20 décembre 2010

Je pourrais vous dire que cette année, pour une rare fois, le lac a gelé exactement le même jour que la première neige a couvert le sol. Les oiseaux migrateurs qui la veille occupaient le lac par centaines étaient tous partis.

Je pourrais aussi vous parler des quelques randonnées en raquette que j'ai faites depuis que la neige est tombée. Les sommets des montagnes ressemblaient à des dômes d'une blancheur uniforme sur lesquels ont distinguait à peine la silhouette des arbres, et lorsque j'y montais, je réalisais que la vue dans le sous bois était tout aussi bloquée qu'en été. Sauf que ce n'était pas les feuilles, mais bien la neige dont les branches étaient chargées qui en était responsable.

Et je pourrais encore vous parler de ces petites araignées que je trouve quelque fois sur la neige, presque immobiles tant elles bougent lentement, probablement tombées des branches qui surplombent le sentier; ou de ces fougères qui, ça et là, pointent encore de la neige, toujours aussi vertes qu'elles l'étaient cet été; ou de ces pistes d'animaux, écureuils, lièvres, rongeurs, renards, que je croise au fil de mes randonnées, et de ces perdrix que je fais fuir par mon approche, toujours aussi abondantes que cet été, mais cette fois perchées dans les arbres au lieu de se retrouver au sol comme durant la saison chaude.

Finalement, je pourrais vous parler de ce petit renard roux que j'ai vu traverser ma cour en trottant nonchalamment, à ma grande surprise, laissant ses pistes dans la mince couche de neige fraiche qui était tombée dans la nuit pour recouvrir la glace formée par les pluies abondantes suivies par le gel des jours qui avaient précédés.

Mais tout cela ne vous intéresse pas vraiment.

Alors j'aurais un tas d'autres choses à vous dire; des commentaires face aux nouvelles du jour, ou le fruit de mes réflexions quotidiennes. Pratiquement pas une journée ne passe sans que j'aie envie de prendre mon clavier pour coucher mes pensées sur ces pages virtuelles.

Et pourtant, ces pages restent vides. Jour après jour. Semaine après semaine.

Car cela aussi, je le crains, ne vous intéresserait pas vraiment.

Ce journal n'est plus ce qu'il était. Et il ne le sera plus jamais, parce que moi-même je ne suis plus qui j'étais. Mon cheminement m'a finalement mené à la sortie de ce tunnel, de ce chemin tracé pour moi par les forces sociales et culturelles qui définissent notre société, et duquel je ne pouvais m'écarter, vivant chaque jour avec la sensation que je n'étais qu'un spectateur du film de ma vie dont le scénario et la mise en scène étaient écrits par d'autres.

C'est bien fini, tout ça. Jamais, de toute ma vie, ne me suis-je senti aussi bien dans ma peau, aussi libre, aussi authentique, que depuis que j'ai fais le choix de cesser d'être qui on voulait que je sois, de faire ce qu'on attendait de moi. Que depuis que j'ai réalisé, et accepté, que je suis une anomalie au sein d'une espèce profondément défectueuse, une espèce qui n'est rien de plus qu'une expérience parmi tant d'autre de l'évolution pour trouver une nouvelle forme sous laquelle la Vie pourrait continuer à faire ce qu'elle a toujours fait depuis la nuit des temps: se complexifier, et se répandre.

J'ai beaucoup réfléchi, ces derniers mois, à propos de cette démarche diaristique. Et plus je réfléchissais, plus une chose devenait certaine: Je ne voulais tout simplement pas reconduire ce journal pour une nouvelle année. Il a joué son rôle, il m'a conduit là où je voulais aller. Et maintenant, je le vis davantage comme un fardeau, comme un boulet à mon pied. Et aussi dure que cette décision fut à prendre, elle est maintenant prise: Il est temps d'y mettre fin.

Tout concorde d'ailleurs. Cette nuit, ce sera le solstice d'hiver. Ce sera aussi la pleine lune, et une éclipse lunaire. Ce journal a aussi commencé un soir de pleine lune, il y a dix ans et huit mois de cela, il y a exactement cent trente deux cycles lunaires. Je ne suis plus lu que par une poignée de lecteurs et de lectrices inconditionnels que je peux compter sur les doigts d'une seule main et qui méritent mieux que la négligence dont j'ai fais montre à leur endroit ces derniers mois, non seulement par mon manque d'assiduité, mais aussi par la piètre qualité de mes écrits.

Je suis fier de ce que j'ai accompli cependant. Sans être un grand chef d'oeuvre (bien loin de là en fait), ce journal, pris dans son ensemble, représente quand même un ouvrage assez impressionnant. J'en ai relu de grands passages ces derniers mois et je dois avouer que j'y ai trouvé des petites perles qui m'ont bien fait sourire.

