11 août 2008

La collègue avec qui je m'entend si bien et moi avons fait une autre belle randonnée ensemble dimanche dernier. Il pleuvait à boire debout, mais elle voulait tester son habit de pluie et ses bottes imperméables toutes neuves, alors l'occasion était idéale. De plus, c'était amusant de marcher dans les sentiers boueux. Ça me rappelait mon enfance.

Comme d'habitude, nous avons parlé de mille choses. Nos conversations semblent toujours intarissables, peu importe le temps que nous passons ensemble. Mais même lorsque le silence s'installe entre nous, il n'est ni lourd, ni inconfortable. Il semble tout aussi à sa place que nos nombreux échanges.

C'est tellement reposant de vivre une relation si simple, si fluide, si dépourvue de toute friction.

Il y a un de nos sujets de conversation en particulier dont je veux vous entretenir ce soir.

Elle m'a parlé de quelqu'un dans sa famille qui est une amérindienne pure laine. Une Innue de Mashteuiatsh. C'est une vieille femme aujourd'hui. Elle n'a jamais parlé sa langue d'origine, et n'a jamais de toute sa vie été exposée à quelque partie de sa culture que ce soit. C'est un choix que ses parents, eux aussi Innus pure laine, ont fait.

Pourquoi ? Le racisme était si fort, la discrimination contre les autochtones si intense, que pour donner à leur fille la meilleure chance de réussir dans la vie et de mener une existence heureuse, ses parents ont fait le choix d'oblitérer de sa vie la moindre trace de leur héritage autochtone.

Et ils ne sont pas les seuls à avoir agit ainsi. Je trouve infiniment triste et profondément révoltant que des gens en ait été réduit à faire un choix de ce genre. Mais je peux les comprendre par contre. Durant leur dix mille années en sol nord américain, les différentes nations autochtones ont accumulé un bagage incommensurable d'expériences et de connaissances du milieu naturel. Ces tribus pouvaient organiser de grandes expéditions de plusieurs semaines, hiver comme été, en ne transportant avec eux qu'un minimum de nourriture, car ils savaient depuis leur plus tendre enfance où et comment la trouver le long de leur route. Ils savaient comment l'apprêter, la conserver. Ils savaient comment se construire des abris temporaires avec les matériaux qui les entouraient, comment faire un feu dans les pires conditions météorologiques. Sans posséder tout notre savoir contemporain sur les cycles naturels et l'écologie, ils possédaient déjà une culture intrinsèquement écologiste, pour la simple raison que ceux qui s'en étaient écartés avaient péris il y a bien des générations. Leur culture, qui variait quand même beaucoup d'une nation à l'autre, possédait néanmoins un dénominateur commun: L'homme n'occupait dans la nature aucune place privilégiée. Il n'était pas mieux, ni pire, que toute autre créature de la nature, telle le loup, le renard, l'ours ou le corbeau. À leurs yeux, ils étaient tous frères et soeurs, et la terre nourricière était leur mère à tous. Pour cette raison, il la traitait avec le plus grand des respects.

Toutes ces croyances culturelles étaient profondément ancrées en eux de par leur religion, ce qui rendait excessivement improbable la possibilité de s'en écarter. Ils étaient donc ainsi, comme la faune qui les entourait, parfaitement adaptés à leur milieu, et tout à fait équipés pour y prospérer au moins une autre dizaine de millénaire.

Puis, les européens sont arrivés.

La pire chose que ceux-ci ont pu faire aux amérindiens, ce n'est pas d'avoir changer le rapport de force entre les nations, où d'avoir fondamentalement transformé leur mode de vie en démarrant la traite des fourrures, ou d'avoir introduit des fléaux comme les armes à feu, les maladies ou l'alcool. Ce n'est même pas de les avoir progressivement dépossédés des territoires qu'ils occupaient, pour finir par les parquer dans des réserves.

Non. La pire chose que les nouveaux arrivants ont apporté aux peuplades autochtones d'Amérique du nord, c'est l'évangélisation.

