20 juin 2001

Suis-je devin ou quoi ?

Ce cumulo-nimbus que j'admirais hier soir, je savais bien qu'il avait un air louche... comme l'on appris à leur dépend les résidents d'un certain village du lac St-Jean...

Voilà un an aujourd'hui que j'ai eu mon accident de vélo. Je viens de relire cette journée. Ça m'a rappelé plein de souvenirs. Cependant, j'ai remarqué une chose dont je n'ai pas parlé dans ce billet, une pensée que j'ai eu alors que j'étais à l'hôpital.

Lorsque mes points de suture furent terminés, que l'infirmière eu fini de laver le sang séché qui couvrait mon cou et mon dos, je me suis dit qu'il fallait bien que j'appelle quelqu'un pour venir me chercher à l'hôpital.

Et j'ai eu un petit moment de panique quand j'ai réalisé que je ne savais pas qui appeler...

Pendant ce court instant, je me suis vraiment senti seul, abandonné, impuissant. On dirait que je n'ai vraiment réalisé qu'à ce moment là que j'avais bel et bien quitté le nid, même si cela faisait déjà bien des années que, dans les faits, j'étais livré à moi-même.

J'ai bien sûr pensé appeler mes parents, mais cela aurait été inutile puisqu'ils n'ont pas de voiture. Mon frère ou ma soeur alors ? Bien sûr, logique. Et puis, je me suis aperçu que je ne connaissais pas par coeur leur numéro de téléphone, ni à l'un ni à l'autre, puisque je ne les appelle pour ainsi dire jamais.

Bien sûr, mes parents auraient pu les rejoindre, eux. Mais dans l'état où j'étais... disons que mon cerveau n'utilisait pas tout ses cylindres...

Et c'est alors que j'ai pensé à Copine.

Et dans ce court instant, je me suis senti comme si Copine était la seule personne dans ma vie, ma seule bouée de sauvetage.


Je suis allé faire un tour de canot près de la source du lac ce soir. C'est un véritable cimetière. C'est la montée printanière des meuniers noirs, et cette frénésie de procréation entraîne inévitablement son lot de victimes. C'est la cruelle loi de la nature. Partout, le fond du ruisseau est jonché de cadavres à différents stades de décomposition, et l'odeur fétide de la putréfaction empli l'air. Les autres habitants du lac semblent capables de s'y habituer, et ils ont pour la plupart un odorat bien supérieur au mien, alors je me suis dit que je pourrais m'y faire moi aussi.

En avançant très lentement dans le ruisseau étroit, j'ai aperçu venant vers moi un petit rat musqué, la gueule pleine de végétation aquatique qu'il venait tout juste de recueillir. J'ai très bien senti dans son attitude le dilemme en face duquel mon arrivée le mettait. À ses yeux, j'étais beaucoup trop près de lui, et il aurait été beaucoup plus prudent de plonger. Mais cela aurait signifié l'abandon de sa précieuse cargaison, trop légère pour qu'il puisse aisément l'entraîner sous l'eau avec lui. Je faisais tout en mon pouvoir pour ne pas l'effrayer, pour éviter tout geste brusque et pour continuer à ramer de façon aussi nonchalante que possible (car m'immobiliser complètement aurait été interprété de sa part comme un geste encore plus suspect).

Finalement, il dû en arriver à la conclusion que le risque était acceptable, car il passa tout à côté de moi, la bouche pleine d'herbe, en longeant néanmoins la berge du plus près qu'il pouvait, et sans me quitter des yeux une seule seconde. J'eu ainsi la chance de le voir passer à moins d'un mètre de mon canot.

Une dizaine de mètres plus loin, c'est toute une famille de canard (maman et ses neuf canetons) qui surgirent devant moi, à mon grand ravissement. Visiblement effrayés, ils reculaient à mon approche, et je choisi donc de rebrousser chemin pour ne pas les importuner davantage. J'étais en train de les pousser vers la route, et je ne voulais pas obliger maman à entraîner sa progéniture dans le tunnel de métal pour fuir mon approche.

Avant de retourner au lac, je choisi de m'aventurer dans l'un des méandres du ruisseau, à peine assez large pour laisser passer mon canot. C'est alors que le hasard voulu que j'aperçoive, à peine à trente centimètres au dessus de l'eau, un superbe petit nid de carouge, tressé entre les tiges de quenouilles. Il était vide, la première nichée de l'année ayant probablement quitté depuis peu. Mais il servira sûrement encore quelques fois cette saison. Après tout, il représente encore une excellente valeur immobilière... ;-)

À ce moment, un autre rat musqué apparut devant moi. Il voulait sans doute retourner au ruisseau, mais mon canot lui bloquait maintenant la route. Davantage contrarié qu'effrayé, il se mit à tourner en rond devant moi, ne sachant trop que faire devant la situation. Quand à moi, je me mis à reculer lentement, pour lui laisser la voie libre, espérant qu'il me suivrait. Mais apparemment, il connaissait plus d'un chemin car il disparut sous l'eau. J'eut beau retourner au ruisseau, m'accoster sur l'autre rive et rester totalement immobile pendant plusieurs minutes, je ne le vis jamais sortir du méandre. Puis, il réapparut devant moi, sortant de nul part, pour se diriger vers sa hutte. Je sais où cette dernière se trouve. Il s'agit d'une ancienne hutte de castor, qui était déjà abandonnée il y a neuf ans quand j'ai acheté la maison, et qui est toujours utilisée depuis ce temps, à chaque année, par une famille de rats musqués. Entièrement recouverte de végétation, elle est maintenant invisible aux yeux de tous, sauf au miens bien sûr (bon, je l'avoue, j'ai triché, puisque je savais déjà où elle se trouve).

Je suis resté ainsi, immobile, accosté sur la rive, pendant près d'une demi-heure, à écouter les chants des oiseaux et leur battements d'ailes, les bruissements dans l'herbe derrière moi, les clapotis des poissons sautant hors de l'eau pour gober les moucherons imprudents qui s'aventuraient trop près de la surface. Devant mon inertie, les habitants du lac reprenaient lentement leur activités normales, et je me sentais privilégié de pouvoir ainsi m'imprégner de la vie de ces êtres pour lesquelles toutes les journées de toute leur vie sont semblables à cette petite demi-heure dont j'ai été témoin.

Un seul regret: il n'y avait personne avec moi pour partager ces instants magiques.


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