UNE RETRAITE TRES ACTIVE

Je suis officiellement en retraite, le 31 octobre 1930, aux Invalides comme on dit, du nom de l'établissement qui règle les pensions : Etablissement des Invalides de la Marine, ENIM. Depuis 1905, il faut pour toucher une pension complète : 25 années de Grande Pêche ou 300 mois de pêche. Mais l'administration admet que 7 à 8 mois de campagne à Terre Neuve valent bien une année. Il n'empêche que j'embarque à nouveau sur des bateaux de Fécamp et d'Yport. Le ROSE-MARY ELISABETH d'Yport, du 15 avril au 21 août 1931, le LIBERTE encore du 28 août 1931 au 24 décembre 1931, DIEU LE PROTEGE (F1562) caïque d'Yport en 1932. Lorsqu'il manque un homme, un patron fait appel à moi, surtout pour les harengs où les caïques embarquent un homme de plus. Entre temps, nous avons déménagé au 27, Rue Casimir Vatinel, toujours à Yport.

    Fécamp 1930

Mon premier garçon se marie le 21 octobre 1932 avec Suzanne François-Eugène, personne ne la connaitra sous ce nom, et tous les deux ils font me faire beaucoup de petits-enfants. 1933, mon fils Louis me donne mon premier petit-fils, Jean-Louis. Né à Yport, arrière petit-fils, petit-fils et fils de marin, il sera obligatoirement marin. 1934, une petite-fille Josette toujours chez Louis et Suzanne. Puis les enfants vont se succéder : 1935, encore un matelot chez Louis : Maurice. 1936, une deuxième petite-fille : Raymonde. 1938, la famille s'agrandit encore avec un garçon : André (marin).

1939, ma retraite qui s'annonçait tranquille se voit contrariée par le bruit de bottes qui nous vient d'Allemagne. Le 23 août : mobilisation partielle, le 1er septembre : mobilisation générale. Que vont devenir mes 2 garçons et mon futur gendre Fernand, un gars de Vattetot sur Mer. Pour Louis, pas trop de souci, réformé il ne sera pas mobilisé. Jules repasse une troisième fois le conseil de révision (ajourné à deux reprises, cette fois il est reconnu apte). Jules et Fernand (alors au service militaire) partent à la guerre. En janvier 1940, ma fille Marie Louise épouse Fernand, profitant d'une de ses permissions, mais l'heure n'est pas à la fête. En juin, Jules et Fernand sont faits prisonnier et emmenés en stalag. En juin toujours, nous voyons arriver sur Yport des réfugiés Belges, puis des Français du Nord et de Picardie. Les Yportais en logent quelque uns. Bientôt, c'est nous que l'on va évacuer. Je reste à Yport, mais Marie, ma fille Marie-Louise et Suzanne ma belle-fille avec ses 5 enfants embarquent sur un chalutier direction Saint Malo, je me retrouve avec mon fils Louis. Fécamp est défendu par une poignée de soldats et le bruit des combats parvient jusqu'à Yport. Le ciel est tout noir, ce sont les fumées des raffineries de la Basse Seine qui brûlent. Les allemands arrivent à Yport. Ceux que je n'avais jamais vu en 4 ans de Grande Guerre viennent jusqu'à moi. Ils occupent les meilleures villas du village et commencent des aménagements en vue de s'installer pour longtemps. Ma femme et les enfants reviennent. Les caïques sont autorisées à naviguer, sous conditions (voir le livre sur Fécamp sous l'occupation).

En 1942, Jules revient d'Allemagne, dire qu'il est en pleine forme serait mentir. La captivité ne l'a pas avantagé, il va lui falloir se remplumer. Le 25 juin 1943, Fernand, revient lui aussi de son stalag, il a beaucoup maigri. Il vont vivoter en travaillant au jour le jour, y compris sur les chantiers du Mur de l'Atlantique. Il faut continuer à manger et ils n'ont pas le choix, chantier sur Yport ou usine en Allemagne. La pêche à pied est désormais interdite, la plage d'Yport interdite, tout est interdit. Les caïques sont à Fécamp. Le 11 mars 1944, ma fille me donne un autre petit fils (c'est le rédacteur de ces pages, né Avenue Marguerite), qu'elle appelle Jean, en mémoire de mon petit garçon qui n'a pas vécu . 2 Septembre 1944, les allemands sont partis depuis une journée, après avoir détruit leurs installations et les Anglais arrivent. C'est la fin de l'occupation, la fin des bombardements. Nous allons voir pendant plusieurs mois encore, beaucoup d'avions passer au-dessus de nos têtes. Les restrictions non plus ne s'arrêtent pas, il va falloir continuer à se débrouiller. Les caïques continuent difficilement à naviguer.

La famille Friboulet grandit encore avec France , mais malheureusement, j'irai aussi à son enterrement 6 mois plus tard. Mon deuxième fils, Jules se marie avec Simone Poret, une fille de Vaucottes, le 13 août 1945. Il m'arrive encore de naviguer de temps en temps. J'ai 65 ans et derrière moi plus de 50 ans de navigation et 8 ans de Marine Nationale. Je devrais pouvoir profiter de mes petits enfants, les voir grandir, moi qui n'ai pas vu beaucoup mes propres enfants et me reposer. Tout bien compté je n'ai pas été très souvent à la maison.

 

 

 

 

 

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 Remerciements Bibliographie