4 août 2009

Mon rythme cardiaque au repos est passé de 72 à 54, et ce en un peu plus de deux mois. Lors de notre dernière randonnée ensemble, j'ai senti la frustration de la part de la collègue avec qui je m'entend si bien, frustration d'être tout juste capable de me suivre dans les montées les plus abruptes, alors qu'elle s'entraine deux fois plus que moi, en randonnée pédestre et en vélo de montagne, et qu'elle est ma cadette de presque quinze ans. De mon côté, il va me falloir apprendre à ralentir mes ardeurs. Jamais de toute ma vie je n'ai considéré mes activités physiques comme une sorte de compétition. Mais on dirait que je me laisse emporter par cette forme retrouvée, griser par le sentiment de pouvoir de nouveau accomplir ce que j'avais fini par croire ne plus pouvoir accomplir, et ce pour le reste de ma vie.

Je dois me ressaisir, me recentrer, redécouvrir la vrai raison pour laquelle j'aime tant la randonnée pédestre. Et prendre pleine conscience de la chance et du plaisir que j'ai eu cet été à pouvoir partager cette activité avec une femme dont j'apprécie tant la compagnie.

La semaine dernière, une journée où j'étais seul, je me suis lancé dans une autre de ces escapades que je croyais ne plus jamais pouvoir vivre. Mes vieilles cartes topo ainsi que certaines autres informations glanées ça et là sur l'Internet me permettaient de croire qu'un vieux camp rustique abandonné (oui, un autre) devait encore se trouver sur les berges d'une petite rivière, affluent d'une plus grosse le long de laquelle se trouvait un vieux chemin forestier, mais sur la mauvaise rive. Il y a quelques semaines j'avais parcouru ce dit chemin jusqu'au bout, espérant y trouver un pont ou une passerelle indiqué sur mes cartes et qui me permettrait de traverser sur l'autre rive, à partir de laquelle une marche de quelques centaines de mètre à peine en plein bois me permettrait d'atteindre l'emplacement supposé de ce camp abandonné sur la berge de l'affluent.

Mais le pont n'existait plus. Seules ses fondations étaient encore visibles sur chaque rive, et la rivière elle-même était totalement intraversable, étant beaucoup trop large, profonde et tumultueuse.

Cependant, j'avais des raisons de croire qu'il y avait eu jadis aussi un chemin forestier sur l'autre rive de la rivière, mais que ce dernier était abandonné depuis des décennies, peut-être même un siècle ou plus. Donc, la semaine dernière, j'ai stationné ma voiture juste après le plus proche pont qui traversait cette rivière, et je me suis lancé en plein bois, longeant le cours d'eau, utilisant la technique classique de marcher en zig zag en augmentant ainsi mes chances de croiser par hasard des vestiges reconnaissables de cet ancien chemin, s'il en subsistait encore. Je les ai trouvés sous la forme de petits rubans de couleur accrochés sur certaines branches d'arbres, mais la plupart étant tombés au sol, à peine discernables à travers l'humus et les débris. Sur certaines sections, la piste était à peine reconnaissable, sur d'autres, elle disparaissait complètement. Il n'y avait pas vraiment de danger de se perdre, après tout, je n'avais qu'à suivre la rivière.

Je savais, pour l'avoir mesuré, que j'avais six kilomètres à parcourir, quelque chose que je savais pouvoir faire, même si je devais marcher en plein bois sans le moindre sentier à suivre. Mais je ne m'attendais pas à devoir parcourir ces six kilomètres en marchant 80% du temps soit dans un sol marécageux dans lequel je m'enfonçais régulièrement jusqu'aux genoux, soit à travers des bosquets impénétrables d'aulnes et de saules où j'avais même de la difficulté à trouver un point ferme où poser mon pied à chaque pas, soit à travers une forêt dense de jeunes conifères dont les branches horizontales me lacéraient la peau et menaçaient de me crever un oeil à tout instant, ou encore finalement sur un sol forestier relativement ferme et dépourvu d'obstacles et de débris, mais avec une pente latérale de quarante-cinq degrés ou plus.

Inutile de préciser que la progression fut particulièrement lente et pénible.