Ils ont signé leur arrêt de mort en effaçant cette culture et cette religion qui était le plus puissant outil qu'ils possédaient pour assurer leur prospérité et leur survie à long terme, et en la remplaçant par cette religion anthropocentrique qui s'est révélée la plus envahissante et la plus destructrice de toute l'histoire de l'humanité. Plus de souffrance, de destruction, de mort, de guerre et de génocides ont été commis au nom de cette religion que de n'importe quelle autre dans toute l'histoire de l'humanité. Et le pire, c'est que les autochtones ont accueillis à bras ouvert ce cadeau empoisonné, séduits par ses promesses de partage, de charité, d'égalité, de justice, de pardon et de rédemption.

Maintenant, les amérindiens ne sont plus que l'ombre de ce qu'étaient leurs ancêtres. Détruits par des siècles d'alcool, de bien-être social et de christianisme, ils sont aussi pathétiques que leur envahisseurs européens. Comme eux, ils consomment à outrance, polluent leur environnement, empoisonnent l'eau qu'ils boivent et l'air qu'ils respirent. Le camp de chasse typique d'un amérindien n'est plus très différent de celui d'un blanc; un shack entouré d'immondices et de déchets de toutes sortes. Ils n'ont plus aucun respect pour leur semblables, pour leurs proies, ou pour leur mère la terre. Leurs ancêtres mourraient d'une syncope en voyant ce qu'ils font de notre monde maintenant.

Il ne serait pas exagéré de dire que 90% du savoir ancestral de ces nations est aujourd'hui perdu à jamais. Toute cette richesse, éradiquée. Il existe bien une pognée d'entre eux qui, avec l'aide de plusieurs blancs aussi sensibilisés à ce drame, essaient tant bien que mal de non seulement préserver le peu de leur culture qui leur reste, mais de raviver la flamme et l'intérêt des nouvelles générations, autant blanches qu'autochtones, pour cette culture. En cette époque d'éveil et de sensibilisation à la préservation de l'environnement et à l'utilisation rationnelle des ressources naturelles, le côté intrinsèquement écologiste de la plupart de ces cultures ne peut qu'aider en ce sens. Certaines nations, comme les Cris ou les Inuits, possèdent maintenant un langage écrit leur permettant d'immortaliser une grande partie de leur savoir et traditions ancestrales. L'apparition, ces dernières décennies, d'outils d'enregistrement audio-visuel ont permis d'immortaliser leurs chants et leurs danses, et les médias permettent maintenant de diffuser et de faire connaître ce qui reste de leur culture à toute la planète.

Mais tout cela est bien peu, et arrive bien tard. Et quoi qu'on en dise, la perception générale des autochtones au sein du reste de la population est quand même très négative. Malheureusement, les autochtones eux-mêmes, du moins certains d'entre eux, en sont partiellement responsables. Au fil des décennies, plusieurs d'entre eux ont exploité, et exploitent encore, les injustices dont ils ont été victimes et la sympathie à leur endroit de groupes internationaux de défense des droits de l'homme pour s'approprier des privilèges et des passes droit que beaucoup considèrent comme déraisonnables, voire carrément injustes. Les autochtones, après tout, sont des humains aussi.

Ainsi, ils sont perçus comme une classe de privilégiés par une certaine partie de la population. Et des frictions inévitables s'en suivent. Les blancs d'aujourd'hui ne sont pas responsables des erreurs et des atrocités commises par leurs ancêtres, et on peut comprendre qu'ils ne veulent pas en payer le prix. Beaucoup d'amérindiens, par contre, payent encore aujourd'hui le prix des injustices commises à l'endroit de leurs ancêtres, et demandent légitimement réparation.

Mais les coupables sont morts. Que faire alors ?

Non seulement n'y a-t-il pas de solution simple à ce problème, mais il n'y a pas de solution du tout. Il s'agit d'un de ces nombreux problèmes humains, inhérents à notre nature fondamentalement déficiente, et pour lesquels il n'y a aucune solution, aucun correctif possible, ce qu'un trop grand nombre de gens se refusent à admettre. Toute tentative est imparfaite et ne fait qu'engendrer d'autres injustices qui propagent frustration, colère et ressentiment aux générations suivantes.

On ne peut que tirer un trait sur le passé, en essayant de ne pas répéter les mêmes erreurs dans l'avenir.

Ce qui, bien sûr, est utopique.


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