23 août 2009

Copine me demandait l'autre jour si j'avais réussi à bien dormir durant la canicule. La réponse était non, mais pas pour les raisons qu'on croirait. En fait, j'ai eu de la difficulté à m'endormir pendant quatre nuits consécutives. Une parce que mes voisins ont décidé de partir en vacance en pleine nuit (incessant bruit de claquement de portière, placotages de petites filles, etc), une autre car un crétin de mon quartier a décidé de faire sauter des feux d'artifice à une heure du matin, et finalement deux autres à cause d'autres crétins qui ont décidé de faire des partys extérieurs avec la musique à tue-tête jusqu'à des heures impossibles.

Crisse que je commence à en avoir marre de tout ça. Quand j'ai acheté cette maison, les seuls sons qui m'accompagnaient la nuit étaient les chants des grenouilles, des grillons ou des huards, occasionnellement ponctués par de discrètes conversations de fin de soirée de la part de certains voisins. Maintenant, durant la saison estivale, il ne se passe pratiquement pas une seule fin de semaine sans que je ne sois dérangé par des nuisances publiques quand vient le temps d'aller au lit. Je suis sûr que Lolita est plus tranquille que ça dans son petit appartement du plateau Mont-Royal, bordel.

En en plus, c'est maintenant confirmé: Je vais avoir des nouveaux voisins. Ils ont commencé à emménager aujourd'hui dans la maison abandonnée depuis bientôt quatre ans. C'est un couple milieu trentaine qui ont une petite fille de sept ans. Ils sont déjà de la municipalité et ne font que se rapprocher du lac. Nous avons brièvement fait connaissance cet après-midi alors qu'ils nettoyaient le terrain (qui n'a pas été entretenu pendant toutes ces années) et que je travaillais sur ma voiture (qui est tombée en panne hier à quelques kilomètres de chez moi et qui m'a obligée à faire le reste du chemin à pied).

Ça et ce dont j'ai parlé plus haut ne fait que confirmer qu'il faut que je parte d'ici.

Dans un autre ordre d'idée, j'ai fait la semaine dernière mon pèlerinage annuel au mont du lac des cygnes. Alors que je me faisais chier dans les feux de circulation et les travaux routiers, je me demandais si le plaisir que cette randonnée me procure habituellement en vaudrait vraiment la peine.

Il semblerait une fois de plus que la réponse était oui.

Je n'arrive tout simplement pas à trouver les mots pour exprimer la magnificence de ces paysages et le bien-être dont ils me remplissent. Même si ce sentier est une véritable autoroute les fins de semaine, en semaine il est un peu plus tranquille. Cette année, mon plaisir était amplifié par l'aisance avec laquelle je gravissais cette montagne, gracieuseté de ma superbe condition physique. C'est tellement agréable d'être si en forme qu'on peut gravir à un bon rythme une pente abrupte sans être continuellement distrait par l'effort physique dont on doit faire montre. On peut entièrement se concentrer sur la beauté de ce qui nous entoure sans penser à quoi que ce soit d'autre. Ma dernière randonnée sur ce sentier l'an dernier n'avait pas été agréable. J'étais préoccupé par ma condition physique à l'époque et un violent spasme cardiaque dû à un effort trop brutal et soudain pour la condition dans laquelle j'étais m'avait laissé inquiet durant toute la randonnée.

Mais cette fois c'était différent. En fait, c'était le jour et la nuit. Le ciel est resté couvert toute la journée mais ça n'avait aucun importance. Aucune brise ne soufflait, ce qui est plutôt rare sur ces hauts sommets, et quand on s'immobilisait on pouvait écouter le silence, le vrai, celui qui nous permet d'entendre dans nos oreilles le son du sang qui circule dans nos veines. Là, au milieu de ces paysages magnifiques, j'avais des flashback des monts Groulx. Arrivé au lac Pioui, je me suis assis sur un rocher pour encore une fois jouir du silence, et m'amuser à regarder de petits canards plongeurs, indifférents à ma présence.

Et c'est alors que j'ai réalisé que là, à cet instant précis, je jouissais pleinement de l'instant présent. Il n'y avait en moi que bien-être, et rien d'autre. Ces sentiments négatifs, cette impression de manque, ce regret de ne pas pouvoir partager ces instants magiques avec quelqu'un d'autre qui m'accompagnent toujours dans de tels instants, et ce depuis des années et des années, étaient complètement absents. J'étais totalement bien, tout simplement. Je savais que je pouvais me sentir ainsi, j'en avais le vague souvenir. Mais à cet instant, pour la première fois depuis une éternité, je pouvais enfin comprendre comment peuvent se sentir ces gens qui vivent pleinement et entièrement une passion dévorante.

