1 février 2002

Le fabuleux destin d'Amélie Poulain est ma trame sonore fétiche ces temps-ci. Je l'écoute toujours dans ma voiture. Il y a des morceaux de piano qui me font littéralement fondre. Les larmes me montent aux yeux ou non, selon mon humeur du moment.

Le piano est mon instrument de prédilection. J'ai toujours dit qu'un piano n'était pas un instrument, mais un orchestre à lui seul. C'est le seul instrument dont on peut jouer toutes les quatre-vingt-huit notes simultanément.

Si on me donnait à choisir un seul instrument pour apprendre à jouer, ce serait le piano.

Mais j'ai toujours hésité entre le piano et la guitare. L'avantage avec cette dernière, c'est sa portabilité. On peut l'amener partout, dans une soirée, chez des amis. Pour le piano, c'est une autre histoire.

Tous les joueurs de guitare sont populaires. Tout le monde les aime, ils sont toujours invités partout. Lorsqu'un guitariste se met à jouer, tout le monde se tait, tout le monde écoute, l'attention de tous est tournée vers eux. J'ai toujours envié les joueurs de guitare pour ça. J'ai toujours envié ceux que tout le monde aime, ceux vers qui l'attention de tous se tourne tout le temps.

Je crois que j'ai toujours été quelqu'un qui a besoin de beaucoup d'attention. Pour moi, l'enfer, c'est l'indifférence générale de tous. Je suppose que je n'ai pas reçu suffisamment d'attention dans ma vie. Même aujourd'hui, je passe toujours plus ou moins inaperçu partout.

Mon premier choix est évidemment d'être aimé, mais je crois que je préfère encore plus être haï que d'inspirer l'indifférence.

Je ne suis pas le seul d'ailleurs. L'histoire est pleine d'hommes et de femmes qui ont choisi, en désespoir de cause, de devenir des monstres plutôt que de continuer à non-exister dans l'indifférence générale.

Les psychologues nous disent que ceux qui ont besoin du regard des autres pour sentir qu'ils existent ont des gros problèmes d'estime de soi. Moi, les psychologues, je leur dis merde. Je leur dis que si ils disent ça, c'est parce que eux ils reçoivent toute l'attention dont ils ont besoin. Nous sommes tous différents. Nous avons tous besoin d'attention à des niveaux différents. Certains en reçoivent assez, d'autres pas. Ceux qui en reçoivent assez ne peuvent tout simplement pas comprendre les autres. Comment comprendre ce que sont la faim ou la soif quand on a toujours été rassasié ? Comment comprendre la détresse d'un affamé ou d'un assoiffé quand on n'a soi-même jamais ressenti leur souffrance ?

- Arrêtes donc de chiâler, t'as tout pour être heureux !

- Quand on veut on peut ! Arrêtes de te plaindre et fonce !

- Quand on n'a pas ce qu'on aime, on aime ce qu'on a !

- T'es trop difficile ! Arrêtes donc de chercher des mannequins !

Je les ai toutes entendues ces phrases, répétées encore et encore par des personnes souvent bien intentionnées mais qui ne comprennent tout simplement rien. Ils ne font que répéter les même maudites phrases clichées qu'ils ont entendues encore et encore. Mais ils ne comprennent rien.

- De toute évidence je n'ai pas tout pour être heureux, puisque je ne le suis pas. Soyez logique.

- Foncer ? Vers où ? Dans quelle direction ? Encore faut-il savoir ce qu'on veut.

- Ben oui. Si tout le monde faisait ça, nous serions encore des Cro-Magnon gelant dans des grottes.

- Des mannequins ? Certes, les femmes qui m'ont fait craquer étaient assez jolies, mais de là à les qualifier de mannequins... Généralement, les personnes qui me disent ça n'ont jamais vu les femmes qui me plaisent, et préfèrent lancer une phrase classique toute faite, plutôt que de chercher à comprendre. Des mannequins, elles le devenaient à travers mon regard.

Il me semble que je parlais de piano moi...

Ben oui. L'idée de suivre des cours de piano me trotte dans la tête depuis quelque temps. La mère de Salma est prof de piano, quelle heureuse coïncidence. Mais j'hésite. Peut-être ai-je peur de réaliser que je n'ai aucun talent. Comme dans les autres domaines artistiques d'ailleurs. Que voulez-vous, on ne peut pas tous être artiste. Ça ne me dérange pas plus que ça, sauf que j'aurais aimé avoir du talent dans au moins un domaine artistique, histoire de pouvoir laisser libre cour à mon besoin de création. Je croyais m'être trouvé dans la photo, mais j'ai toujours été déçu par mes réalisations. Comprenons-nous bien, je suis capable de faire des bonnes photos, mais voilà le hic, elles ne sont que bonnes. Rarement très bonnes, jamais excellentes. Alors comme je suis toujours un peu déçu, je n'en fais pas avec assez de régularité pour maîtriser la technique. Et quand on a toujours la technique dans la tête, difficile de s'abandonner à nos pulsions créatrices.

J'ai encore trois rouleaux de film dans mon frigo. Ils sont là depuis plus d'un an. Peut-être devrais-je les développer une bonne fois pour toute avant de faire disparaître définitivement ma chambre noire et de la remplacer par mon sauna.


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