(C)01 Philippe Raimond


 

   L'homme frémit. Ce fut la première fois depuis très longtemps. Ce fut le début d'une longue route partant de l'inconnu sur le chemin de l'apprentissage !

   L'homme frémit à nouveau mais n'en comprit pas la finalité ni l'origine. Il n'eut pas à apprendre l'étrange vertige de la peur. Il n'avait jamais éprouvé ce frisson mortifère, il n'avait jamais mémorisé cette perception, le mot était une entité dont le nom ne signifiait encore rien pour lui.

   Pourtant, quelque chose d'inhabituel se déroulait. L'homme continuait son activité comme il le faisait depuis un temps qu'il n'avait jamais essayé de mesurer. A quoi bon compter ce qui n'a pas de sens ! L'homme ne savait même pas ce qu'il faisait. Il n'avait jamais cherché la compréhension.

   Il allait de l'avant, le petit clignotement de son implant sous-cutané en était le témoin.

   La machine s'occupait du reste, comme d'habitude, comme elle l'avait fait depuis plus de 600 décades. Elle gérait l'activité des humanoïdes de la colonie d'Antarès, en enveloppant de ses ondes toute la surface de cette planète rouge.

   Les hommes, les androïdes et les réfugiés de cette planète obéissaient sans s'en rendre compte comme d'habitude et depuis bien longtemps. Ils étaient dans l'aveugle acceptation de cette tâche.

   L'homme frémit pour la troisième fois, et cette décharge d'adrénaline lui procura une émotion.

   Pour la première fois depuis si longtemps, son cerveau se réveilla et put prendre le commandement de son corps.

…Chose étrange.

   L'homme ressentit, ce fut la première fois. Il entendit toute une musique aux sons métalliques et cristallins envahir sa tête, une vibration agréable qui lui enveloppa les membres. L'homme essaya de retenir ce corps qui lui était étranger, ce corps qui s'affairait à une tâche dont il ne concevait même pas l'origine ni l'aboutissement. Mais les bras continuaient leur travail et les jambes se complaisaient dans une frénétique agitation.

   L'homme prit conscience de la vision, et il regarda.

…Il ne comprit pas.

   Il regarda pour une seconde fois.

   Autour de lui travaillaient des milliers et des milliers d'hommes en tout points semblables.

   Ces hommes regardaient aussi !

   Les mêmes gestes se répétaient à l'infini.

   L'homme réagit en homme.

***

if ErrorLevel <> 0 then Alert();

   Pendant un instant la machine balaya sa mémoire, effaçant son expérience.

***

Procedure Alert; Begin Clrscr; Reboot; End

***

   Pourtant son cerveau se réveilla encore une fois, entraînant avec lui cette chair torturée. L'homme connu la souffrance produite par un combat entre son corps et sa pensée naissante. Son cerveau commençait à se détacher de l'emprise de la machine, et il ne comprit pas le morcellement dont il était la victime.

   L'homme sentait son corps se raidir, lutter. Ses bras se tordaient ainsi que ses jambes. Il ne pouvait crier. Le cerveau n'avait pas encore repoussé le mutisme que commandait la machine.

   L'homme, connu enfin le calme, son corps était libre, son cerveau était libre.

   L'homme resta là très longtemps à goûter sa vie. Le cerveau recommençait un rôle qui lui avait été enlevé depuis si longtemps.

   L'homme redevint homme.

   Il marcha, marcha très longtemps en prenant plaisir à cette magie de l'acte psychomoteur retrouvé.

   Il se sentait marcher et il était accompagné par des milliers et des milliers d'hommes qui comme lui, expérimentaient ce plaisir redécouvert.

…Ils existaient.

   Une immense clameur s'élevât.

   Face à eux se tenait la machine, énormes constructions biomécanique. Seul le soleil rougeâtre éclairait les monceaux de constructions métalliques qui les environnaient. Ils se rappelèrent du monde, et virent cette vie qui se mourrait sous cette affreuse construction. Ils revirent en un éclair toute leur histoire.

   Ils hurlèrent avec ces gorges qui venaient de retrouver leurs fonctions.

   Dans leurs cerveaux se créa l'idée de mourir. Ce souvenir était intolérable face à la réalité qui se dévoilait à eux.

***

— Eh, Marcel, tu crois pas qu'il y a un bug dans ton programme ? Passes moi çà à l'antivirus.

— John, c'est pas une bête, mais comment as-tu programmé ce truc ? Bordel de merde ...

J'aurais dû vérifier ton unité conscience avant de l'intégrer au programme. Je vais essayer de récupérer, mais je garantis pas les résultats.

***

   La machine s'empara de cette idée suicidaire, et les hommes comprirent en une fraction de seconde qu'ils avaient atteint ce qu'ils avaient recherché depuis des siècles : la science totale, la maîtrise absolue.

   Ils comprirent que ce qui leur arrivait était ce qu'ils avaient voulu.

   La machine obéît aux homme de la colonie Antarès ... et les tua comme ils le désiraient.

   Sur les bracelets ID, les voyants On-Line s'éteignirent progressivement.

 

— Dis, John, en quoi tu l'as écrite cette foutue unité, parce qu'on vient de se formater la banque de données de l'atelier Antarès.

— Tu l'as bonne Marcel, avec quoi tu voulais que je l'écrive cette unité, avec un basic du XX° siècle peut-être? Cela n'est pas de ma faute si les débogueurs ne sont pas encore au point sur ce foutu langage de programmation MégaProlog 8.72 !

— Heureusement que j'avais fait une sauvegarde en éprouvette à la section Cryo, on va pouvoir l'incuber dans la base de données vierge de Pollux des Gémeaux. Il faut vite réinstaller le programme sur ce caillou, sinon le boss va nous passer un savon du tonnerre, et tu vas te retrouver à faire l'anthologie du Basic, et moi celle du Pascal.

 

  

Nouvelle originale Philippe Raimond écrite en 1975
(texte revu en février 2000 - Illustration Bryce 4 février 2001)


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