6 septembre 2003

Ma nuit a été peuplée de rêves de bras arrachés, d'abdomens éventrés et de gorges tranchées. Je me suis réveillé aussi fatigué que si j'avais combattu toute la nuit. Au lieu d'avoir le pouvoir de détruire des lampadaires de rue, j'aurais aimé posséder celui de faire exploser des têtes à distance.

Je me fais peur moi-même quand je vois toute la haine dont je suis capable. Surtout pour quelque chose de trivial comme une voiture. Admettons-le, ce n'est que de la matière. Ce n'est pas comme si quelqu'un avait mutilé ou tué quelqu'un que j'aime.

N'empêche que j'enrage contre la vermine humaine. Je suis dégoûté de voir qu'un être humain puisse ainsi être vide de toute empathie pour ses semblables, et encore plus dégoûté de voir que notre soi-disant système de justice ne fait rien, et ne veut rien faire, pour trouver de réelles solutions au problème de la criminalité.

Et puis je ne me sens pas victime d'un acte criminel aléatoire. Je me sens personnellement attaqué. Comme ne pas se sentir ainsi, après trois fois !

Putain de merde, je venais juste de m'acheter un beau rack neuf. J'avais travaillé fort sur cette voiture depuis quelques semaines. Il y avait un peu de moi dans ce tas de ferraille, et ça m'a été arraché sauvagement, par un chien sans émotion. Et encore, j'insulte les chiens.

Et le pire, c'est que je sais que personne ne fera rien pour moi. La police ne cherchera même pas ma voiture, parce qu'ils s'en foutent. Une voiture volée, c'est complètement en bas de la page, à la dernière ligne de leur liste de priorité. S'ils retrouvent mon véhicule, ce sera par pur hasard. Et ils ne le retrouveront pas parce qu'il a quand même cinq ans d'âge et 150000 km au compteur, et qu'il a donc probablement été volé pour les pièces.

Ma voiture est en ce moment en train de se faire découper en pièces. Il n'y a rien que je puisse y faire, et ceux qui pourraient y faire quelque chose ne feront rien.

C'est ce profond sentiment d'impuissance qui est le plus dur à accepter. Étrangement, si j'étais confronté à une catastrophe naturelle, je serais encore plus impuissant sans doute, mais je prendrais probablement cette épreuve avec philosophie. Parce que j'ai appris à faire preuve d'humilité devant la nature et que j'ai un profond respect pour elle.

Mais je suis bien obligé d'admettre que je n'ai aucun respect pour les humains. Pour ces humains en tout cas.

Bon. Tout ça pour dire que finalement, je serai prisonnier ici toute la fin de semaine parce que le commerce de location de voiture vers lequel m'a aiguillé mon agent d'assurance n'est ouvert que sur semaine. Copine va m'y emmener lundi matin. Je n'aurai d'autre choix que de faire les choses que j'ai à faire ici. Je me suis déjà discipliné et j'ai tondu ma pelouse en fin d'après-midi. Avant ça j'avais pris un peu de soleil et ça m'a fait du bien.

Chaque fois que mon regard se posait sur mon entrée vide, la rage me remontait à la gorge. En plus, je vais devoir me contenter d'une voiture de location pendant trente jours avant que mes assurances me donne le ok pour m'acheter un autre véhicule. Ce qui veut dire trente jour sans rack, sans pouvoir amener mon kayak ailleurs. Trente jours avec une voiture qui ne sera pas la mienne, que je ne pourrai pas amener dans les routes gravelées des parcs et des réserves. Trente jours à devoir compter sur la générosité de mes amis pour profiter des randonnées d'automne.

Mon prochain véhicule aura un radio-émetteur permanent à bord. Comme ceux qu'ils mettent dans les colliers émetteurs pour les orignaux. Pas besoin de système ultra sophistiqué et informatisé à base de téléphonie cellulaire et de GPS, qui coûte des cent et des mille, sans compter les mensualités. Un bon vieil émetteur radio. Keep it simple. Merde, même si mes connaissances en électronique auraient besoin d'être dépoussiérées un peu, je pourrais aisément m'en fabriqué un moi-même, bien camouflé, alimenté directement par la batterie de la voiture, plus une source d'énergie d'appoint, si puissant que je pourrais recevoir le signal de chez moi même si mon véhicule était en ville. Au diable les règles du CRTC et de la FCC.

Putain, la vie, quand je te dis qu'il ne se passe pas grand chose, t'es pas obligée de me balancer des tuiles par la tête ! Un peu d'amour, un peu de tendresse, ça ferait tout aussi changement et ça serait foutrement mieux apprécié !


[jour précédent] [retour] [jour suivant]