1 octobre 2008

Je viens juste de finir d'écouter un court documentaire sur le réseau PBS, un documentaire à propos d'une jeune femme appelée Gwen Roland. Ayant obtenue son diplôme universitaire en journalisme en 1972 à l'âge de 24 ans, elle fit quelque chose de totalement hors normes. Après une visite dans le bayou de la Louisiane et une rencontre avec un jeune homme appelé Calvin Voisin, elle choisit de laisser la civilisation, et sa carrière prometteuse, derrière elle. Ensemble, le couple se construisirent de leurs propres mains une petite maison sur une vieille barge flottante qu'ils avaient acquis pour une bouchée de pain. Ils l'arrimèrent en permanence sur la rive, s'aménagèrent un jardin potager, et vécurent plusieurs années ainsi, vivant des fruits de leur jardin, de la pêche et de la viande que leur offrait les chasseurs des environs en échange de différents services.

Ils firent la rencontre d'un jeune photographe ambitieux qui venait d'obtenir de la revue National Geographic le mandat de réaliser un reportage photo sur la région qu'ils habitaient. C'est après la publication de ce reportage, et de leur histoire, dans cette prestigieuse revue qu'ils acquirent une certaine notoriété à l'époque.

Un jour, un imprévu obligea Gwen et Calvin à se prendre chacun un emploi pour renflouer les finances du couple. Gwen trouva une position sur un bateau touristique, sur lequel elle fit la rencontre d'un homme dont elle tomba éperdument amoureuse. Ainsi prit fin la belle histoire d'amour du jeune couple de hippies ayant laissé la civilisation derrière eux pour vivre d'amour et d'eau fraîche.

Gwen réintégra éventuellement la civilisation, commença une carrière d'écrivaine et épousa sa nouvelle flamme. Aujourd'hui, trente ans plus tard, le couple est toujours ensemble. Ils vivent sur une petite ferme quelque part dans le sud des États-Unis.

Plus près de nous, ici au Québec, plus particulièrement dans la région du Saguenay, vit une femme appelée Chantal Poissant. Technicienne de laboratoire de formation, elle vit maintenant en ermite sur une terre qu'elle a achetée avec ses économies. Elle habite, hivers comme été, dans une sorte de hutte qu'elle a construite de ses mains. Elle fait pousser sa nourriture, fabrique ses vêtements, va chaque jour puiser, dans le petit ruisseau qui coule sur sa terre, l'eau dont elle aura besoin. Elle transporte tout ce dont elle a besoin sur le dos d'un de ses deux lamas, qui lui fournissent lait et laine. Seule technologie dans son environnement: un petit panneau solaire sur sa hutte qu'elle utilise pour charger son téléphone cellulaire. Ses revenus annuels ne dépassent jamais mille dollars par année. Selon elle, non seulement cette somme lui suffit-elle amplement, mais elle trouve même moyen de faire quelques dons à des oeuvres de charité.

Si ce chiffre de mille dollars vous laisse sceptique, dites-vous bien qu'il s'agit là d'un revenu comparable à celui de la moitié de la population de la terre.

En 1982, un homme appelé Claude Arbour s'installa dans un chalet familial, sur les berges du lac Villiers dans Lanaudière, avec l'intention d'y passer le reste de ses jours à vivre une vie frugale, de chasse, de pêche et de contemplation de la nature. Très vite, il s'intéressa à un oiseau appelé le balbuzard, plus particulièrement à son déclin progressif dans la région. Ornithologue amateur, il comprit très vite les causes de ce déclin: la perte des sites de nidification due aux coupes forestières qui font disparaître les grands arbres morts et dénudés sur lesquels les balbuzards préfèrent construire leurs nids. Il se mit donc en tête de créer dans la région des plate-formes de nidification artificielles. Pour obtenir le minimum de financement dont il avait besoin pour maintenir cette activité année après année, il créa la Fondation Naturaliste du lac Villiers. Il recevait à l'occasion chez lui certains contributeurs à sa fondation. L'une d'elles, Danielle Asselin, infirmière de formation et elle aussi ornithologue à ses heures, revenait le visiter plus régulièrement que les autres.

