INTER-TEXTUALITE. Celle-ci a lieu, même si l'interrogation d'un corpus numérisé par mot-vedette vise d'abord l'INTRA-textualité au sein d'une saga volumineuse. Les relations intra-textuelles se trouvent validées par le repérage de régularités lexicales entre deux endroits d'un texte, lesquelles ne constituent que l'un des éléments caractéristique du style d'auteur.

Avec la pourpre et l'or (dont on sait qu'ils forment une paire eshtétique depuis A l'ombre des Jeunes filles en fleurs avec les visages féminins empourprés sur un fond d'or pictural, comme dans "l'Harmonie en rose et or", II, 258 et 269; sans parler de Saint-Loup qui, jusque dans le Temps retrouvé, "était resté charmant et rose comme à Balbec, sous tous ses cheveux d'or"), connectés au sang charnel et à l'éclat divin, impossible de ne pas considérer ce passage comme une source de celui de Proust, par la paraphrase qu'instaurent les reprises lexicales :

[...] je ne pus retenir un sanglot quand, dans un geste d'offertoire mécaniquement accompli et qui me parut symboliser le sanglant sacrifice que j'allais avoir à faire de toute joie, chaque matin, jusqu'à la fin de ma vie, renouvellement solennellement célébré à chaque aurore de mon chagrin quotidien et du sang de ma plaie, l'œuf d'or du soleil, comme propulsé par la rupture d'équilibre qu'amènerait au moment de la coagulation un changement de densité, barbelé de flammes comme dans les tableaux, creva d'un bond le rideau derrière lequel on le sentait depuis un moment frémissant et prêt à entrer en scène et à s'élancer, et dont il effaça sous des flots de lumière la pourpre mystérieuse et figée.

Période remarquable qui se situe au moment de la confirmation du vice d'Albertine et de la nécessité pour Marcel de l'épouser (III, 512-13, au final de Sodome et Gomorrhe), mais dont une esquisse montre qu'elle se situait originellement à l'incipit des Jeunes filles en fleurs (II, 1346, et note p. 16), dans un contexte plus "innocent", où le narrateur considérait cette aurore équivalente au soleil déclinant, tel celui de Zola, déjà empreint de liquéfaction et de crevaison. En outre le Paradou donnait lieu à cette phrase insistant sur la naissance : "C'était une seconde conception, une lente éclosion, dans l'œuf chaud du printemps." (II, 5)

L'identificaion au phénomène céleste douloureux remonte au moins au premier des Chants de Maldoror (1869) :

L'homme, tremblant, collera son front contre la terre, au milieu de ses gémissements. Oui, je vous surpasse tous par ma cruauté innée, cruauté qu'il n'a pas dépendu de moi d'effacer. Est-ce pour ce motif que vous vous montrez devant moi dans cette prosternation? ou bien, est-ce parce que vous me voyez parcourir, phénomène nouveau, comme une comète effrayante, l'espace ensanglanté? (Il me tombe une pluie de sang de mon vaste corps, pareil à un nuage noirâtre que pousse l'ouragan devant soi).

N.B. : La mention de la comparaison picturale chez Proust comme Zola indique que leurs peintures de phénomènes astraux relèvent en rhétorique de l'hypotypose, mot grec (hupotupôsis) qui, selon Dumarsais, "signifie image, tableau. C'est lorsque, dans les descriptions, on peint les faits dont on parle comme si ce qu'on dit était actuellement devant les yeux; on montre, pour ainsi dire, ce qu'on ne fait que raconter; on donne en quelque sorte l'original pour la copie, les objets pour les tableaux".
Dans une étude consacrée à cette figure, H. Parret (2004, en ligne au site Texto!) ajoute que "l'hypotypose focalise souvent sur le monstrueux, le colossal, les ensembles empreints de grandeur : tempêtes, cieux étoilés, pyramides, catastrophes naturelles, guerres, cruauté et fatalité du destin, fastes et cérémonies collectives, des objets destinés à frapper, à émouvoir, qui donnent du plaisir aux yeux. L'hypotypose semble bel et bien la figure par excellence du sublime." De là sa participation au réalisme transcendant.