Au milieu de la journée, je n'avais aucune idée de la distance exacte que j'avais parcourue. j'arrivai en face d'un ruisseau de montagne, aisément traversable en quelques bonds, et non loin duquel, en théorie, j'aurais dû apercevoir mon objectif. Mais j'avais plusieurs ruisseaux de ce genre à traverser, et bien que je les avais comptés sur la carte, cet dernière est souvent très différente de la réalité, et je n'étais absolument pas certain d'être arrivé au bon ruisseau. Même du bord de la rivière et en scrutant attentivement l'autre rive, là où, théoriquement, j'aurais du apercevoir le camp, je ne distinguais rien de particulier. Après tout, ce camp pouvait fort bien n'être plus qu'une ruine, perdue au milieu des hautes herbes, et dont je n'aurais vraiment pu découvrir la présence qu'en m'enfargeant dans ses débris au moment de marcher exactement dessus.

J'étais plutôt déçu d'avoir apparemment fait tout ce trajet pour rien, et ne sachant pas exactement l'heure qu'il était ni à quel point précis je me trouvais, j'hésitais à m'enfoncer encore davantage dans le bois.

C'est alors que, en bougeant la tête, un éclair lumineux provenant d'un point sur l'autre rive situé un peu plus en amont de là où je me trouvais se faufila entre les branches et atteignit ma rétine. En bougeant de nouveau tout en étant très attentif, je réussis à nouveau à saisir cet éclair lumineux, et je sus alors exactement de quoi il s'agissait.

Plus de toute possible, ce que je voyais là était bel et bien le reflet du soleil sur une surface vitrée.

En une minute de marche vers l'amont j'étais maintenant à la hauteur du point sur l'autre rive d'où cet éclair de lumière m'était parvenu. Et justement, en face de moi, sur cette autre rive, se dressait un petit camp rustique, à moitié noyé dans les hautes herbes, qui semblait encore en relativement bon état. Dois-je le rappeler, le cours d'eau sur le bord duquel je me trouvais était un affluent de la rivière principale, beaucoup moins large et tumultueux que celle-ci. Il faisait peut-être une trentaine de mètres de large, mais était constitué à cet endroit d'un lit de pierres rondes peu profond et je n'eue aucune difficulté à le traverser à gué (l'eau ne m'a jamais monté plus haut qu'à mi-cuisse).

L'intérieur du camp n'était rien de particulièrement notable. Toutes ses fenêtres étaient intactes, son poêle à bois semblait opérationnel, et certaines denrées non périssables traînaient encore sur un comptoir de cuisine rudimentaire. Une sorte de journal de bord étaient rempli de commentaires de différents randonneurs et dataient de l'époque ou, apparemment, ce petit bâtiment servait de refuge de ski de longue randonnée. Un vieux journal jauni dont les pages avaient été grignotées par les souris était daté de février 2006, apparemment la dernière fois où ce refuge avait été visité.

Après le diner, je me suis lancé sur le chemin du retour, que je savais long et pénible. J'avais bien sûr à refaire à l'envers le chemin que je venais de parcourir. J'ai réussi à trouver des segments du vieux chemin forestier qui m'avaient éludés à l'aller, de sorte que dans l'ensemble, la progression fut un peu plus rapide. Mais à peine. Cependant, chaque fois que je sentais monter en moi la grogne et l'impatience, et que je me mettais à pester à voix haute contre ma lente progression et contre toutes ces branches, pierres, racines et trous de toutes sortes qui me meurtrissaient les pieds et les jambes, je me giflais intérieurement et me répétait: "Ta gueule Laqk, ta gueule ! Il y a quelques mois à peine, tu croyais ne plus jamais pouvoir vivre ce genre de chose pour le reste de ta vie !".

Heure de mon premier pas dans le sentier: 10h30. Heure de mon retour à ma voiture: 17h30. Sept heures pour parcourir un total d'un peu plus de douze kilomètre. En excluant la petite demi-heure que j'ai prise pour diner et explorer les alentours du refuge, ça fait une vitesse moyenne d'un peu plus de 2 km/h. Pathétique, mais beaucoup mieux que ce à quoi je me serais attendu dans de telles circonstances.

Le lendemain à mon réveil, j'ai ressenti quelque chose que je n'avais plus ressenti depuis des semaines: de la douleur dans les jambes !

C'est bon d'être en vie. :)


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