3 octobre 2008

Je n'ai pas une nouvelle très réjouissante ce soir. Depuis mercredi soir, il semblerait que je sois en train de retomber dans ce qui s'apparente fort à une autre dépression, ou à tout le moins une sévère crise d'angoisse.

Je n'écris pas cela en m'attendant à ce que vous compreniez, ou pour m'attirer une quelconque sympathie. Pour que vous compreniez, il faudrait que je trouve un moyen d'écrire les choses de façon à vous faire ressentir ce que je ressens, et ça, je ne le souhaite pas à personne. Mais il est important pour moi de coucher tout cela par écrit et de noter le plus d'information possible. D'abord soyons clair: cela n'est pas aussi fort, aussi souffrant, ou aussi constant que les deux précédentes. Pour utiliser une comparaison dont je me suis déjà servi, je n'ai pas la tête complètement submergée sous l'eau; je serais plutôt tout juste à la surface, tantôt capable de respirer, tantôt submergé par les vagues.

Les premiers symptômes sont apparus au début de la semaine. Ils n'étaient pas psychologiques, mais plutôt physiques. Je sentais ce noeud dans la gorge, et occasionnellement ce serrement diffus dans la poitrine, comme à l'époque où je faisais des crises de paniques. Mais psychologiquement, je me sentais très bien, aussi bien que je me sens depuis plusieurs mois déjà. Puis, mercredi dans le courant de la journée, les symptômes physiques ont disparus. Soulagé, je n'y ai plus repensé et j'ai continué ma routine. Mais c'est mercredi dans la soirée que les choses ont commencé à dégénérer, et à mon grand désespoir, j'ai immédiatement reconnu cet état d'esprit, cette sensation de vide, de mur, de problème insoluble que je n'avais plus ressenti depuis huit ans.

Heureusement, ça semble différent cette fois. D'abord, comme je l'ai dit plus haut, ça va et ça vient. En ce moment par exemple, j'ai la tête froide, et je pourrais même me laisser convaincre que demain matin tout sera normal. Alors je profite de cette éclaircie pour écrire de la façon la plus objective, la plus informative possible.

D'abord, quand je suis dans cet état, il y a une chose, une seule chose, qui domine totalement et complètement ma pensée: la peur. Comme pour les dépressions précédentes, plus aucune pensée ne m'est agréable; je pense à des choses que j'aime, je me projette dans l'avenir, je pense aux choses dont je rêve habituellement, mais plus rien de cela ne me procure plus le moindre plaisir. Je plonge donc immédiatement dans l'angoisse; l'angoisse que plus jamais je ne ressentirai le moindre plaisir; l'angoisse que le reste de ma vie ne sera plus qu'une interminable suite de jours identiques à celui-ci, où je dépenserai une énergie incroyable juste pour me rendre du matin au soir.

Puis, quand je tombe dans une brève rémission, je n'ose plus rien faire, rien changer, dans mon activité actuelle, de peur que ce bien-être temporairement retrouvé disparaisse. Si je suis en train de regarder la télé, je n'ose pas changer de chaîne, même durant la pub. Je n'ose même pas me lever pour aller à la salle de bain. Tout à l'heure, je n'osais même pas me lever pour venir écrire ces lignes, craignant que le fait de me replonger dans les détails de ma souffrance allait raviver celle-ci.

Il y a quelque chose de différent cette fois, par rapport aux deux fois précédentes: comme je l'ai dit plus haut, l'intensité est non seulement moindre, mais j'ai en plus l'impression d'avoir non seulement une meilleure compréhension, mais un meilleur contrôle de mes processus mentaux. À plusieurs reprises ces deux derniers jours, j'ai réussi à déclencher une rémission en dirigeant mes pensées d'une façon précise.

Pourquoi cela m'arrive-t-il encore une fois, alors que tout semble aller si bien dans ma vie, alors que je semble finalement en contrôle de ma destinée, alors que j'ai la tête pleine de projets et que je semble finalement avoir trouvé ma place dans cette vie ?

