Maurice Martenot

Pionnier de la recherche en pédago-music au siècle dernier (première partie du XXème siècle)), créateur des ondes Martenot (ancêtre du synthé), Maurice Martenot fait ici état d'un schéma vision-motricité qui ne passe pas par les oreilles.

De formation classique, il pose ce problème au niveau de l'instrumentiste, de celui qui reproduit des sons pensés et organisés par un autre; il n'aborde pas les problèmes que posent directement l'improvisation, la composition, l'arrangement (organisation des sons mentaux).

Dans Principes généraux de formation musicale et leur application (ed.Magnard), Martenot raconte l'expérience suivante :

  Mme M. vient me présenter sa fille de 14 ans, dont l'intérêt musical décroit sensiblement en raison de nombreux échecs. Elle travaille le solfège à changements de clés le plus difficile, le piano au niveau des  sonates de Beethoven et des Romances de Mendelsohn.

  Pour sonder ses diverses facultés, je lui demande de me chantonner le thème d'une des Romances. Impossible, elle ne retrouve pas l'air, mais se mettant au piano elle me le joue facilement. Même essai sur une autre Romance : même résultat. Troisième essai, "Vous connaissez des mélodies populaires très faciles ?".

  Elle cite A la claire fontaine, puis la chante avec les paroles, correctement. Je lui demande de jouer cet air au piano. Même impossibilité. Enfin j'en viens à "Frère Jacques"...malgré de longs tâtonnements, résultat tout aussi négatif !

   Je lui joue ensuite un thème de 5 sons, elle le reproduit facilement en jouant. Je tente une dictée musicale écrite de niveau moyen : Elle la réussit bien.

Que déduire de cette expérience ahurissante ? Que cette fillette est anormale ? Eh bien non, elle a toutes ses facultés, son niveau  d'études générales le prouve, mais elle se trouve totalement dépourvue de pensée musicale pure, laquelle a été absolument annihilée par  un travail purement machinal. Elle ne peut chanter les thèmes des morceaux qu'elle sait par coeur, parce que l'air ne chante pas dans sa tête, par contre ses doigts retrouvent les touches par mémoire musculaire.

Elle chante les mélodies populaires parce que soutenue par les paroles, mais le son mental à peu près inexistant n'a jamais dirigé ses doigts, ce qui la rend incapable de retrouver les touches.

Site de l'école Martenot :  http://www.europea.com/martenot/index1.htm

 
 


 
 

Ce que je veux dire par cette citation :

De la même manière que Martenot constate une disconnection complète, on comprend en retour que la connection oreille/instrument  peut se développer par des exercices appropriés, autorisant ainsi  le jeu à progresser et à mûrir énormément.

L'art du photographe n'est pas dans son appareil, mais dans l'éducation de son regard (contraste, lignes de fuite, couleurs, etc...); de la même manière, l'imaginaire du musicien passe par les sons mentaux, et sa technique instrumentale ne fait que restituer ce qu'il a envie d'entendre :

Il peut s'agir d'une appréciation plus fine de la qualité de son des instruments, des mouvements d'orchestre  et de la composition, en ce cas il progresse dans sa possibilité d'interprèter une oeuvre.

Il peut s'agir aussi -et c'est là mon propos- d'une façon plus élaborée d'organiser les sons mentaux, comme on visualise intérieurement un paysage; il y a  alors accès à l'improvisation, la composition, l'arrangement, c'est à dire placer ses propres idées, qu'elles soient simples ou progressivement plus complexes.

Ce chemin peut se faire au hasard de son évolution musicale, le faire seul, c'est juste plus long et beaucoup plus incertain.


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