Toujours
à propos des légendes devenues germaniques, il convient de dire un mot du motif
médiéval du Chevalier au cygne (fils de Parsifal) auquel Wagner donna
un grand retentissement à partir de la seconde moitié du XIXème s. dans Lohengrin,
"le drame wagnérien le plus pessimiste et le plus mélancolique" (Guide
des opéras de Wagner, Fayard, 1988 : 206). Il met en scène l'oiseau posé
sur le miroir azuré des flots, qui est l'équivalent du jeune homme qu'il tracte
dans une nacelle, étincelant dans son armure d'argent, gracieux, vertueux et
personnifiant le Vœu que chacun se forge ; mais si farouche qu'il se volatilise
dès que l'on ne résiste pas à la tentation de le vouloir connaître (thème du
mystère des origines).
Puisqu'il sera question de Proust infra, citons un contexte où cette image
wagnérienne se trouve adaptée (en tant que comparant) au contexte de l'affaire
Dreyfus évoquée dans les salons :
Bloch tâcha de faire parler Norpois des officiers dont
le nom revenait souvent dans les journaux à ce moment-là ; ils excitaient plus
la curiosité que les hommes politiques mêlés à la même affaire, parce qu'ils
n'étaient pas déjà connus comme ceux-ci et dans un costume spécial, du fond
d'une vie différente et d'un silence religieusement gardé, venaient seulement
de surgir et de parler, comme Lohengrin descendant d'une nacelle conduite par
un cygne. (Le côté de Guermantes)
Si
les curieux des salons dont identifiés aux spectateurs d'un opéra où les
militaires incarnent le héros mythologique, l'animal qui tracte et dirige peut
susciter à sont tour la réécriture plus cryptée et plus abstraite en
« nécessité d’avouer la vérité », selon les sèmes valorisés /pureté/
ou /grâce/ du noble oiseau, transférés au domaine moral des protagonistes.
Pour en rester au domaine de l'opéra, on ne peut passer sous silence le plus
connu des ballets de Tchaïkovski, Le Lac des cygnes. Or si sa renommée
ne débute qu'à sa création en 1877, le livret s'inspire d'un conte de fées
mettant en scène un prince à la recherche d'une fiancée et qui voit, dans
l'isolement au bord d'un lac, au cours d'une chasse, des cygnes se transformer
en jeunes filles. Il tombe amoureux de leur reine, qui lui révèle qu'elle ne
recouvrera sa forme humaine que si elle est aimée. Il promet, en vain, de lui
être fidèle, trahison qui se termine par la mort des amants. Seule la
séduisante métamorphose de l'héroïne en cygne sera le motif inspirant Proust
(cf. infra).