16 août 2004

Deux constatations aujourd'hui.

La première.

Les choses ont bien changé ici depuis douze ans. La première année où j'ai acheté cette maison, je n'avais des voisins que d'un seul côté. C'était un petit couple tranquille, sans enfants, avec seulement quelques chats. Tout n'était que paix et tranquillité. Bien sûr, il y avait bien l'occasionnel jappement de chien ou son de tondeuse à gazon. Mais dans l'ensemble, c'était vraiment très tranquille. Le bruit du vent dans les feuilles, le chant des oiseaux. Lorsque je me couchais le soir, par ma fenêtre ouverte, j'entendais soit le chant des grenouilles, soit celui des grillons, ponctué par l'occasionnelle complainte du huard ou le hululement du hibou.

Ces dernières semaines, j'ai souvent pris des après-midi de congé pour profiter du beau temps. Mes nouveaux voisins sont un tantinet plus envahissants que les précédents. Lorsque je m'installe dans ma cour pour me faire bronzer, je n'entend pratiquement plus que le son des tondeuses, le bruit des scies à chaîne et les sons de machinerie de construction dans le lointain. Oui, nous sommes dans une période où la construction est très active. Mais il reste encore beaucoup de terrains à vendre dans mon voisinage. Ça risque de continuer sur la même lancée pendant encore plusieurs années. Maintenant, lorsque je me couche le soir, plus souvent qu'autrement, j'entend par ma fenêtre ouverte, les claquements de portières de voiture des visiteurs de mes voisins qui partent l'un après l'autre, les rires et les cris de nouveaux voisins en haut de la rue qui se sont installés cette année, etc...

Non, définitivement, les choses ne sont plus ce qu'elles étaient. Je ne me sens plus vraiment dans mon petit coin de paradis comme avant. Maintenant, je me sens comme en banlieue. Comme dans le quartier où j'ai grandi. Bon, c'est quand même pas si mal, me direz-vous. C'est mieux que la ville, tout de même, et vous avez bien raison. Je peux quand même me baigner dans mon lac et y faire du kayak quand bon me semble. Je peux encore me faire bronzer nu dans ma cour.

N'empêche que si j'avais voulu vivre dans une banlieue, je me serais installé dans une banlieue, pas dans ce qui était à l'époque un trou perdu, que j'aurais bien aimé voir demeurer ainsi.

Mais bon, faut pas voir les choses pires qu'elles sont. Je suis quand même encore très bien ici. Cependant, je dois me rendre à l'évidence qu'il sera bientôt temps, dans quelques années, de commencer à regarder ailleurs. Plus loin.

Deuxième constatation.

Je ne suis vraiment bien que dans la nature. En plein milieu de nulle part, entouré de verdure, de forêt, de petits insectes, oiseaux, batraciens et petits mammifères, à sentir la terre sous mes pieds, à manger des petits fruits sauvages, à me baigner dans tous les petits plans d'eau que je rencontre.

Dès huit heures ce matin, je commence à entendre le bruit infernal des scies à chaîne provenant du terrain juste en haut de chez moi. À onze heure trente, ça résonnait de plus belle. De toute évidence, ils en avaient pour la journée, et il n'était pas question que j'endure ça. Force me fut donnée de constater que je n'avais rien foutu de mon été, que nous étions maintenant milieu août, et qu'il serait peut-être temps que je me botte le cul et que je profite du peu d'été qu'il reste. Je me suis donc dirigé, pour la première fois de cette saison croyez-le ou non, vers mon parc préféré, où je vais d'habitude plusieurs dizaines de fois par année, pour y faire ma première vrai randonnée de l'année. J'ai choisi le sentier le plus exigeant, non seulement parce que c'est mon préféré, mais parce que j'avais quelque chose à me prouver. Je ne suis plus en forme, comme me le rappelle chaque jour ce commencement de bedaine qui défigure ma silhouette, et avec tous les problèmes de santé et douleurs à la poitrine que j'ai eu dernièrement, j'avais besoin de savoir une fois pour toute où j'en étais. Et bien en effet, ma sédentarité des dernières années se fait sentir, mais malgré tout, je suis encore à 42 ans plus en forme que je l'étais à 20. Une fois rendu au sommet de ce long sentier, si ma patate avait eu le plus petit problème, et bien elle aurait pété au frette et je ne serais pas là en ce moment en train d'écrire ces lignes.

Mais il y a plus que ça. Une fois en haut, j'étais plutôt en retard sur mon dîner et j'avais très faim. Je me suis donc arrêté pour manger. Installé sur un rocher, mes pieds libérés de leurs bottes, quelques mouches noires à peine dérangeantes tournoyant autour de ma tête, j'écoutais le clapotis de l'eau qui suintait doucement de ce barrage de castor qui n'était pas là l'an passé, le bruit occasionnel du bruissement des feuilles lorsqu'une légère brise les traversait, le bourdonnement des insectes, le chant occasionnel de quelques oiseaux. Mais par dessus tout, en arrière plan de tous ces sons, le silence. La paix. La sérénité. Pas de bruits de circulation, pas de machinerie lourde, pas de son de scie à chaîne, ces machines directement sorties de l'enfer. Pas de gros rires gras et niais de voisins à moitié saouls. Partout autour de moi, partout où mon regard se posait, il n'y avait que beauté. Beauté de ces flancs de montagne couverts de forêt, beauté du ciel bleu, beauté de la terre, des petites plantes qui y poussent, beauté de ce mince filet d'eau, coulant sous mes pieds, miroitant sous la lumière de ce soleil ardent qui me réchauffait la nuque.

Il n'y a que que je suis vraiment libre. Libre et heureux.


[jour précédent] [retour] [jour suivant]