4 novembre 2007

En sortant dans la cour tout à l'heure, j'ai immédiatement entendu une grosse chose courir dans les feuilles mortes en direction du lac. N'ayant pas ma lampe frontale avec moi, j'ai été incapable de voir de quoi il s'agissait. Je me suis dépêché à aller chercher ma lampe mais à mon retour la "chose" avait disparu. J'ai tout de suite pensé au castor, bien sûr. Mais en allant sur le bord du lac je n'en ai vu aucune trace, ni aucun son de nage ou de claquement de queue dans l'eau. S'il s'agissait bien d'un castor, il commence à être extrêmement audacieux car quand je l'ai entendu détaler, je suis sûr que le son provenait de la lisière d'arbustes séparant mon terrain de celui du voisin, mais plus près de la maison que du lac.

À bien y penser, il serait très improbable qu'un castor se soit aventuré si loin sur mon terrain. C'était plus probablement une bébête de taille similaire, soit un raton laveur ou une mouffette.


Il y a un film qui joue en salle ces temps-ci. Ce film s'appelle Into The Wild (Vers l'inconnu) et raconte l'histoire vécue de Christopher McCandless, un jeune diplômé d'université, qui décide après sa graduation de rejeter la société bourgeoise dont il est issu et de partir à l'aventure en autostop pour vivre toutes sortes d'aventures et faire diverses rencontres. Il finit par s'installer dans un autobus abandonné dans un coin reculé de l'Alaska, où il meurt de faim quelques mois plus tard.

Grosse production hollywoodienne, gros budget, gros noms comme producteur et réalisateur. Tout ça pour raconter l'histoire d'un pauvre mec qui est mort avant même d'avoir atteint la trentaine, avec pour seule et unique cause sa propre stupidité.

Oui, je sais, vous allez me trouver dur, vous allez me dire que je ne retire pas le message essentiel de ce film: le rejet du matérialisme, la quête intérieure, la recherche de valeurs humaines plus justes, plus saines, plus proches de la nature, le véritable sens de la vie quoi.

Je sais tout ça. Mais en fin de compte, la réalité est que ce film glorifie l'ignorance, l'impulsivité imprudente, la dilapidation de ce bien si précieux qu'est la vie. Bref, il glorifie la stupidité. Et ça me fait chier.

Chaque fois que je fais mention de mon projet de vie, il y a toujours un smartass quelque part qui me donne en exemple des gars comme Christopher McCandless ou Timothy Treadwell et qui me dit que je vais finir comme eux. C'est sûr que si des histoires de ce genre sont les seuls exemples suffisamment médiatisés pour que le commun des mortels puisse y avoir accès, je comprend que le monde trouvent mes projets dangereux et irresponsables.

Et c'est de là que vient le problème. De toutes les personnes de mon entourage, d'aucun n'avait jamais entendu parler de Dick Proenneke. Il a pourtant bien vécu seul dans la nature sauvage de l'Alaska pendant trente années, jusqu'à l'âge vénérable de 82 ans. Il y a quelques années j'avais également vu une production de National Geographic qui racontait l'histoire de trois familles, deux couples avec enfants et un sans enfants, qui vivaient eux aussi une vie très similaire, au fin fond de l'Alaska, et qui s'en tiraient fort bien. Encore une fois personne de mon entourage n'a jamais entendu parler d'eux.

Qu'est-ce qui fait la différence entre des hommes comme Christopher McCandless et Dick Proenneke ? À première vue, on pourrait dire que le premier était jeune, impulsif, irréfléchi. Mais ce n'est pas ce qui a ultimement causé sa perte. Ce qui a causé sa perte, c'est son manque d'humilité. Humilité face à la Terre, aux forces de la nature bien sûr, mais surtout humilité face à sa propre ignorance. Il a été victime de sa propre arrogance, de ce qui était non pas une saine confiance en ses capacités, mais une inconscience aveugle de ses limites. Il est mort de faim, en plein milieu d'une nature pleine de ressources, de plantes comestibles, de fruits sauvages, de rivières poissonneuses.

Il est mort stupidement, dans la fleur de l'âge, lui qui, pourtant, mordait tant dans la vie.

Au contraire, Dick Proenneke est toujours demeuré humble. Humble face à la création, humble face à lui-même, à ses limites, à son ignorance. Mais terriblement confiant en ses talents et, surtout, en sa capacité d'apprendre. Car l'homme qui ne sait pas, ou qui n'a pas l'humilité d'admettre, qu'il ne sait rien ne cherchera pas à apprendre et restera toujours ignorant. Lorsque Proenneke est arrivé en Alaska, il n'y est pas arrivé sûr de lui, arrogant, inconscient. Comme il le dit très bien dans ses journaux, il y est arrivé avec l'intention de se mettre à l'épreuve, d'apprendre, de tester ses capacités, de tenter de combler une ignorance dont il avait parfaitement conscience mais dont il ignorait encore les limites.

Ce sont des gens comme lui que l'on devrait glorifier. Pas des petits cons irresponsables que la sélection naturelle a tôt fait d'éliminer.

"I have thought briefly about getting caught in rock slides or falling from a rock face. If that happened, I would probably perish on the mountain in much the same way as many of the big animals do. I would be long gone before anyone found me. When the time comes for a man to look his maker in the eye, where better than the wilderness?"

- Dick Proenneke, One Man's Wilderness: An Alaskan Odyssey


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