Et bien ça n'a rien à voir avec tout ça. De plus en plus, avec mes expériences passées, je semble comprendre les mécanismes qui sous-tendent cette affection. La dépression est une névrose, et une névrose est un phénomène biochimique, purement et simplement. C'est un dérèglement de la chimie du cerveau. D'abord, il semble maintenant évident que j'ai une prédisposition à cela. Ensuite, j'ai vécu un très grand nombre de changements dans ma vie ces dernières semaines. Ces changements sont tous majeurs, et sont tous arrivés à peu près en même temps: déménagement de Lola encore plus loin de moi, fin de mon emploi, fin d'un mode de vie, rénovations de la maison, disparition du jour au lendemain de ma vie sociale. Et plus récemment ces derniers jours: réception de mon tout dernier chèque de paie, peur grandissante de voir la collègue avec qui je m'entend si bien disparaître progressivement de ma vie, ennui chronique depuis que je ne travaille plus sur ma toiture, arrivée du froid, du mauvais temps et du véritable automne, deuxième anniversaire du décès de ma mère, etc.

Et, je dois bien l'admettre, tout cela a été précédé par des mois et des années de stress dû à mon emploi, à un négativisme chronique, une sorte de programmation mentale à voir avec cynisme tout ce qui m'entoure ou dont j'entend parler par les autres ou les infos, ce qui m'amenais invariablement à chialer ou à ressentir rage ou colère pratiquement tous les jours, jour après jour, depuis des années.

Mon expérience de mes deux dernières dépressions montre un pattern similaire. Cependant, à la différence de ce que je vis présentement, ces deux dépressions ont toujours eu un élément déclencheur bien précis. Pour la première, ce fut une grosse chicane avec Lola. Je me suis couché le soir, et dès que j'ai ouvert les yeux le lendemain, boum, j'étais en plein dedans. Pour la deuxième, ça a pris deux longues soirées à écouter Copine pleurer sur sa rupture récente avec son conjoint. Encore une fois, le déclenchement a été immédiat dès mon réveil au lendemain de la deuxième soirée.

Cette fois, la dépression est apparue de façon plus diffuse, moins instantanée, et comme je l'ai dit plus haut, moins intense. Et je ne peux pas vraiment identifier un évènement précis qui l'a déclenchée.

Cette fois, je me sens plus en contrôle, plus courageux, plus enclin à faire face, à affronter mes sensations négatives et mon angoisse. Je sais que ce que je ressens là ne correspond pas à la réalité, je sais que je ne resterai pas "pogné" comme ça. Je sais que, même si j'en ai envie en ce moment, je ne dois pas remettre en question tous mes choix, tous mes projets, ni les accuser de ce qui m'arrive.

C'est cependant une bonne leçon d'humilité. Je me plaisais à me croire fort, en contrôle, au dessus de mes affaires. Je me croyais maintenant à l'abris d'une rechute. Je me suis laissé aller, au fil des années, à retomber dans mes vieux patterns mentaux, qui malheureusement semblent être ma tendance naturelle, mais qui m'ont par le passé plongé dans cette détresse et cette souffrance que je ne souhaite à personne. Comme un ex-fumeur qui se croit capable d'en griller une seule, ou un ex-alcoolique qui se dit qu'un seul petit verre ne peut plus lui faire de mal.

Je ne sais pas combien de temps ça durera cette fois. Les deux premières dépressions ont duré plusieurs semaines chacune, des semaines qui nous paraissent une éternité quand on souffre, tout autant qu'on souffrirait d'une douleur physique, et qu'on doit endurer cette souffrance de façon quasi ininterrompue, du matin au soir (ce qui ne semble pas être le cas cette fois, heureusement). Mais je vais combattre cette dépression comme on combat toute névrose: en lui résistant, en refusant de céder aux angoisses, en me forçant à faire tout ce que je ferais si j'étais dans un état normal, même si je n'en retire aucun plaisir, en cernant mieux les processus mentaux qui me permettent de déclencher une rémission ou un amoindrissement de l'angoisse, en refusant de laisser les pensées noires envahir chaque moment de ma journée. Bref, en forçant mon cerveau à se rééquilibrer chimiquement. Puis, je devrai apprendre une bonne fois pour toute à laisser tomber mon attitude cynique, à ne plus me laisser atteindre par les choses que je déteste et auxquelles je suis exposé quotidiennement, ce qui m'expose également quotidiennement à de hauts niveaux de stress.

Ma vie va trop bien, et mon avenir s'annonce trop bien, pour que je me le laisse empoisonner de la sorte.


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