Je vais le laisser en ligne. Du moins pour l'instant. Rien ne servirait de le faire disparaître de toute façon. Tout ce qui a été publié sur la toile y demeurera à jamais, quoi qu'on y fasse. C'est quelque chose avec lequel nous devrons apprendre à vivre, comme le réaliseront sans doute tous ces jeunes de la génération Facebook qui auront appris trop tard les vertus de l'anonymat en ligne, et qui devront vivre avec les conséquences de leur manque de clairvoyance.

 Bien sûr, j'aurais pu mettre fin à ce journal de façon moins mélodramatique. Mais après tout, le mélodrame n'a-t-il pas toujours été un de ses signes distinctifs ? Et puis je tenais vraiment à remercier tous les lecteurs et lectrices qui m'ont tenu par la main et accompagné tout au long de cette démarche. Vous avez contribué plus que vous ne l'imaginez à mon cheminement. Je suis convaincu que je ne serais pas où j'en suis aujourd'hui si toutes ces pages étaient restées privées, prisonnières d'un cahier caché au fond du tiroir d'une table de chevet.

Cette belle et enrichissante aventure se termine donc ici. Elle laissera définitivement toute la place à cette autre aventure, celle dans laquelle je me suis lancé il y a quelques mois lorsque j'ai quitté mon emploi: l'aventure de mes projets, de mes rêves, de ma véritable vie, telle que moi, et moi seul, choisirai de la vivre, et, avec un peu de chance, de la partager.

L'adresse de courriel associée à ce site étant devenue un véritable nid à pourriel, elle est à toute fin pratique inutilisable. Le filtre anti-pourriel du service Hotmail déplace régulièrement dans le dossier du courrier indésirable des messages pourtant légitimes, et je suis à peu près sûr que j'ai dû faire disparaître par accident des courriels sans avoir pu les lire. Bref, séparer l'ivraie du bon grain est devenu une tâche fastidieuse à laquelle je ne consacrais plus beaucoup de temps, et à partir de maintenant je n'y consacrerai plus de temps du tout. Les quelques rares parmi vous auxquelles j'aurai révélé ma véritable identité et qui auront choisi de continuer à se compter parmi mes lectrices jusqu'à ce jour savent comment me rejoindre de toute façon, si tel est leur désir.

De mon côté, je vais continuer à poursuivre mes nouveaux objectifs de vie, quoi qu'en pensent ceux que cela ne concerne pas. Plusieurs personnes de mon "ancienne" vie se sont montrées intéressées à me suivre dans mon cheminement. Ces personnes, bien que rares, semblent toutes avoir quelque chose en commun: Elles préfèrent l'homme que je suis maintenant que l'homme que j'étais autrefois. D'ailleurs l'une d'elle, une ancienne collègue de travail, m'a fait la surprise, le jour de mon anniversaire, de se pointer chez moi durant son heure de diner (qu'elle a d'ailleurs amplement étiré; c'est l'un des avantages de l'horaire variable), pour partager avec moi un petit gâteau d'anniversaire et s'enquérir de mon devenir. C'était très gentil de sa part. D'autres anciens collègues me donnent aussi régulièrement des nouvelles. Copine est toujours dans ma vie. Quant à Lola, et bien je la néglige encore trop, beaucoup plus qu'elle ne le mérite.

Et la collègue avec qui je m'entend si bien ? Et bien force est de constater qu'elle a pris de plus en plus ses distances de moi au cours de la dernière année. Je ne crois pas qu'elle cherche spécifiquement à m'éviter; elle répond promptement à chacun de mes courriels. Non, je crois plutôt que je n'occupe tout simplement plus beaucoup de place dans ses pensées. Il n'y a pas si longtemps, je me faisais chicaner si j'osais la laisser sans nouvelle plus de quelques jours. Voilà maintenant un mois que je ne lui ai pas écrit, et ce sans la moindre réaction de sa part. Les défaites comme sa maison, ses problèmes de santé, son nouveau boulot, sonnent de plus en plus faux. Elle n'a jamais manqué de me souhaiter un Joyeux Noël et de me transmettre ses voeux pour la bonne année depuis que nous nous connaissons. Si elle néglige de le faire cette année, alors j'aurai compris ce que valent maintenant à ses yeux les huit années d'amitié que nous avons partagées.

Ma porte sera toujours ouverte pour elle; elle compte trop pour moi et nous nous ressemblons trop pour que je puisse lui tourner le dos. Mais je ne m'investirai plus dans des relations que je suis le seul à faire des efforts pour entretenir.

Alors voilà ! Nous y sommes donc, au dernier paragraphe de cette belle expérience qui se termine, en beauté je l'espère. Merci encore à vous tous et toutes de m'avoir accompagné durant toutes ces années et d'avoir contribué à me permettre de devenir un homme libre, mal dans le monde dans lequel il vit, mais bien dans sa peau, et bien décidé à vivre la deuxième partie de sa vie comme il l'a toujours souhaité. Je profite également de l'occasion pour vous souhaiter à l'avance un très Joyeux Noël, et une Bonne et Heureuse Année à partir de laquelle vous aussi, je l'espère, si ce n'est déjà fait, trouverez votre propre chemin et vous y épanouirez pleinement. :)


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