Cette
thématique est indifférente aux frontières entre genres. Ainsi les occurrences
du bel animal féerique sont nombreuses dans le roman antérieur Mademoiselle
de Maupin (1835), où, en dépit de la blancheur virginale équivalant à une froideur
péjorative (emblématique du ton parnassien), Gautier conserve à l’oiseau sa
noblesse, son charme et sa vertu vivifiante :
Chap. 1 : Ce sera le soir que nous
nous rencontrerons pour la première fois, par un beau coucher de soleil ; […] çà
et là quelques statues, quelques vases de marbre se détachant sur le fond de
verdure avec leur blancheur de neige, une pièce d'eau
où se joue le cygne familier, et tout au fond un
château de briques et de pierres comme du temps de Henri IV […]. A une de ces
fenêtres, mélancoliquement appuyée sur le balcon, la reine de mon âme
Chap. 2 : - Je veux bien, dit de C***. - Vois-tu ce beau cygne mélancolique qui déploie son cou si
harmonieusement et fait remuer ses manches comme des ailes; c'est la modestie
même, tout ce qu'il y a de plus chaste et de plus virginal au monde; c'est un
front de neige, un cœur de glace, des regards de
madone, un sourire d'Agnès, elle a une robe blanche et l’âme pareille ;
Chap. 7 : - Allons à la chasse, cela est moins mélancolique que de
glisser sur l'eau côte à côte avec quelque cygne ennuyé et de plier les feuilles de nénuphar à
droite et à gauche, - n'est-ce pas votre avis, d'Albert?
Chap. 16 : un grand cygne plongeait
et replongeait amoureusement son cou et ses épaules dans l'eau fumante de la rivière, et sa blancheur le faisait
paraître dans l'ombre comme une large étoile de neige. - C'était le seul être
vivant qui animât un peu ce morne paysage. D'Albert songeait aussi tristement
que peut songer à cinq heures du soir, en automne, par un temps de brume, un
homme désappointé ayant pour musique une bise assez aigre et pour perspective
le squelette d'une forêt sans perruque. Il songeait à se jeter dans la rivière,
mais l'eau lui semblait bien noire et bien
froide, et l'exemple du cygne ne le persuadait
qu'à demi à se brûler la cervelle, mais il n'avait ni pistolet ni poudre, et il
eût été fâché d'en avoir;
Chap. 11 : quels ravissants poèmes dans les moelleuses ondulations de ces contours plus souples et plus
veloutés que le cou des cygnes !
En
revanche un « vrai » Romantique, tourmenté, comme Nerval renoncera à
un tel climat de douce euphorie, trop doxal ; de sorte que dans Les
Filles du feu (1854) le topos du cygne au miroir s’intègre dans un
paysage péjoratif, dont la dysphorie provient du temps heureux révolu et
de la vie perdue :
Les étangs, creusés à si grands frais, étalent en
vain leur eau morte que le cygne dédaigne. Il n'est plus, le temps où les chasses
de Condé passaient avec leurs amazones fières, où les cors se répondaient de loin,
multipliés par les échos!…