Ils eurent deux enfants, deux jeunes garçons qui grandirent avec eux à temps plein dans leur petit chalet du lac Villiers qu'ils agrandirent et réaménagèrent pour accommoder leur petite famille. Durant toutes ces années, Danielle leur fit l'école à domicile. Lorsqu'ils eurent respectivement 11 et 13 ans, leurs parents décidèrent qu'il était temps pour eux d'entreprendre leur secondaire dans une école régulière avec d'autres enfants de leur âge. Ils avaient le droit de connaître autre chose que ce qu'ils avaient toujours vécu, de choisir le genre de vie qu'ils désiraient vivre. L'été, la petite famille se retrouvaient à nouveau tous réunis à leur petite maison dans les bois, où ils continuaient à faire le suivit des populations de balbuzards tout en s'occupant des oiseaux blessés que leur apportaient à l'occasion les autres gens du coin.

Claude Arbour est décédé cet été, à l'âge de 53 ans, de ce qui semble être un cancer. Il avait déjà mis fin aux activités de sa fondation il y a deux ans. Il laisse dans le deuil sa conjointe et leurs deux enfants.

Les trois exemples dont je viens de parler sont des gens qui ont choisi un mode de vie semblable à celui que je m'apprête à vivre. Même s'il est possible aujourd'hui de trouver certaines informations à leur sujet grâce au fait qu'ils aient acquis une certaine notoriété, de par leurs oeuvres ou simplement par le fruit du hasard, ces informations ne sont quand même pas abondantes. Pour chaque personne de ce genre, il en existe peut-être dix, cent, mille autres dont personnes n'entendra jamais parler. Mon choix de vie peut paraître inhabituel pour le commun des mortels, mais il est loin d'être rare. Je suis persuadé qu'au Québec seulement, des dizaines de milliers de gens vivent ainsi, seuls, en couples ou en famille, loin de la civilisation et sous le radar de celle-ci. Ces gens ne sont pas tous fous, cinglés, antisociaux ou misanthropes. Je suis sûr que nombre d'entre eux possèdent une connaissance approfondie du milieu naturel, connaissance qui, à leur yeux, ne représentent sans doute rien d'inhabituel, et ce, même si certains citoyens de notre société urbaine passent des années sur les bancs d'école pour obtenir des diplômes dans ces mêmes domaines de connaissance.

J'aurais moi-même beaucoup eu à apprendre de ces gens qui vivent un mode de vie alternatif. Nous avons tous beaucoup à apprendre d'eux. Malheureusement, peu d'entre nous ont été enclins à aller à leur devant, puisque notre belle civilisation nous les a presque toujours présenté comme des paresseux, des parasites, des rejets de la société ou des gens souffrant de troubles mentaux, bref, comme des "pauvres types" qui se sont égarés quelque part et qui ont besoin de notre "aide" pour retrouver la "voie", ou alors comme des gens dont il faut se tenir le plus loin possible pour ne pas qu'ils nous "contaminent".

Regardez la société dans laquelle vous vivez. Regardez la bien comme il faut. Béton. Asphalte. Usines polluantes qui empoisonnent notre air, notre eau et notre nourriture. Économie non seulement fondée, mais totalement dépendante, d'une consommation excessive de produits dont la majorité sont non seulement complètement inutiles, mais dommageables. Automobiles qui bloquent nos routes deux fois par jours, et dans la plupart desquelles il n'y a qu'un seul passager. Belles pelouses vertes et uniformes dont on ne fait rien. Machines pour marcher, courir, et faire du vélo sur place. Villes qui monopolisent tant de ressources qu'elles commandent la dilapidation de celles des milieux non urbains.

Comme le disait un vieil indien Cri, en regardant avec découragement les restes d'une coupe forestière totale: "La ville des blancs finira par nous emporter. Puis elle les emportera eux-mêmes".


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