Vous ne pouvez même pas commencer à imaginer le soulagement, la délivrance que je ressentais à ce moment. J'avais maintenant la certitude que je pouvais me sentir ainsi, que je ne suis pas condamné pour le reste de ma vie à composer avec ce goût de fiel, aussi léger soit-il, qui gâche toujours un peu les plus beaux moments que je peux vivre, que ma situation n'est pas sans espoir, qu'il est enfin possible pour moi de retirer autant sinon plus de plaisir à vivre qu'à imaginer la vie.

Je devais être là, assis sur ce rocher, depuis une quinzaine de minutes, quand un petit couple d'italiens, que j'avais entendu jacasser tout le long de leur descente dans le sentier qui mène au lac, sont arrivés. Je les ai simplement salués d'un sourire et d'un geste de la tête. Et eux aussi, sans que mot ne soit échangé, soudainement imprégnés par la magie de l'atmosphère qui englobait ce lieu, ce sont tus. Eux aussi sont resté ainsi, silencieux, immobiles, à se laisser imprégner par cette magie qui flottait dans l'air. Quand ils décidèrent de reprendre leur marche, ils n'osèrent pas se le confirmer l'un à l'autre par plus qu'un chuchotement à l'oreille. Des mots prononcés à voix haute auraient été un sacrilège.

Après un certain temps, j'ai finalement décidé moi aussi de reprendre le sentier. En dehors de la zone de préservation, je ne me privais pas pour me régaler de tous les petits fruits sauvages que je rencontrais sur mon chemin: quatre-temps, airelles vigne d'Ida, ces petits fruits blancs en forme d'ovale dont j'ignore le nom mais qui goûtent le salicylate de méthyle, et bien sûr, les délicieux et abondants bleuets.

À part les travaux routiers à Sainte-Anne-de-Beaupré et la succession démente de feux de circulation dont on ne vient pas à bout de voir la fin sur le boulevard Sainte-Anne, cette journée était parfaite. Absolument parfaite.

Quelque chose en moi s'améliore. Je ne saurais en dire la cause avec certitude. Peut-être est-ce l'effet combiné de plusieurs facteurs. Ma retraite, la chaleur, ma condition physique retrouvée, la présence régulière de la collègue avec qui je m'entend si bien cet été, et le fait que je passe tant de temps en forêt, qui est le seul milieu où je me sente vraiment bien et libre. Peut-être tous ces facteurs commencent-ils finalement à avoir un effet de contrebalancement sur ce malaise quasi perpétuel qui me pourris l'existence depuis plus longtemps que j'écris ce journal.

Justement, lorsque ma voiture est tombée en panne hier, je revenais d'une longue marche en forêt, où j'avais décidé de remonter une petite rivière de montagne, et ce par pur plaisir, sans chercher rien de particulier. Comme on pouvait s'y attendre, je suis tombé par hasard sur un vieux sentier qui longeait cette rivière. Étant abandonné depuis des lunes, certaines sections disparaissaient complètement, et je me retrouvais contraint de continuer en plein bois. C'est alors que j'ai réalisé à quel point j'étais de plus en plus agile, de plus en plus à l'aise à naviguer hors sentier en forêt. Sans même en avoir conscience, je progressais allègrement, enjambant débris, rochers, branches et racines, contournant les obstacles, m'ajustant à la pente du terrain. J'en suis presque rendu à progresser hors sentier aussi vite que si je marchais sur terrain plat et dégagé. De retour chez moi, en regardant sur mes cartes la distance que j'avais parcouru, j'ai été estomaqué de constater que j'avais tenu une vitesse moyenne de quatre km/h ! C'est à peine un km/h de moins que lorsque je marche sur une route.

Bon, c'est bien beau tout ça, mais il va falloir que je pense demain à faire remorquer ma voiture au garage le plus proche. J'ai regardé ce qui n'allait pas avec elle aujourd'hui, et bien que je sois quand même assez ferré en mécanique, je ne peux malheureusement pas me sortir un alternateur neuf du cul...


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