21 juin 2003

Je suis sur le bord du lac. Il y a une grosse grenouille, une très grosse grenouille, à quelques centimètres à peine du bord de l'eau. Elle est consciente de ma présence. Ce qui se passe dans son petit cerveau, je l'ignore. Peut-être ne me considère-t-elle pas encore comme une menace. Peut-être y a-t-il une distance critique "hard coded" dans la tête des grenouilles. Peut-être ne veut-elle pas attirer mon attention en bougeant. Who knows.

Il y a deux carouges qui viennent d'arriver. Ils crient après moi à s'en arracher le gosier. Ils hallucinent comme si j'allais égorger leur portée toute entière. Je lève les yeux et les regarde.

- Pourquoi est-ce que vous criez après moi ? leur lance-je. Je ne leur ferai rien à vos petits ! Vous n'avez pas appris à me reconnaître encore ? Je viens sur le bord du lac tous les jours, plusieurs fois par jour, et je ne leur ai jamais rien fait à vos petits. Je ne suis pas un chat, moi. Je ne mange pas les oisillons, moi !

Je fais une pause. Ils gueulent de plus belle.

- Et la grenouille, elle ? La grosse grenouille juste là, vous ne criez pas après elle ! Pourquoi vous ne criez pas après la grenouille ? C'est une intruse elle aussi !

La grenouille me regarde en ayant l'air de dire: "Ta gueule ! Non mais tu vas la fermer ta gueule !".

Parlant de gueule, les carouges remettent ça encore une fois. Ils sautent d'une branche à l'autre comme des hystériques et semblent sur le bord de la syncope.

- Vous voyez les sales bêtes qui sont en train de me piquer les chevilles ? Et bien c'est à cause d'elles que je vais m'en aller dans quelques minutes, pas à cause de votre disgracieux spectacle. Mais vous, avec vos cervelles d'oiseaux, vous allez penser que vous m'avez finalement fait peur et vous allez vous péter les bretelles. Et bien pensez donc ce que vous voulez !

Je quitte le bord de l'eau tout en massacrant d'un revers de main une bonne demi douzaine de maringouins qui s'en prenait à ma cheville gauche. Je tourne la tête et lance un dernier coup d'oeil à la grenouille. Avec cette grande bouche fendue d'une oreille à l'autre, on dirait presque qu'elle esquisse un sourire...

- Pourquoi tu te marres, toi ? Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?

Et soudain, je réalise que depuis tantôt je gueule assez fort après les oiseaux et la grenouille pour que tous mes voisins m'entendent. Alors je baisse la tête et je rentre chez moi en douce.

Voilà. Si ma réputation dans le quartier n'était pas encore faite, maintenant, c'est dans la poche.


Long sentier aujourd'hui. Dix-sept kilomètres dans un décor magnifique, en pleine nature, le long d'une rivière. L'eau était toujours là, à tout moment, pour me rafraîchir lorsque la chaleur se faisait trop insistante.

Seul bémol: Il y avait full mouches, alors je suis full piqûres parce que j'avais full pas de citronnelle.

Mais bon, c'était pas si pire. Avec les siècles j'ai appris toutes sortes de trucs pour diminuer l'impact de ces sales bêtes sur mon plaisir de profiter de la nature, et malgré cinq heures consécutives passées dehors avec ces hordes de vampires qui me tournaient continuellement autour de la tête, je ne peux compter qu'une vingtaine de piqûres sur le haut du corps et les bras, et environs autant sur les jambes. J'ai déjà vu pire.

Rencontré deux demoiselles vers la fin du sentier. J'ai parlé un peu avec elles, une surtout qui semblait gentille. Je lui ai donné la main pour l'aider à descendre d'un cran de roche sans se casser la gueule.

J'ai réalisé que je suis si peu habitué aux contacts physiques qu'il faut que j'y pense quelques secondes avant de savoir comment prendre une fille par la main. Ça fait dur mon affaire, n'est-ce pas ?

Je me suis éloigné un peu d'elles pour me baigner dans la rivière, mais j'ai vite réalisé que le fait de me baigner nu les a mis mal à l'aise. Même si elles disaient que non, je pouvais le sentir. Je n'ai pas l'habitude de provoquer des réactions négatives chez les autres randonneurs lorsque je fais ça, et je me suis senti un peu mal. J'aurais dû m'arrêter et penser que le contexte était quelque peu différent. J'étais un homme seul qu'elles ne connaissaient pas, et elles étaient deux femmes, dans le fin fond d'un sentier complètement isolé de tout.

Bon. Rien ne sert de regretter. Je penserai davantage à l'avenir. Quand aux préjugés que les autres peuvent entretenir au sujet de la nudité, et bien qu'ils les gardent. Pas un missionnaire moi. Marre d'essayer de convertir les gens.

N'empêche que ce sentier, aujourd'hui, j'aurais bien aimer le parcourir avec elle.


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