30 septembre 2006

Je viens de passer la pire putain de salope de journée depuis des mois, voire des années.

Je suis parti ce matin à l'aventure, pour aller examiner quelques terrains qui me semblaient prometteurs. Jusque là, tout va bien. Quelques minutes seulement après avoir pris la route, je commence à ressentir un de ces putain de maux de tête dont moi seul ai le secret. Je l'ai trainé tout le long des quatre heures qu'on duré mon voyage.

Arrivé chez moi, j'ai à peine le temps d'avaler deux Advil que le téléphone sonne. Je répond: C'est mon frère.

Mise en contexte: Mon frère et moi ne nous voyons pratiquement jamais. Nous ne nous appelons jamais. Il a sa vie, j'ai la mienne, et les seules fois où nous nous rencontrons et échangeons un peu sont quand nous visitons nos parents en même temps.

Donc, mon frère m'appelle, et je devine immédiatement que c'est parce que quelque chose ne va pas avec quelqu'un de la famille, fort probablement l'un ou l'autre de nos parents.

En effet, c'est ma mère. Elle est entrée à l'hôpital en ambulance dans l'avant-midi. Mon frère ne peut pas m'en dire beaucoup, elle était encore en salle d'examen lorsqu'il est retourné chez lui, et à ce moment là ils ne savaient toujours pas ce qu'elle avait. Il me donne le nom de l'hôpital où elle se trouve.

Je prend donc une douche rapide et reprend la route. J'arrive à l'hôpital. Ils n'ont pas le nom de ma mère dans leur ordinateur. Alors j'allume: "C'est bien l'hôpital X ici ?". "Non, ici, c'est l'hôpital Y". Merde de merde, je le savais, je les confond toujours ces deux là !

Seulement après avoir pris la route, je réalise que l'hôpital Y est au centre ville, je ne sais absolument pas où, je n'y suis jamais allé de ma vie et ne l'ai même jamais vu, et je n'ai qu'une très vague idée de comment m'y rendre. Mais bon, je suis débrouillard, il y a sûrement des panneaux pour indiquer la route à suivre. Ça ne devrait pas être si difficile que ça de le retrouver, non ?

Erreur.

Une heure. UNE PUTAIN DE SALETÉ D'HEURE à errer dans les rues infernales et congestionnées du centre ville, à tourner en rond, à attendre au feux de circulation, à essayer d'éviter la masse grouillante de vermine bipède qui se jette devant ma voiture sans regarder, à éviter les voitures, les vélos, les sens uniques, les autres voitures, autobus et taxis qui sortent de partout tout en essayant de ne pas manquer les noms de rues dont la moitié sont manquant et l'autre moitié illisibles, tout cela en me morfondant et en m'inquiétant à propos de ma mère. Jamais je n'ai autant pesté, ragé, juré contre les abominations urbaines qu'on appelle les villes. Jamais je n'avais autant pris conscience de la haine profonde et viscérale que je leur voue.

Ne voyant pas d'issue à cette situation démente, j'ai pilé sur mon orgueil de mâle et demandé mon chemin au plus grand nombre de passants possibles, sans succès. Je tombais soi sur des gens qui m'ignoraient complètement, soi sur des touristes qui ne savaient même pas de quoi je parlais, soi sur des gens qui voulaient bien faire mais qui n'en savait apparemment pas plus que moi et dont les indications incohérentes ne m'étaient d'aucune utilité. J'ai même voulu demander à un chauffeur de taxi un moment donné. S'il y en a qui peuvent m'indiquer le chemin, ce sera bien eux ! Et bien à peine avais-je immobilisé ma voiture à côté d'un véhicule taxi stationné devant un hôtel et commencé à gesticuler pour attirer son attention, qu'un espèce de malade hystérique commence à me klaxonner comme un débile parce que je bloquais la route.

En désespoir de cause, fou de rage, ne sachant plus que faire, imaginez-vous que je n'ai eu d'autre choix que de sortir de la ville, retourner chez moi, prendre ma carte routière de la ville et l'annuaire téléphonique pour trouver ce putain d'hôpital, puis redescendre en ville et errer encore dans les rues pendant un bon quinze minutes avant de finalement réussir à atteindre ma destination. Temps total entre le téléphone de mon frère et mon arrivé à l'hôpital: Trois heures. TROIS PUTAINS D'HEURES ! BORDEL DE MERDE !

Mon père était encore là. Ma mère était très faible et pâle, mais encore capable de parler, et les deux m'ont donné un peu plus de détails. Il semblerait que la détérioration progressive de sa santé ne date pas d'hier. Elle remonte à plusieurs semaines en fait. Ça avait déjà commencé il y a deux fins de semaines quand je suis allé rendre visite à mes parents, mais je n'ai rien remarqué de spécial. Mon père non plus d'ailleurs, bien qu'il vive avec elle 24 heures sur 24 et qu'il la connait depuis plus de 50 ans. Vous devez comprendre que ma mère est très habile dans l'art de masquer ses problèmes de santé. Vous savez, elle est de cette génération de femmes qui avaient été conditionnées à croire que leur seule rôle était d'être au service de leur famille, et à ne jamais se plaindre.

Mais les choses que j'ai apprises m'ont quelque peu rassuré. Tous les examens qu'elle avait passé à date ne révélaient absolument rien d'anormal. Coeur, système cérébro-vasculaire, température, pression sanguine, taux d'oxygène, de potassium et de glucose sanguin, etc. Tout était normal. Mais vous devez savoir que ma mère souffre depuis plusieurs années d'arthrite rhumatoïde, une des plus cruelles et débilitantes maladie qui existe. Récemment, elle avait commencé un nouveau traitement à base d'injections bi-hebdomadaires pour remplacer les traditionnels anti-inflammatoires oraux dont les effets secondaires commençaient à la faire de plus en plus souffrir. Étrangement, ses problèmes de santé ont commencé peu de temps après le début de ce traitement. Faut pas être un génie pour faire le rapprochement. Je sais, je sais, je ne suis pas médecin. Cependant, le médecin qui a examiné son cas à l'urgence semble plutôt d'accord avec moi, puisqu'il a immédiatement fait suspendre ses traitements jusqu'à ce qu'il en sache davantage.

Plus tard, j'ai raccompagné mon père chez lui, en essayant de le rassurer quant à la santé de ma mère, et lui ai fait promettre de me garder au courant. Sur la route, nous avons quand même essayé de parler de choses et d'autres. Entre autre je lui ai expliqué les raisons de mon retard (chose que je n'aurais pas fait devant ma mère parce qu'elle se serait sentie coupable et responsable de mes mésaventures) et il m'a avoué que lui aussi commençait à trouver la vie urbaine plutôt démente.

Vous auriez dû me voir cet après-midi. Juste voir la ville s'approcher alors que je roulais sur l'autoroute et j'en avais déjà presque la nausée. Et ça, c'est avant d'y avoir pesté et ragé pendant des heures. Et dire qu'il y a déjà eu une époque, à mon adolescence, où je trouvais ça beau. Maintenant, toutes les réalisations humaines ne m'inspirent plus que dégoût et répulsion. Vous voyez ? Même des viaducs construits il y a à peine quarante ans s'effondrent, comme si on était dans un pays du tier-monde, alors qu'en Turquie, un pont-arche en pierre construit il y a plus de deux milles ans par les romains pour supporter le poids des charrettes supporte aujourd'hui parfaitement le poids du trafic automobile d'une autoroute à deux voies. C'est ça le progrès ? C'est ça les merveilles que nous ont apportées notre science et notre merveilleuse technologie ? Laissez-moi rire.


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