15 mars 2003

Je n'ai vraiment pas passé une semaine agréable. J'ai non seulement souffert de mes troubles du rythme cardiaque, mais aussi de tous les symptômes physiques associés au syndrome de panique: douleurs à la poitrine, sensation d'oppression, et même mauvaise digestion et ballonnements abdominaux. J'ai vécu dans un état perpétuel de légère angoisse, et seule mon expérience passée avec ce syndrome a empêché tout cela de dégénérer en vrais crises de panique.

Je n'aime pas me sentir comme ça. Vraiment pas. Je n'aime pas céder à la peur, à l'angoisse. Et je n'aime pas montrer ainsi publiquement autre chose que mon habituelle assurance et confiance en moi en ce qui a trait à mon corps et à ma santé.

Cette arythmie, ces extrasystoles ne sont rien de nouveau pour moi. En fait j'ai vécu avec toute ma vie, d'aussi loin que je me rappelle. J'ai toujours cru que c'était normal, que tout le monde était comme ça, jusqu'à ce que le hasard m'amène à consulter des publications médicales qui en faisait mention. Mais ces mêmes publications précisant qu'il s'agissait d'une condition bénigne, je n'en ai jamais fait de cas. Un cardiologue m'a d'ailleurs confirmé la même chose il y a plusieurs années. Je sais maintenant que cette condition est génétique, un héritage de mon père.

Mais il reste toujours un doute, un tout petit doute, et c'est tout ce qui est nécessaire pour déclancher une réaction en chaîne dès que le plus petit pincement, la plus petite sensation désagréable, la plus petite crampe ou douleur apparaît.

Pourtant ce n'est pas mon coeur. Je le sais. Parce que j'ai vécu les mêmes doutes, les mêmes angoisses, plusieurs fois par le passé. Toutes ces douleurs, ces spasmes, ces crampes que je ressens dans la poitrine, je sais qu'ils ne viennent pas de mon coeur. Je sais où mon coeur se trouve dans ma poitrine, je le sens chaque fois que j'ai une extrasystole. Et les douleurs ne viennent pas de là. Elles sont superficielles, elles viennent des muscles et des nerfs entre mes côtes, dans mon cou et dans mon dos. Elles n'ont rien à voir avec l'effort physique. Et d'ailleurs jamais, en aucune occasion, ces symptômes que je ressens ne se sont traduit pas le moindre vertige, la moindre faiblesse, le moindre essoufflement. Au contraire, même si je suis totalement sédentaire depuis le début de l'hiver, mon coeur répond encore et toujours rapidement et parfaitement dès que je lui demande un effort, et mon rythme cardiaque se trouve encore au dessous de soixante-quatre battements par minute au repos. Il n'y a qu'une chose qui entraîne tout ces symptômes: le stress, la tension nerveuse et musculaire sous laquelle je vis presque continuellement, du matin au soir, presque sans m'en rendre compte tellement j'y suis habitué. Autre preuve: dès que je suis rentré chez moi hier en fin de journée, que je me suis parlé à moi-même, et que j'ai commencé une activité qui m'a changé les idées, tous ces symptômes, incluant les palpitations, ont complètement disparu.

Tout cela n'a rien de particulièrement mystérieux pourtant. C'est extrêmement facile à percevoir, même pour moi-même. Je vois très bien tous les signes physiologiques: mâchoires serrées, épaules continuellement contractées, respiration saccadée et superficielle. Je suis toujours comme ça. Pas surprenant que mon corps finisse par atteindre sa limite et que quelque chose flanche éventuellement. J'ai vécu ça à plusieurs reprises depuis les quinze dernières années.

C'est pathétique de constater que je suis mon propre pire ennemi. J'ai été doté d'une bonne santé, je vieillis physiquement assez bien, je suis à peu près insensible aux maladies, infections et même blessures en tout genre, desquelles je récupère très rapidement et sans séquelles. Et pourtant, les symptômes physiques qui m'empoisonnent le plus l'existence sont ceux que je me crée moi-même: anxiété, angoisse, dépression.

C'est toute ma façon de percevoir la vie que je dois remettre en question. La conjointe de mon ami d'enfance l'a parfaitement résumé, en fin de semaine dernière. Alors que nous nous demandions si nous devions ouvrir une deuxième bouteille de vin, elle a lancé simplement: "Pourquoi pas ? C'est samedi soir et on a juste une vie". L'élégante simplicité de cette phrase est déconcertante, et je dois pourtant admettre qu'elle m'a complètement désorganisé, tant j'ai perdu de vue l'essence même de l'existence.

Je ne perçois plus la vie que comme une succession de décision qui doivent être prises de façon lucides et éclairées, une suite d'épreuve à surmonter, minimes certes, mais épreuves quand même, alors que je devrais réapprendre à la voir pour ce que je la percevais jadis dans ma jeunesse: une série d'opportunités de profiter de petits plaisirs tout simples, avec quelques rêves et projets à long terme comme moteur de l'existence.

Je vais quand même prendre rendez-vous prochainement avec un cardiologue. Je dois effacer ce tout petit doute qui reste encore, et d'ailleurs je suis maintenant passé quarante ans, et ne dit-on pas que les hommes à partir de la quarantaine devrait voir un cardiologue sur une base régulière ? J'en avais déjà consulté un pour mes problèmes d'arythmie et de syndrome de panique, mais cela fait plus de quinze ans.


[jour précédent] [retour] [jour suivant]