Chapitre 6

 

Les délices du Nouveau Monde ( 2 )

 

 

 

 

Jeux d'une démocratie

 

 

Version anglaise

 

Nos voyageurs estimèrent, qu'en définitive, Pangloss s'en sortait fort bien.

Fortuné Bigboss, qui possèdait un portefeuille important de valeurs mobilières, leur proposa de les distraire en les emmenant dans le temple des finances, à Wall Street.

Dans un brouhaha indescriptible, les acheteurs se ruaient sur les vendeurs. L'atmosphère était haussière. Les bulls (haussiers) tenaient le marché tandis que les bears (baissiers) offraient un profil bas. Le Nasdaq flambait. Fortuné Bigboss attira leur attention sur deux valeurs dont il possèdait de gros paquets d'actions. Les acheteurs étaient en plein délire. Ils s'arrachaient les titres comme si leur vie en dépendait. Les cours grimpaient vertigineusement : 10 % ..., 20 % ..., 31 % ..., 43 % ... Fortuné Bigboss arborait un large sourire. En quelques instants, il avait gagné quelques dizaines de millions de dollars.

Pangloss, perplexe, questionna l'heureux capitaliste : " Comment pouvez-vous gagner plusieurs dizaines de millions de dollars en quelques minutes ? Vous jouez à la loterie ? "

Fortuné Bigboss :" Pas du tout. C'est l'application d'une loi économique rigoureuse, la loi du marché, autrement dit la loi de l'offre et de la demande."

Soudain, une rumeur courut dans la vaste enceinte. Une valeur vedette du e.business venait d'émettre un "profit warning" (un avertissement de forte baisse de ses profits). Les bears sortirent de leurs tanières et se mirent à écraser les cotes. Les cours chutaient vertigineusement : 10 % ..., 20 % ..., 31 % ..., 35 % ... Fortuné Bigboss faisait grise mine. En quelques minutes, il avait perdu des dizaines de millions de dollars.

Ils quittèrent Wall Street. Pangloss, de nouveau perplexe, interrogea derechef Fortuné Bigboss : " Votre loi économique de l'offre et de la demande me semble bien versatile ".

Fortuné Bigboss : " Ce n'est pas la loi économique qui est en cause. Elle est contournée par des spéculateurs qui jouent à la baisse ".

Candide : " Somme toute, la loi du marché est bénéfique. Elle ne joue qu'en faveur du profit ".

Fortuné Bigboss, amer : " Absolument. Ce sont les spéculateurs à la baisse qui la bafouent ! "

Sur ces saines pensées et ces paroles bien senties, nos inaltérables optimistes abandonnèrent Wall Street à ses contorsions.

Après les jeux de la finance, Fortuné Bigboss offrit à ses compagnons le spectacle des jeux de la politique.

Deux candidats à la Présidence des Etats-Unis s'affrontaient : Binton et Clush. On attendait avec fébrilité le résultat des élections. Candide se passionna pour cette joute et entreprit d'examiner attentivement le programme électoral des deux adversaires. Sa conclusion fut enthousiaste : " Je pense que le programme de Binton est magnifique et que, s'il est élu, le peuple américain sera le plus heureux du monde ".

Martin : " Et si c'est Clush qui l'emporte ? "

 

Candide : " D'après ses propositions, s'il est élu, les Américains seront les habitants les plus heureux de la terre ".

Fortuné Bigboss, paisiblement : " Je crois qu'il est utile de vous informer qu'il est bien connu que les promesses des politiciens n'engagent que ceux qui les recoivent !"

Candide: "Vraiment ? "

Martin : " C'est évident ".

Pangloss : " C'est tout à fait dommage. Tout compte fait, les électeurs peuvent néanmoins faire de beaux rêves pendant toute la durée de la campagne électorale !"

Candide : " C'est déjà appréciable !"

La lutte des politiciens tourna à l'avantage de Clush. Binton, dépité, mit en branle une armée de lawyers qui épluchèrent la Constitution et y trouvèrent matière à contester la légitimité de la victoire de Clush. On partit pour des semaines d'imbroglios et de péripéties juridiques......

Les électeurs assistaient, désabusés, à ces joutes des lawyers, fort lucratives pour leurs cabinets. Les deux protagonistes n'en avaient cure. C'était leur problème. Ils estimaient, à juste titre, que les électeurs avaient terminé de jouer leur rôle en votant. Le reste, l'accession au pouvoir, ne les concernait pas. Chacun à sa place. Nos deux optimistes étaient convaincus que l'ordre des choses était respecté et que tout se déroulait donc bien dans le meilleur des mondes possibles.

 

Après les jeux de la politique, nos quatre voyageurs, curieux de voir fonctionner une grande démocratie, au troisième millénaire, choisirent de se rendre en Alabama où la justice était réputée pour sa rapidité. On n'y lésinait pas sur les condamnations à mort et on expédiait les coupables ad patres par dizaines.

Nos voyageurs arrivèrent à quelques miles de Mobile où était installé un pénitencier bien connu pour son efficacité. Ils assistèrent au retour des détenus qui travaillaient à l'extérieur de l'établissement. Ceux-ci étaient enchaînés les uns aux autres. Chacun traînait, attaché à ses chevilles, de lourds boulets de métal. La température était élevée : 106 degrés Fahrenheit (environ 40 degrés Celsius).

Puis ils assistèrent, au Tribunal, à un procès expédié avec une remarquable célérité. Les débats durèrent à peine deux heures, le délibéré un quart d'heure. Le procureur n'avait pas de preuve, pas de pièce à conviction mais les médias réclamaient un coupable pour un crime perpétré dans les environs. On fit mieux. Un pauvre hère, innocent, mais qui avait le tort d'être sans défense, fournit un admirable condamné à mort. Mieux valait exécuter 20 innocents que laisser échapper un coupable. La philosophie d'une justice, saine et rapide, était respectée sans faille.

Nos voyageurs ne pouvaient que se rendre à l'évidence. L'efficacité et la productivité de la justice en Alabama étaient sans rivales !

Chapitre 7 : Les délices du Nouveau Monde (3) : La ronde des psy

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