9 octobre 2004

Je sais ce que je veux faire du reste de ma vie.

Un collègue m'a récemment aiguillé sur le site du ministère responsable de la gestion du territoire québécois. Deux fois par année, ce ministère met en disponibilité, par tirage au sort, des territoires du domaine public offert en location pour la villégiature. Chaque fois que je verrai parmi ces avis publics des terrains susceptibles de correspondre à mes désirs, je m'inscrirai à ces tirages au sort. Il est également possible, dans les régions "moins fréquentées" (il me reste encore à me renseigner pour savoir ce que le gouvernement entend par "moins fréquenté") de repérer soi-même un emplacement dans les terres publiques et de faire directement une demande de bail de villégiature pour cet emplacement.

Le gouvernement du Québec offre à ses employés la possibilité de se prévaloir d'un programme d'aménagement de temps de travail qui me permettrait, en théorie, de m'accumuler des jours de congé correspondant à une diminution de salaire, et ce, sans perte d'ancienneté et d'avantages sociaux. C'est ce que je vais faire.

Je vais reprendre l'horaire que j'avais à l'époque où j'étais employé occasionnel. C'est à dire que je vais partir en congé vers la fin du mois de juin et revenir après la fête du travail, début septembre. Je serai donc en congé tout l'été, tous les étés, jusqu'à la fin de ma carrière.

Je vis seul. Je n'ai ni conjointe, ni enfants. Pas de famille. La seule personne dont j'ai à m'occuper, c'est moi. Et je vais bien m'en occuper. Voilà des années que j'attend. J'ai peut-être dépassé la moitié de ma vie, et j'attend encore que "quelque chose" se passe. Il ne se "passera" rien. Les seules choses qui "arriveront" dans ma vie, ce seront celles que je ferai arriver.

À partir de maintenant, et jusqu'à la fin de mes jours, j'aurai tous mes étés de libres. Ces étés qui sont les seules périodes de l'année où je peux vraiment vivre de toute façon. Et je profiterai de ces étés pour faire tout ce que j'ai envie de faire depuis si longtemps. Je ferai des voyages. Je passerai aussi beaucoup de temps à parcourir les coins les plus reculés de la province pour trouver cet endroit idéal, ce petit coin de paradis, perdu en pleine forêt, loin de tout, et surtout de la civilisation, où je me construirai un petit camp rustique. Quelque chose de simple. Une seule pièce, avec toutes les commodités, et un bel environnement extérieur. J'ai besoin de peu pour être comblé sur le plan matériel.

Ma maison sera terminée de payer avant que je prenne ma retraite. Mais quand je prendrai cette dernière, peu de temps après, je quitterai ma maison actuelle pour de bon. Je ne la vendrai pas cependant, je vais la louer, pour m'installer en permanence dans mon camp rustique. Mes revenus de location et de retraite seront plus que largement suffisants pour financer mes voyages et mon très bas niveau de vie. Avec un peu de chance, et si je m'occupe bien de mes affaires, je n'aurai à remettre le nez dans la civilisation qu'une seule fois par année, pour mettre régulièrement mes choses en ordre.

Le reste du temps, ce sera la paix, la tranquillité, la nature sauvage, le silence. La caresse du soleil, la douceur de la brise, l'atmosphère mystique du chant des grillons, des huards et des hiboux, la douce musique du clapotis d'un aviron qui fend l'onde, du bruissement des feuilles et des aiguilles séchés sous mes pas, la fraîcheur de la brume matinale, la pureté de la neige hivernale. Je serai enfin libre. Libre de notre société malade et névrosée. Libre de toutes ces conventions sociales irrationnelles et stupides qui n'ont aucun sens. Libre de cette pression qui, depuis toujours, cherche à me faire entrer dans un moule dans lequel je ne "fitte" tout simplement pas. Peut-être retrouverai-je alors ma joie de vivre. Peut-être redeviendrai-je finalement celui que je sais pouvoir être, celui que j'ai déjà été, ce gamin curieux et enjoué qui s'émerveille devant tout, qu'un rien amuse, qui aime tout et tout le monde. En tout cas, je serai sûrement un meilleur hôte pour les rares visiteurs que la vie voudra bien mettre sur mon chemin.

Et si le hasard met sur mon chemin une femme qui aura envie de partager cette vie idyllique avec moi, elle sera la bienvenue. Mais je n'attendrai pas après elle. Je n'attendrai plus après rien ni personne. J'ai déjà trop attendu pour vivre.


[jour précédent] [retour] [jour suivant]