amoureuse, entendre sa voix de ses propres oreilles, voir son visage autrement que sur un écran, regarder dans ses yeux, sentir son souffle sur sa joue, et la caresse de sa peau contre la sienne...

Puis le grand jour arriva. À la grandeur des deux planètes, des milliards de personnes retenaient leur souffle. À bord de son robuste aéronef conçu pour résister aux immenses turbulences qui allaient bientôt secouer les atmosphères des deux mondes, notre amoureux pris son envol, n'osant croire à ce qui lui arrivait. La peur lui nouait les entrailles, mais il s'accrochait désespérément à l'image de sa douce compagne qui l'attendait de l'autre côté, si près, et pourtant si loin.

À bord de son engin, il montait, montait, montait toujours, s'approchant inexorablement de son rêve. Plus il gagnait de l'altitude et plus il était secoué, ballotté. Les tôles craquaient, son aéronef hurlait de douleur, mais tenait le coup. Quand à lui, s'appuyant sur son entraînement qui le préparait à ce moment depuis tant d'années, il tenait bon la barre, mais ne pouvait chasser de son esprit tout ce qu'il laissait derrière lui, tout ce qu'il ne reverrait plus jamais. Mais chaque fois que la peur et le doute l'assaillaient, l'image de cette femme qui l'attendait le ramenait sur les rails. Encore quelques minutes de vol, quelques minutes seulement. Les secousses se faisaient de plus en plus violentes, les turbulences de plus en plus impitoyables... des alarmes raisonnaient dans ses oreilless, se mélangeant aux instructions qui déboulaient en cascades dans ses écouteurs, alors que des voyants lumineux rouges s'allumaient partout sur son tableau de bord... Tenir bon, tenir le coup, il fallait tenir le coup, encore quelques minutes, quelques minutes, il était si près de son rêve, si près, il pouvait presque le toucher, presque...

Cette histoire se termine là. Elle est incomplète. Je ne l'ai jamais terminé. Ou plutôt, je n'ai jamais osé la terminer.

La lune est si belle, si belle... Pourquoi la beauté doit-elle toujours me causer tant de souffrance ?


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